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Pouvons-nous encore être modernes à l’heure du réchauffement climatique ? Il semble qu’aujourd’hui, il n’y ait plus tant à méditer sur les promesses non tenues de la modernité que sur ses « réussites », qui menacent la planète. Sommes-nous condamnés à être tous antimodernes parce que la modernité explique la crise du présent ?
« Il faut être absolument moderne », écrivait Rimbaud à la fin de la Saison en enfer (1873). Ce constat en forme d’injonction consonne avec la symbolique de la modernité : on ne naît pas moderne, on le devient. Ce devenir n’est jamais véritablement achevé : il reste toujours un effort à accomplir pour rompre définitivement avec les « arriérés de toutes sortes », qui nous éloignent de la vérité en nous retenant dans les rets de la tradition et des convenances anciennes. L’« heure nouvelle » à laquelle s’en remet Rimbaud sonne le glas de notre « enfer ». Elle est semblable à une conquête qui, une fois réalisée, exclut tout retour en arrière.
À l’époque où écrit Rimbaud, la modernité est vieille de plus de deux siècles. On ne sait pas exactement quelle est la part du sérieux et celle de l’ironie dans l’injonction rimbaldienne : au moment où le poète écrit, l’humanité avait déjà eu maintes fois l’occasion de douter des temps nouveaux. Mais le diagnostic selon lequel la modernité est encore devant nous demeurait crédible. Avec la révolution scientifique moderne, et plus encore avec les Lumières, s’est installée l’idée que rompre avec le passé, critiquer les superstitions religieuses, promouvoir la nouveauté, penser et agir en suivant la seule raison étaient des impératifs auxquels il faut se conformer « absolument », puisqu’il n’existe plus d’autre absolu que la liberté. L’époque qui, en Occident, se donne le nom de modernité ne le fait pas tant pour se décrire elle-même que pour s’affirmer, en marquant sa supériorité sur le passé.
Où en sommes-nous aujourd’hui de cette croyance dans notre propre modernité ? La modernité désigne-t-elle encore un projet praticable pour l’avenir ? Être « absolument moderne », cela peut-il s’entendre autrement que comme un slogan publicitaire destiné à nous convaincre que, installés dans notre époque historique, nous vivons notre meilleure vie ?
Des fins de la modernité…
Pour tenter de répondre à ces questions, il faut regarder en arrière. Vers la modernité elle-même, et ses naissances plurielles, mais aussi vers ce qu’elle a pu signifier au cours du xxe siècle. « Âge des extrêmes1 », le xxe siècle a sonné comme un démenti aux espérances placées dans le progressisme naïf prêté, à tort ou à raison, aux croyances modernistes. Née dans l’exercice du doute méthodique, la modernité semblait devoir être elle-même soumise à un soupçon généralisé, relatif à l’abîme entre ce qu’elle dit (en matière de liberté et de droits) et ce qu’elle fait (en matière d’institutions répressives et de crimes).
De là une discussion qui s’est longtemps centrée sur les fins de la modernité, à la fois au sens d’une liquidation de ses espérances, déposée dans des événements comme Auschwitz ou Hiroshima, et au sens de ses finalités secrètes, qui ne seraient devenues visibles que dans les tragédies de l’histoire contemporaine. Après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à l’orée du troisième millénaire, la modernité a été l’enjeu d’un débat entre ceux qui considéraient qu’elle ne pouvait plus servir d’inspiration après avoir justifié tant de dogmatismes criminels (première génération de l’École de Francfort, autour d’Adorno et Horkheimer), ceux qui la voyaient déjà dépassée du fait de l’effondrement de ses grands récits fondateurs (« postmodernisme », avec Lyotard) et ceux qui insistaient sur ses « promesses non tenues » (deuxième génération de l’École de Francfort, autour de Habermas).
Ces débats continuent à irriguer les discussions présentes, on en trouvera la trace et l’actualité dans ce dossier. Leur enjeu réside d’abord dans la définition de la modernité, ce qui ne va jamais sans un effort de datation. Les Temps modernes sont la première (et jusqu’à ce jour la seule) époque de l’histoire à se comprendre elle-même comme époque, c’est-à-dire comme rupture. On en fait le plus souvent remonter l’origine au xviie siècle, comme la résultante d’une triple crise : crise cosmologique (la rupture galiléenne avec le géocentrisme), crise politique (la désintégration individualiste du paradigme théologico-politique de la communauté), crise de l’autorité de la tradition (la promotion de l’avenir comme unique principe de légitimation du présent). Engagée par la science nouvelle, à savoir la physique mathématique, elle semble s’être accomplie politiquement un siècle plus tard dans l’œuvre des Lumières, qui ont appliqué aux affaires humaines les mêmes efforts de rationalisation que ceux qui étaient parvenus à percer les secrets de la nature2.
C’est longtemps autour de la définition de la raison et du sens du progrès qu’ont couru les débats autour de la modernité. Que sa fin soit considérée comme donnée dans le triomphe d’une raison instrumentale, ignorante des différences et potentiellement violente, ou que sa finalité émancipatrice mérite d’être réinvestie contre ses propres déraillements, il s’est agi de savoir si la modernité était l’instrument de la critique ou si elle ne devait pas plutôt devenir son objet. Critiquer la modernité pouvait se faire à partir d’elle-même, c’est-à-dire d’autres usages de la raison que ceux que la science et la technique ont déployés, ou depuis une instance qu’elle aurait méconnue (la vie, l’Autre, la folie, la « pensée sauvage », etc.).
Mais il se pourrait qu’une autre question se pose aujourd’hui à nous dans une certaine urgence. À celle-ci aussi nous avons essayé de faire droit dans ce dossier. Non plus « Comment rompre avec la modernité ? » ou « Comment l’accomplir vraiment ? », mais « Pouvons-nous encore être modernes ? » Est-ce toujours dans nos moyens, à l’heure du réchauffement climatique et de la suite ininterrompue de désastres sociaux et migratoires qu’il promet ? Dans cette hypothèse, nous serions devenus « absolument modernes », mais malgré nous, et peut-être pour le pire.
La modernité voulait être irréversible et elle l’est paradoxalement devenue sous la figure des catastrophes en cours.
Depuis deux décennies, en effet, la modernité apparaît clairement comme ce pour quoi elle se présentait elle-même au commencement : non pas d’abord une question de chronologie, mais une question d’identité. Comme l’a montré Ricœur, c’est de « notre » modernité qu’il est question, c’est-à-dire de la manière dont nous définissons notre position dans l’histoire par différence avec le passé3. Or, que la modernité soit « nôtre » et que, malgré l’épaisseur des siècles, elle pèse plus que jamais sur notre présent, il ne se trouve plus grand monde pour le nier aujourd’hui. Mais c’est désormais au sens d’un poids trop lourd : la modernité voulait être irréversible et elle l’est paradoxalement devenue sous la figure des catastrophes en cours.
… à son accomplissement paradoxal
Ce nouvel âge de la modernité, ni perdue, ni à venir, mais épuisée au moment même où elle se réalise, comment l’interpréter ? Un premier indice nous est fourni dans la désillusion de plus en plus marquée par un philosophe qui s’est pourtant toujours voulu étranger au désespoir.
