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Chaque personne entretient un rapport différent à sa petite voix intérieure.
.D’ailleurs, le génie des mots va dans ce sens : nous n’opposons pas « expliquer » à « comprendre » dans le langage ordinaire ; nous expliquons pour comprendre et nous comprenons quand on nous a expliqué ; même s’il y a dans compréhension quelque chose d’irréductible, voire de génial, il n’est pas de compréhension qui ne doive se justifier pour se communiquer ; par conséquent qui ne doive donner ses raisons et les faire valider. Si on coupe « comprendre » d’« expliquer », on tombe dans le subjectivisme de la compréhension.
Cette dialectique est la clé de ce qui a été appelé le cercle herméneutique: en toute compréhension le sujet est impliqué d’une façon sans parallèle dans la connaissance naturelle par objet. Mais que veulent dire « sujet » et « objet » ?
De ces questions radicales dépend la juste compréhension du cercle entre « compréhension de texte » et « compréhension de soi ». C’est la juste compréhension de ce cercle herméneutique qui est l’horizon de notre problème. Mais nous ne pouvons commencer par là ; il faut y arriver par le long détour d’une théorie du texte. Ainsi, serons-nous fidèles à notre manière au mot de Heidegger :
« Le problème n’est pas d’éviter le cercle, mais d’y entrer correctement »
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"La fin d'une civilisation" par Marcel de Corte
Soucieux du réel, De Corte se garde de parler de LA Civilisation mais d'UNE Civilisation, précisant d'emblée que «l'appel à l'universalité est pour une civilisation l'appel de la mort».
Peu soucieux d'être à la mode, il ne craint pas d'affirmer : «Il existe des civilisations gonflées de sève et des civilisations stagnantes. La loi de la vie et de l'être est l'inégalité concrète.»
Cet inlassable observateur, à l'instar du vieux Georges Sorel, socialiste révolutionnaire intégral, ne croit pas aux illusions du progrès : «Nous voyons l'une après l'autre les fonctions de la vie civilisée : les mœurs, l'art, la science, la philosophie, la politique, la société, la religion, atteintes par un implacable processus de décadence.» Et il ajoute : «Ce monde n'est plus qu'une terre abstraite, grise, uniforme?»
Les causes de ce déclin sont pour lui évidentes : la rupture de la liaison avec la nature et la tendance à s'universaliser (on dirait aujourd'hui à se mondialiser). En un mot, il s'agit d'un abandon des racines et des traditions.
Curieusement, ce disciple de Simone Weil rejoint Nietzsche quand il évoque «la notion ésotérique du cercle», cet éternel retour, car «le cycle n'est pas une chose, il est la vie elle-même».
Son analyse, à qui veut réfléchir, est imparable :
Critiquant tout à la fois d'égalitarisme et l'individualisme, la civilisation de masse ou le nihilisme, il énumère les réalités qui seules à ses yeux, pourraient enrayer le processus d'une décadence qui semble irréversible : ce sont la famille, le métier, la commune, la région (qui est pour lui la vraie patrie)…
«C'est à la restauration et à l'adaptation aux conditions actuelles de ces communautés concrètes où les hommes, par leurs échanges continus, se sentent responsables les uns des autres et soumis à un même destin, que nous devons, contre vents et marées, nous attacher. En ces cellules sociales relativement réduites (…) où les hommes se situent concrètement les uns par rapport aux autres.»
Même si la situation peut apparaître désespérée, il faut pourtant lutter : «Il s'agit donc pour l'homme moderne de tenir coûte que coûte, s'il le faut avec héroïsme, les foyers de vie authentique, au niveau élémentaire qui subsiste encore.»
Ce chrétien reste un homme de la terre, de la Création : «Toute vie commence par en bas, par la souche. A tout prendre, l'homme n'est peut-être qu'un végétal raisonnable dont les racines plongent jusqu'aux mystérieuses sources nourricières.»
Langage qu'un authentique païen ne pourrait certes récuser.
Une civilisation par Marcel de Corte
Une civilisation vivante - et même une civilisation morte, dans la mesure où nous tentons d'en ressusciter l'âme - ne laisse d'ailleurs pas d'être mystérieuse et de diffuser sur nous plus de lumière que nous n'en projetons sur elle. Mais cette structure spécifique de la civilisation nous permet précisément d'en dégager l'axe principal. Si la civilisation nous détermine plus que nous ne la déterminons, si elle constitue, selon un mot fameux, un état dont nous recevons davantage que nous ne lui donnerions par le travail personnel de toute existence, c'est parce qu'elle ne dépend que dans une faible mesure de la lucidité humaine et des buts que celle-ci se fixe rationnellement. En fait, homme travaille, souffre et parfois meurt pour édifier une civilisation, mais le résultat de son effort est moins l'oeuvre de son esprit et de sa volonté que d'une exigence d'être et de vivre qui l'habite. Projeté dans le monde par sa naissance, c'est le rapport de son être au monde qui exige en lui ce mode d'expression que nous appelons civilisation. En ce sens, la civilisation est un phénomène tout aussi naturel que la croissance d'un arbre ou le développement d'un animal. L'action de l'être universel sur son être tend invinciblement, comme toute action, à se traduire et à s'exprimer. On pourrait dire à cet égard que la civilisation est la réceptivité créatrice par excellence : elle capte les messages du monde, non pas à la manière d'un mécanisme monté par homme, mais à la façon d'un organisme vivant, et elle leur confère, par le pouvoir créateur de sa vitalité, une signification et un contenu humains : elle charrie vers homme l'essence du monde qu'elle distille. Il n'est donc pas étonnant qu'une civilisation naissante soit très proche des aspects du monde les plus immédiats et les plus sensibles : par la sensation, homme s'enracine directement dans l'univers et la civilisation où il s'exprime à ce stade a quelque chose de l'épaisseur et de l'obscurité amorphe de cette puissance d'accueil que traversent parfois des éclairs, ainsi que nous le montrent les vestiges de l'art préhistorique.
