«A une époque où chacun peut donner son avis et détourner les données scientifiques, [elle] souhaite sortir la psychologie des laboratoires de recherche.» Depuis le 1er juillet, la psychologue pour enfants Caroline Goldman prend le micro de France Inter tous les matins pour une chronique estivale. L’objectif ? «Des conseils aux parents pour aider leurs enfants à s’épanouir, et partager des idées pour répondre à leurs grandes questions, à travers le prisme éclairant de la psychanalyse…»
Depuis quelques mois, la fille aînée du chanteur Jean-Jacques Goldman émerge comme une figure médiatique. Ou plutôt une contre-figure, puisqu’elle s’érige en opposition à Isabelle Filliozat, une psychothérapeute qui a importé (à sa sauce) les méthodes d’éducation positive nées aux Etats-Unis.
Si l’on s’en tient à ses grandes déclarations dans les médias, qui lui offrent une couverture généralement favorable, à l’instar de sa carte blanche sur Inter, cette docteure en psychologie de l’enfant propose une position qui semble mesurée et équilibrée. En préambule de son propos, elle insiste généralement sur le fait qu’un certain nombre de pratiques éducatives dépassées, mais encore très courantes, sont à proscrire d’urgence : «Ne pas taper, ne pas menacer de violence, ne pas crier (cela exciterait encore plus son agressivité et serait donc contre-productif – vous ne pouvez pas perdre votre contrôle devant lui tout en exigeant de lui qu’il le fasse). […]. Ne pas blesser son narcissisme (“tu es insupportable, nul, tu nous épuises…”)» Selon elle, il ne faut pas non plus «laisser pleurer un nourrisson dans son lit sans venir le réconforter», «forcer un enfant à finir son assiette» ou encore «le punir pour une mauvaise note».
Le père doit «incarner la loi et intimider l’enfant»
Dans le même temps, elle estime qu’il ne faut pas «penser qu’enfant et adulte en seraient au même stade de maturité et qu’à ce titre, toute autorité équivaudrait à un abus d’autorité». Elle s’en prend ici à l’éducation positive, qui s’est engouffrée dans le reflux de la psychanalyse, de plus en plus marginalisée par les progrès des recherches, notamment en neurosciences, comme l’écrivait déjà Libération en 2015. Or, c’est bien la psychanalyse que Caroline Goldman, elle, compte réhabiliter.
Ce qui la conduit à émettre des propos très définitifs, parfois obscurs… souvent surprenants. Comme lorsqu’elle affirme que «la “non-conformité de genre” revendiquée et grandissante des jeunes d’aujourd’hui s’inscrit» fréquemment dans «une quête de puissance» infantile, qui fait suite à une «illusion d’être tout, c’est-à-dire à la fois d’être masculin et féminin». Ou que «la psychanalyse a objectivé depuis bien longtemps l’existence d’une violence primaire du petit enfant». Concernant «le père», il doit «incarner la loi et intimider l’enfant», assure Goldman. La mère ? «Elle doit contribuer à donner au père cette fonction symbolique (exemple : “Je dirai à ton père ce que tu viens de me dire”)». Ainsi, «la présence du père est très importante le soir au dîner» pour «tenir compagnie à la mère en lui offrant une conversation stimulante et agréable, l’aider sur le plan de l’intendance, et cadrer l’(es) enfant(s)».
Caroline Goldman anticipe toutefois le procès que l’on pourrait faire à ces propos particulièrement genrés et hétéronormés : «Un jour, probablement, les mères et les pères auront exactement les mêmes fonctions auprès des enfants», estime-t-elle. Mais en attendant, les psychanalystes sont «forcés de composer avec des réalités biologiques et culturelles de terrain».
Dans son podcast, qu’elle anime depuis mars 2022, Caroline Goldman explique vouloir combler le «fossé» qui existe entre les «contre-vérités médiatiques» et les avancées récentes de la science en termes de développement de l’enfant et de parentalité. Nous avons donc interrogé des chercheurs spécialisés dans les questions liées à la psychologie et au développement de l’enfant, ou des neurosciences, à la fois sur la philosophie défendue par Caroline Goldman, mais aussi sur certaines de ses affirmations marquantes.