Dans un texte récent, Jürgen Habermas revient sur sa conception de l’espace public moderne, censé permettre une délibération fondée sur l’échange égalitaire des arguments. Constatant que les réseaux sociaux ont annulé le « pouvoir rationalisant » du débat public, Habermas n’hésite pas à évoquer la « régression politique dans laquelle se trouvent presque toutes les démocraties depuis la fin du siècle dernier4 ». Ce jugement n’est pas seulement celui d’un philosophe presque centenaire ayant toujours milité pour la puissance émancipatrice de la communication et découvrant Twitter avec consternation. S’il cite l’assaut du Capitole par les partisans de Trump comme un symbole de ce que les réseaux sociaux font à la politique, Habermas fonde son inquiétude sur un argument paradoxal. Sur les réseaux sociaux, les utilisateurs « deviennent des auteurs indépendants et égaux5 ». À cet égard, la promesse moderne d’une participation toujours plus large au débat public est bel et bien tenue par les réseaux numériques : tout ce qui est réel pour un individu semble devenir rationnel par le seul fait qu’il a acquis le droit de le publier et de le communiquer aux autres.
Selon les canons de la modernité critique promus par Habermas, ce progrès dans la socialisation de l’information aurait dû entraîner un progrès dans la rationalisation des échanges6. Or, explique-t-il, c’est tout l’inverse qui s’est produit : en devenant « auteurs » de leur propre actualité, les utilisateurs des réseaux sociaux ont aboli la frontière entre le privé et le public. Leurs émotions, souvent haineuses, sont désormais élevées au rang d’informations partageables par tous. Plus grave encore, les réseaux sociaux ont rendu publiques des paroles invérifiables et dont la teneur de vérité n’est plus calculée qu’à partir du nombre de likes qu’elles suscitent. Face à l’inflation des fausses nouvelles, Habermas en conclut à la nécessité, pour la presse traditionnelle, de retrouver son autorité traditionnelle dans le partage du vrai et du faux. Quitte à voir celle-ci garantie par la Constitution contre l’irresponsabilité des plateformes numériques.
La « régression » diagnostiquée par Habermas se distingue de ce qu’il appelait naguère les « déraillements de la modernité » : une réduction de la raison à sa seule figure instrumentale dans un État autoritaire ou dans un marché dérégulé. Désormais, c’est l’exigence individualiste de faire entendre sa voix sur un espace à peu près dénué de censure qui menacerait la démocratie. Il n’y aurait plus tant à méditer sur les ratages de la modernité que sur ses « réussites » paradoxales.
On trouverait un déplacement similaire chez un auteur qui se situe pourtant aux antipodes de la confiance habermassienne dans le projet moderne. En 1991, Bruno Latour pouvait encore déclarer que « nous n’avons jamais été modernes », en renvoyant aux accessoires des illusions scientistes les partages modernes les plus éprouvés (nature/culture, humains/non-humains, tradition/progrès)7. Une perspective ethnographique sur les discours – et plus encore sur les pratiques – de la science devait nous convaincre qu’aucune raison indépendante de son contexte social et matériel n’existe. Dans ses écrits ultérieurs, Latour n’a pas rompu avec sa promotion des « objets hybrides » qui défont les dualismes modernes, mais c’est pour mieux les opposer à une modernité qui existe tellement qu’elle est désormais perceptible dans les chaleurs étouffantes que nous subissons annuellement. Qu’est-ce que l’anthropocène, dont Latour fixe symboliquement le commencement à la « date fatidique de 1610 », sinon l’ère géologique de l’homme moderne qui a marqué un changement irréversible dans le régime climatique8 ?
En élevant l’humanité au rang de puissance géologique mortifère, l’anthropocène défait la différence entre nature et culture : elle désigne « le concept philosophique, religieux, anthropologique et politique le plus décisif jamais produit comme alternative aux idées de modernité9 ». Mais si une telle alternative est désormais nécessaire, c’est bien parce que les idées modernes sont devenues hégémoniques, au point qu’elles nous aveuglent sur les menaces qui pèsent sur le système-Terre. En ce sens, nous sommes devenus « absolument modernes », mais il a fallu attendre la triste nouvelle des rapports du Giec pour nous en convaincre.
La modernité comme fatalité ?
Aussi éloignées soient-elles dans leurs intentions, ces deux références nous montrent que, depuis une décennie environ, les références à la modernité ne se font plus tant au nom d’un passé qui indique un avenir qu’au nom d’un présent en crise. La modernité serait devenue le dispositif qui définit le mieux le monde actuel, mais dans ce qu’il recèle de désastreux.
Cela explique pourquoi ses critiques dépassent les clivages politiques traditionnels : on ne peut plus se contenter de dire que les conservateurs se méfient de la modernité, alors que les progressistes la valorisent. L’idée, typiquement moderne, selon laquelle le monde est ce que l’humanité en fait se heurte désormais au constat que la Terre est en train de se défaire à force d’avoir été transformée, sinon dévastée. Le réchauffement climatique, dont les causes sont anthropiques, est le signe le plus spectaculaire de ce retournement, mais il en existe d’autres. On l’a vu, l’espace public s’est considérablement élargi, mais sans assurance sur le fait que l’ère de la communication coïncide avec celui de la démocratie. L’imaginaire du progrès se trouve réinvesti, non sans déplacements, dans celui de l’innovation. Les « valeurs » (modernes comme antimodernes) s’opposent dans une « guerre des dieux » qui semble sans fin. L’universalisme revendiqué par l’Occident s’est effectivement mondialisé, quitte à qualifier d’archaïsme tout ce qui se distingue de lui (la condition des femmes, les pensées postcoloniales). Sur tous ces points, la modernité paraît s’être réalisée, mais au cœur d’un présent marqué par le soupçon et l’angoisse.
On prend la mesure de ce nouvel âge de la modernité à chaque fois que le nom de Descartes se trouve convoqué dans la généalogie des impasses du présent. Pour l’humanité, vouloir se faire « comme maître et possesseur de la nature » (le « comme » est rarement commenté) est devenu l’emblème d’un geste prométhéen qui s’est retourné contre ses initiateurs. La théorie cartésienne de l’animal-machine témoigne d’une époque insensible aux vies non humaines et dont l’abattage industriel serait l’accomplissement contemporain. Quant à la réduction de la matière à l’étendue, elle serait achevée dans un univers réduit au calcul. Le geste moderne est présent à l’horizon de tous ces diagnostics, mais sa souveraineté initiale s’est renversée en sentiment d’impuissance.
Ces jugements ont souvent la naïveté des généalogies du désastre élaborées dans l’urgence. « C’est la faute à Descartes », comme c’était autrefois celle « à Rousseau » ou « à Voltaire ». Pour y répondre, il faut revenir sur les origines de la modernité, que l’on déclare d’autant plus univoques qu’elles sont censées annoncer le pire. Il y a plusieurs Descartes ; quant à Rousseau et Voltaire, ils n’annoncent pas du tout le même type de société. Ici, la pertinence de l’approche par les « promesses non tenues » demeure : elle privilégie l’ambivalence de la modernité en s’abstenant de réduire cette dernière à des formules.