Or expression et impression sont corrélatives. La capacité de don est équivalente à la capacité d'ouverture et plus homme dilate son âme en présence du monde : son prochain, la nature, la beauté, Dieu, les mille et un secrets que murmure l'être, plus il est apte à les exprimer, d'une manière quelconque, tels qu'ils sont.
Celui qui se ferme, au contraire, ne tirera de soi-même qu'une émanation de soi dont l'image se superpose au réel et le masque ou l'étouffe. Le langage vulgaire est ici très significatif. Nous disons d'une parole, d'un tableau, d'un chant, d'un silence ou d'un regard qu'ils sont expressifs, non pas en ce qu'ils révèlent simplement un état d'âme, mais en ce qu'ils découvrent une présence réelle et en ce qu'ils communiquent la relation que l'âme a nouée avec elle. Ces modes d'expression « disent quelque chose » dans la mesure où elles ont perçu « quelque chose », et l'activité qui s'exonère dans l'expression n'est pleinement créatrice que lorsqu'elle est pleine d'une présence effective qu'elle a captée. Ainsi en est-il de l'expression-type que nous appelons civilisation : elle crée parce qu'elle reçoit, elle fleurit et fructifie parce qu'elle plonge dans l'univers des racines qui en ramassent les sucs nourriciers. Ces deux mouvements n'en font qu'un et, loin d'être opposés comme le haut et le bas séparés l'un de l'autre, ils sont complémentaires et participent à la même verticale.
Dans l'univers dont la civilisation traduit le rapport à homme et qu'elle rend humain, se détache homme luimême, uni à son semblable par des relations physiques; par des liens de sang et de parenté qu'il n'a pas créés de toutes pièces et qui s'imposent à lui avec la force irrésistib]e d'une évidence naturelle. Ce n'est pas l'esprit, la raison ou la volonté délibérée qui les engendrent, mais la vie et son vceu inné d'expansion. Le rapport de homme à homme au sein du groupe familial est antérieur au rapport de homme au monde et s'éprouve comme la plus immédiate des données. Il est inclus dans la chair de l'être humain et il constitue homme tout entier. Il n'est pas le produit de l'art, de la technique ou de l'industrie, mais le jet qui jaillit de la source même de la vie, lance homme dans l'existence, corps et âme, avec tous ses caractères concrets, et le place en face de son semblable dans une relation première au-delà de laquelle ne se situe aucune autre, sauf celle qui le relie au principe même de l'être. Toutes les civilisations ont leur origine en ce rapport primitif qu'auréole un nimbe religieux. Partout, les civilisations naissantes sont associées au groupement social pris en son sens organique de communauté parentale (famille, clan, tribu, genos,)
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.. Plaidoyer pour une Civilisation nouvelle ..
...suivi de L'Enracinement un trésor politique pour "temps de crise" ....
par Simone Weil
https://www.homocoques.com/d0301.23_Enracinement.htm
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Tout semble converger vers ce point de grandeur où, comme l'écrit Simone Weil, «le génie créateur de beauté, le génie révélateur de vérité, l'héroïsme, la sainteté sont indiscernables». Tout prend sa source dans la notion sacré, en effet, et tout y converge. En développant, en ouverture de son «grand oeuvre», une déclaration, non pas des droits mais des devoirs de l'homme envers l'être humain, Simone Weil pratiquait consciemment rupture avec l'idéologie des droits de l'homme de 1789. C'est la lumière du bien absolu dont l'exigence habite au coeur de l'homme qui va imprégner tous les développements qui suivent, car « la foi est plus réaliste que politique réaliste». Les grandes notions de liberté, de démocratie et de droits de l'homme appartiennent à ce qu'elle appelle la zone des valeurs moyennes. Surplombant ces valeurs moyennes, et destinée à les enrober et à les élever à une notion supérieure, que Simone Weil appelle le « bien pur» et qui était pour Platon le soleil du Bien, doit servir de ciment à une reconstruction de la cité. «Au-dessus des institutions destinées à protéger le droit, les personnes, libertés démocratiques, il faut en inventer d'autres destinées à discerner et à abolir tout ce qui, dans la vie contemporaine, écrase les âmes sous l'injustice, le mensonge et la laideur»
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Aider ses contemporains à sortir de « l'atroce misère au fond de laquelle [ils] gisent», aider la France à retrouver son âme, telle est la mission que Simone Weil s'est donnée, du fond de son isolement et bien qu'elle ne nourrisse plus d'illusion quant à la prise en considération de ses écrits. Ce plaidoyer pour une civilisation nouvelle, dont Michel Alexandre, disciple d'Alain, a pu écrire que cela « rouvre tout (sans utopie! - dominant Marx, reprenant l'Évangile et Kant) », surmonte le désespoir par le recours à cette certitude empruntée aux Anciens que «ce qui fait obéir la force aveugle de la matière n'est pas une autre force, plus forte. C'est l'amour». Ce «grand oeuvre» abandonné fait apparaître dans les dernières pages un ultime face à face de la force et de l'amour: «[l'homme] n'est certes pas le seigneur et maître de la nature..... mais il est le fils du maître, l'enfant de la maison. La science en est la preuve. Un enfant tout jeune dans une riche maison est en bien des choses soumis aux domestiques; mais quand il est sur les genoux de son père et s'identifie à lui par amour, il a part à l'autorité. » Cette intuition d'un rapport filial s'énonce au même moment, en termes plus philosophiques, dans le «carnet de Londres» avec une référence implicite à Platon : « Quelque chose de mystérieux dans cet univers est complice de ceux qui n'aiment que le bien". »
C'est donc sur un message d'espoir que se clôt ce maître livre, cependant que son auteur, une femme de trente-quatre ans, va bientôt mourir, et de désespoir; car elle a oublié qu'elle était, elle aussi, la fille du maître, l'enfant de la maison. >>>>>>>>>>>>>>>>
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Bac: «Jusqu’où ira-t-on dans la facilité, la médiocrité?»