«Nous sommes plusieurs chercheurs à avoir prévenu France Inter»
Première surprise : à l’évocation du nom de la psy anti-éducation positive, plusieurs chercheurs se braquent. «Je ne voudrais pas servir de faire valoir à Mme Goldman, même a contrario, ou être le prétexte à ce qu’elle reçoive encore davantage d’écho, indique ainsi un spécialiste de la psychologique du développement. Nous sommes plusieurs chercheurs à avoir prévenu France Inter, pour leur faire part de notre étonnement. Pourquoi lui donner autant la parole ? A fortiori sans contradiction.» En cause, notamment, la «confusion» qu’apporterait la nouvelle chroniqueuse matinale : «Elle défend le time out, qu’on retrouve dans l’éducation positive, relève un chercheur. Mais elle sous-entend que le reste serait à jeter.»
Le time out (littéralement «temps mort») est en effet central dans l’approche de Caroline Goldman. Son livre s’intitule File dans ta chambre ; la méthode qu’elle préconise consiste à «exclure [l’enfant] dans sa chambre où [le parent] le laissera pleurer derrière la porte» pour se faire obéir.
Au fil des pages, la psychologue pour enfants détaille : face à des «transgressions», par exemple le fait qu’un enfant «parle trop, trop fort, crie, ou coupe la parole», il convient de «l’exclure immédiatement dans sa chambre ou toute autre pièce sécurisée et éloignée de l’espace commun (sans écran), économiser les mots [et] fermer la porte». S’il «n’obéit pas lors de la mise en place de la punition», votre «seul argument pour le faire plier à votre ordre doit être un allongement du temps d’exclusion, et rien d’autre (“Tu viens d’ajouter vingt minutes de plus dans ta chambre”)». Un système qui selon elle «permet de ne pas tomber dans l’escalade de la violence répressive» tout «en restant respectueux de l’intégrité psychique et physique de votre enfant».
Une «méthode Goldman» qui compte de nombreux détracteurs, qui n’y voient qu’une technique de «dressage». Ce à quoi la psy répond qu’il y a un «consensus international scientifique» sur cette pratique du time out. C’est en fait plus compliqué que ça. Pour faire court : il y a bien une forme de consensus international autour du time out, mais ce dernier est assez éloigné de la méthode que préconise Goldman.
Le «vrai» time-out consiste à «réduire le comportement inacceptable de l’enfant» en imposant un «temps mort temporaire [des stimulis] positifs» auxquels il pourrait être exposé. Pour y parvenir on peut utiliser des techniques comme le fait «d’arrêter de [lui] prêter attention, de le placer sur une chaise particulière ou dans un coin de la pièce, ou encore dans une pièce différente».
Alors quelle différence avec ce que préconise la psychologue ? «Caroline Goldman propose “d’ajuster le temps d’exclusion en fonction de la gravité de la désobéissance”, jusqu’à des durées très longues (une demi-heure ou plus), relève par exemple Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives et directeur de recherche au CNRS. Cette recommandation est en contradiction totale avec les résultats de la recherche, qui ont montré qu’au-delà de cinq minutes, l’efficacité du temps mort sur le comportement de l’enfant ne s’améliorait pas, alors qu’au contraire les effets indésirables associés aux punitions augmentent avec leur sévérité et donc avec la durée.» Idem sur l’âge : Caroline Goldman préconise sa méthode dès 1 an. Ce qui est, de l’avis général des chercheurs, «démesuré». Les recherches qui montrent l’intérêt du time out ont toutes été menées sur des enfants plus âgés, en mesure de comprendre le comportement qui leur est reproché, à partir de 2 ans.