Il faut néanmoins prendre la mesure de ce que, pour beaucoup, la modernité est devenue la figure de notre fatalité. Une bonne partie de la jeunesse, la génération que l’on s’attendrait à voir épouser spontanément l’injonction moderniste, considère que les promesses modernes sont si lentes à être tenues que l’on peut douter qu’elles aient seulement été proférées un jour. Les militants d’Extinction Rebellion ne sont pas les seuls à situer dans les décisions prises en Europe il y a plus de quatre siècles l’origine de maux qui ne se manifestent pleinement qu’aujourd’hui. Dans les courants contemporains du féminisme ou de la pensée postcoloniale, les promesses de l’autonomie ont perdu de leur prestige depuis qu’elles semblent s’être réalisées au détriment de formes de vie vulnérables et de cultures qui reconnaissent leur dette à l’égard de la nature. Dans l’ordre des luttes sociales, les tentatives pour séparer la modernité du capitalisme ont perdu de leur pertinence depuis que l’exploitation des hommes s’est révélée solidaire de la prédation technique de la nature. Même pour une jeunesse moins militante, « être absolument moderne », si cela doit vouloir dire adhérer au présent, n’est plus que le cache-sexe d’un monde en crise, incapable d’appuyer sur la pédale de frein.
Autrefois, la révolution devait être l’accomplissement d’une modernité trahie. Aujourd’hui, la bifurcation se présente comme l’exigence de rompre avec les ruptures modernes (avec le passé, la nature ou le vivant). Dans l’un et l’autre cas, il vaut la peine de déterminer aussi précisément que possible ce dont on entend prendre congé. Faut-il, en effet, admettre que nous sommes tous condamnés à être antimodernes parce que la modernité est ce qui nomme et explique un présent en bout de course ? L’objectif de ce dossier est moins de faire un bilan des crises actuelles que d’éclairer la manière dont nous pouvons aujourd’hui nous rapporter équitablement à notre époque. Dans ce contexte, la parole souvent citée de René Char selon laquelle « notre héritage n’est précédé d’aucun testament10 » prend un relief singulier. Que nous soyons les héritiers de la modernité, cela ne fait plus aucun doute à un moment où elle occupe nos esprits au point de se confondre avec le présent. Mais le testament de cet héritage n’est pas inscrit dans le projet moderne lui-même : il nous reste à l’écrire.
1. Eric J. Hobsbawm, L’Âge des extrêmes. Histoire du courtxxe siècle [1994], trad. par Pierre-Emmanuel Dauzat, Bruxelles, Complexe, 1999.
3. Voir Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
4. Jürgen Habermas, « Un nouveau changement structurel de l’espace public politique » [2021], dans Françoise Albertini et Luca Corchia (sous la dir. de), Habermas en terrain insulaire. La Corsica et son espace public, Pise, Pisa University Press, 2022, p. 27-28.
6. Voir Julia Christ, « De l’intime au public : Habermas à l’épreuve des réseaux sociaux » [en ligne], AOC, 28 janvier 2022. Voir aussi Esprit, « Habermas, le dernier philosophe », août-septembre 2015.
7. Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.
8. B. Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, Paris, La Découverte, 2016, p. 240. La date de 1610 est à la fois celle de la parution du Messager des étoiles de Galilée et celle de la reforestation du continent américain, entraînant un stockage inouï de CO2, à la suite de la disparition de près de 50 millions d’Indiens d’Amérique.
9. B. Latour, cité dans Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz, L’Événement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013, p. 36.
10. René Char, Feuillets d’Hypnos [1946], dans Fureur et mystère, préface d’Yves Berger, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1967, feuillet 62, p. 190.
Au printemps 1985, Rome a accueilli dans ses murs anciens et immortels Eugène Ionesco (1909-1994), le grand dramaturge français d'origine roumaine. L'auteur d'œuvres d'une importance cruciale pour le théâtre contemporain telles que La Leçon (1951) et Rhinocéros (1959) a accordé à cette occasion une interview pour le moins décisive à Giuseppe Grasso, spécialiste des lettres françaises, qui a eu la grande chance de pouvoir deviser à l'écrivain, alors âgé de 76 ans.
Ionesco logeait dans ce qu'on appelle aujourd'hui le Grand Hôtel St. Regis, l'un des plus beaux, et non vulgairement luxueux, hôtels de la capitale. L'interview est parue en juin de la même année dans le journal romain IlPopolo dans une version très abrégée. Aujourd'hui, grâce également à la sensibilité culturelle de l'éditeur Solfanelli, des Abruzzes, cette conversation voit enfin le jour dans son intégralité, offrant aux chercheurs en lettres françaises - y compris l'auteur de ces lignes - et pas seulement, un document extrêmement important qui devrait être valorisé dans la recherche sur le terrain, car il offre une contribution qui nous apporte des données factuelles, c'est-à-dire ce qui fait le "sang et le corps" d'une recherche académique efficace et non auto-référentielle.
Une conversation avec un grand auteur
Le texte dont nous parlons éclate comme un nuage d'où surgissent les mots sous la forme d'une quasi "tempête". Un raisonnement, celui que Grasso stimule chez Ionesco, plein de sollicitations pour le lecteur, composé de références, de noms et de lieux d'une géographie idéale, dessinant métaphoriquement une cartographie de l'horizon culturel composite de cette thématique, autant qu'un auteur talentueux. En outre, Ionesco n'a jamais eu peur d'exposer ses convictions, comme, par exemple, son manque de sympathie pour certaines positions socialistes et progressistes. C'était une "offense" grave dans la France - tout aussi grave, voire pire, dans l'Italie - de l'époque, où des écrivains tels que Philippe Sollers et Jean-Paul Sartre étaient, à notre avis, appréciés bien au-delà de leurs mérites littéraires simplement pour avoir pris ouvertement parti pour les gauches ; c'est-à-dire le parti qui, pendant des décennies, dans les bons salons d'Europe, a été considéré, sans la moindre critique, comme le seul et l'unique. De telles catégories idéologiques, comme on peut également le comprendre à la lecture de ce volume, ne convenaient pas à un artiste comme Ionesco, et il ne pouvait en être autrement dans le cas du véritable inventeur du "théâtre de l'absurde".
Si aujourd'hui cette longue conversation voit enfin le jour dans une version plus étendue, ce n'est pas par caprice de l'auteur, qui a mis la main à la pâte en reprenant les enregistrements originaux, mais en réponse à une particularité qui justifie sa re-proposition sous forme de livre: l'interview est un document et les pages qui la composent constituent un "texte", c'est-à-dire qu'elles donnent vie à une forme essayistique très particulière comme celle du "parlé", en l'occurrence sur le théâtre et la poétique de Ionesco, dont les mots étaient aussi inconfortables hier qu'aujourd'hui; nous ajouterons même que le monde globalisé craint l'intelligence, surtout quand elle est non-conformiste, et celle du notable dramaturge franco-roumain l'était certainement.
