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Nous le savons, mais nous l’oublions parfois : pas d’amour au long cours sans attention à l’autre jour après jour. À condition de ne pas confondre générosité et sacrifice, don et manipulation. Quelques pistes pour trouver la juste distance.

Sommaire
  1. Des motivations cachées
  2. La juste distance
  3. Des attentions positives
  4. « À travers moi, c’est son angoisse qu’elle soigne »
  5. « En cas de conflit, la vraie victoire du couple est d’en sortir ensemble »

Etre heureux ensemble, prendre du plaisir, tisser un lien intime complice et solide… Tout contrat de couple repose, même implicitement, sur ces idéaux amoureux. Dans les premiers temps, nul besoin de fournir des efforts pour que la magie irradie le tête-à-tête et le corps-à-corps. Puis les hormones s’assagissent et le réel reprend ses droits. « C’est alors le moment d’y mettre du sien », disent en substance les professionnels de l’aide aux couples. Les moyens sont connus : se donner du temps, se prodiguer des attentions, cultiver le désir. En bref, prendre soin de l’autre. En italien, « Je t’aime » se dit : « Ti voglio bene » (« Je te veux du bien »)… Une jolie formule qui n’évoque pas la passion brûlante, mais plutôt l’amour dans sa dimension la plus altruiste, la plus généreuse et aussi la plus idéaliste. Celle que l’on pense si indissociable de l’amour qu’elle semble une évidence. Aimer signifie vouloir le bien de l’autre, comment pourrait-il en être autrement ? Et pourtant…

Des motivations cachées

La psychanalyse, en nous permettant d’explorer les marécages de notre inconscient, nous a confrontés à la face sombre de nos beaux sentiments : envie, jalousie, haine… Mais, nourris de romantisme et désireux de confort affectif et émotionnel, nous oublions volontiers ce côté obscur. Et nous sous-estimons sa force. Le psychanalyste Jean-Michel Hirt affirme qu’« une bonne intention consciente peut être entachée de motivations moins avouables, comme le désir de dominer l’autre, de le rendre dépendant de soi, et même d’étouffer sa propre agressivité par des attentions, des soins et des cadeaux ». C’est pourquoi, selon lui, il n’est jamais inutile de s’interroger sur ses motivations altruistes, surtout si elles sont très généreuses, très fréquentes, ou si l’on en fait la promotion sur l’air de « Tout ce que je fais pour toi » ou « Tu es tout pour moi ».

Dans le soin amoureux, la peur, de la perte ou de la trahison, peut être un puissant moteur et la source de nombreux conflits, parfois de ruptures. Les inconscients communiquant sans entraves, le conjoint qui perçoit les motivations masquées peut ne plus supporter d’être affectivement pris en otage. C’est ce qui est arrivé à Jeanne, 37 ans, excédée par les appels, textos et autres mails de son ex-compagnon, qui désirait savoir « ce que faisait [son] petit chat » et qui avait, de cadeaux en attentions, tissé une véritable toile d’araignée autour d’elle. Pour Jean- Michel Hirt, on peut mesurer la qualité du « soin » au peu de poids qu’il fait peser sur les épaules de celui qui le reçoit : « La relation fait que chacun accueille sans inquiétude les différents mouvements – humeurs, points de vue, désirs – de son partenaire. » Pour le psychanalyste, contrairement à une croyance largement partagée, savoir prendre soin de l’autre ne se joue pas tant du côté du don que de celui de la distance. Plus exactement de la bonne distance, celle qui permet d’être à l’écoute de ses besoins et de ses désirs, et d’entendre ceux de l’autre.

La juste distance

Cette posture, on l’aura deviné, requiert des talents d’équilibriste et exige un minimum d’autonomie affective. « Mieux l’on aura été nourri affectivement, sécurisé, enveloppé, mieux on saura se traiter soi-même, et moins on pèsera sur l’autre, explique le psychanalyste Moussa Nabati. Ce qui signifie que nous serons capables de donner et recevoir de manière juste. En évitant le piège de l’égoïste “moi d’abord” comme celui de la fusion, asphyxiante et régressive. » Si l’on n’a pas bénéficié d’un capital d’estime de soi suffisant, poursuit le psychanalyste, « il faudrait apprendre à se materner grâce à un travail personnel pour identifier ses manques et blessures, et tenter de les guérir plutôt que de transformer son partenaire en thérapeute ». Même si prendre soin de l’être aimé signifie aussi le soigner dans le sens de soutenir, réconforter, faire plaisir. « À condition que la réciprocité existe et que la fluidité soit la règle, tempère Moussa Nabati. Sinon, l’équilibre relationnel est rompu et, à moins d’être épanoui dans cette distribution fixe des rôles, cela finit par se payer cher. Le sacrifice de soi comme l’égoïsme ont, en amour, un coût très élevé. »

Parfois, prendre soin, c’est aussi savoir marcher sur la pointe des pieds, se faire discret, s’éloigner momentanément. « Lorsque Patrick a perdu son père, se souvient Chloé, 34 ans, j’ai senti que je ne devais pas le surcharger d’attentions, mais lui laisser le temps et le silence pour encaisser, et aussi l’espace pour qu’il puisse prendre sa place d’homme, celle, justement, que son père, très dominateur, ne lui avait pas laissé prendre. »

Déployer ses antennes pour sentir ce que l’autre a du mal à formuler, tomber suffisamment le masque pour faire vivre toutes ses facettes sans craindre le jugement, et autoriser son partenaire à en faire autant… C’est aussi cela que permet l’intimité du couple. Trop souvent, on mésestime son pouvoir transformateur. « On peut grandir en corrigeant ses défauts dans le miroir que nous tend l’autre, témoigne Laurent, 42 ans. Au début de notre relation, Lucille m’a reproché mon “indifférence égoïste”. Je me fermais quand je sentais pointer le conflit, et je n’ai pas l’habitude de m’épancher sur mes états d’âme… Résultat, j’ai dû apprendre à me montrer plus ouvert, et elle a appris à modérer sa tendance à prendre la mouche au quart de tour. »

Pour aller plus loin

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Des attentions positives

« Comprendre les émotions de l’autre est l’un des piliers d’une intimité féconde, souligne Stéphanie Hahusseau. Mais pour cela, encore faut-il entendre ses propres émotions. » La psychiatre et psychothérapeute préconise un exercice introspectif en trois étapes : ressentir pleinement dans son corps l’émotion qui nous envahit ; l’identifier (colère, tristesse, gêne…) ; l’accepter (ici et maintenant, je me sens triste, en colère…). « Ce centrage permet de ne pas envahir son partenaire et de ne pas lui adresser des demandes irréalistes. En assumant nos émotions, nous pouvons évoluer dans une intimité sans parasites émotionnels. »

Pour la psychiatre et psychothérapeute, prendre soin de son couple, c’est aussi savoir se créer des émotions positives. « Des études démontrent que les couples heureux sont ceux qui pratiquent ce que l’on appelle “les renforcements positifs” : ils se manifestent de la gratitude, se font des compliments, se remémorent de manière détaillée des bons moments passés ensemble… » Selon Stéphanie Hahusseau, tout couple peut adopter ces pratiques. Évoquer, seul ou ensemble, les expériences heureuses ou les qualités de l’autre, constitue la plus agréable façon de rester amoureux en se voulant et en se faisant du bien.

« À travers moi, c’est son angoisse qu’elle soigne »

Franck, 43 ans
« Il y a presque deux ans, j’ai été hospitalisé en urgence pour de violentes douleurs au ventre. J’ai vraiment cru que j’allais mourir. Ce n’est qu’au bout d’une semaine que l’on m’a diagnostiqué la maladie de Crohn. Sa particularité est que l’on n’en guérit jamais. Cela dit, je suis sous traitement et je n’ai plus eu de poussée. Tout va bien. Depuis, pourtant, Delphine, ma femme, n’a plus cessé de me considérer comme un malade. Elle a toujours été anxieuse pour tout et presque phobique pour ce qui concerne la santé, mais là, ça dépasse l’entendement. Elle est devenue incollable sur la maladie de Crohn, sur les régimes alimentaires appropriés, sur les facteurs extérieurs susceptibles de déclencher des crises… J’ai l’impression de vivre avec mon médecin. J’ai commencé par en rire, puis j’ai dû devenir presque désagréable pour lui demander de cesser de me considérer comme un éternel convalescent. Il suffit que je mette la main sur mon ventre pour qu’elle change de tête, ou que j’aie l’air un peu fatigué pour qu’elle me propose d’appeler le médecin. C’est “dévirilisant” ! Son angoisse déborde sur moi. En fait, elle instrumentalise ma maladie pour se soigner. Je le lui ai dit, nous avons eu une scène terrible. Et qui n’a rien changé. Son attitude me pose problème, cela altère le désir que j’ai pour elle. Je crois que je vais lui faire peur avec ça pour qu’elle se remette à la bonne place avec moi. »

« En cas de conflit, la vraie victoire du couple est d’en sortir ensemble »

Questions à . . . Dominique Picard, psychosociologue
Pour la psychosociologue, prendre soin de l’autre, même dans les conflits, n’est pas une mission impossible.

Comment prendre soin de l’autre en cas de désaccord ?
D.P. : D’abord en restant en prise avec ce que l’on éprouve, de manière à le transmettre à l’autre avec une sincérité authentique. Celle-ci s’entend, et elle neutralise l’agressivité et les ripostes de mauvaise foi. En entrant dans un conflit, il faudrait garder à l’esprit que la vraie victoire du couple est d’en sortir ensemble et fier de soi.

Que faudrait-il éviter à tout prix ?
D.P. : Principalement trois écueils. La transformation de la relation en jeu de rôles bourreau-victime, c’est-à-dire refuser de prendre sa part de responsabilité ou se fermer à la critique de manière à incriminer uniquement l’autre. Les atteintes profondes au narcissisme : insultes, vexations, humiliations ; ces blessures laissent des traces très profondes. Et une sortie trop rapide du conflit (par fatigue ou lâcheté), qui, de toute façon, resurgira sous une forme ou sous une autre et sera en plus aggravé par la frustration et le ressentiment.

Pour aller plus loin

Dominique Picard est l’auteure, avec Edmond Marc, des Conflits relationnels (PUF, “Que sais-je ?”, 2008).
 
 

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https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/acces-des-donnees-en-chine-desinformation-les-regulateurs-inquietes-par-l-application-tiktok-20221123

 

En Europe et aux États-Unis, l’utilisation des données ramassées par ce réseau social chinois pose des questions relevant de la sécurité nationale.

Au nom de la protection de la sécurité nationale, TikTok avait frôlé en 2020 l’interdiction sur le sol américain, puis la vente forcée de ses activités locales à Oracle et WalMart. Deux ans plus tard, le combat de l’ex-président Donald Trump contre cette application d’origine chinoise avance à petits pas, malgré de multiples alertes sur les dangers présumés du service. «C’est l’un des rares dossiers sur lequel Donald Trump a peut-être eu raison», a reconnu dans le Washington Post le président de la commission sénatoriale dédiée au renseignement, le démocrate Mark Werner. Car TikTok ne peut se départir d’un soupçon: être le faux nez du Parti communiste chinois.

 

Une enquête lancée en 2021 par l’Administration Biden pour jauger les risques présentés par TikTok pour la sécurité des données des citoyens américains n’a pas encore rendu ses conclusions. Le département du Commerce n’a toujours pas dévoilé sa stratégie, impulsée par la Maison-Blanche en début d’année, pour renforcer le contrôle des applications «qui pourraient être exploitées par des forces ennemies étrangères». Quant à l’accord entre TikTok et le comité pour l’investissement étranger aux États-Unis, il n’a toujours pas abouti.