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«Le phénomène de la ( hq : de l'écrit de sa ... )petite voix intérieure n’est pas universel»
Paris, le 17 juin : portrait de la linguiste Hélène Lœvenbruck (Paul Rousteau/Libération)
Rencontre avec la chercheuse en linguistique et neurocognition Hélène Lœvenbruck, autrice d’un livre qui décortique une activité mentale très commune: se parler à soi-même
Nous nous parlons un quart du temps à nous-mêmes. Une activité silencieuse et industrieuse : lister des choses à faire, réciter des vers, fredonner un air, se motiver pour un rendez-vous, rejouer un conflit… C’est la fameuse «petite voix», si intime, qui semble se démultiplier quand on se rappelle une conversation ou quand on a l’impression d’écouter quelqu’un d’autre parler dans notre tête. Hélène Lœvenbruck les apprivoise et les décortique à sa manière dans le laboratoire du CNRS de psychologie et neurocognition à Grenoble qu’elle dirige (1). Dans un essai richement référencé, la linguiste montre combien le phénomène du langage intérieur se situe à la croisée de plusieurs disciplines, neurosciences, philosophie, psychiatrie, psycholinguistique et littérature, et combien il n’a pas encore livré tous ses secrets. Entretien.
Qu’est-ce que le langage intérieur ?
C’est la parole formulée dans sa tête, qui est antérieure à l’émission de la parole à voix haute. On l’appelle endophasie. La strate la plus développée correspond à celle qu’on entend dans sa tête quand on récite un poème par exemple. Mais certaines phases peuvent être moins formulées, parfois juste des mots, parfois seulement un concept. Parfois on décide de parler dans sa tête, consciemment, par exemple en se répétant une liste de courses. A d’autres moments, ce n’est pas conscient.
Comment ça pas conscient ?
C’est le fameux vagabondage mental, que défend Gabriel Bergounioux (1). On pourrait le comparer à une sorte de magma avec des éruptions de temps en temps. Vous regardez la colonne de la Bastille, elle suscite une pensée peut-être pas très intéressante qui va passer sous le seuil de la conscience, puis une autre à laquelle on prête cette fois-ci attention. Mon sentiment, c’est qu’on a une parole intérieure qui est inconsciente et qui émerge parfois à la conscience, avec plus ou moins de sensations auditives associées.
Est-ce lié au monologue intérieur de la littérature ?
Les études et expérimentations littéraires sur le monologue intérieur sont nées au moment où les psychologues et philosophes commencent à s’y intéresser à la fin du XIXe siècle. Aux Etats-Unis, William James parle de «flux de conscience» ; en France, Victor Egger consacre sa thèse de philosophie à la Parole intérieure et même Hippolyte Taine avait commencé à réfléchir sur les phénomènes mentaux, en particulier le langage intérieur. Ces recherches ont nourri l’imaginaire des écrivains de l’époque : Edouard Dujardin avec son roman entier en monologue intérieur Les lauriers sont coupés, James Joyce dont on peut citer le soliloque de Molly Bloom à la fin d’Ulysse et qui se réclamait lui-même de Dujardin, Dorothy Richardson, Valéry Larbaud, Virginia Woolf, chacun d’entre eux l’ont retranscrit à leur manière… Tout un faisceau international d’écrivains s’est intéressé à la manière de rendre le flux de pensées d’un personnage à l’écrit, en étant le plus juste possible. Avec le progrès des outils qui permettent de sortir de l’introspection et de la subjectivité, et de réaliser des mesures, les neurosciences se sont emparées de la question.
Est-ce que ce sont des propos toujours cohérents que nous nous tenons intérieurement ?
Certaines personnes ont tendance à utiliser une parole intérieure développée, avec de belles phrases, alors que pour d’autres il s’agit de bribes, d’abrègement du langage. Cela va de la condensation à la dilatation. Le monologue final de Finnegans Wake de James Joyce est un modèle d’endophasie condensée. Ce continuum d’un extrême à l’autre qui dépend des individus a été décrit par de nombreux auteurs. La situation influe aussi : si on doit préparer une conférence, on aura à l’esprit plutôt des mots et des phrases bien posés. De même, si on fait sa valise, on va énumérer les différents objets à emmener. A d’autres moments où il faut aller très vite, on sera moins précis dans notre formulation interne.
Est-ce qu’on ne s’adresse pas aussi à soi-même dans sa tête et même parfois à autrui ?
C’est la deuxième dimension de la voix intérieure. Dans le monologue, on utilise le «je». Certaines personnes disent que c’est leur propre voix qu’elles entendent, d’autres qu’elle est différente, plus neutre, sans inflexion. Un autre cas de figure, c’est l’imitation mentale de quelqu’un d’autre. Exemple : je peux parler dans ma tête en m’imaginant que je suis Dark Vador avec sa respiration terrifiante. Et puis, il y a la possibilité de simuler des dialogues. On peut revivre une conversation de la veille, souvent quand elle s’est mal passée, et imaginer ce qu’on aurait pu répondre. On peut aussi jouer un dialogue intérieur pour se préparer à une conversation à venir. Simuler des dialogues avec autrui, c’est ce qu’on appelle la dialogalité. On peut aussi explorer dans sa tête plusieurs perspectives ou arguments sur une même idée. Je peux dire : «Ah tiens, je vais voter pour X pour telle raison» et puis en fait : «Ce serait mieux Y pour telle autre raison». Dans une enquête pour le Guardian sur la voix dans la tête, Sirin Kale a interviewé une femme qui lui a raconté que quand elle avait une décision importante à prendre dans sa vie, cela prenait la forme d’un dialogue vif entre deux personnes, un couple d’Italiens alors qu’elle est anglaise. Et elle choisit à la fin celui qui a le meilleur argument.
Quelle est la troisième dimension ?