Le spécialiste chevronné ès-littérature française qu'est Grasso assume ici pleinement le rôle de l'intervieweur, réalisant qu'il s'adresse à un géant de la littérature, et qu'il fallait profiter de cette occasion, ce qu'il fait avec beaucoup de dévotion, sans toutefois faire un complexe d'infériorité. En fait, il est sûr de lui et pose des questions précises, sachant où "regarder", comment viser, à quoi s'attendre, malgré l'imprévisibilité de son interlocuteur pointu. Grasso sollicite le maître en face de lui sans aucun scrupule; il le marque, le presse, ne le ménageant que parfois, car il ne manque pas d'exprimer son désaccord ou de proposer des idées différentes. Mais lorsqu'il accepte d'être heureusement dépassé, il est déterminé à ramener un résultat concret, et c'est dans le caractère concret de la pensée exprimée par Ionesco que réside la qualité de cette publication, dûment élaborée par son éditeur. En substance, qu'est-ce qui en ressort ? Trois bonnes heures de conversation !
On découvre les pensées d'un écrivain "mal à l'aise".
L'interview est un genre littéraire problématique. Aujourd'hui comme jamais auparavant, la capacité à poser des questions a été complètement perdue. On s'offusque ou, plus souvent encore, on se plie en quatre, on flatte sans vergogne, passant de ce qui serait un service culturel à un véritable service idéologisé. Heureusement, ce n'est pas le cas avec le livre de Grasso. Ionesco lui-même explique ce qui est peut-être la principale tâche de l'écrivain, à savoir "poser des questions" et non "proposer des solutions" (21).
Le texte s'ouvre sur une introduction très utile de la journaliste Simone Gambacorta, qui précise qu'il s'agit également d'un "livre de liaisons", car il établit des liens et indique des perspectives. Gambacorta rappelle avec force l'importance de savoir mener un entretien. Nous pouvons presque appeler cela un "sous-métier" du journalisme, qui ne se réalise pas simplement en posant des questions, mais ce qui compte c'est : "[...] avoir quelque chose à dire" (5). Et Ionesco parle, se confesse presque, tout en restant toujours solennel. De ses paroles, on comprend la raison qui a poussé Grasso à emprunter le sous-titre du texte à une œuvre de l'intellectuel roumain Emil Cioran (1911-1995): De l'inconvénient d'être né (1973). La citation ouverte de l'éditeur à cet auteur raffiné et, injustement, encore peu étudié, sanctionne avec acuité une parenté de désenchantement; comme l'atteste d'ailleurs le court essai de Ionesco A propos de Beckett, qui conclut le volume et n'en dit pas moins sur l'écrivain que sur l'auteur de En attendant Godot (1952).
Ionesco et Beckett, unis par la même dénonciation inexorable, à la différence que le premier est plus "politique", tandis que le second est plus mental, comme l'explique également l'éditeur: "Par rapport à Beckett, dont le nihilisme apparaît beaucoup moins humoristique, centré avant tout sur le vide, Ionesco émet au contraire un cri étourdi face au vide, signalé par le rire" (29). Cette comparaison incite à mieux cadrer l'existentialisme de Ionesco qui, à la différence de son collègue irlandais, est vital, tendant à rejeter les raisonnements d'évasion: " La chose la plus absurde est d'être conscient que l'existence humaine est inacceptable... et, malgré tout, de s'y accrocher désespérément, conscient et affligé parce que destiné à perdre ce qu'on ne peut supporter [...]" (23).
Ainsi, l'inconvénient d'être chez Ionesco est une reconnaissance des choses, et non une "attente" stérile, bien que suggestive, comme nous le trouvons dans l'opus beckettien. À cet égard, Ionesco revendique légitimement, à notre avis, la paternité de ce que le critique et écrivain hongrois Martin Esslin (1918-2002) a défini pour la première fois comme le "théâtre de l'absurde". L'académie internationale, en revanche, a toujours désigné Beckett comme l'initiateur de ce courant littéraire, puisque les œuvres de Beckett ne visaient pas à ne rien raconter, mais faisaient plutôt du néant leur raison d'être. Pour sa part, Ionesco ne s'est jamais caché derrière "l'absurde"; au contraire, il s'en est servi comme d'un poinçon pour tenter de démêler le vide mental de l'âge moderne, ses nombreuses hypocrisies. Il va sans dire que, par le passé comme aujourd'hui, dire la vérité, peu importe de quelle manière, est considéré comme dangereux pour une certaine Pensée unique qui dirige l'Occident depuis des décennies. Ce système de pouvoir culturel a maintes fois changé de nom et de forme, mais son essence malveillante est restée intacte, et sans aucun scrupule, nous affirmons que de ce Mal, Ionesco se considérait fièrement comme un ennemi.
Ionesco, un anti-moderniste ?
Stylistiquement, on trouve dans le livre, surtout dans la partie qui précède l'interview, une sorte de contraste entre l'écriture de Grasso, avec une recherche parfois "baroque" de lemmes et l'alternance de phrases courtes et longues, qui est alors l'une des prérogatives d'un titan comme Joseph Conrad, et tout le monde ne peut pas être lui, dirions-nous, avec l'exactitude des réponses de Ionesco. Cependant, au final, le résultat global est fondamentalement harmonieux et la lecture est agréable. En outre, l'éditeur a le mérite, ainsi que le courage, de cadrer les idées de Ionesco dans une perspective que l'on pourrait qualifier de traditionaliste: "[...] l'homme, désarticulé de la transcendance, est un être englouti par les sables mouvants de l'insignifiance et du dérisoire, riche de ses déguisements, de ses soucis, de ses mesquineries" (22). Tout cela nous incite à poser de nouvelles bases dans l'étude de cet écrivain, c'est-à-dire une évaluation critique de Ionesco comme l'un de ces nombreux antimodernes dignes de ce nom dont les positions humaines et politiques ont été délibérément mal comprises.
La force de ce dramaturge, ce qui l'a rendu parfois impopulaire dans certains milieux, est que "son" vide n'en est pas un, puisqu'il est empreint d'un scepticisme structuré, à tel point que le terme "absurde" n'est utile que pour définir sa forme, mais pas son essence, si l'on considère, comme l'explique Grasso, qu'avec le théâtre Ionesco entendait : "[...] dénoncer, sans fausse modestie, la crédulité et l'absurdité de la condition humaine, vues comme les plaies [sic ! ] endémiques de l'homme bourgeois moyen" (22).
Entretien avec Ionesco pourrait presque être jugé comme un livre "méta-théâtral", le prologue critique de l'éditeur préparant le lecteur à l'action théâtrale, tout comme dans les textes dramaturgiques, lorsqu'au début de chaque acte est décrite la scène dans laquelle les personnages vont évoluer. Et cet entretien qui prend la forme d'une pièce de théâtre se déroule en un seul acte, dans la confrontation verbale entre deux protagonistes isolés du reste du monde, rappelant paradoxalement le style de son "rival" Beckett.
Néanmoins, ce livre a aussi sa propre valeur pour la recherche, étant un excellent "outil" pour saisir la littérature française tout court, permettant d'aborder avec profit la lecture et la compréhension de cet auteur. Le "ton" de l'interview que Grasso recueille peut se résumer à l'hostilité bien connue de Ionesco envers Victor Hugo: "Il reste donc sa vie, sa grande éloquence, qui m'a toujours irrité et énervé, sa grande vanité littéraire; et le grand homme parfait, c'est-à-dire la "nullité" faite personne" (37). Une fois de plus, le dramaturge se montre sans fausse modestie, allant s'attaquer à l'une des plus pompeuses des idoles littéraires transalpines, car il possédait une sorte de "mauvaise intelligence", une caractéristique qui a fait la grandeur de Louis-Ferdinand Céline, et qui fait qu'il n'a pas peur des canons et des jugements.