Ce dernier, initié sous Trump, doit détailler les modalités pour que les données des utilisateurs américains restent aux États-Unis. Mais TikTok n’entend pas empêcher du personnel situé en Chine d’accéder à distance à certaines informations, sous couvert d’un processus strict et sécurisé. Plusieurs enquêtes de la presse américaine ont démontré que la maison mère de TikTok, ByteDance, était très impliquée dans les opérations quotidiennes de l’application. C’est depuis la Chine qu’est perfectionné le puissant algorithme de tri de TikTok, qui a été protégé par le gouvernement de Pékin. C’est aussi depuis ce pays que des décisions majeures de ses équipes américaines sont validées.

«D’un point de vue géopolitique, Washington a raison de dire que TikTok pose un problème de sûreté nationale. Comme les États-Unis, la Chine a un contrôle, qu’elle peut exercer ou non, sur tout un écosystème technologique qui va des infrastructures aux applications. Les données de cet empire peuvent devenir des outils, pour le renseignement ou bien pour les opérations d’influence», rappelle Asma Mhalla, spécialiste des enjeux géopolitiques du numérique. «Sur ce point, TikTok pose un vrai sujet. Pékin a sur le papier une capacité à modéliser des opérations d’influence sur toute une population utilisatrice de l’application».

Et si TikTok pouvait, un jour, servir à diffuser insidieusement un contre-discours qui influencerait l’opinion sur des questions politiques, ou bien sur le statut de Taïwan? D’autres voix aux États-Unis clament que TikTok pourrait abêtir à dessein la jeunesse américaine.

Contexte de guerre technologique

Mais les velléités de bannissement de TikTok dans ce contexte de guerre technologique «se heurtent aux lois américaines. Le soupçon ne suffit pas, il faut des preuves solides», rappelle Asma Mhalla. C’est pourquoi les différentes enquêtes sont si longues à aboutir. Mais la pression ne retombe pas. Début novembre, le directeur du FBI a partagé lors d’une audition parlementaire ses «fortes craintes» face au danger représenté par TikTok. «La Chine est la plus grande menace de long terme pour notre économie et notre sécurité», avait-il déjà déclaré en juin.

L’Europe donne moins de la voix sur TikTok mais est aussi vigilante. L’an passé, la Cnil irlandaise a lancé deux enquêtes, sur la protection des données des mineurs et sur la sécurisation de l’accès - reconnu par ByteDance - à certaines données depuis la Chine. Ces investigations, lancées au nom du respect du Règlement européen de protection des données (RGPD), devraient aboutir en 2023. Mais TikTok ne risque guère plus qu’une lourde amende.

À VOIR AUSSI - Jonathan Noble: «TikTok va devenir incontournable pour les entreprises»

 

https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/12/13/telecommunications-derriere-le-starlink-d-elon-musk-la-bataille-des-constellations-de-satellites_6154134_3234.html

Par et

Publié aujourd’hui13.12.22

 

Dans le centre-ville de Kherson (Ukraine), des habitants réunis autour d’un terminal Starlink, le 12 novembre 2022. "

 

« La course aux étoiles » (1/4). La guerre en Ukraine a révélé l’importance de la diffusion à travers l’espace de l’Internet haut débit quand les infrastructures terrestres sont détruites ou inexistantes. Sur ce marché naissant, une nuée de projets, dont ceux d’Amazon et d’Eutelsat, viennent concurrencer les satellites de M. Musk

 

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Starlink, OneWeb, Kuiper et maintenant Iris²… Jusqu’à peu, la concurrence entre ces différents réseaux de satellites pour fournir l’Internet haut débit sur toute la planète se déroulait dans l’indifférence générale. Seuls les professionnels concernés ou les passionnés de l’espace s’y intéressaient.

Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Les constellations de satellites, nouvel enjeu géopolitique et menace pour les opérateurs de télécoms

La guerre en Ukraine a révélé au grand jour leur importance stratégique, les militaires de ce pays ayant pu rétablir leurs liaisons Internet et téléphoniques grâce à la constellation Starlink d’Elon Musk. Dès le début du conflit, le 24 février, le milliardaire américain a mis ses 3 200 satellites à la disposition de Kiev, les infrastructures terrestres de télécommunications ayant été en partie détruites par les Russes. Cela a permis à l’armée de mieux s’organiser pour lancer ses contre-offensives. Fort de cette initiative, l’entrepreneur libertarien s’imagine désormais influencer le processus de paix.

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Subitement, ce qui relevait de la science-fiction – un investisseur privé venant à l’aide d’un Etat avec ses équipements spatiaux – est devenu réalité. Cela a fait naître des interrogations quant au risque d’un pouvoir concentré entre les mains d’une seule personne, et poussé les Etats à réagir afin de conserver leur souveraineté – ce que fait l’Europe aujourd’hui avec son projet Iris², mais aussi le Canada, avec sa constellation Lightspeed.

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Tout a commencé il y a une quinzaine d’années, quand trois milliardaires américains – Greg Wyler, le pionnier, Elon Musk, le disrupteur, et Jeff Bezos, l’outsider – ont commencé à lorgner l’espace. Conscient que les infrastructures terrestres ne permettraient pas à l’ensemble de la population d’être connectée, M. Wyler imagine, en 2007, O3b pour « Other 3 Billion », un réseau de satellites destiné à relier les 3 milliards d’internautes de la planète n’y ayant pas accès, d’où le nom de sa société. Très rapidement, par manque de moyens, il cède sa société à l’opérateur luxembourgeois SES.

Sept ans plus tard, en 2014, ne renonçant pas à son idée, Greg Wyler propose à Elon Musk de participer à la création de OneWeb, un réseau de 500 satellites couvrant l’ensemble du globe, à 1 200 kilomètres de la Terre. Une orbite beaucoup plus proche que celle des satellites d’O3b (8 000 kilomètres) censée réduire autant que possible le temps de latence pour s’approcher de celui des réseaux terrestres. Cela est indispensable pour le fonctionnement en temps réel des voitures et objets connectés, mais aussi des transactions financières et du transport aérien, sans parler des jeux vidéo.

Positionnements différents

Tout à son projet d’aller sur Mars et, surtout, de s’imposer dans la course à l’espace grâce à SpaceX, Elon Musk décline l’offre de Greg Wyler. Avec ses fusées réutilisables low cost Falcon 9, le pionnier de l’automobile électrique, patron de Tesla, s’est aussi imposé comme l’acteur majeur du monde spatial, en dictant ses règles et en brisant le duopole européano-russe Ariane-Proton.

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Fort de cette position, il entend effectuer seul la connexion du globe en lançant jusqu’à 42 000 satellites, dont les premiers ont été mis sur orbite en 2018. Toute occasion est bonne pour rappeler sa puissance. « En vue d’augmenter sa capacité, Starlink lance chaque semaine de nouveaux satellites par groupes de 60, soulignait fièrement Gwynne Shotwell, la numéro deux de SpaceX lors d’un passage à Paris, mi-septembre. Les satellites sont fabriqués maison, comme les antennes et les fusées réutilisables. »

Starlink versus OneWeb. Les deux projets sont les seuls à être lancés. Mais, faute de moyens, Greg Wyler ne peut pas, une fois encore, aller jusqu’au bout. En 2020, son entreprise est mise en faillite sous le chapitre 11 de la loi américaine. Elle est reprise par le gouvernement britannique associé au groupe indien de télécoms Bharti, avant d’être rachetée en 2022 par l’opérateur français de satellites Eutelsat.

Aujourd’hui, en dehors des Chinois qui travaillent sur quatre constellations, dont le système Guo Wang et ses 12 992 satellites, cinq projets se trouvent à des stades divers. L’américain Starlink propose déjà des services dans 40 pays, le français OneWeb est opérationnel au nord du 55e parallèle à partir de la frontière des Etats-Unis et du Canada jusqu’au Groenland. Plusieurs fois retardés, les premiers satellites de Kuiper, la filiale d’Amazon, le groupe de Jeff Bezos, doivent être lancés début 2023, suivis en 2026 par ceux de Lightspeed du canadien Telesat, tandis que la constellation européenne Iris² devrait être opérationnelle un an plus tard.

Chacun affiche des positionnements différents. Starlink s’est tourné vers le grand public et revendique 700 000 abonnés, principalement aux Etats-Unis, et autant en liste d’attente. En Europe, il compte 75 000 clients, dont 10 000 en France. OneWeb a choisi les entreprises, les transports aérien et maritime ou les besoins des gouvernements, estimant ce domaine plus porteur et plus rentable.

« Il n’y aura pas qu’un seul gagnant »

« Ce segment dit du B to B [business to business, commerce interentreprise] représente les trois quarts du marché de la connectivité, et sa croissance devrait y être de 14 % à 15 % par an, estime Eva Berneke, la directrice générale d’Eutelsat. Nous avons reçu beaucoup de marques d’intérêt de la part des militaires, et notre réseau est utilisé par une base américaine au Groenland. »

Dès le premier trimestre 2023, des terminaux adaptés aux besoins des transports aérien et maritime seront proposés. « Cependant, nous savons que nous ne serons pas longtemps seuls sur ces marchés », ironise-t-elle, en faisant allusion à Starlink, qui a commencé à s’y intéresser. De plus, soucieux de se diversifier, SpaceX a annoncé, le 7 décembre, « Starshield », un projet de réseau de satellites sécurisés destiné aux gouvernements et à leurs administrations.

« La compétition s’annonce vive, car le marché Internet des satellites est relativement petit : il représente aujourd’hui 1 % de celui des télécommunications, soit 16 milliards de dollars [15,2 milliards d’euros], soulignent Thomas Coudry et Antoine Lebourgeois, analystes financiers à la banque Bryan, Garnier & Co. Dans ces conditions, nous voyons difficilement plus de cinq constellations s’y installer. » Une estimation partagée par l’ensemble des acteurs du secteur.

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« A titre de comparaison, rien qu’en France, on entend souvent dire que quatre groupes [Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free] sur un marché des télécoms de 35 milliards d’euros, c’est trop », insistent les deux auteurs de l’étude « Sat Wars : A New Chapter », publiée en octobre. Du côté de Kuiper, on se dit toutefois confiant : « Il n’y aura pas qu’un seul gagnant. Lorsque nous nous sommes lancés, nous savions qu’il y avait déjà d’autres constellations en préparation. Mais la demande est énorme, et le nombre de clients, particuliers et entreprises, qui n’ont pas d’accès satisfaisant au haut débit se chiffre en centaines de millions », explique la filiale d’Amazon.

La rentabilité économique est pourtant loin d’être prouvée. Les investissements sont considérables : 10 milliards à 15 milliards de dollars par acteur, sans certitude de bénéfices. A 1 200 kilomètres de la Terre, il faut à OneWeb quelques centaines de satellites pour couvrir totalement le globe, à 500 kilomètres, des milliers pour Starlink. Leurs tailles sont différentes : les plus éloignés ont l’envergure de réfrigérateurs, les plus proches, celle de boîtes à pizza.

Instabilité du marché

« Déployer une constellation, c’est comme ouvrir des magasins au même moment dans le monde entier sans savoir si vous aurez des clients », explique Pacôme Révillon, président du cabinet de conseil Euroconsult. De plus, les surfaces couvertes par les satellites sont parfois inhabitées, que ce soit sur terre ou en mer. « On estime que seuls 10 % à 20 % de leur capacité seront probablement utilisés à court terme, car elle ne le sera pas ou peu, par exemple, au-dessus du Pacifique », note-t-il.

Autre handicap, la durée de vie limitée – de six à huit ans – comparée à celle des satellites classiques de ce type d’objet : « S’il faut deux ans pour déployer une constellation, au moment de la mise en service, les satellites auront déjà consommé le quart de leur capacité. C’est donc une course contre la montre assez compliquée entre l’investissement initial, le développement des usages et le prix des services », relève Pacôme Révillon.

Les entreprises ne peuvent donc autofinancer leurs investissements et doivent emprunter. Faute de trouver des fonds suffisants, la constellation canadienne Lightspeed accumule les retards et a dû, en mai, réduire sa voilure d’une centaine de satellites, soit un tiers de sa capacité.