Time-out dans le cas «de fuites nocturnes»
Dans son livre, la psy de France Inter préconise même l’utilisation du time out dans le cas de «fuites nocturnes» (pipi au lit) lorsque «l’enfant a les moyens physiologiques et psychologiques d’être propre, mais ne fait pas d’effort pour se retenir». Pour Franck Ramus, «une telle punition n’a aucune chance d’être efficace, car elle est donnée de nombreuses heures après le comportement d’incontinence» : «Les punitions ne peuvent diminuer l’occurrence d’un comportement que lorsqu’elles sont données immédiatement après, explique le chercheur à CheckNews. Par ailleurs, dans ce cas particulier, il est sans doute bien difficile pour le parent de déterminer dans quelle mesure l’incontinence serait réellement intentionnelle et évitable.»
Plus largement, là où Goldman en fait l’alpha et l’oméga de sa méthode, le docteur en psychologie du développement Frédérick Russet note que le time out n’est qu’un outil parmi bien d’autres. Et qu’on le retrouve dans les programmes… d’éducation positive, que Caroline Goldman fustige à longueur d’ondes.
Le programme «Incredible Years», par exemple, que ce psychologue clinicien utilise pour accompagner des parents au CHU de Montpellier, vise à «prévenir, réduire et traiter l’agressivité et les problèmes émotionnels». On y trouve une pyramide éducative, dont la base est constituée par les comportements dont les parents doivent se servir à profusion : «les jeux menés par l’enfant» ou «les encouragements et félicitations» par exemple, «afin de construire avec l’enfant une relation positive, seule base possible pour un apprentissage», insiste Frédérick Russet. A l’inverse, tout en haut de la pyramide, on retrouve les méthodes utilisées pour «prévenir et réduire les comportements inappropriés» et qui doivent être utilisés avec parcimonie. Parmi ces derniers, on retrouve des méthodes comme le time out, à utiliser donc en dernier recours.
«Il y a un consensus scientifique international pour dire que le time out est un ingrédient acceptable et qui peut être utile pour réguler le comportement d’un enfant, mais ce n’est pas le plus important, et il est inopérant seul, résume Ramus. Il n’est efficace que dans le cadre d’un programme de renforcement positif (qui n’est pas ce que promeut Caroline Goldman).» Contactée, la psychologue anti-éducation positive n’a pas souhaité répondre à nos questions dans l’immédiat.
«Les troubles du comportement explosent en France»
L’autre argument massue de la psy pour enfants consiste à dire que «les troubles du comportement explosent en France, notamment en raison des écueils d’une éducation positive largement relayée dans les médias depuis une dizaine d’années». Ainsi, selon elle, «les acteurs de la pédopsychiatrie doivent traiter de plus en plus de cas d’enfants avec des troubles du comportement liés à un manque de limites éducatives». Au point que 75 % des enfants reçus en pédopsychiatrie aujourd’hui en souffriraient, assure-t-elle.
Dans l’épisode de son podcast consacré aux troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), elle explique par ailleurs que «certaines maladies naissent de laboratoires pharmaceutiques et sont conçues secondairement… Parce qu’une solution pharmacologique a révélé un pouvoir d’action sur certains symptômes». Sous-entendu à peine caché : les diagnostics de troubles de l’attention serviraient à engraisser les labos. Les TDAH constituent-ils vraiment une maladie fabriquée de toutes pièces ou connaissons-nous une véritable épidémie causée par l’éducation positive ? Au-delà de la contradiction même des arguments avancés par Caroline Goldman, tous les chercheurs interrogés par CheckNews rejettent en bloc ses développements.
«Sur les troubles du comportement, elle a un discours qui est dangereux, tranche Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation. On est dans un pays où les TDAH sont très mal pris en charge, et elle laisse entendre que c’est à cause de l’éducation positive. Alors que pour l’ensemble de la communauté scientifique, cela s’appelle des troubles neurodéveloppementaux, et ça n’a rien à voir avec un modèle de parentalité !»
Franck Ramus abonde : «Je ne connais pas d’étude épidémiologique qui montre une augmentation de la prévalence des troubles du comportement. La seule étude qui serait en mesure de le montrer est Enabee, qui a mesuré la prévalence de ces troubles pour la première fois en 2022, ce qui permettra de suivre les évolutions au cours des années futures.»