C’est la différence entre endophasie intentionnelle et non intentionnelle, les fluctuations entre des moments où on sait qu’on parle dans notre tête et des moments de vagabondage mental. On peut décider quand démarre et s’arrête la parole délibérée, intentionnelle. La non intentionnelle survient sans qu’on sache pourquoi. On a des stimuli mentaux qu’on se crée soi-même, mais dont on ne contrôle absolument pas ni l’initiation, ni l’interaction. Cela pose plein de questions sur le contrôle de nous-mêmes, de notre pensée, de notre conscience et même de notre libre arbitre. Parfois cela peut aller jusqu’à ne pas savoir si ce qu’on entend on l’a formulé soi-même.
Est-ce entendre des voix à la Jeanne d’Arc ?
Oui, et beaucoup d’écrivains le disent. Dickens affirmait entendre ses personnages et écrire les dialogues sous la dictée. Les chercheurs en endophasie du projet «Hearing the voice» de l’université de Durham ont mené une enquête en 2014 auprès d’écrivains, nombre d’entre eux disaient ne pas avoir la sensation d’être l’auteur de leurs écrits. Le dysfonctionnement d’un des mécanismes du cerveau peut produire l’impression de ne pas être l’auteur de nos pensées, et que la voix vient de l’extérieur. C’est là où on est Jeanne d’Arc, quelqu’un qui entend des voix. Pour moi, comme pour mes collègues à l’université de Durham, il y a une sorte de continuum entre la parole intérieure inconsciente et peu intentionnelle, qui a l’air d’arriver spontanément, et la vraie hallucination auditive, où l’on perçoit une voix avec l’impression que c’est autrui qui nous parle dans notre tête.
Pouvez-vous l’observer scientifiquement ce dysfonctionnement ?
A l’imagerie cérébrale, les régions de la motricité du langage et les régions auditives sont activées normalement. Mais, alors qu’habituellement elles sont connectées, cette boucle semble interrompue chez la personne qui entend des voix. Donc elle entend quelque chose dans sa tête, mais elle n’a pas la sensation de l’avoir produit elle-même. On ne sait pas expliquer cette déconnexion dans le cerveau. On commence à en avoir des traces objectives par l’imagerie mentale. Lucile Rapin, une doctorante de notre laboratoire qui a travaillé avec un spécialiste des hallucinations mentales chez les patients schizophrènes à l’université de British Columbia à Vancouver, a ainsi pu observer par l’imagerie mentale cette absence de connexions entre ces deux régions, et également une activité des muscles et des lèvres de la personne en train d’avoir une hallucination auditive grâce à de petits capteurs électromyographiques.
A-t-on tous une petite voix intérieure ?
Plein de théories ont été élaborées à partir de l’acception que tout le monde se parle à soi-même. Si on remonte aux travaux d’Hippolyte Taine, de Francis Galton aux Etats-Unis et même Jean-Martin Charcot, ils avaient commencé à percevoir que nous ne sommes pas universels dans notre façon de mentaliser le monde. Charcot avait remarqué que des patients affirmaient ne pas avoir de visuel dans la tête. Mais cela n’avait jamais constitué un vrai objet d’études, jusqu’à ce qu’en 2010, le neurologue anglais Aden Zeman tombe sur le cas d’un patient qui disait ne plus voir dans sa tête depuis une opération d’angioplastie. Par exemple, quand on lui demandait d’imaginer un tigre, il savait bien que c’était un félin à rayures, mais il n’avait pas de sensation visuelle. Après avoir publié son article, Zeman a reçu des centaines de courriers de gens qui disaient être ainsi depuis leur naissance et que cela n’avait rien de spécifique. Avec son équipe, ils ont inventé le terme d’aphantasie, qui peut être visuelle mais aussi auditive. Si on demande à un aphantasique d’imaginer un bruit de klaxon, il ne peut pas. Il sait ce que c’est qu’un klaxon, reconnaît le son, mais il ne peut pas le simuler dans sa tête. De même pour le goût, l’odorat, le contact… On en est venu à parler d’aphantasie multimodale, soit une modalité, soit plusieurs, soit toutes en fonction des individus. Le phénomène de petite voix intérieure n’est donc pas universel, et on estime selon les études, que l’aphantasie concerne entre 2 et 6 % de la population.
Est-ce que cela complique l’existence ?
Dans certains cas, c’est un inconvénient : quand on a besoin de visualiser, de retenir des choses comme un numéro de téléphone. Personnellement, si je ne me le dis pas dans la tête ou si je ne le vois pas écrit, j’ai du mal à m’en souvenir… Les aphantasiques trouvent une autre stratégie. Ils ont une mémoire acérée du factuel, mais qui n’est pas riche en détails sensoriels. Par contre, ils n’ont pas de flash-back et sont moins à la merci d’images intrusives en cas de stress post-traumatique. Un deuxième avantage, sur lesquelles nous effectuons actuellement des mesures à Grenoble, tiendrait dans une plus grande rapidité de traitement.
A quoi sert la voix intérieure ?
Tout ce qui est autocritique («J’aurais dû faire ça», «J’ai encore oublié ça…») contribue à s’améliorer. La voix intérieure contribue à l’autorégulation, l’automotivation, l’autoencouragement… Elle a un grand rôle dans ce qu’on appelle l’autonoèse, la connaissance de soi. C’est plus que la conscience d’être soi-même, c’est se construire une identité stable dans le temps. On n’est pas le même aujourd’hui que dans l’enfance ou qu’il y a dix ans, et pourtant on a le sentiment très fort d’être la même personne. Et ce sentiment se nourrit de tout ce qu’on se dit sur soi-même, de souvenirs évoqués, de ce qu’on se projette sur ce qu’on sera plus tard, cette capacité qu’on a de se faire des récits intérieurs.
(1) D’autres labos en France travaillent sur le langage intérieur, en particulier le programme Monologuer coordonné par Stéphanie Smadja à l’université Paris-Cité et le Laboratoire ligérien de linguistique à l’Université d’Orléans sous la direction de Gabriel Bergounioux.
Hélène Lœvenbruck, le Mystère des voix intérieures, Denoël, 350 pp., 19 € (ebook : 13,99 €).