Ainsi, cette rencontre à Rome il y a des années nous rappelle que l'opinion est quelque chose qui nous accompagne toujours, même si nous essayons souvent de la cacher avec crainte ou, pire encore, avec hypocrisie. Si, en revanche, on a l'intention de la jeter à la face du monde, comme Ionesco l'a fait avec ses œuvres et ses idées, alors il faut en être capable; en d'autres termes, être à la hauteur de ses idées préconçues et de ses idiosyncrasies.
Il en va de même pour les positions politiques particulières de Ionesco, que Grasso encadre parfaitement en le décrivant comme un "démonteur de faux mythes" (31), notamment du communisme. C'est une autre raison pour laquelle il n'est pas apprécié par l'intelligentsia européenne qui, depuis des décennies, contribue à démolir tous les piliers de la culture du Vieux Continent. Nous partageons également les réflexions de Gambacorta dans sa présentation, qui nous incitent à redéfinir Ionesco une fois pour toutes comme un antimoderne: "[...] il savait bien comment la véritable perversion globale consistait en la prévalence de l'historique sur le métaphysique [...]" (6). Ce n'est donc pas une coïncidence si l'écrivain considérait que le "réalisme", qui est le vieux dogme de la gauche, était presque pernicieux, étant synonyme d'"engagement"; un mot en soi vide et canalisant souvent des imbroglios intellectuels et des mensonges: "La littérature réaliste est complètement fausse parce qu'elle tend à s'immiscer dans la démonstration" (11). Tout ceci devrait suggérer l'inclusion de Ionesco dans les rangs de ces penseurs anti-système d'origine roumaine tels que Cioran, Camilian Demetrescu et Mircea Eliade, déjà mentionnés, à qui nous devons une puissante défense d'une culture solide, mais non immuable, et profondément spirituelle.
En résumé, Gambacorta fait à nouveau allusion de manière suggestive à une "consonance esthétique" (10) entre l'interviewé et l'intervieweur dans ce petit volume savant où il nous incite à considérer la vie essentiellement comme une tromperie divine, un concept nodal dans la vision du monde de Ionesco. Pour comprendre le grand auteur franco-roumain, il est peut-être utile de le juxtaposer une fois de plus à son collègue irlandais, et le fait que Beckett soit néanmoins présent dans ce texte est un grand enrichissement, afin d'avoir une idée complète du Théâtre de l'Absurde. Ainsi, Ionesco exprime, a de la vigueur; tandis que Beckett laisse ponctuellement planer un doute qui prend la forme d'une attente qui sent souvent la maladie, proposant un théâtre certes de grande qualité, mais à sa manière exécrable.
À l'inverse, Eugène Ionesco, malgré sa désillusion sur le sens même de la vie, nous apparaît comme tout sauf renonçant. En effet, en parfait antimoderne, il était peu attaché à l'existence en tant que fait matériel, mais ne s'est certainement pas ménagé dans la lutte contre les mensonges du progrès.
Giuseppe Grasso, Intervista con Ionesco - L'inconveniente di essere nati (avec un essai de l'auteur sur Beckett), Chieti, Solfanelli, 2017.
Au printemps 1985, Rome a accueilli dans ses murs anciens et immortels Eugène Ionesco (1909-1994), le grand dramaturge français d'origine roumaine. L'auteur d'œuvres d'une importance cruciale pour le théâtre contemporain telles que La Leçon (1951) et Rhinocéros (1959) a accordé à cette occasion une interview pour le moins décisive à Giuseppe Grasso, spécialiste des lettres françaises, qui a eu la grande chance de pouvoir deviser à l'écrivain, alors âgé de 76 ans.
Ionesco logeait dans ce qu'on appelle aujourd'hui le Grand Hôtel St. Regis, l'un des plus beaux, et non vulgairement luxueux, hôtels de la capitale. L'interview est parue en juin de la même année dans le journal romain IlPopolo dans une version très abrégée. Aujourd'hui, grâce également à la sensibilité culturelle de l'éditeur Solfanelli, des Abruzzes, cette conversation voit enfin le jour dans son intégralité, offrant aux chercheurs en lettres françaises - y compris l'auteur de ces lignes - et pas seulement, un document extrêmement important qui devrait être valorisé dans la recherche sur le terrain, car il offre une contribution qui nous apporte des données factuelles, c'est-à-dire ce qui fait le "sang et le corps" d'une recherche académique efficace et non auto-référentielle.
Une conversation avec un grand auteur
Le texte dont nous parlons éclate comme un nuage d'où surgissent les mots sous la forme d'une quasi "tempête". Un raisonnement, celui que Grasso stimule chez Ionesco, plein de sollicitations pour le lecteur, composé de références, de noms et de lieux d'une géographie idéale, dessinant métaphoriquement une cartographie de l'horizon culturel composite de cette thématique, autant qu'un auteur talentueux. En outre, Ionesco n'a jamais eu peur d'exposer ses convictions, comme, par exemple, son manque de sympathie pour certaines positions socialistes et progressistes. C'était une "offense" grave dans la France - tout aussi grave, voire pire, dans l'Italie - de l'époque, où des écrivains tels que Philippe Sollers et Jean-Paul Sartre étaient, à notre avis, appréciés bien au-delà de leurs mérites littéraires simplement pour avoir pris ouvertement parti pour les gauches ; c'est-à-dire le parti qui, pendant des décennies, dans les bons salons d'Europe, a été considéré, sans la moindre critique, comme le seul et l'unique. De telles catégories idéologiques, comme on peut également le comprendre à la lecture de ce volume, ne convenaient pas à un artiste comme Ionesco, et il ne pouvait en être autrement dans le cas du véritable inventeur du "théâtre de l'absurde".
Si aujourd'hui cette longue conversation voit enfin le jour dans une version plus étendue, ce n'est pas par caprice de l'auteur, qui a mis la main à la pâte en reprenant les enregistrements originaux, mais en réponse à une particularité qui justifie sa re-proposition sous forme de livre: l'interview est un document et les pages qui la composent constituent un "texte", c'est-à-dire qu'elles donnent vie à une forme essayistique très particulière comme celle du "parlé", en l'occurrence sur le théâtre et la poétique de Ionesco, dont les mots étaient aussi inconfortables hier qu'aujourd'hui; nous ajouterons même que le monde globalisé craint l'intelligence, surtout quand elle est non-conformiste, et celle du notable dramaturge franco-roumain l'était certainement.
Le spécialiste chevronné ès-littérature française qu'est Grasso assume ici pleinement le rôle de l'intervieweur, réalisant qu'il s'adresse à un géant de la littérature, et qu'il fallait profiter de cette occasion, ce qu'il fait avec beaucoup de dévotion, sans toutefois faire un complexe d'infériorité. En fait, il est sûr de lui et pose des questions précises, sachant où "regarder", comment viser, à quoi s'attendre, malgré l'imprévisibilité de son interlocuteur pointu. Grasso sollicite le maître en face de lui sans aucun scrupule; il le marque, le presse, ne le ménageant que parfois, car il ne manque pas d'exprimer son désaccord ou de proposer des idées différentes. Mais lorsqu'il accepte d'être heureusement dépassé, il est déterminé à ramener un résultat concret, et c'est dans le caractère concret de la pensée exprimée par Ionesco que réside la qualité de cette publication, dûment élaborée par son éditeur. En substance, qu'est-ce qui en ressort ? Trois bonnes heures de conversation !