Starlink a annoncé relever ses tarifs, d’abord aux Etats-Unis puis, fin novembre, en Ukraine. A la stupeur générale, le prix du terminal y passera le 29 décembre de 500 à 700 euros et le forfait de 60 à 75 dollars

A ces charges s’ajoute le coût des antennes. Pour s’imposer, Starlink les fournit à perte à ses clients, les facturant 599 dollars aux Etats-Unis. « Chaque utilisateur lui coûte plus de 1 000 dollars, et tout est fait pour réduire le prix de fabrication, remarque Thomas Coudry. Mais ces efforts sont aujourd’hui ralentis par l’inflation. » Jeff Bezos, lui, affirme progresser dans la conception des terminaux à faibles coûts et être déjà capable de les fabriquer à moins de 400 dollars l’unité.

Preuve de l’instabilité du marché, Starlink a annoncé relever ses tarifs, d’abord aux Etats-Unis puis, fin novembre, en Ukraine. A la stupeur générale, le prix du terminal y passera le 29 décembre de 500 à 700 euros, et le forfait de 60 à 75 dollars. « Merci Elon Musk de la part de toute la société ukrainienne, c’est le meilleur moment pour augmenter les prix d’abonnement pendant que les missiles russes bombardent nos infrastructures critiques », a déploré un utilisateur sur Twitter.

Dimension stratégique

La guerre a également eu pour conséquence de freiner OneWeb dans le déploiement de sa constellation, ses satellites étant mis en orbite par des fusées russes Soyouz. Les Russes ont suspendu leurs accords, et 36 satellites sont ainsi bloqués sur le site de Baïkonour et stockés dans des hangars. « Nous sommes en discussion avec les autorités du Kazakhstan pour les récupérer et avons bon espoir », confie Eva Berneke. Il a aussi fallu trouver d’autres lanceurs, comme SpaceX, maison mère de son concurrent Starlink. « C’est avant tout un fabricant de fusées », relativise la patronne d’Eutelsat. Gwynne Shotwell n’avait pas manqué de présenter son concurrent OneWeb « comme un de [ses] clients pour l’envoi en orbite de ses satellites ».

Quatre, cinq ou six constellations ? La dimension stratégique en fait aussi des installations hors norme. « Nous ne sommes qu’au début de l’histoire. Tout va se jouer dans les prochaines années, estime le patron d’Euroconsult, Pacôme Révillon. Toutefois, je ne pense pas qu’une seule d’entre elles s’imposera, surtout si les Américains en deviennent de grands utilisateurs. Les Etats-Unis préfèrent toujours disposer de plusieurs sources, comme ils le font déjà dans la défense. »

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D’où l’espoir, pour l’outsider Jeff Bezos, avec Kuiper et ses 3 326 satellites prévus, de devenir un acteur important, même s’il part plus tard. Si, du côté de Starlink, Gwynne Shotwell se dit ouverte à l’arrivée de rivaux, elle ne peut s’empêcher de leur donner un coup de griffe. « Nous aimons la concurrence, c’est bon pour nous, et cela nous pousse à être meilleurs, mais tout le monde n’est pas de notre avis. » Une allusion à Amazon, qui s’est plaint plusieurs fois de la place trop importante accordée à Starlink, notamment dans les autorisations délivrées par la Commission fédérale des communications, le gendarme américain des télécoms. L’attribution des fréquences est stratégique : les premiers servis disposent des plus intéressantes.

« On sent un appétit considérable pour la nouvelle génération de services satellites, et Starlink a changé la perception de ces technologies », juge Dan Ives, analyste financier à la banque Wedbush Securities. Une envie qui a permis un retour spectaculaire de Greg Wyler, avec sa nouvelle société E-Space.

En février, le pionnier du « New Space » a collecté 50 millions de dollars pour lancer son projet de constellation géante : 350 000 satellites de 10 kilos placés à 600 kilomètres d’altitude, visant à fournir des services aux entreprises et aux gouvernements. Avec pour ambition de participer à l’appel d’offres pour la future constellation européenne Iris². Pour ce faire, l’entrepreneur américain a demandé la nationalité française.

 

 

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https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/12/02/les-derniers-jours-de-jean-luc-godard_6152595_4500055.html

 

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Publié le 02 décembre 2022
Récit Fatigué, usé, le réalisateur de 91 ans a décidé cet été que son heure était venue. Il a contacté une association et organisé sa mort : un suicide assisté, comme l’autorise la loi suisse. Mis dans la confidence, certains de ses proches témoignent de ses derniers instants dans la petite ville de Rolle, en Suisse.
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« Roland ? C’est Anne-Marie. »

En cette fin d’été, la voix d’Anne-Marie Miéville, la femme de Jean-Luc Godard, résonne au bout d’un téléphone fixe.

« J’espère que c’est pour une bonne et pas une mauvaise nouvelle, s’inquiète, de l’autre côté du fil, Roland Tolmatchoff.

— Un peu les deux, hésite Anne-Marie Miéville. Je te passe Jean-Luc. »

Quand on choisit de préparer sa mort, on a le temps d’ordonner la valse de ses adieux. Si Godard a téléphoné à Roland Tolmatchoff, c’est peut-être parce que cet ancien comédien, assistant réalisateur, vendeur de yoyos, chineur et libraire suisse de 92 ans était son plus vieux copain. Son plus vieux copain vivant, en tout cas, quelques mois de plus que Godard, la même collection de souvenirs dans le siècle dernier : ils avaient 20 ans en 1950. Et voilà que résonne dans le combiné du vieil homme cette voix unique, à la fois tremblée et grave à force de cigares fumés, ralentie par un léger cheveu sur la langue et un soupçon d’accent suisse.

« Roland, je t’embrasse, je m’en vais. »

Quelques semaines ont passé depuis la mort de Jean-Luc Godard, le matin du 13 septembre. Un « suicide assisté », autorisé et encadré par la législation helvétique. Depuis sa maison de retraite genevoise, au terminus de la ligne de bus 7 qui mène au lieu-dit Bout du monde, Roland Tolmatchoff remonte le fil de sa vie et de son amitié avec le cinéaste de la Nouvelle Vague. Le pensionnaire suisse est né à Kharkov, dans l’une des républiques soviétiques d’alors, aujourd’hui en Ukraine.

Il avait 8 ans quand sa mère, pour fuir les bolcheviques, l’a pris sous le bras avec ses frères et sœurs en 1938 et s’est exilée en Suisse. « Je crois que mon père, un pur Ukrainien opposé aux purges de Staline, écrivain diplomate qui, par francophilie, m’a prénommé du nom de l’écrivain Romain Rolland, a été dévoré par des loups après s’être échappé d’un bagne des îles Solovki », dans la mer Blanche, raconte Tolmatchoff. Avec sa longue barbe neige-argent et ses cheveux effilochés, on croirait Gandalf ou Saroumane, les magiciens du Seigneur des anneaux, de Tolkien.

Trois noces et un témoin

Durant les années 1950, le Parador, un tea-room de la place de Rive à Genève, est le repaire d’une petite bande qui ne vit que pour le cinéma. Un jeune dandy mi-suisse, mi-francais aux lunettes fumées en est. En terrasse, Tolmatchoff, autodidacte des salles obscures et fabuleux collectionneur de livres sur le 7e art, impressionne Jean-Luc Godard par son culot avec les filles et son « archivisme mental » : « Je récitais par cœur les génériques des moindres petits films, les noms des assistants, des éclairagistes et des décorateurs. »

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L’un comme l’autre raffolent des poésies de Supervielle et des films de Marcel Carné ou de Julien Duvivier. Dans la « boîte aux trésors » de Tolmatchoff, un carton rangé sous le lit médicalisé, on trouve quelques archives émouvantes de ces jeunesses emmêlées, comme ces deux billets de cinéma du Palace, à Lausanne, et vieux de plus d’un demi-siècle. Ils datent de 1960, quand Godard tournait Le Petit Soldat, son deuxième long-métrage, et avait enrôlé Roland comme assistant. Un matin, il décommande le tournage et fait renvoyer chez eux les techniciens et les acteurs, « soit, précise Tolmatchoff, ma mère, ma sœur et mes maîtresses de l’époque : j’avais fait tout le casting. » Le futur maestro a rendez-vous « au cinéma avec Anna », l’actrice vedette de son film. Les tickets sont là, roses, sous nos yeux. Sur l’un, Godard a écrit : « J’aime. » Sur l’autre, « Anna ».

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Un an plus tard, en 1961, l’Ukrainien fut le témoin du mariage de Jean-Luc Godard avec Anna Karina. Et encore, en 1967, pour celui avec la comédienne et future écrivaine Anne Wiazemsky, petite-fille de François Mauriac. En Suisse, les deux fois, à Begnins, bourg plutôt cossu posé dans une campagne vaudoise verdoyante et proprette, avec vue dégagée sur le Léman. A l’époque de sa première union, le réalisateur d’A bout de souffle a Paris Match à ses trousses, qui fait sa « une » sur les noces. « Le syndic [le maire] avait pour bureau une pièce de l’auberge communale, bref, la mairie faisait bistrot, raconte Tolmatchoff, c’est pour ça que Godard l’avait choisie deux fois. Il voulait aussi épouser Marina Vlady [qui avait tourné avec lui Deux ou trois choses que je sais d’elle en 1966], mais ça n’a pas marché. » Un peu plus tard, Jean-Luc Godard dira : « Anna Karina, Anne Wiazemsky (…) ont joué un rôle dans mes films, Anne-Marie Miéville a joué un rôle dans ma vie. » Pas très élégant.

Le reclus de Rolle

Le réalisateur a passé son enfance entre le 16e arrondissement parisien et ce coin du canton de Vaud où s’était un temps installé son père médecin. Anne-Marie Miéville, elle, a vécu une enfance suisse dans une famille de la petite bourgeoisie horlogère, avant d’épouser le publicitaire français Philippe Michel. Elle est aussi venue à la photographie de plateau de cinéma par militantisme : elle gérait la librairie Palestine à Paris et a croisé Godard en 1972, signant avec lui Ici et ailleurs, réflexion sur le trucage de l’information à partir du cas palestinien.

Elle devient sa compagne et sa complice pour une grosse dizaine de films, comme Passion, tour à tour ou à la fois monteuse, coscénariste – Sauve qui peut (la vie), Prénom Carmen, Détective –, assistante, avant de signer seule ses réalisations, à partir de 1983. Suit un mariage, mais en toute discrétion, cette fois – il y a douze ans, croit savoir le New York Times. Soit très longtemps après leur rencontre et leur installation, au milieu des années 1970, au bord du lac Léman, à Rolle.

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Pourquoi ce bourg ? « Parce que c’est nulle part », répondait Godard, qui trouvait que, avec ses plans d’eau, ses villes, ses flancs de coteau, ses ciels et ses montagnes, la Suisse était à elle seule un décor de cinéma idéal. A 20 kilomètres de là, Nyon la belle se visite : Tintin s’y est arrêté dans L’Affaire Tournesol, Pablo Neruda y a caché ses amours, les festivaliers amateurs de chanson s’y retrouvent l’été, Godard y a randonné avec les éclaireurs et joué au foot enfant. Rolle, elle, se traverse sans s’arrêter, comme ces trains directs de Genève à Lausanne qui fendent les quais de la gare dans un sifflement strident avant de s’évanouir : « Fffffiouffffff… »

« Rolle est encore plus discret que le reste de la Suisse. » Un commerçant du bourg où vivait Godard

Ses 6 000 habitants semblent tous tendre vers un bien-être bourgeois offert à chaque pas-de-porte de ses rues silencieuses – boutiques de toilettage pour chien, ateliers de yoga, méditation, « coaching émotionnel », réflexologie plantaire… « Breathe Life », propose une enseigne de la rue du Nord, à quelques centaines de mètres de la petite maison du réalisateur de Pierrot le fou, entre un temple et une église évangélique : deux sentinelles protestantes qui semblent veiller à son insu sur ce descendant de la grande famille huguenote des Monod, les riches fondateurs de la Banque de Paris et des Pays-Bas.