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8 avril 2014 à 16 h 04
Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09
Vous lisez ce texte et il est plus que probable que vous vous entendiez le lire dans votre tête. Ce phénomène porte un nom: inner speech, traduit en français par parole intérieure. «C’est la petite voix que l’on entend à l’intérieur de notre tête, qui nous ancre dans notre personnalité et qui joue un grand rôle dans notre quotidien, en nous facilitant la vie ou en nous causant des problèmes», affirme Lucile Rapin, chercheuse postdoctorante au Département de linguistique. La jeune femme est l’une des auteures d’un article paru récemment dans la revue Behavioural Brain Research faisant état des avancées de la recherche sur la parole intérieure.
À ce jour, les chercheurs s’entendent pour définir deux types de parole intérieure. La parole intérieure volontaire – lorsque, par exemple, on compte des objets dans notre tête ou qu’on se repasse le récit d’une journée – et la parole vagabonde ou spontanée. «Celle-ci survient surtout en état de repos ou en début de phase de sommeil», explique la chercheuse.
Depuis l’avènement de l’imagerie cérébrale, on sait que les deux types de parole intérieure activent des réseaux neuronaux différents dans le cerveau. «Plusieurs recherches ont été réalisées sur le sujet, mais il reste encore beaucoup de questions sans réponse, car il n’y a aucun corrélat externe pour analyser le phénomène dans toute sa complexité», précise Lucile Rapin.
Un rôle cognitif
Les récentes études attribuent à la parole intérieure un rôle crucial sur le plan cognitif. La petite voix dans notre tête serait un atout précieux à la mémoire de travail, nous aiderait à passer d’une tâche à une autre et à résoudre des problèmes. Elle entrerait aussi en jeu dans la régulation de notre attention et de nos comportements.
La parole intérieure est toujours présente, souligne Lucile Rapin. «C’est l’état mental de chacun qui détermine si elle est utilisée à bon escient ou non. Parfois c’est un choix conscient, alors que d’autres fois ce sont des conditions psychologiques et/ou psychiques hors de notre contrôle qui nous poussent à ruminer certains événements. C’est le cas notamment des personnes dépressives, qui peuvent avoir de la difficulté à restreindre leurs pensées négatives, ou alors des schizophrènes, qui ont des hallucinations auditives.»
La chercheuse connaît bien les hallucinations auditives verbales des schizophrènes, puisqu’elle y a consacré sa thèse de doctorat à Grenoble. «La schizophrénie est un désordre de la parole intérieure, souligne la chercheuse. Les schizophrènes sont convaincus que les voix qu’ils entendent ne proviennent pas de leur propre tête.»
Notre voix intérieure
Savoir que c’est la nôtre constitue d’ailleurs l’une des caractéristiques les plus fascinantes de cette petite voix intérieure qui nous accompagne au quotidien. «Nous avons conscience que c’est notre voix et non pas celle de quelqu’un d’autre, explique Lucile Rapin. On voit aussi ce phénomène sur le plan moteur quand on tente de se chatouiller soi-même. C’est impossible car le cerveau bloque cette réponse-là. Il sait que c’est nous qui le faisons.»
Chez les schizophrènes, la comparaison voix intérieure/voix extérieure ne fonctionne pas. Ils entendent leur voix intérieure avec la même forme linguistique, la même hauteur et le même ton que si c’était la voix d’autrui. Pire, ils entendent plusieurs voix, sans être capables de reconnaître qu’ils en sont les producteurs.
L’apparition de la petite voix
Comment se développe cette petite voix intérieure? «Certains théoriciens, comme Vygotski [NDLR: un psychologue russe du début du XXe siècle], croient que la parole intérieure est développementale, c’est-à-dire que très jeunes, les enfants expriment tout ce qui leur passe par la tête à voix haute, explique Lucile Rapin. Ils développent ensuite le langage semi-privé, où ils se parlent à eux-mêmes oralement. Ils font des jeux de rôle avec leurs jouets, ils discutent seuls, c’est l’âge des copains imaginaires. Ensuite ce langage privé serait intériorisé.»
Mais d’autres théories n’associent pas nécessairement la parole intérieure au langage. «Des études récentes ont démontré que des bébés distinguent les mots de deux syllabes des mots de trois syllabes alors qu’ils ne parlent pas encore, note la chercheuse. Ce qui supposerait une forme de pensée qui précéderait l’acquisition du langage.»
Il y a encore plusieurs recherches à mener sur la parole intérieure pour comprendre ses formes et ses rôles, poursuit Lucile Rapin, qui participe présentement à une recherche afin de mieux saisir comment notre cerveau peut nous faire entendre la voix de notre mère, par exemple, en parole intérieure. Il s’agirait d’un sous-type de la parole intérieure volontaire qui intrigue les chercheurs.
Postdoctorat
Sous la direction de la professeure Lucie Ménard, Lucile Rapin travaille aussi sur la production et la perception de la prosodie chez des enfants autistes âgés entre 6 et 10 ans, plus spécifiquement sur l’absence d’emphase contrastée. «L’emphase contrastée, c’est quand on accentue une partie d’un message linguistique, comme dans C’est cet arbre! On hyperarticule, on met l’accent sur le mot. Puisque les enfants autistes ont souvent des troubles de communication, on essaie de comprendre si ce trait est déficitaire. Les premières études démontrent qu’ils ont plus de difficulté à reconnaître cet accent et à le produire. Je me penche sur l’aspect articulatoire, pour vérifier si leur contrôle de mâchoire et de
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Thomas Dutronc : « Mon père m’impressionnait, je sentais qu’il n’était pas comme les autres »
Le chanteur évoque avec émotion la tendresse et la fantaisie de son père, Jacques, avec qui il partage la scène en tournée cet été puis à la rentrée.
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« C’est ma mère qui a pris cette image de mon père et moi, tout petit. Elle faisait toujours des photos de nous, avec un téléobjectif, serrés de près, et remplissait de très beaux albums, qu’elle a encore aujourd’hui. Ce cliché a sûrement été pris dans le jardin de la maison, à Paris, que mes parents avaient autrefois. Mon père me tient tendrement dans ses bras. Ça me touche de le voir tout doux. Même s’il était très aimant et très affectueux, ce n’était pas son genre d’être comme ça. Il était plutôt du style à tout faire pour me faire rire.