«Ce n’est pas de la science»
Frédérick Russet s’étonne aussi des affirmations péremptoires de Caroline Goldman sur le sujet : «A ma connaissance elle ne cite aucune étude. Elle dit “je le vois en consultation” et je peux lui répondre que moi, ce n’est pas ce que je vois. Ce n’est pas de la science.» Le chercheur n’exclut pas qu’il puisse y avoir une hausse ces dernières années, «mais il y a bien des facteurs que l’on pourrait citer avant d’envisager un lien quelconque avec l’éducation positive. Ce sont d’abord des troubles et difficultés de l’enfant, ainsi que des dynamiques familiales fragiles, qui sont mieux orientés et pris en charge. Ensuite, il y a plus de parents isolés, sans système familial d’aide, et plus généralement des parents qui sont pris dans des rythmes de vie exténuants et moins disponibles. Il faut aussi noter qu’on sort de plusieurs confinements».
Pour Grégoire Borst, il est important de relever que «tout ce discours de Caroline Goldman s’inscrit dans le courant psychanalytique, qui considère par exemple que les troubles du spectre autistique sont liés à des problématiques mère-enfants». Ce que la psy suggère effectivement dans son podcast, quand elle cite par exemple cette mère, qui a «sans le vouloir empêché la subjectivité de ses enfants de se déployer», ce qui a pu conduire à «des diagnostics» de troubles du spectre de l’autisme. «Quand elle parle de psychoses infantiles, terme qui n’est plus employé nulle part [il a été progressivement abandonné depuis les années 80 au niveau international, ndlr], c’est la même chose. Là encore, c’est un discours dangereux.»
Comme beaucoup de psychanalystes, Caroline Goldman utilise ainsi les «tests projectifs» (comme le test de Rorschach par exemple, où l’on demande au patient de décrire des taches symétriques), pour «localiser la ou les fixations psychopathologiques de l’enfant», explique-t-elle dans un podcast où elle défend cette méthode. Les chercheurs interrogés par CheckNews s’accordent tous pour dire que ces tests «n’ont aucune validité scientifique établie» et qu’il «n’y a guère que les professionnels imprégnés de psychanalyse y croient encore». Une spécificité française, selon les chercheurs étrangers. «Les Français sont parfois surpris de l’apprendre, mais ils vivent dans un des derniers bastions du freudisme», s’amusait par exemple dans les Jours le psychologue belge Jacques Van Rillaer.
«Recette de cuisine»
La plupart des chercheurs interrogés critiquent enfin l’approche «recette de cuisine» de Goldman. Il faut dire que la psychologue propose carrément «d’apaiser de façon pérenne les liens parents-enfants» grâce à sa «feuille de route». «Ce genre de livres, de méthodes, rajoutent des injonctions sociales, regrette Anne Bobin-Bègue, maîtresse de conférences en psychologie du développement à l’université Paris-Nanterre. On doit se positionner, on doit choisir son camp : Isabelle Filliozat ou Caroline Goldman. Ça n’aide personne, parce que ça ne marche pas. Ça met en échec des parents, donc ça met en difficulté des enfants.»
La chercheuse sauve tout de même une idée qu’elle trouve intéressante «chez Goldman» : «Contrairement à Isabelle Filliozat, elle a quand même cette proposition qui est d’être attentive aux parents. De dire qu’on n’est pas parfait, que notre temps n’est pas illimité, relève-t-elle. On en revient au contexte : on ne choisit pas toujours ses horaires de travail par exemple. Et ça, ça va jouer sur les choix qu’on fait, le temps qu’on peut passer avec son enfant à expliquer telle ou telle chose. D’ailleurs, c’est pour ça que le time out peut être utile : pour que tout le monde puisse souffler, l’enfant, mais aussi les parents.»
L'éducation positive en débat
Cet article s’inscrit dans une série d’articles de CheckNews. Un prochain sera consacré aux arguments de la psychothérapeute Isabelle Filliozat, papesse de l’éducation positive.