La maison endormie

Pour dénicher ce domicile, ne compter ni sur le voisinage ni sur les retraités en goguette occupés à promener leurs chiens, comme naguère Godard avec Loulou-tout-fou ou Roxy. « Rolle est encore plus discret que le reste de la Suisse », résume un commerçant de la Grand-Rue. Pas grave, la dernière demeure du cinéaste figure dans ses derniers films, intérieur/extérieur, et même dans ceux de collègues descendus un jour ou l’autre en Suisse pour converser ou quémander l’onction du grand homme.

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Une scène du documentaire Visages villages, d’Agnès Varda et JR, filmée en 2016, est devenue culte. La réalisatrice, décédée en 2019, pleure de trouver close la porte du maître et un mot inscrit à son intention. Vrai lapin ou trucage ? « J’avais provoqué gentiment Varda : “Tu avais tout combiné avec lui, c’est clair, une scène de vos retrouvailles n’aurait eu aucun intérêt pour ton film”, confie le critique de cinéma Alain Bergala. Je trouve qu’elle s’était défendue mollement… »

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Rue des Petites-Buttes, les volets sont clos – ils l’étaient souvent, même de son vivant. Des fans ont dessiné des haïkus sur les vitres d’une véranda dont la peinture s’écaille : « JLG 4 ever », trois initiales rendues fameuses par l’autoportrait du réalisateur, JLG/JLG, sorti en salle en 1995. Un tournesol a été accroché à la butée des persiennes. Un bouquet de plumes s’ennuie dans un mug décoré d’une mauvaise copie du Clovis endormi de Paul Gauguin, posé sur la boîte aux lettres. En 1997, dans Nous sommes tous encore ici, l’avant-dernier long-métrage d’Anne-Marie Miéville, une femme jouée par Aurore Clément disait à son compagnon, interprété par Godard : « J’aime l’homme que tu es, mais je ne te supporte pas toujours. » L’épouse du cinéaste vivait à la fois tout près et ailleurs, à 350 mètres de là, mais devant chez lui, leurs noms restent accolés comme dans un générique : « JL Godard/AM Miéville ».

Le jeune homme et la mort

« Comment imaginer qu’il n’ait pas pris la décision de ce suicide programmé avec elle ? », interroge l’ex-critique de cinéma de Libération Gérard Lefort. Voilà longtemps que Jean-Luc Godard manque de mourir, longtemps qu’il parle de sa mort, longtemps qu’il flirte avec elle… Avant de ressusciter, fringant et plein de vie. Jeune, il se tape parfois étrangement la tête contre les murs. Jaloux à en crever d’Anna Karina, il découpe ses costumes au rasoir ou feint de se taillader les veines. « Je me souviens qu’à deux reprises Eric Rohmer et moi, inquiets d’être sans nouvelles, l’avions cherché dans tout Paris », raconte Roland Tolmatchoff.

« La dernière fois que je suis venu le voir, en 2015, Anne-Marie m’avait remercié en disant : “Il est très seul et il aime bien qu’on vienne lui rendre visite.” » L’ancien député européen Daniel Cohn-Bendit

Ils le dénichent une première fois dans l’un de ses meublés bon marché « rue de la Harpe, avec à ses pieds un portrait en carton de l’acteur Humphrey Bogart. Un autre jour, je l’ai pisté jusqu’au rez-de-chaussée d’un studio du quai aux Fleurs, où il avait ses habitudes », près de Notre-Dame. Le cinéaste Eric Rohmer disait avoir retrouvé cette fois-là Godard baignant dans son sang après une histoire d’amour qui avait mal tourné.

On ne compte plus ses fausses sorties. En 1971, à la suite d’un accident de Mobylette rue de Rennes, il manque vraiment d’y passer : un cric est nécessaire pour le dégager de la camionnette dans laquelle il s’est encastré. Un miracle dont il fait, neuf ans plus tard, un film, Sauve qui peut (la vie). En 2013, une rumeur se propage dans Paris : Godard serait (très) malade. « Une journaliste de Libé est passée voir notre critique de cinéma Olivier Séguret pour lui demander de préparer la nécrologie de Godard », raconte aujourd’hui Gérard Lefort.

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Pour le quotidien préféré du réalisateur, si ce dernier passe l’arme à gauche, tout le déroulé du journal explose : « Il faut qu’on ait sa nécro au frigo », explique-t-elle, soit son portrait prêt pour une future publication. « Olivier restait silencieux », croit se souvenir Lefort, et n’écrivit rien. De ce refus d’obstacle naît un joli petit livre, Godard vif (G3J Editeur, 2015), sorte d’anti-nécro à couverture orange signée par Séguret, qu’on aperçoit sur le bureau de Godard dans A vendredi, Robinson, documentaire réalisé en 2022 par une peintre et cinéaste iranienne, Mitra Farahani. Elle a capté les toutes dernières images du maestro vivant : dans un étrange coup de dés, son film, produit par Jean-Paul Battaggia et monté par Fabrice Aragno, est sorti en salle le 14 septembre, au lendemain de la disparition du cinéaste.

« Le club des cinq »

Ces deux-là ont accompagné Godard presque jusqu’au bout. « Ils sont mon comité de réalisation, à la fois ma tête et mes jambes », disait-il souvent. « Deux fées », préfère Olivier Séguret pour décrire Battaggia-Aragno, à la fois « assistants, régisseurs, directeurs de production, scripts, secrétaires, costumiers, machinos, électros, monteurs, chefs opérateurs, ingénieurs du son, chargés des restos, des taxis, de l’argent et des bouteilles d’eau ».

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Deux garçons indispensables qui, par « respect » et refus d’une amitié trop facile, maintenaient un vouvoiement de rigueur, « comme Frédéric Moreau et Madame Arnoux à la fin de L’Education sentimentale », réfléchit d’une voix douce Aragno dans le studio de création, au sein d’anciens entrepôts industriels de Lausanne. Ni l’un ni l’autre n’étaient d’ailleurs des « godardiens » historiques. « Quand il me demande en 2002 de travailler avec lui, sourit le réalisateur de 50 ans, j’étais plutôt Kiarostami et Antonioni. » Avec Jean-Paul Battaggia, il présente jusqu’au 18 décembre à la Ménagerie de verre, à Paris, un « parcours visuel et sonore » autour de cinq des derniers films du « maître ».

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Ce duo dévoué partageait avec trois autres personnes un groupe WhatsApp consacré à « Jean-Luc ». « Le club des cinq », sourit, émue, Matilde Incerti, attachée de presse du réalisateur depuis Eloge de l’amour, en 2001, et membre du groupe. Mitra Farahani en est aussi, et Nicole Brenez, une historienne et théoricienne du cinéma rencontrée il y a sept ans et que Godard, émerveillé par sa culture et sa dextérité à retrouver des archives, surnommait sa « documentaliste ». Cinq vigies veillant sur lui, pas plus que les cinq doigts d’une main. Le groupe était baptisé « Au contraire », deux mots par lesquels Godard a toujours aimé commencer ses phrases, comme une promesse de disputatio, d’engueulade, de polémique.

« Cet été, nous recevions encore par e-mail des rébus, énigmes et devinettes que Jean-Luc inventait chaque jour. » L’historienne et théoricienne du cinéma Nicole Brenez

Comme ceux qui ont l’ironie, la critique et la brouille faciles, Godard, homme d’amitiés séquentielles, ne suscitait plus tant de fidélités que ça. Ses provocations en 2014 pour expliquer que « François Hollande devrait nommer Marine Le Pen premier ministre », ses saillies de militant de la cause palestinienne sur les juifs, fatigantes pour certains, antisémites pour d’autres, en avaient éloigné plus d’un. « La dernière fois que je suis venu le voir, en 2015, raconte l’ancien député européen Daniel Cohn-Bendit, camarade des années Mao du cinéaste auquel Godard envoyait un message chaque 22 mars, pour l’anniversaire du mouvement étudiant de Nanterre, Anne-Marie m’avait remercié en disant : “Il est très seul et il aime bien qu’on vienne lui rendre visite.” » Des mots d’ordinaire réservés aux personnes âgées sans beaucoup d’amis et qui avaient surpris l’ancien leader de Mai-68.

L’obsession de sa fin

C’est en 2014-2015 que, tout à coup, Godard, à 80 ans passés, se prend à évoquer la vieillesse. Voilà déjà cinq ans qu’il ne joue plus au tennis à cause d’une douleur au genou. Devant Olivier Séguret en visite à Rolle, l’ancien jeune homme qui marchait sur les mains pour épater ses fiancées s’épanche à voix haute : « Les animaux, on les pique ; mais nous, même si on demande, personne ne nous pique, même un ami médecin… Bien sûr, je connais un ou deux endroits où je me dis parfois, quand je me promène : tiens, je pourrais me jeter de cette falaise, ce serait une mort certaine. Et en même temps je me dis aussi : ça fait peur, je vais avoir peur de sauter… Peut-être que si j’étais de cette époque, j’irais au Moyen-Orient – dans une ONG plutôt que chez les djihadistes –, mais en prenant des risques et en espérant prendre une balle au bon endroit. »

« Il a sollicité une mort volontaire pour échapper au malheur des jours. » Pierre Beck, l’ancien vice-président de l’association Exit Suisse romande

L’ancien journaliste de Libé n’est pas choqué par cet aveu. Serge Daney, le grand critique ciné du quotidien dans les années 1980, se sachant très malade, avait un jour chargé Olivier Séguret (sans succès) de lui « trouver de la digitaline », rapporte-t-il à Jean-Luc Godard. Moue de l’intéressé : « Le poison, je n’aimerais pas. Je me méfierais du résultat », répond celui qui s’est pourtant « raté » tant de fois avant sa rencontre avec Anne-Marie Miéville. Le sujet l’obsède. Il l’évoque cette même année avec le journaliste Darius Rochebin, en public cette fois, sur la Télévision suisse romande (TSR) : « Si je suis trop malade, je n’ai aucune envie d’être traîné dans une brouette. Je demande souvent à mon médecin, à mon avocat, comme ça : “Si je viens vous demander du barbitural [il veut dire du pentobarbital], je ne sais pas comment ça s’appelle, ou de la morphine, est-ce que vous m’en donnerez ? » Et regrette de ne jamais obtenir de réponse favorable.