Ma mère et ma grand-mère maternelle, qui était très présente, étaient plus strictes, me donnaient un cadre, lui était plus léger. Je me souviens d’un jour, quand j’avais 5 ou 6 ans, où, comme ça, il m’avait donné un « Pascal », un billet de 500 francs. Je m’étais empressé d’aller avec lui au magasin de jouets acheter un bateau pirate. De retour à la maison, il s’était fait sacrément engueuler. Il m’impressionnait, parce que je sentais qu’il n’était pas comme les autres pères. Il adorait déjà les gadgets. Dans sa voiture, une sorte d’énorme 4 × 4, il avait un distributeur de boissons. C’était dingue.
Petit minet de père en fils
Il y a quelque temps, quand on a commencé à chanter ensemble, je me suis retrouvé dans sa voiture, un grand van. Et puis, un soir, il s’est mis à actionner une télécommande pour baisser le rideau entre les sièges avant et arrière. Il était tout content, et moi aussi, comme quand il me montrait le café qui tombait dans les gobelets de sa voiture. J’étais à nouveau un gosse. Ce petit gars qui, sur la photo, porte un blouson de cuir, comme son papa.
J’ai un vague souvenir de cette veste, d’ailleurs très jolie. Plus tard, on m’a affublé d’habits pas possible, des anoraks fluo… Il a fallu attendre l’adolescence pour que je retrouve des habits dignes. Et j’allais piquer dans son armoire. Je me souviens lui avoir chourré un portefeuille de bikeur avec une tête de mort sur lequel était écrit : « Live to ride, ride to live ». Je me baladais avec un peigne, des chaussures en cuir, un blouson Harrington. Un vrai petit minet… Sur ce point-là, comme sur tant d’autres, il a été un vrai modèle. »
Dutronc & Dutronc, cet été à Montreux, Aix-les-Bains, Nîmes, Carcassonne, La Rochelle, Patrimonio… Puis à la rentrée dans toute la France et le 21 décembre à l’AccorHotels Arena.
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La résurrection de la chair
https://catechese.catholique.fr/references/nos-publications/loasis/loasis-7-resurrection-chair/
L’éditorial
« Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » (Genèse 3,19).
Le mercredi des cendres, nous avons commencé ainsi notre carême. Le texte hébreu originel fait plus écho à la « terre » qu’à la poussière. Il se réfère à cette terre que Dieu, grâce à son souffle, a modelé en homme et femme, à la différence de tous les autres êtres créés. Donc au début de la création, face au péché originel, la Parole de Dieu n’était pas une menace de vengeance mais plutôt une promesse et une révélation inouïe.
Cette « terre » ne coïncide pas non plus avec la terre promise vers laquelle Moïse et son peuple marchaient. Il ne s’agit pas d’un territoire mais d’une liberté, d’un don.
La terre nouvelle à laquelle, par la grâce de Dieu, nous parviendrons après la victoire sur la mort est celle d’une nouvelle chair encore une fois revivifiée par le souffle de Dieu.
Cette chair est déjà celle de Jésus, le Ressuscité. Une chair capable d’aimer dans la plénitude de ses moyens, pour toujours.
Bonne fête de Pâques !
Pietro Biaggi, directeur adjoint du SNCC, rédacteur en chef.
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LA LIBERTÉ DE L’HOMME
COMPENDIUM
DU
CATÉCHISME
DE
L’ÉGLISE CATHOLIQUE
Copyright © 2005 – Libreria Editrice Vaticana, 00120 Città del Vaticano
EXTRAIT
363. Qu’est-ce que la liberté?
1730-1733
1743-1744
C’est le pouvoir donné par Dieu à l’homme d’agir ou de ne pas agir, de faire ceci ou cela, de poser ainsi soi-même des actions délibérées. La liberté caractérise les actes proprement humains. Plus on fait le bien, et plus on devient libre. La liberté tend à sa perfection quand elle est ordonnée à Dieu, notre bien suprême et notre béatitude. La liberté implique aussi la possibilité de choisir entre le bien et le mal. Le choix du mal est un abus de notre liberté, qui conduit à l’esclavage du péché.
364. Quel rapport existe-t-il entre liberté et responsabilité?
1734-1737
1745-1746
La liberté rend l’homme responsable de ses actes dans la mesure où ils sont volontaires, même si l’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées et parfois supprimées, en raison de l’ignorance, de l’inadvertance, de la violence subie, de la crainte, des affections immodérées, des habitudes.
365. Pourquoi tout homme a-t-il le droit d’exercer sa liberté?
1738
1747
À tout homme appartient le droit d’exercer sa liberté, car celle-ci est inséparable de sa dignité de personne humaine. Un tel droit doit donc toujours être respecté, notamment en matière morale et religieuse. Il doit être civilement reconnu et protégé, dans les limites du bien commun et de l’ordre public juste.
366. Quelle place tient la liberté humaine dans l’ordre du salut?
1739-1742
1748
Notre liberté est fragile à cause du premier péché. Cette fragilité devient plus aiguë avec les péchés ultérieurs. Mais le Christ « nous a libérés, pour que nous soyons vraiment libres » (Ga 5,1). Par sa grâce, l’Esprit Saint nous conduit à la liberté spirituelle, pour faire de nous ses libres collaborateurs, dans l’Église et dans le monde.
367. Quelles sont les sources de la moralité des actes humains?
1749-1754
1757-1758
La moralité des actes humains dépend de trois sources : l’objet choisi, c’est-à-dire un bien véritable ou apparent, l’intention du sujet qui agit, c’est-à-dire la fin qui motive l’acte, les circonstances de l’acte, y compris les conséquences.