On découvre les pensées d'un écrivain "mal à l'aise".
L'interview est un genre littéraire problématique. Aujourd'hui comme jamais auparavant, la capacité à poser des questions a été complètement perdue. On s'offusque ou, plus souvent encore, on se plie en quatre, on flatte sans vergogne, passant de ce qui serait un service culturel à un véritable service idéologisé. Heureusement, ce n'est pas le cas avec le livre de Grasso. Ionesco lui-même explique ce qui est peut-être la principale tâche de l'écrivain, à savoir "poser des questions" et non "proposer des solutions" (21).
Le texte s'ouvre sur une introduction très utile de la journaliste Simone Gambacorta, qui précise qu'il s'agit également d'un "livre de liaisons", car il établit des liens et indique des perspectives. Gambacorta rappelle avec force l'importance de savoir mener un entretien. Nous pouvons presque appeler cela un "sous-métier" du journalisme, qui ne se réalise pas simplement en posant des questions, mais ce qui compte c'est : "[...] avoir quelque chose à dire" (5). Et Ionesco parle, se confesse presque, tout en restant toujours solennel. De ses paroles, on comprend la raison qui a poussé Grasso à emprunter le sous-titre du texte à une œuvre de l'intellectuel roumain Emil Cioran (1911-1995): De l'inconvénient d'être né (1973). La citation ouverte de l'éditeur à cet auteur raffiné et, injustement, encore peu étudié, sanctionne avec acuité une parenté de désenchantement; comme l'atteste d'ailleurs le court essai de Ionesco A propos de Beckett, qui conclut le volume et n'en dit pas moins sur l'écrivain que sur l'auteur de En attendant Godot (1952).
Ionesco et Beckett, unis par la même dénonciation inexorable, à la différence que le premier est plus "politique", tandis que le second est plus mental, comme l'explique également l'éditeur: "Par rapport à Beckett, dont le nihilisme apparaît beaucoup moins humoristique, centré avant tout sur le vide, Ionesco émet au contraire un cri étourdi face au vide, signalé par le rire" (29). Cette comparaison incite à mieux cadrer l'existentialisme de Ionesco qui, à la différence de son collègue irlandais, est vital, tendant à rejeter les raisonnements d'évasion: " La chose la plus absurde est d'être conscient que l'existence humaine est inacceptable... et, malgré tout, de s'y accrocher désespérément, conscient et affligé parce que destiné à perdre ce qu'on ne peut supporter [...]" (23).
Ainsi, l'inconvénient d'être chez Ionesco est une reconnaissance des choses, et non une "attente" stérile, bien que suggestive, comme nous le trouvons dans l'opus beckettien. À cet égard, Ionesco revendique légitimement, à notre avis, la paternité de ce que le critique et écrivain hongrois Martin Esslin (1918-2002) a défini pour la première fois comme le "théâtre de l'absurde". L'académie internationale, en revanche, a toujours désigné Beckett comme l'initiateur de ce courant littéraire, puisque les œuvres de Beckett ne visaient pas à ne rien raconter, mais faisaient plutôt du néant leur raison d'être. Pour sa part, Ionesco ne s'est jamais caché derrière "l'absurde"; au contraire, il s'en est servi comme d'un poinçon pour tenter de démêler le vide mental de l'âge moderne, ses nombreuses hypocrisies. Il va sans dire que, par le passé comme aujourd'hui, dire la vérité, peu importe de quelle manière, est considéré comme dangereux pour une certaine Pensée unique qui dirige l'Occident depuis des décennies. Ce système de pouvoir culturel a maintes fois changé de nom et de forme, mais son essence malveillante est restée intacte, et sans aucun scrupule, nous affirmons que de ce Mal, Ionesco se considérait fièrement comme un ennemi.
Ionesco, un anti-moderniste ?
Stylistiquement, on trouve dans le livre, surtout dans la partie qui précède l'interview, une sorte de contraste entre l'écriture de Grasso, avec une recherche parfois "baroque" de lemmes et l'alternance de phrases courtes et longues, qui est alors l'une des prérogatives d'un titan comme Joseph Conrad, et tout le monde ne peut pas être lui, dirions-nous, avec l'exactitude des réponses de Ionesco. Cependant, au final, le résultat global est fondamentalement harmonieux et la lecture est agréable. En outre, l'éditeur a le mérite, ainsi que le courage, de cadrer les idées de Ionesco dans une perspective que l'on pourrait qualifier de traditionaliste: "[...] l'homme, désarticulé de la transcendance, est un être englouti par les sables mouvants de l'insignifiance et du dérisoire, riche de ses déguisements, de ses soucis, de ses mesquineries" (22). Tout cela nous incite à poser de nouvelles bases dans l'étude de cet écrivain, c'est-à-dire une évaluation critique de Ionesco comme l'un de ces nombreux antimodernes dignes de ce nom dont les positions humaines et politiques ont été délibérément mal comprises.
La force de ce dramaturge, ce qui l'a rendu parfois impopulaire dans certains milieux, est que "son" vide n'en est pas un, puisqu'il est empreint d'un scepticisme structuré, à tel point que le terme "absurde" n'est utile que pour définir sa forme, mais pas son essence, si l'on considère, comme l'explique Grasso, qu'avec le théâtre Ionesco entendait : "[...] dénoncer, sans fausse modestie, la crédulité et l'absurdité de la condition humaine, vues comme les plaies [sic ! ] endémiques de l'homme bourgeois moyen" (22).
Entretien avec Ionesco pourrait presque être jugé comme un livre "méta-théâtral", le prologue critique de l'éditeur préparant le lecteur à l'action théâtrale, tout comme dans les textes dramaturgiques, lorsqu'au début de chaque acte est décrite la scène dans laquelle les personnages vont évoluer. Et cet entretien qui prend la forme d'une pièce de théâtre se déroule en un seul acte, dans la confrontation verbale entre deux protagonistes isolés du reste du monde, rappelant paradoxalement le style de son "rival" Beckett.
Néanmoins, ce livre a aussi sa propre valeur pour la recherche, étant un excellent "outil" pour saisir la littérature française tout court, permettant d'aborder avec profit la lecture et la compréhension de cet auteur. Le "ton" de l'interview que Grasso recueille peut se résumer à l'hostilité bien connue de Ionesco envers Victor Hugo: "Il reste donc sa vie, sa grande éloquence, qui m'a toujours irrité et énervé, sa grande vanité littéraire; et le grand homme parfait, c'est-à-dire la "nullité" faite personne" (37). Une fois de plus, le dramaturge se montre sans fausse modestie, allant s'attaquer à l'une des plus pompeuses des idoles littéraires transalpines, car il possédait une sorte de "mauvaise intelligence", une caractéristique qui a fait la grandeur de Louis-Ferdinand Céline, et qui fait qu'il n'a pas peur des canons et des jugements.