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Il confessait à l’époque se sentir « tout jeune » dans sa tête. Mille projets fusaient encore de son séjour ou de l’atelier empli de petites caméras et de matériel numérique dernier cri, rue des Petites-Buttes. « Le corps (…) est intéressant à suivre » : devant le journaliste suisse, il faisait même mine de prendre goût à disséquer les évolutions physiques dues au grand âge, qui, au passage, lui avait adouci le caractère. « Le Jean-Luc Godard que j’ai eu la chance de rencontrer en 2015 voulait rire, avec ce savoir-faire que l’on voit dans tous ses films, depuis le burlesque physique jusqu’au trait d’esprit le plus sophistiqué, raconte l’historienne et théoricienne Nicole Brenez. Cet été, Jean-Paul, Fabrice et moi recevions encore par e-mail des rébus, énigmes et devinettes que Jean-Luc inventait chaque jour. »

L’heure du grand départ

Mais, tout à coup, le reclus de Rolle n’a plus trouvé « intéressants » les stigmates du temps. Il n’a plus eu envie de jouer. « Il ne tenait plus très bien debout, M. Godard, confie, à Rolle, Gino Siconolfi, le patron de la société de taxi Arc-en-ciel, qui le conduisait ici et là depuis vingt ans. A la fin de l’été, il m’a dit qu’il était très très fatigué. » Fin août, le cinéaste lui indique que c’est sans doute « la dernière fois qu’il promène ses chiens au bord du lac » et jusqu’à l’embouchure de l’Aubonne, comme dans son avant-dernier film, Adieu au langage, dont Gino, le chauffeur de taxi, était d’ailleurs l’un des figurants. « Deux scènes, je n’ai pas bien compris mon rôle, j’étais le chauffeur d’un monsieur important. »

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Sa décision est prise le 3 septembre 2022. « Il va partir. » Anne-Marie Miéville l’annonce à quelques intimes. « Il a sollicité une mort volontaire pour échapper au malheur des jours », nous explique Pierre Beck, l’ancien vice-président de l’association Exit Suisse romande, créée en 1982 et choisie par le couple Godard. « Depuis 2013, les autorités pénales de notre pays autorisent l’assistance ou le suicide pour des personnes souffrant de polypathologies liées à l’âge : perte d’équilibre, de vue, d’audition, tout cet ensemble de petites choses qui, isolément, ne sont pas forcément graves mais ensemble rendent la vieillesse intolérable à certains », ajoute cet ancien interniste. « Ce n’était pas à cause d’une maladie ou de souffrances, confirme Olivier Séguret. Il était épuisé, déprimé, et ne pouvait plus travailler. »

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Le 5, une date est arrêtée dans l’agenda ultrachargé de l’association : le suicide assisté de Godard est programmé le 13 septembre. « N’y voir aucun signe particulier », préviennent ses amis. Le 11, coup de tonnerre, voilà que l’autre gloire du cinéma romand, Alain Tanner, meurt à Genève. La Suisse est en deuil. Elle ignore que, deux jours plus tard, une autre disparition va totalement éclipser celle de l’auteur de La Salamandre. « Je crois sans en être certain que j’avais tenté d’en plaisanter avec lui en disant : “Tu ne veux pas retarder la venue d’Exit ?” Mais quand c’est fixé, ces choses-là, c’est fixé », raconte Fabrice Aragno.

La veille de la date prévue, l’épouse du cinéaste prévient quelques proches. Parmi eux, Olivier Séguret. Ou encore le patron historique de Libé, Serge July : il a connu le réalisateur par la mère de son fils, la journaliste et éditrice Blandine Jeanson, qui, comme actrice, a traversé trois des films de Godard. En 2009, July lui-même a coécrit le documentaire Il était une fois… Le Mépris. De Rolle, l’homme qui a choisi de mourir ajoute parfois quelques mots derrière ceux de sa femme : « Au revoir », « Je m’en vais », ou, plus rare, « Je t’embrasse », comme à son vieux « Roland ».

« Il est à côté de moi, c’est fini, il dort »

Tolmatchoff pose sur son visage ému ses longues mains piquées de taches de vieillesse, comme un rideau. Il fut l’impresario de Georges Moustaki et le protégé de Romain Gary à Los Angeles, mais surtout, en 1955, le bel acteur à chapeau d’Une femme coquette, court-métrage à petit budget tourné en 16 mm par Godard, d’après Le Signe, de Maupassant. Il a aussi inspiré costumes et répliques à son ami de la bande du Parador : « Mon chapeau, il s’est retrouvé sur la tête de Piccoli et de tas d’autres. Michel Poiccard [Belmondo] qui crie dans la voiture d’A bout de souffle, ce sont mes onomatopées quand je filais au volant de mon Opel Olympia ou de ma Galaxy. » « Les plus belles filles du monde ne sont pas à Londres, ni à Stockholm, ni à Paris, mais à Genève ou Lausanne » et « la voix de France Inter » entendus dans le film, c’est encore lui. Un des amis de Poiccard porte son nom. Le cinéaste le savait, et cela compte à l’heure des adieux.

« J’aimerais mieux être enterré dans les bois, mais pour cela il n’y aura pas d’autorisation. Donc il faudra jeter les cendres dans le lac. » Jean-Luc Godard en 2019 à la télévision

Ce qui s’est passé le lendemain, sur le lit de Jean-Luc Godard, dans la maison d’Anne-Marie Miéville, ils sont peu à le savoir. Et ce ne sont pas les deux « fées » qui le raconteront. « Avant, je travaillais dans le monde de la marionnette. Je ne suis pas un parleur, sinon je ne ferais pas de cinéma », prévient Fabrice Aragno. On sait que la présence d’une infirmière est requise et que l’usage est de recourir à une dose de pentobarbital de 15 grammes. « Trois minutes maximum d’endormissement avant de s’en aller », précise l’ancien vice-président de l’association Exit Suisse romande. Exit, comme « une porte de sortie en cas de nécessité », dit-il. Exit, comme l’enseigne lumineuse qui indique la sortie dans les salles obscures : « Jean-Luc ne peut pas ne pas y avoir pensé », sourit Olivier Séguret.

« Il est à côté de moi, c’est fini, il dort », annonce, le matin du 13 septembre, ­Anne-Marie Miéville à quelques proches. A 9 h 58, le site de Libération sort en exclusivité la nouvelle. Vingt-huit pages sont bouclées dans la journée pour le journal du lendemain. Parmi les derniers de ses 150 films, Adieu au langage a tout juste dépassé les 30 000 entrées, Le Livre d’image n’a été diffusé que sur Arte malgré une Palme d’or spéciale à Cannes. Mais le « qu’est-ce que c’est “dégueulasse” ? » de Jean Seberg dans A bout de souffle (1960), le madison de Bande à part (1964) ou la « ligne de chance » de Marianne et Ferdinand dans Pierrot le fou (1965) appartiennent à la légende.

Le mausolée de Milan

Le décès du génie fait le tour de la planète. Au Kiosque (le nom suisse des tabacs) des Amis, Carmelo Conti, un carreleur du coin passé jouer au tiercé, qui n’a jamais vu un film de Godard, montre la photo que son fils Tony lui a envoyée de Los Angeles lorsque leur voisin de Rolle est mort : « Repose en paix Jean-Luc Godard », affichait en lettres rouges le Nuart Theater, une institution de Santa Monica. « Tout le monde me connaît mais personne n’a vu mes films », a résumé un jour le prince de la Nouvelle Vague.

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Les messages affluent, certains mystérieux, d’autres inattendus. Le 16 septembre, Le Monde fait paraître dans sa page consacrée aux avis de décès un hommage à « Jean-Luc Godard » envoyé par la grande dame de la mode, Miuccia Prada, 73 ans. « Miuccia Prada se souvient avec émotion des sollicitations intellectuelles vécues à travers ses films qui ont joué un rôle important dans sa propre formation culturelle et des précieuses rencontres qui ont eu lieu au fil des ans », a dicté la riche Milanaise. Des proches de Godard se souviennent des longues manœuvres de la milliardaire pour approcher le cinéaste désargenté et tenter d’unir le nom de la marque à celui de l’icône du 7e art, et notamment de ce jour où, pour cause de météo, le jet de la couturière n’avait pu se poser près de Rolle.

Un accord avait été trouvé en 2019 : dédiée à l’art contemporain, la Fondation Prada abrite désormais, à Milan, une reconstitution à l’identique de l’atelier suisse de l’artiste : le « Studio d’Orphée ». Son Lion d’or, son dernier film, son cahier et son écriture, ses moniteurs, « les dernières années de sa vie sont là, sa vie est là », explique Matilde Incerti. Plus sa raquette de tennis, son imper, son petit aspirateur Dyson… De quoi s’interroger durant la visite : Godard ne se serait-il pas un peu moqué de Prada et de ses fans ?

Dispersé dans le lac

Pas du tout, au contraire… Dans les années 1980, Anne-Marie Miéville avait trouvé que ces deux mots, « au contraire », feraient, le jour venu, une parfaite épitaphe pour son mari. Sur une tombe d’un cimetière de la Riviera suisse, façon Nabokov à Montreux ou Charlie Chaplin à Corsier-sur-Vevey ? « J’aimerais mieux être enterré dans les bois », avait prévenu Godard en 2019, lors d’un entretien avec la journaliste Elisabeth Quin sur Arte, sans cercueil, à même la terre. « Mais pour cela il n’y aura pas d’autorisation. Donc il faudra jeter les cendres dans le lac. Après tout, c’est un peu mon lac, puisque [ma famille et moi] avons fait des va-et-vient entre Paris et la Suisse et entre la Suisse et la Savoie » – son grand-père maternel avait une propriété côté français, entre Yvoire et Thonon.

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Il est décidé que Jean-Luc Godard sera incinéré le 15 septembre. « Fabrice et moi partirons avec l’urne dans une frêle embarcation », téléphone Anne-Marie Miéville à Roland Tolmatchoff, comme pour s’excuser de ne pouvoir l’embarquer avec eux – le bateau n’était en réalité pas si frêle que cela. Godard a tant de fois filmé les embarcadères du « lac de Genève », comme il disait pour emmerder les Français, ses bateaux Riva et ses cygnes, et, rouges et blancs sur fond bleu, ses drapeaux suisses flottant à la brise, qu’on imagine le plan.

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Une référence, chuchotent quelques initiés, à la dernière phrase de Sépulture sud, nouvelle où Faulkner se souvient avec une minutieuse exactitude des heures précédant les obsèques de son grand-père, et que Godard cite en 2017 dans Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma. Il y est question d’« ossements vides et pulvérisés », de « poussière inoffensive et sans défense », d’abolition des saisons. Un brin obscur, mais une chose est sûre : ce jour de cendres, un orage s’est levé, la couleur du lac a viré d’un coup, le vent a commencé à friper la surface de l’eau et Godard s’est envolé.

https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/12/11/la-france-buissonniere-un-paysan-millionnaire-au-secours-d-une-eglise-qui-s-effondre_6153908_4497916.html

A la rencontre de la France ordinaire. Raymond a travaillé toute sa vie, vécu chichement, presque en autarcie. A 89 ans, l’ancien agriculteur a cassé sa tirelire bien remplie pour financer les travaux de réfection de « son » église, dans un village du Loiret.

Publié le 11 décembre 2022

 

L’église Saint-Loup-et-Saint-Roch, à La Chapelle-sur-Aveyron (Loiret).

 

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aymond avait « un paquet de pognon » sur son compte en banque, et il ne savait pas quoi en faire. Quand Christian Chevallier, le maire de La Chapelle-sur-Aveyron (Loiret), est venu le voir à la maison de retraite pour lui parler de la dégradation avancée de l’église du village, le vieil homme n’a pas mis longtemps à se décider : « Je te donne 1 million », a-t-il lancé à son visiteur. Un million d’euros, comptant et non imposable.

Sur le coup, Christian Chevallier a eu du mal à y croire. Il ne fut pas le seul. En recevant leur convocation pour évoquer le sujet, les membres du conseil municipal ont demandé au maire s’il « [ne s’était] pas trompé d’un ou deux zéros ». Même stupéfaction à l’antenne locale du Trésor public, qui s’empressa de téléphoner à la secrétaire de mairie, courant novembre, pour vérifier qu’il n’y avait pas eu « erreur » en voyant arriver le pactole sur le compte de la petite commune (650 habitants).

Agé de 89 ans, Raymond n’est ni un vainqueur du Loto ni l’un de ces riches hobereaux ayant acheté forêts et château dans ce coin du Gâtinais. Ancien agriculteur, le retraité n’a rien, non plus, d’un catholique illuminé. Construite à la fin du XIe siècle, l’église Saint-Loup-et-Saint-Roch est juste « son » clocher. C’est sous son toit qu’il a été baptisé et qu’il a fait sa première communion ; sous son toit, également, qu’ont été célébrées les obsèques de ses parents et celles de son frère aîné, Roger, mort en 2020.

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Le « toit » en question est mal en point depuis longtemps. Les tenons et les mortaises s’affaissent, la charpente couine. Il y a quatre ans, un filet a dû être tendu au-dessus de la nef centrale afin de protéger les paroissiens des plaques de plâtre qui se détachent de la voûte. « Tout va s’écrouler un jour, redoute monsieur le maire. Je n’ai pas envie que cela se fasse sous mon mandat. » Il a fait faire un devis pour des travaux. Son montant (1,2 million d’euros) est bien trop élevé pour le budget annuel d’investissement de la commune (138 000 euros). « Raymond est mon sauveur », s’incline l’élu.