368. Quand l’acte est-il moralement bon?
1755-1756
1759-1760
L’acte est moralement bon quand il y a en même temps la bonté de l’objet, de la fin et des circonstances. L’objet du choix peut à lui seul vicier toute une action, même si l’intention est bonne. Il n’est pas permis de faire le mal pour qu’en résulte un bien. Une fin mauvaise peut corrompre l’acte, même si son objet en soi est bon. À l’inverse, une fin bonne ne rend pas bonne une conduite qui est mauvaise en raison de son objet, car la fin ne justifie pas les moyens. Les circonstances peuvent atténuer ou augmenter la responsabilité de l’auteur, mais elles ne peuvent modifier la qualité morale des actes eux-mêmes. Elles ne rendent jamais bonne une action mauvaise en soi.
369. Y a-t-il des actes toujours illicites?
1756, 1761
Il y a des actes dont le choix est toujours illicite en raison de leur objet (par exemple le blasphème, l’homicide, l’adultère). Leur choix comporte un désordre de la volonté, à savoir un mal moral qui ne peut être justifié par la considération des biens qui pourraient éventuellement en résulter.
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08.05.22
L’ancien premier ministre japonais Shinzo Abe dans « un état très grave » après avoir été blessé par balle
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I Satprem - Sri Aurobindo ou l'aventure de la Conscience
video-lecture Jean Naroun
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Dans la mystique juive, à la quelle tu ne t'es jamais intéressé, et sans doute est-ce ma faute, on dit qu'il faut agiter Dieu pour qu'il parvienne. Agiter Dieu.
Toi, mon petit, tu n'agites pas grand chose, n'est-ce pas?
Agiter Dieu.
Dieu n'existe pas mais on lui fait une place, on fait un petit pas en arrière pour qu'il vienne au monde et tous les jours et plusieurs fois par jour et pendant toute une vie. Il n'y a de réel qu'en sa volonté, le monde mon garçon, c'est ce que nous voulons impatiemment.
Yasmina Reza, Une désolation, p55
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Traces d'anthropologie mystique dans Le sujet radical d'Aleksandr Douguine
René-Henri Manusardi
Tradition ist nicht die Anbetung der Asche, sondern die Weitergabe des Feuers. La tradition n'est pas le culte des cendres, mais la transmission du feu. (Gustav Mahler)
L'esprit de guerre, l'immuabilité de la nature humaine et le sujet radical
Le Sujet Radical - dans lequel résident le Soleil, la Lumière et la Tradition - est cette épreuve ultime, la fin de la descente cyclique et, peut-être, l'éclat d'un Nouveau Départ. C'est une réalité qui doit être créée, par un esprit actif et radical, qui n'apparaît qu'au moment le plus critique du cycle cosmique.
On a beaucoup parlé de la guerre, et de nombreuses sensibilités différentes ont traversé l'histoire du phénomène belliqueux. De l'Iliade aux Croisades, le sens de l'honneur a prévalu en mettant en exergue l'aspect réparateur des injustices subies. Des Croisades à la Renaissance, la part du lion a été prise par le caractère sacré de la guerre et l'aspect expiatoire de la mort visant l'entrée victorieuse dans le Royaume des Cieux. De la Renaissance à l'ère moderne, la guerre est devenue une technologie de plus en plus raffinée et sanglante, soutenue par le principe "la fin justifie les moyens", propre de la nouvelle amoralité machiavélique. De la Modernité à l'ère post-moderne, la guerre devient idéologique: désintégration des empires, comme but maçonnique; hygiène des peuples, comme but nationaliste et futuriste; justice sociale et vocation impériale, comme but fasciste; impérialisme économique et exploitation des peuples, comme but capitaliste; lutte des classes et matérialisme, comme social-communiste; expansion territoriale bio-ethnique, comme but national-socialiste. Dans notre actualité post-moderne, la guerre devient finalement la nécessité néo-malthusienne, propre du transhumanisme voulu par les seigneurs de l'or qui se réunissent à Davos, ainsi qu'à leur enrichissement financier avec l'industrie florissante de l'armement, notamment l'industrie aérospatiale hautement technologisée.
Le tableau historiquement complexe, qui est résumé ici, semble donc révéler une mutation de la Weltanschauung sur l'"esprit de guerre", qui, à partir du 16ème siècle, a perdu l'homogénéité éthico-sacrée propre à l'antiquité gréco-romano-barbare et au christianisme romano-germanique, essentiellement théocentriques, au profit d'un anthropocentrisme radicalement renaissanciste, puis s'est poursuivi dans la fragmentation idéologique moderne et s'est finalement éteint dans le nihilisme postmoderne contemporain où la guerre est comprise comme la réalisation d'un nouveau matérialisme à la fois euthanasique, financier, technocratique et transhumain, où la centralité de l'action humaine est remplacée par l'Intelligence Artificielle guidée par d'obscurs lobbies participant du pouvoir supranational, dont les intentions, cependant, sont désormais clairement explicitées par eux et non plus dissimulées par le réseau médiatique.
Cependant, si l'esprit de la guerre avec ses justifications - des plus spirituelles aux plus matérielles - a changé au cours des Ages historiques, il ne semble pas en être de même pour la nature profonde de l'être humain. La prétendue mutation anthropologique, parrainée par l'identité de genre LGBT, semble être solidement désavouée par les neurosciences en raison de l'ancrage profond de l'ADN humain, immunisé contre la manipulation et la contamination culturelles, ce qui confirme l'adage scolastique natura non facit saltus, malgré l'alarme légitime lancée par la bioéthique depuis des décennies à cet égard. La seule condition pour provoquer une mutation anthropologique reste le transhumanisme, prôné par les seigneurs de l'or qui, à Davos, planifient un avenir mortifère pour l'espèce humaine : cyborgs, c'est-à-dire des êtres humains technologiquement implantés, animaux humanoïdes, robots équipés d'IA.
Cette mutation anthropologique ratée, cette tentative prométhéenne mal résolue par les stratèges sataniques du nouvel ordre mondial, réalise la vérité métaphysique et métapolitique des mots d'Alexandre Douguine sur le sujet radical : "Le sujet radical est l'acteur de la nouvelle métaphysique, son pôle. Le sujet radical apparaît lorsqu'il est déjà trop tard, lorsque tous les autres et tout le reste ont disparu".