Ainsi, cette rencontre à Rome il y a des années nous rappelle que l'opinion est quelque chose qui nous accompagne toujours, même si nous essayons souvent de la cacher avec crainte ou, pire encore, avec hypocrisie. Si, en revanche, on a l'intention de la jeter à la face du monde, comme Ionesco l'a fait avec ses œuvres et ses idées, alors il faut en être capable; en d'autres termes, être à la hauteur de ses idées préconçues et de ses idiosyncrasies.
Il en va de même pour les positions politiques particulières de Ionesco, que Grasso encadre parfaitement en le décrivant comme un "démonteur de faux mythes" (31), notamment du communisme. C'est une autre raison pour laquelle il n'est pas apprécié par l'intelligentsia européenne qui, depuis des décennies, contribue à démolir tous les piliers de la culture du Vieux Continent. Nous partageons également les réflexions de Gambacorta dans sa présentation, qui nous incitent à redéfinir Ionesco une fois pour toutes comme un antimoderne: "[...] il savait bien comment la véritable perversion globale consistait en la prévalence de l'historique sur le métaphysique [...]" (6). Ce n'est donc pas une coïncidence si l'écrivain considérait que le "réalisme", qui est le vieux dogme de la gauche, était presque pernicieux, étant synonyme d'"engagement"; un mot en soi vide et canalisant souvent des imbroglios intellectuels et des mensonges: "La littérature réaliste est complètement fausse parce qu'elle tend à s'immiscer dans la démonstration" (11). Tout ceci devrait suggérer l'inclusion de Ionesco dans les rangs de ces penseurs anti-système d'origine roumaine tels que Cioran, Camilian Demetrescu et Mircea Eliade, déjà mentionnés, à qui nous devons une puissante défense d'une culture solide, mais non immuable, et profondément spirituelle.
En résumé, Gambacorta fait à nouveau allusion de manière suggestive à une "consonance esthétique" (10) entre l'interviewé et l'intervieweur dans ce petit volume savant où il nous incite à considérer la vie essentiellement comme une tromperie divine, un concept nodal dans la vision du monde de Ionesco. Pour comprendre le grand auteur franco-roumain, il est peut-être utile de le juxtaposer une fois de plus à son collègue irlandais, et le fait que Beckett soit néanmoins présent dans ce texte est un grand enrichissement, afin d'avoir une idée complète du Théâtre de l'Absurde. Ainsi, Ionesco exprime, a de la vigueur; tandis que Beckett laisse ponctuellement planer un doute qui prend la forme d'une attente qui sent souvent la maladie, proposant un théâtre certes de grande qualité, mais à sa manière exécrable.
À l'inverse, Eugène Ionesco, malgré sa désillusion sur le sens même de la vie, nous apparaît comme tout sauf renonçant. En effet, en parfait antimoderne, il était peu attaché à l'existence en tant que fait matériel, mais ne s'est certainement pas ménagé dans la lutte contre les mensonges du progrès.
Giuseppe Grasso, Intervista con Ionesco - L'inconveniente di essere nati (avec un essai de l'auteur sur Beckett), Chieti, Solfanelli, 2017.
Une part de ce que la modernité appelle progrès qualifie quatre siècles de dispositifs qui permettent de ne pas avoir à faire attention – aux altérités, aux autres formes de vie, aux écosystèmes.
Le personnage conceptuel qu’on vise ici, on pourrait l’appeler le « moderne moyen » (nous le sommes tous dans une certaine mesure, dans l’aire culturelle qui revendique d’être moderne). On le nommera ici par souci de concision, le « momo ».
Observons un phénomène colonial typique, puisque c’est souvent là que se révèle le mieux l’étrangeté du momo. Pour un colon occidental, lorsqu’il arrive dans les jungles de l’Afrique ou les rizières à mousson de l’Asie, civiliser un espace dans lequel il s’installe, c’est traditionnellement faire qu’on puisse y vivre en toute ignorance des cohabitants non-humains. C’est supprimer, contrôler, canaliser les fauves, les insectes, les pluies, les crues. Être chez soi, c’est pouvoir vivre sans faire attention. Or pour les autochtones, c’est l’inverse, le chez-soi implique cette vigilance vibratile, cette attention au tissage des autres formes de vie, qui enrichissent l’existence, même s’il faut composer avec elles et que c’est souvent exigeant, parfois compliqué. La concorde est coûteuse en intelligence diplomatique entre humains, elle l’est aussi avec les autres vivants.
Une grande part des techniques et des représentations du monde des modernes servent à cela, c’est leur fonction : se dispenser de l’attention, c’est-à-dire pouvoir opérer partout, en tout lieu, malgré l’ignorance et en toute insouciance, c’est-à-dire sans connaître un lieu et ses habitants. C’est un débranchement à l’égard de ce qui dans la monde vivant alentour exige une disponibilité généreuse, les tissages avec les pollinisateurs, les plantes, les dynamiques écologiques, les climats. C’est une métaphysique pratique, dont la fonction secrète mais puissante est l’interchangeabilité : tout doit être interchangeable, tous les lieux, toutes les techniques, toutes les pratiques, tous les savoir-faire, tous les êtres, les abeilles domestiques, les variétés de pomme, les souches de blé. Il s’agit d’être chez soi partout en homogénéisant les conditions d’existence de manière à ne pas avoir besoin de l’éthologie des autres et l’écologie d’une lieu, c’est-à-dire les mœurs des peuples de vivants qui l’habitent et le constituent. Pour pouvoir se consacrer à l’ « essentiel » aux yeux de momo : les relations entre les congénères humains. Relations de pouvoir, d’accumulation, de prestige, d’amour, de famille, sur fond d’un décor inanimé, constitué par les dix millions d’autres espèces qui, soit dit en passant, sont nos parentes.
C’est très ambivalent comme phénomène, car sur certains points cela a produit des effets confortables et avantageux. Il ne s’agit pas de prêcher bêtement et radicalement le contraire, pour passer de la modernité triomphante à l’anti-modernité contrite. Mais d’apprendre à faire la part des choses : il y a des êtres envers lesquels il faut réapprendre l’attention. Car actuellement, le confort de la modernité s’inverse : à force de ne plus faire attention au monde vivant, aux autres espèces, aux milieux, aux dynamiques écologiques qui tissent tout le monde ensemble, on crée de toutes pièces un cosmos muet et absurde qui est très inconfortable à vivre à l’échelle existentielle, individuelle et collective. Mais, surtout, on génère un réchauffement climatique et une crise de la biodiversité qui menacent concrètement les conditions d’habitabilité de la Terre pour les humains.
Le paradoxe donc, c’est qu’à un certain degré, il y a un confort appréciable dans l’art des modernes de se libérer de l’attention exigée par le milieu et ceux qui le peuplent, mais que, dès qu’il dépasse un certain seuil ou prend une certaine forme, il devient pire qu’inconfortable : il rend le monde invivable. Le problème devient : quel est ce seuil et quelles sont ces formes précisément, sérieusement ? Comment hériter intelligemment de la modernité, faire la part des choses dans nos legs historiques entre les émancipations à chérir et protéger, et les errances toxiques ? C’est une des grandes questions de ce siècle. C’est la question-boussole pour naviguer en tenant ferme le cap, dans la houle entre les deux positions manichéennes que sont, d’un côté, les envolées anti-modernes qui condamnent en bloc la « modernité », mal incarné, tout en jouissant de ses produits ; de l’autre, les attitudes hyper-modernes, qui veulent accélérer sur le même vecteur du Progrès dont on sait désormais qu’il est un cap au pire, en défendant une doctrine odieuse du TINA (There Is No Alternative) qui permet de ne pas réfléchir, militer, ni remettre en cause ce qui est toxique dans notre héritage.