Une vie « quasiment en autarcie »

Un million d’euros d’économie, c’est beaucoup au regard d’une vie de paysan. Raymond a hérité à deux reprises : la première fois de ses parents, la deuxième fois de Roger. Célibataires sans enfants, les deux frères ont tenu la ferme familiale jusqu’à leur retraite, il y a vingt-cinq ans, avant de louer leurs terres (63 hectares) en fermage. Ils ont eu des animaux (vaches, moutons) et ont cultivé des céréales et des betteraves.

Surtout, ils ont vécu chichement : « Quasiment en autarcie, comme leurs parents les avaient habitués à vivre », raconte Christian Chevallier. « On ne dépensait que ce que nous étions obligés de dépenser : un peu de nourriture et du matériel, c’est tout », se souvient Raymond en évoquant le seul « gros achat » consenti durant leur activité professionnelle : « Une moissonneuse-batteuse. Une petite. »

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Située à quatre kilomètres du bourg, la ferme du lieu-dit Le Chesnoy fonctionnait alors en vase clos. « L’argent entrait chez eux et ne ressortait jamais, poursuit Christian Chevallier. Leur seul superflu était une télévision qu’ils allumaient à 20 heures pour regarder les informations et qu’ils éteignaient une demi-heure après. »

L’autosuffisance pour devise et le bas de laine comme étendard, Raymond et Roger se chauffaient avec leur bois et ne possédaient pas de congélateur, se satisfaisant des ressources de leur potager et de leur basse-cour. Le pain était acheté tous les trois jours. « Le grand régal de Raymond a toujours été le pied de cochon. »

Il y a deux ans, juste après le décès de Roger, la maladie de Parkinson s’est amplifiée chez Raymond. Christian Chevallier lui a alors « trouvé une place » à l’Ehpad d’une commune voisine, Châtillon-Coligny. Chaque mercredi, depuis, il vient lui apporter ses chemises repassées et de la mousse à raser : « Je suis son seul visiteur. » L’aïeul dit s’y sentir bien, mais n’a qu’une hâte : « Voir les travaux à l’église commencer le plus tôt possible. » Ce ne sera pas avant dix mois. Christian Chevallier lui a promis de l’emmener sur le chantier régulièrement.

Retrouvez toutes les chroniques « La France buissonnière » ici

 

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https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/12/03/l-adn-ancien-ouvre-une-fenetre-sur-l-archipel-du-monde-ashkenaze_6152847_1650684.html

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Publié le 03 décembre 2022
Entretien  Pour les professeurs de génétique des populations David Reich et Shai Carmi, l’analyse des squelettes retrouvés dans un cimetière médiéval, à Erfurt, en Allemagne, apporte des résultats inédits sur l’origine de la communauté juive.
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Professeurs de génétique des populations, David Reich (Harvard) et Shai Carmi (Université hébraïque de Jérusalem) ont publié, mercredi 30 novembre, dans la revue Cell, l’analyse de squelettes retrouvés dans un cimetière juif médiéval, à Erfurt, en Thuringe (Allemagne). Elle apporte des résultats inédits sur l’origine de la communauté juive ashkénaze et témoigne des apports de l’ADN ancien pour retracer l’histoire des populations.

Votre étude plonge dans le passé de la communauté ashkénaze. Le mot est familier mais de qui parle-t-on ?

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Shai Carmi On parle d’un groupe constitué aujourd’hui d’environ 10 millions d’individus, vivant essentiellement en Israël et aux Etats-Unis, mais également en Europe et en Amérique du Sud. Il y a cent cinquante ans, cette population était exclusivement européenne. Mais l’immigration et l’extermination de 6 millions de juifs par les nazis en ont largement réduit l’importance. Selon les travaux des historiens, il s’agit d’une population relativement récente, puisqu’elle serait apparue au Xsiècle, en Rhénanie.

Depuis quand la génétique s’y intéresse-t-elle et qu’a-t-elle apporté ?

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David Reich Cela a commencé dans les années 1980. On savait depuis longtemps que les juifs ashkénazes souffraient plus que d’autres de certaines pathologies héréditaires rares. Les chercheurs ont identifié les gènes à l’origine de la plupart de ces maladies. L’apport a d’abord été médical. Il a permis la détection embryonnaire de ces pathologies, et finalement leur quasi-éradication. Sur le plan historique, cette surreprésentation a prouvé que cette population provenait, ou était passée par un goulot d’étranglement, autrement dit par un groupe réduit d’individus, sans quoi ces mutations délétères auraient disparu avec le temps. On a aussi constaté que certaines mutations étaient partagées avec d’autres populations juives, et ainsi pu établir que les échanges entre communautés n’étaient pas seulement culturels.

Ces acquis proviennent-ils d’études de l’ADN ancien ?

S.C. Non, presque exclusivement d’analyses de l’ADN actuel. D’abord parce que la technologie de l’ADN ancien est relativement récente. Les développements essentiels pour nos recherches datent d’une dizaine d’années. Ensuite, elle s’est portée en premier lieu sur des sujets plus universels, l’origine de Sapiens, les croisements avec Neandertal, etc. Enfin, l’accès aux restes humains juifs est particulièrement difficile en raison des lois religieuses qui imposent de ne pas déranger les morts.

D.R. C’est vrai dans de nombreux cultes, et particulièrement dans les populations minoritaires. On retrouve les mêmes contraintes aux Etats-Unis avec les Native Americans. Pour les juifs, on a quand même une chance, c’est que différents rabbins peuvent avoir des points de vue différenciés.

Comment avez-vous procédé à Erfurt ?

S.C. Ça faisait cinq ans que nous voulions conduire une étude de ce type, avec David. Il était évident que nous ne pourrions pas ouvrir des tombes, les lois religieuses l’interdisent. Un grenier à grain avait été construit il y a cinq siècles sur une partie du cimetière juif à Erfurt. Pour le convertir en parking, des fouilles préventives ont été récemment entreprises. Des ossements ont été découverts. En Allemagne, la loi impose un accord de la communauté locale avant toute analyse. J’ai présenté notre projet et un avis d’un rabbin de Jérusalem, passionné de génétique qui, au terme d’une étude des textes religieux, concluait que les analyses étaient possibles si les corps étaient déjà excavés. Il recommandait aussi d’utiliser les dents, car elles sont considérées comme extérieures au corps. Le rabbin d’Erfurt a repris cette position.

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La communauté d’Erfurt est donc ancienne ?

S.C. Emblématique. On y trouve la plus ancienne synagogue d’Europe, datant du XIe siècle. Avec plus d’un millier de fidèles, elle était importante pour l’époque. Et elle a été marquée par un massacre en 1349, où presque tous les juifs auraient péri, les survivants ont fui. Cinq ans après, en 1354, les juifs y sont retournés, avant d’en être expulsés un siècle plus tard. Ils n’y reviendront qu’au XIXe siècle.

Vous avez analysé les dents de 33 squelettes. A quoi ce groupe ressemble-t-il ?

S.C. A un groupe d’hommes et de femmes presque à parité, d’enfants comme d’adultes, jusqu’à 60 ans. D’après les observations osseuses, un seul serait mort violemment, d’un coup à la tête. L’ADN n’a relevé aucune présence de la peste, alors qu’elle était là dans les années 1350. Les datations au carbone 14 convergeaient vers le XIVe siècle. Mais avant ou après le massacre, les analyses ne pouvaient pas le préciser. C’est l’archéologie, et particulièrement l’orientation des corps, directement liée à la construction d’un mur supplémentaire, qui a permis de conclure en faveur de la seconde communauté, après le pogrom, donc.

Que racontent les génomes quant à l’origine de cette communauté ?

D.R. D’abord, une grande similarité, une sorte de continuité entre les juifs d’Erfurt et les Ashkénazes d’aujourd’hui. Ce qui montre qu’il y eut assez peu de mélange entre populations juives et non juives pendant les six cents ans qui ont suivi. En revanche, on décèle la présence d’une ascendance d’Europe de l’Est, ce que nous n’attendions pas à cette époque.

Vous l’avez dit, on constate chez les juifs ashkénazes une surreprésentation de certains variants génétiques rares. Les avez-vous retrouvés ?

S.C. Pas tous, puisque nous avions 33 personnes et que ces variants ont une fréquence souvent voisine de 1 %. Mais nous en avons retrouvé une partie, ce qui montre bien la continuité entre le XIVe siècle et aujourd’hui. Ils prouvent aussi que le goulot d’étranglement est antérieur au XIVe siècle, ce qui confirme des études récentes portant sur des squelettes retrouvés dans un puits, à Norwich, au Royaume-Uni.

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Vous mettez en évidence deux sous-groupes. Vous y attendiez-vous ?

D.R. Non, car rien de tel n’a été observé dans l’ADN de la population ashkénaze actuelle. Mais le résultat est indiscutable : notre échantillon comporte deux sous-populations, que nous avons respectivement qualifiées d’européenne et de moyen-orientale. Toutes deux apparaissent très différentes de la population locale non-juive. Selon les modèles, qui doivent être maniés avec précaution, elles partageraient de grandes ascendances méditerranéennes, autour de l’Italie, et dans une moindre mesure moyen-orientale, cette dernière plus marquée dans un des deux groupes. Dans l’autre, nous observons également la présence d’ancêtres d’origine est-européenne. Or Erfurt se trouve précisément entre la Rhénanie et l’Europe de l’Est. Il semble bien que les deux populations s’y soient retrouvées.

https://img.lemde.fr/2022/12/01/0/0/3088/2056/630/0/75/0/336ce11_1669923171872-excavation-4.JPG 1x, https://img.lemde.fr/2022/12/01/0/0/3088/2056/1260/0/45/0/336ce11_1669923171872-excavation-4.JPG 2x" alt="Les fouilles du cimetière juif médiéval d’Erfurt, en Allemagne." class="loaded" srcset="/https://img.lemde.fr/2022/12/01/0/0/3088/2056/630/0/75/0/336ce11_1669923171872-excavation-4.JPG 1x, https://img.lemde.fr/2022/12/01/0/0/3088/2056/1260/0/45/0/336ce11_1669923171872-excavation-4.JPG 2x" data-was-processed="true" width="664" height="443">

D’autres éléments viennent-ils appuyer ce scénario ?

D.R. Absolument. A côté de l’ADN, nous avons recherché dans les dents les isotopes de l’oxygène, et nous avons constaté une différence systématique des proportions d’O18 entre les deux sous-groupes. Or cette proportion dépend de l’eau consommée pendant l’enfance. Ces deux populations ont donc grandi dans des endroits différents. Au moins une des deux est constituée d’immigrants. Et cela explique pourquoi les deux sous-groupes apparaissent si clairement dans l’ADN. Quelques générations plus tard, nous n’aurions vu ni les différences en isotopes d’oxygène, ni les disparités génétiques, effacées par les mélanges. Nous avons eu beaucoup de chance.

Le sous-groupe moyen-oriental ressemble en réalité à la population séfarade moderne. Comment l’expliquez-vous ?

S.C. On ne parle pas des populations séfarades passées par l’Afrique du Nord, auxquelles on pense quand on emploie ce nom. Nous parlons de populations d’Espagne, d’Italie du Sud, de Grèce, de Turquie. Notre hypothèse, c’est que ces deux ensembles, les Séfarades européens et les premiers Ashkénazes, sont issus d’un même groupe très réduit qui ensuite s’est séparé en un archipel de communautés. Les Séfarades se seraient très peu mélangés, certains Ashkénazes davantage. Mais il est encore trop tôt pour l’affirmer.