Baptiste Morizot
Extrait de l’ouvrage « Manières d’être vivant », 2020, Actes Sud, pp. 30-32
.....à l’instar de la faim ou de la soif, le sexe est un besoin naturel qui nécessite d’être assouvi. Cependant, il n’est pas toujours évident de reconnaître les signaux envoyés par le corps pour manifester son besoin de rapport charnel. Un manque de sexe a pourtant des répercussions sur notre santé physique et morale. En permettant la sécrétion d’hormones, telles que les endorphines, faire l’amour rend plus heureux et booste l’énergie. Vous n’avez pas eu de relation sexuelle ? Vous aimeriez connaître les indicateurs qui montrent votre corps à besoin de sexe ? Alors, découvrez les 9 signes qui prouvent que vous êtes en manque
1. Je me sens seule
Quand on manque de sexe, on a tendance à se sentir seule. Pourtant, solitude et abstinence ne font pas bon ménage. En effet, cela peut vous pousser à prendre des décisions que vous risquez de regretter plus tard. Ainsi, vous pouvez chercher à recontacter votre ex, à avoir un rapport sexuel avec un ami ou un illustre inconnu. En d’autres termes, vous êtes prête à sauter sur tout le monde pour lutter contre la solitude et le manque de sexe.
2. Je suis stressée et de mauvaise humeur
Vous êtes d’humeur instable ou stressée sans raison précise. Un rien vous agace et vous avez l’impression que rien ne va en ce moment. Pas de panique, c’est sans doute votre corps qui vous envoie un message pour vous signaler que vous êtes en manque de sexe. Ce dernier favorise la sécrétion d'hormones du bonheur et vous rend d’humeur plus agréable.
3. Je manque de sommeil
Insomnies et réveils nocturnes sont au rendez-vous quand le corps est en manque de sexe. L’activité sexuelle permet la libération d’ocytocine, une hormone essentielle pour bénéficier d’un sommeil de qualité. Après une trop longue période d’abstinence, il est courant d’avoir des problèmes de sommeil.
Le sexe est une activité physique à part entière qui permet aux muscles de se détendre. En relâchant les différentes tensions corporelles lors de l’orgasme, vous vous sentez mieux dans votre corps. Le manque d’activité sexuelle impacte donc directement sur votre état physique. Mal de dos, raideur dans la nuque, pincement des cervicales et baisse d’énergie sont autant de signaux qui doivent vous alerter sur vos besoins sexuels.
5. J’ai beaucoup plus de fantasmes
De jour comme de nuit, vous passez une bonne partie de votre temps à fantasmer. Un rien peut déclencher vos songes et vous imaginez des choses que vous n’oseriez avouer à personne. Une odeur de parfum mêlée de phéromones, un fessier moulé dans un jean, une main posée sur l’épaule, un rien vous enflamme ! Voici un signe flagrant que vos besoins sexuels ne sont pas assouvis.
6. Je suis moins sociable
Le manque d’activité sexuelle impacte directement sur votre capacité à être sociable. Vous êtes de mauvaise humeur, voire anxieuse et vous ressentez le besoin de vous replier sur vous-même. Or, plus vous vous isolez et plus votre moral décline. Attention donc à ne pas rentrer dans un cercle vicieux.
7. Je manque de confiance en moi
Les rapports sexuels renvoient une bonne image de soi-même et améliorent ainsi son estime personnelle. En effet, vous vous sentez désirée et aimez telle que vous êtes et cela vous réconforte. Cependant, quand vous êtes en manque, votre sentiment d’insécurité s’accroît et il se répercute aussi bien sur votre moral que sur votre vie sociale. Cela peut même engendrer des états anxieux ou dépressifs.
En vous regardant dans le miroir le matin, vous avez remarqué que votre teint était plus terne qu’avant. Vous ne rêvez pas, c’est bien le manque d’activité sexuelle qui se reflète sur votre épiderme. Il est même possible que l’acné pointe le bout de son nez. La raison ? Les rapports sexuels fréquents dilatent les pores et libèrent les impuretés. Eh oui, le sexe aide à libérer les toxines. En d’autres termes, il est presque écrit sur votre front que vous êtes en manque.
9. J’ai pris du poids
Le sexe aide à brûler des calories. L’abstinence peut donc faire prendre du poids. Si vous remarquez avoir pris quelques kilos depuis votre arrêt du sexe, sans avoir changé votre régime alimentaire, c’est une preuve incontestable que vous êtes en manque.
En bref, le corps a besoin de sexe pour se sentir bien et équilibré. L’activité sexuelle se répercute également sur votre santé mentale et votre bien-être psychique. Que ce soit par choix ou non, il est important de connaître les impacts de l’abstinence sur le corps. Attention toutefois, si vous constatez être en manque de sexe, ne vous jetez pas dans les bras du 1er venu au risque de le regretter. Agissez de manière responsable.
Le premier humain – ou ce qui est premier dans chaque humain – désire juste, cherche l’autre, dit la Genèse. Là où Freud croit que l’homme cherche d’abord l’objet sexuel (la mère, puis la femme qui ne ferait que rappeler la mère), la tradition d’Israël pose avec force que, « au commencement », le désir de l’être parlant, c’est l’autre. Ce n’est pas l’objet sexuel, c’est le sujet sexué. Notre vocabulaire prétendument scientifique rabat homme et femme sur mâle et femelle. Mais en relisant nos traductions et bien des commentaires bibliques, je me suis aperçue que ce n’était pas la science qui avait commencé à faire cela, c’était la religion. En parlant de « création de l’homme et de la femme par Dieu », nos traductions et leurs commentaires en font des « sujets créés ». Or, il n’y a de créable que l’objet. Le sujet, lui, avec la liberté qui lui est indispensable, apparaît transcendant la créature dès qu’il est engendré en elle.
Qu’est-ce que l’autre selon la Genèse ?
– Celui qui vient du désir de l’un (pour l’humain, pas d’aide contre lui),
– dont l’un ne connaît pourtant pas l’origine (il vient, tandis que le premier dort),
– celui qui lui est semblable (chair de ma chair, hausse de mes os),
– cependant différent (isha « elle » et non ish « lui »),
– par acte d’un dieu qui ne se définit que de créer puis d’ouvrir à l’humain créé le champ de la parole,
– et lorsque l’un reconnaît l’autre, il se reconnaît lui-même,
lui, l’un, dont l’autre ne connaît pas l’origine, qui est aussi semblable, différent, tiré de l’autre (c’est de isha qu’il peut dire ish), apparu par acte divin et qui sera aussi, lorsque l’autre le reconnaîtra, le lieu de sa propre reconnaissance. Grande subtilité de deux avènements à la fois dissymétriques et semblables.
Marie Balmary
Extrait de l’ouvrage « La Divine Origine », 1993, Le Livre de Poche, pp. 124–125.