D.R. Cette question est passionnante, et nous avons bien l’intention de l’explorer. Il y a des images folkloriques des différences entre Ashkénazes et Séfarades. La réalité est manifestement très différente.

Vous avez évoqué le goulot d’étranglement populationnel subi par les juifs ashkénazes. Votre étude en précise-t-elle la nature ?

D.R. Il semble bien que le goulot d’étranglement rencontré par la communauté d’Erfurt soit le même que celui que l’on observe dans l’ADN des juifs modernes. Sa date, sa durée, les mutations qu’il a produites : tout est compatible. Mais il est trois fois plus étroit. A partir des données modernes, on trouve une population originelle de 2 000 personnes, avec les données d’Erfurt, c’est trois fois moins. Comment expliquer cet écart ? Ce que nous supposons, c’est que les juifs d’Erfurt se sont mélangés avec d’autres groupes aux ascendances très proches mais qui n’ont pas subi un tel goulot. Pour le prouver, il va nous falloir séquencer d’autres génomes, ailleurs. Si nous avons raison, nous y trouverons des fréquences de mutations spécifiques souvent beaucoup moins importantes. L’ADN ancien ouvre une fenêtre sur l’archipel du monde ashkénaze.

Quelles questions vous taraudent encore ?

D.R. Pour l’heure, nous avons des données sur deux communautés médiévales : Norwich et Erfurt. J’aimerais que l’on puisse enrichir l’image avec d’autres points de vue, dans l’espace comme dans le temps. Pouvoir étudier les relations entre les Ashkénazes et les autres communautés. Aujourd’hui, les Ashkénazes représentent les deux tiers de la population juive mondiale, mais n’oublions pas qu’à l’époque, ils étaient ultraminoritaires. L’essentiel de la population juive se trouvait en Méditerranée. Par ailleurs, il faudrait pouvoir étudier de la même façon les communautés juives en Jordanie, au Yémen, en Ethiopie, au Maghreb. Notre étude montre que c’est possible. J’aimerais enfin déterminer la nature des liens avec la population juive de Judée, à l’époque romaine. En existe-t-il ? C’est une question ouverte.

Ne craignez-vous pas avec vos études de donner des arguments aux racialistes de toutes obédiences ?

D.R. Les racistes tenteront toujours de tout détourner à leur profit. Mais la génétique, pour peu qu’on la regarde honnêtement, réfute au contraire le récit racialiste. Elle montre tout à la fois les similarités et les différences entre les populations humaines, ici la grande continuité et les apports extérieurs dans la population ashkénaze. En réalité, la connaissance nous donne des armes pour dégonfler les stéréotypes, affaiblir les préjugés. C’est ma conviction profonde.

https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/12/04/la-tyrannie-du-sexe-ideal-ou-le-royaume-des-complexes_6152875_4497916.html

 

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Trouvez-vous votre pénis, votre vulve, suffisamment esthétique ? Suffisamment désirable ? J’espère que oui. Mais maintenant, permettez-moi une question plus sournoise : votre sexe correspond-il à ce que vous voyez sur les écrans ou dans les musées (ne parlons même pas des films pornographiques) ? Et puisqu’on met les pieds dans le plat : votre sexe est-il normal ?

Le décalage entre notre sexe « réel » et le sexe représenté dans les médias fait l’objet d’une grande attention, depuis déjà plusieurs années. Généralement, cette conversation s’arrête à la pornographie. Il y a pourtant d’autres vecteurs de représentations – et qui ne sont pas moins biaisés. Prenons par exemple le monde de l’art. Selon une étude publiée il y a tout juste un mois dans le British Journal of Sexology, la taille des pénis représentés dans la peinture et la sculpture a constamment augmenté lors des sept derniers siècles, avec une forte accélération au XXe siècle.

Quid du sexe féminin ? Si vous avez envie de contempler les premières vulves jamais représentées, je vous recommande l’exposition sur l’art et la préhistoire au (mal nommé) Musée de l’homme. Vous y verrez à peu près la même chose qu’aujourd’hui : des pubis glabres, fendus d’une simple ligne. On est loin de débordements voluptueux de chairs… qui sont pourtant le (gros) lot de bien des femmes.

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Outre nos complexes physiques « généralistes », il faut donc désormais compter avec nos complexes génitaux. Pour en comprendre les mécanismes, une toute nouvelle étude menée en Suède s’est penchée sur l’intimité de plus de 3 500 individus (Institut Karolinska de Stockholm, septembre 2022). Il en ressort, pour commencer par une bonne nouvelle, que l’extrême insatisfaction liée à ses organes génitaux ne concerne que 3,6 % des femmes et 5,5 % des hommes. Tout irait-il pour le mieux dans le meilleur des slips ?

Taille et forme, trop ou pas assez

A voir. Car les choses deviennent plus intéressantes dès lors qu’on entre dans le détail : 29,8 % des femmes et 38,4 % des hommes disent ne pas aimer la taille de leur sexe. Plus précisément, les femmes trouvent que leurs petites lèvres dépassent « trop », tandis que les hommes trouvent leur pénis trop petit. Les chercheurs ont donc demandé aux cobayes de mesurer leur sexe. Première observation : les petites lèvres des répondantes dépassaient de 7,6 millimètres en moyenne, tandis que les pénis en érection atteignaient 12,5 centimètres en moyenne. Ces dimensions sont tout à fait standard. Il n’y a donc pas de complexe à avoir – sauf si on part d’une mauvaise estimation d’à quoi « devraient » ressembler ces organes.

Un détail permet d’ailleurs de préciser ce sentiment d’inadéquation : avec l’âge, les femmes perdent ces complexes liés à l’apparence de leur sexe… mais pas les hommes. Si les femmes gagnent en tranquillité, les hommes restent soumis à une norme de performance dont ils ont les plus grandes difficultés à se démêler (sans doute faudrait-il un chouïa se « démâler »).

Ces complexes ont, bien entendu, des conséquences sur le plaisir, ou sur des formes d’autocensure au moment d’avoir des rapports sexuels. Et pourtant, le facteur le plus important pour se sentir bien dans son sexe consiste à ne pas « encourager » ses complexes : plus on évite les rapports sexuels, plus on évite de recevoir du sexe oral, moins on a l’occasion de découvrir que nos partenaires nous aiment comme on est. Si vous trouvez votre vulve trop « débordante », la solution consiste donc à enchaîner les cunnilingus. Plutôt sympa, comme thérapie ! De la même manière, de nombreuses études ont démontré que la nudité (la vraie, libre et partagée, telle qu’on peut la pratiquer dans les camps naturistes) renforce considérablement sa confiance en soi.

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Malheureusement, le recours au cunnilingus et au naturisme ne semble pas être la voie privilégiée par les grands complexés. Les chercheurs de l’Institut Karolinska ont ainsi eu la surprise de découvrir que sur l’ensemble de la population étudiée, une personne sur huit envisage de recourir à la chirurgie esthétique, malgré les risques et le caractère irréversible des procédures… et ce, soit pour surmonter ses complexes, soit pour « améliorer » encore l’apparence d’un sexe qui pourtant convient parfaitement.

Hiatus entre corps imaginaire et celui réel

Faut-il blâmer la pornographie (comme on le fait souvent) ? Apparemment, non : les personnes intéressées par la chirurgie n’en consomment pas plus que les autres. Le X semble d’ailleurs n’avoir aucun impact sur les complexes : les chercheurs notent que les standards de beauté liés aux organes génitaux sont désormais tellement répandus qu’il suffit d’écouter des gens parler pour les intérioriser (ils citent les blagues sur les petits pénis, ou les remarques douteuses sur les femmes « trop » expérimentées et dont le sexe s’élargirait). Les chercheurs pointent également la nudité trompeuse des séries télévisées ou des films, où les vrais sexes sont de plus en plus souvent camouflés par des prothèses (des faux pénis et des fausses vulves)… dont les formats sont conçus pour correspondre aux normes du gros pénis et de la toute petite vulve - des normes qui se voient donc renforcées en retour.

Malgré la censure qui y règne, les réseaux sociaux sont eux aussi vecteurs de complexes. C’est ce que confirme une autre étude (oui, encore une), menée en Turquie et publiée en novembre 2022 par l’International Journal of Impotence Research. L’équipe de scientifiques a demandé à des hommes de suivre sur Instagram, pendant six mois, le mot-clef #penisenlargement (« élargissement du pénis »). A l’issue de ce curieux exercice, les participants avaient largement perdu confiance dans l’apparence de leur pénis. Ce résultat est d’autant plus regrettable que les posts Instagram concernés induisent en erreur : d’après les chercheurs, seuls 6 % de ces contenus contenaient des informations fiables. A l’heure où j’écris ces lignes, il existe 84 000 posts sous le mot-clef #penisenlargement. Et 53 000 pour leur pendant féminin #labiaplasty.

Que conclure de tout cela ? Pour commencer, que sauf à travailler dans un camp naturiste ou dans un institut d’épilation intime, il y a des chances que votre œil voie plus de corps « imaginaires » que de corps réels : entre le maquillage, les filtres, les retouches et le processus de sélection des images visibles sur n’importe quel support, on s’habitue à des apparences très lisses, ou très spectaculaires. Or ce sont ces corps-là qui sont présentés comme désirables, et que nous voyons occupés à séduire, embrasser, faire l’amour.

Ce qui nous amène à un paradoxe contemporain : même si nos corps évoluent dans le « réel », nous voyons beaucoup plus de corps « imaginaires ». Entre les deux, le décalage se creuse, générant de plus en plus de complexes. Pour le dire autrement, plus les normes d’attractivité érotique se précisent, plus nous sommes nombreux à nous retrouver, de manière de plus en plus brutale, dans la « vallée dérangeante » – ce concept issu de la robotique et qui décrit ce point où les robots nous ressemblent « juste assez » pour qu’ils nous paraissent inquiétants. Sauf qu’au lieu de trouver « dérangeants » les corps imaginaires, c’est le nôtre qui nous devient étranger. Pour faire l’amour, c’est embêtant – vous ne trouvez pas ?

Retrouvez ici toutes les chroniques de Maïa Mazaurette dans « La Matinale ».

 

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L’utilisation de la carte de la conscience du Dr Hawkins est un outil extraordinaire et fascinant pour nous guider à vibrer et rayonner une énergie plus positive et constructive. Il nous permet de comprendre pourquoi on se sent souvent incomplet, pourquoi la vie semble si dure, si injuste. Cette carte fait la différence entre la force et le pouvoir. La survie et la Vie.

 

Mise en garde

Un des blocages majeur de notre bien-être c’est notre petit moi. Celui qui se compare, se juge, se trouve meilleur ou moins bon qu’un autre. De ce fait, parler de niveaux de conscience peut amener à croire que si je suis au niveau d’au dessus alors je suis meilleur que toi et inversement. Rien de plus faux.

Le chemin intérieur vers le bonheur n’est pas linéaire, ce n’est pas une échelle et je crois que c’est unique à chaque personne..

Cette carte de la conscience humaine dont je vais vous parler ici nous concerne tous et on vit tous, tous les niveaux. Ce qui fera la différence c’est notre capacité à choisir à quel niveau on veut opérer. De plus on ne vit pas les mêmes choses suivant les domaines de vie… par exemple je peux être en paix et en harmonie dans mon métier mais dans la peur et la colère dans ma vie de couple… donc pas de généralité, pas de comparaison, et pas de moi je suis au niveau le plus bas donc je suis nulle, okay ?

Pourquoi alors parler de niveaux de conscience ?

Niveaux de conscience humaine

 

 

L’utilisation de la carte de la conscience du Dr Hawkins est un outil extraordinaire et fascinant pour nous guider à vibrer et rayonner une énergie plus positive et constructive. Il nous permet de comprendre pourquoi on se sent souvent incomplet, pourquoi la vie semble si dure, si injuste. Cette carte fait la différence entre la force et le pouvoir. La survie et la Vie.

L’idée, c’est donc de pouvoir se situer tout au long de notre journée, identifier ce qui se joue en nous, lâcher-prise et monter dans les niveaux du pouvoir qui amènent avec eux la paix, l’harmonie, la joie, le rire, l’Amour.

La carte de la conscience humaine

Cette carte a été établie par le Dr David R. Hawkins, physicien, psychiatre, auteur et rare personne réalisée.

Dr Hawkins a passé sa vie à étudié la psychologie et la conscience humaine. Il a guidé des millions de personnes sur le chemin de la réalisation de Soi et a travaillé aux côté de Prix Nobel.

Grâce à des techniques avancées de mathématiques non-linéaires et des études sur des milliers de personnes, il a pu établir une carte qui décrit la conscience humaine. Cette carte est une échelle logarithmique de 0 à 1000 avec des points majeurs comme le niveau du courage à 200 ou celui de l’amour à 500.

Tout en bas de l’échelle des niveaux de conscience on retrouve les énergies les plus négatives et les plus destructrices, la culpabilité et la honte. Tout ce qui est en rouge est destructeur pour la vie. Plus on monte et plus on vibre des énergies positives, plus on a santé et vitalité, plus on est capable de recevoir et de donner.

Il estime que l’humanité est globalement au niveau du “courage” actuellement.

Voici donc l’échelle de conscience du Dr Hawkins:

Niveaux de conscience définis par Dr Hawkinshttps://meggbeniere.com/wp-content/uploads/Les-niveaux-de-conscience-Dr-Hawkins-2-480x315.jpg 480w" data-srcset sizes="(min-width: 0px) and (max-width: 480px) 480px, (min-width: 481px) 639px, 100vw">

Pouvoir contre Force

Dr Hawkins fait la différence entre le pouvoir et la force. En dessous de 200, niveau du courage, c’est la survie, la lutte, la force. On se sent souvent victime d’un monde sans pitié, impuissant face à nos conditions de vie, on ne pense pas qu’on mérite mieux et on ne s’en donne pas les moyens. On a peu d’énergie et souvent des douleurs ou des maladies.

Cela peut être moins dramatique. On peut vivre une vie qu’on n’aime pas, ne pas réussir à profiter, faire des yoyos émotionnels très forts, sentir qu’il nous manque quelque chose, sentir une insatisfaction permanente. Ce qui compte dans ces niveaux, c’est AVOIR.

À partir du niveau de conscience 200, on a enfin équilibré le plus et le moins. On est capable de donner et de recevoir. On a de l’énergie et les personnes situées au niveau de conscience du courage sont les « doers » de ce monde. L’action est devenue plus importante que la possession. Plus on monte et plus on devient une personne qui attire l’abondance, une personne avec qui il est agréable d’être. On passe petit à petit de FAIRE à ÊTRE.

Il faut voir chaque niveau de conscience comme une vibration, une énergie qu’on émet, qui influence alors les gens et le monde autour de nous, et qui crée alors une réponse. Cette vibration peut-être calibrée et placée sur l’échelle de conscience très précisément. Je ne détaillerai pas la méthode de mesure précise proposée par Hawkins, mais avec de l’entraînement, on arrive vite à se positionner dans nos différents moments de la journée.

Une fois qu’on a repéré son niveau de conscience, qu’est-ce qu’on fait ?

 Je vais te partager ici quelques clés pour sortir de la zone rouge !
La meilleure façon reste la technique du lâcher-prise proposée par David Hawkins lui-même. Elle se pratique au quotidien et partout.
Je forme chaque année des hommes et des femmes à vivre au niveau du courage notamment dans ma formation étincelle que tu peux retrouver en ligne. J’enseigne la méthode en générale et niveau par niveau. 

Voici 3 étapes fondamentales :

  1. La première étape indispensable c’est d’être okay avec le niveau dans lequel on se trouve. Cela fait partie de notre humanité et on est seulement responsable de ce qu’on en fait. Si tu réussis à repérer dans quel niveau de conscience tu es, et que tu décides de vibrer autre chose, tu as déjà fait le plus gros travail !
  2. Une fois que tu as repéré que tu es par exemple en colère, ou frustré.e, dis-toi “je suis en colère car j’ai de la colère en moi” ou bien “je suis frustrée car j’ai de la frustration en moi”. Tu vas rire mais peu de gens réussissent cette étape car c’est plutôt “je suis en colère car le voisin a réveillé ma fille”. Ici tu reprends ta responsabilité et tu commences à reprendre ton pouvoir et donc tu es déjà dans un tout autre niveau de conscience. Et surtout tu fais taire ton mental.
  3. Maintenant laisse ta colère être. Laisse-la faire ce qu’elle veut faire. Ressens-la dans ton corps. Lâche prise. Si des résistances arrivent, et bien recommence. Ensuite une fois l’émotion lâchée, il peut en avoir une autre de la zone rouge qui apparaît comme la tristesse ou la fierté. Pareil, on reprend l’étape une. “Bonjour tristesse”.

L’idée principale c’est d’arriver au niveau du courage. C’est là qu’on sort de nos émotions négatives et qu’on peut agir et faire des choix en conscience qui peuvent résoudre notre problème.

Des blocages majeurs qui nous empêchent de sortir de la zone rouge sont tous les avantages qu’on y trouve à penser négativement. Pose-toi la question : Qu’est-ce que ça m’apporte d’être à ce niveau ? Repérer ces gratifications et les laisser partir permet de se libérer et de vraiment lâcher prise.

Quand on lâche prise, on ressent alors un soulagement immédiat, une paix intérieure. Comme quand on se dispute et puis que d’un coup on se met à rire car la scène vient de nous apparaître vraiment stupide.

C’est un processus naturel. Les émotions négatives ne sont pas faites pour durer plus de quelques secondes. Elles sont comme des nuages derrière lesquels nous sommes en fait éternellement heureux. Tout en lâchant prise sur les émotions négatives, il est important de ne pas résister à leur opposé positif qui a pu être dévalorisé dans notre société. Et là c’est souvent encore plus difficile. Nous sommes terrifiés d’être heureux vraiment !

Si tu veux découvrir un des outils que j’adore pour mettre en mouvement ses émotions, tu peux accéder à ma formation  :  focus sur le yoga danse, gratuite pendant 10jours ! 

Et bien sûre tu peux explorer en profondeur les niveaux de conscience au dessus du courage en accédant à tous mes enseignements ici : Marche ton Eveil. Tout est au même endroit. Va et explore la plateforme gratuitement ! 

Je voulais ici principalement te faire découvrir cette échelle des niveaux de conscience de l’humanité et j’espère que c’est réussi !

Tu peux aussi te procurer les livres de David R. Hawkins. Seul son livre “Pouvoir contre Force” est traduit en français.

Commente ci-dessous si tu as des questions ou que tu veux partager quelque chose.

Merci.

À vite,

Meggane

 

 

hcq 13.12.22

Le Temps 12.12.22

https://www.letemps.ch/suisse/toujours-plus-jeunes-femmes-hospitalisees-troubles-psychiatriques

 

Les jeunes femmes ont aussi été plus nombreuses à s’infliger des lésions ou à faire des tentatives de suicide, selon les données de l’OFS. — © nikkimeel / Getty Images/iStockphoto

 

 

Entre 2020 et 2021, les problèmes mentaux sont devenus, pour la première fois, la principale cause des hospitalisations chez les 10-24 ans. Le point avec Kerstin von Plessen, cheffe du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV

 

De nombreux signaux l’indiquaient: la pandémie a dégradé la santé mentale d’une grande partie de la population. La tranche des jeunes femmes de 10-24 ans a particulièrement souffert, révèlent les chiffres publiés lundi par l’Office fédéral de la statistique.

«L’année 2021 a vu une hausse sans précédent des hospitalisations pour troubles psychiques chez les jeunes femmes de 10 à 24 ans, de 26% par rapport à 2020, à plus 6% pour les hommes du même âge», commence l’OFS. La situation des plus jeunes inquiète: la hausse des hospitalisations va jusqu’à 52% pour les 10-14 ans entre 2020 et 2021. «En 2021, 2015 filles de cette tranche d’âge ont été hospitalisées pour troubles psychiques, soit 1 personne sur 100 dans cette catégorie de la population», précise l’office.

«Ces chiffres correspondent à ce que l’on observe sur le terrain», affirme Kerstin von Plessen, cheffe du service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV, et professeure à l’Unil. «En psychiatrie et psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent, le taux de demandes d’hospitalisation pour les jeunes filles a augmenté et les troubles des patients âgés entre 10 et 14 ans se manifestent différemment. Auparavant, beaucoup de garçons dans cette tranche d’âge montraient des troubles du comportement, comme le TDAH, reflétés par des problèmes à l’école. Aujourd’hui, nous observons plus de jeunes filles, avec des troubles de l’humeur, de la personnalité, des angoisses et des dépressions», poursuit-elle.

Lire aussi: Pensées noires des jeunes, difficulté à appeler un psy, clichés tenaces: la santé mentale des Suisses à la loupe

Les 10-14 ans particulièrement touchés

Le service de psychiatrie du CHUV pour jeunes a vu arriver de nombreuses adolescentes avec des pensées suicidaires. «Avant la pandémie, il y avait moins de demandes de prise en charge psychiatrique dans la tranche d’âge des 10-24 ans. Avec la pandémie, la société a beaucoup thématisé la santé mentale, et les parents sont de plus en plus vigilants», explique la spécialiste. «L’isolement des semi-confinements a péjoré la situation. Les jeunes ont passé beaucoup de temps derrière un écran et moins avec leur cercle social. Ils étaient plus confrontés à leur propre image, aspirés par les réseaux sociaux. Il est plus difficile de mettre de la distance avec des contenus qui renvoient une image négative de soi lorsque l’on est seul derrière un écran plutôt que dans l’espace public, dans un environnement vivant», illustre-t-elle.

Lire aussi: Les hôpitaux accueillent toujours plus d’adolescents dans un état dépressif grave

Les jeunes femmes ont aussi été plus nombreuses à s’infliger des lésions ou à faire des tentatives de suicide, selon les données de l’OFS. Plus de 3100 hospitalisations de jeunes de 10-24 ans «dues à des lésions auto-infligées ou tentatives de suicide» ont été enregistrées en 2021, soit une hausse de 26% par rapport à 2020. Et 70% de ces hospitalisations sont attribuées à des patientes. Les données montrent que les jeunes femmes de 15 à 19 ans ont été les plus nombreuses à commettre «un acte autoagressif», mais c’est dans la tranche d’âge de 10 à 14 ans que s’est produite la plus forte augmentation, de plus de 60%. «Avec 458 cas en 2021, les filles de 10 à 14 ans ont été 11 fois plus souvent hospitalisées pour ce motif que les garçons du même âge», indique le communiqué de l’OFS.

Lire aussi: Ces jeunes reclus chez eux, derrière leurs écrans

«Ces chiffres sont inquiétants, et font seulement état des hospitalisations. Mais que se passe-t-il dans la prise en charge avant qu’un jeune ne soit hospitalisé? C’est la question à laquelle il faut tenter de répondre», soutient Kerstin von Plessen. «L’hospitalisation est généralement décidée en dernier recours, car elle coupe les jeunes de leur environnement. Il faut s’impliquer en amont. Améliorer la promotion de la santé mentale dans les écoles, renforcer les liens entre la médecine scolaire, les cabinets de pédopsychiatrie, les prises en charge dans les institutions publiques, en ambulatoire ou en soins intermédiaires. Il faudrait dans tout le canton un accès à un pédopsychiatre dans un temps acceptable», précise-t-elle. Pour accroître l’offre de prise en charge, les prestations psychiatriques ambulatoires, les équipes mobiles et les centres de jour, sans nuit passée à l’hôpital, sont appelés à devenir plus importants et pourraient constituer une solution pour accroître l’offre de prises en charge.

Lire également: Antoine Hubert: «Il faut une révolution dans le système de santé»


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