Le sujet radical ne peut pas apparaître plus tôt, car il n'est pas prévu. Il est éveillé par la volonté post-sacrée. La Volonté post-sacrée est ce quelque chose qui ne coïncide pas avec le sacré, mais qui ne coïncide pas non plus avec le néant. C'est le principal attribut du Surhomme. En dehors du sacré, il n'y a que le néant. Cela signifie qu'il n'y a pas de Volonté post-sacrée, et pourtant elle existe. Ce n'est que dans ce mode qu'il peut exister".
Si donc il y a encore l'être humain avec sa nature profonde et inaliénable, s'il émerge en tant que Sujet radical lorsque la civilisation humaine semble définitivement éteinte ou en voie d'extinction, alors il y a encore le guerrier, il y a encore l'esprit de guerre - le plus vrai - l'esprit de la Guerre Sainte pour la Tradition, avec sa réalisation métapolitique de l'établissement de la civilisation planétaire multipolaire.
L'Atman comme archétype guerrier du sujet radical
Le sujet radical est immortel, traverse la mort et constitue la racine du sujet normal - c'est un soleil noir situé dans l'abîme intérieur le plus profond. C'est un sujet apophatique (terme désignant le non encore manifesté) situé au sein du sujet positif, dont il constitue la racine immortelle, invisible et indestructible.
Dans la liquéfaction du monde post-moderne, l'Éveil du Sujet Radical est l'éveil d'une conscience guerrière chaotique et en même temps très intuitive, qui émerge au début de la partie finale du Kali Yuga et au moment de l'inversion de l'Apocalypse. Laissant à d'autres la tâche d'approfondir le substrat prophétique et eschatologique des temps, finis mundi, nous tentons ici une ébauche expérientielle synthétique d'un ordre anthropologique mystique, concernant la manifestation éveillée du Sujet radical.
Dans son être-au-monde, l'éveil du Sujet radical - précisément la racine de la personne - à travers un critère perceptif de réduction phénoménologique, se révèle comme une manifestation soudaine de chàos énergétique pré-logique et, en même temps, d'intuition supralogique lucide. Une telle simultanéité de nature expérimentale, non encombrée par les superstructures logiques de l'être, les superstructures émotionnelles de l'être et la conflictualité émotionnelle/rationnelle permanente desdualités corps/mental et cœur/cerveau, est perçue ab intus comme un retour à sa vraie nature, qui est vécue comme la seigneurie de l'Atman/âme, la domination de l'Atman sur le corps et l'esprit, et la manifestation de l'Atman lui-même d'abord comme une lumière soudaine/satori, puis progressivement comme l'obscurité intérieure, la lumière et enfin le feu.
Le sujet radical manifeste ainsi une constitution anthropologique avec une prédominance de l'âme-spirituelle, où dans la triade corps-esprit-âme émerge la structure même de l'âme comme co-présence ontologique de l'énergie vitale (chàos dynamique) et de l'essence consciente (présence déiforme), que la philosophie hindoue désigne sous le nom d'Atman.
La kénosis de l'Atman, le choix existentiel, le guerrier ardent
"Nous ne voulons pas restaurer quoi que ce soit, mais revenir à l'Éternel, qui est toujours frais, toujours nouveau : ce retour est donc un mouvement en avant, et non en arrière. Le sujet radical, en outre, se manifeste entre un cycle qui se termine et un cycle qui naît. Cet espace liminal est plus important que tout ce qui vient avant et que tout ce qui viendra après" (Aleksandr Dugin).
L'éveil de l'Atman dans le Sujet radical est un éveil guerrier, in interiore homine, une chute libre dans les profondeurs du moi, dans le fondement sans fondement (Urgrund), par une ferme volonté de puissance illuminée par le divin, qui a contemplé la tabula rasa du moi social, familial et individuel et du tissu collectif, déchaînée par la société liquide postmoderne de l'individu atomisé et consumérisé.
Individu à la personnalité intransigeante, doté d'une saine furor angelicus, bellicus et belluinus dans la lutte contre le mal, n'ayant plus de liens avec le passé et la Tradition, qui par un effort surhumain et cathartique se jette dans l'abîme, le Sujet radical trouve dans cette première kénosis, dans ce vidage, la mort de l'ego et la lumière du chàos primordial, celui de sa propre énergie vitale.
Dans cette "vision intuitive de l'essence de sa propre nature" (D. T. Suzuki) - le satori de la lumière, la vision de son âme qui est la lumière qui donne tout son sens à son existence - il est consciemment placé devant un choix. Le choix de vivre le solipsisme de l'orgueil luciférien, en se contentant de sa propre lumière réfléchie qui, à jamais séparée de sa source divine, mute en ténèbres et, ainsi, devient un opérateur d'iniquité dans la liquidité postmoderne. Ou le choix d'aller au-delà de sa propre lumière, d'entrer dans la grande tribulation, la terrible Nuit des sens et de l'esprit, la seconde kénosis ou nihilité absolue, pour finalement être rétabli comme l'Homme de la Tradition, qui vient devant le feu de la Présence Divine, origine de la Lumière immortelle, et là s'immerge pour devenir un esprit guerrier du Chàos, qui de l'essence ouverte du Chàos lui-même va construire le Kosmos, l'Ordre divin.
Pénétrant ainsi le Chàos primordial avec la lumière de l'énergie vitale, et acceptant même la limitation d'une vie vagabonde et impersonnelle pour le bien de la cause, le Sujet radical va plus loin. En sombrant dans le nihilisme du moi, jusqu'à l'anéantissement de l'esprit, jusqu'à atteindre l'essence de sa propre âme qui est la pleine conscience de soi et qui se manifeste comme un feu, un feu ardent participant au feu divin, au-delà du bien et du mal, le Sujet radical, désormais mieux identifiable comme le Soi radical, devient ainsi un nouvel archétype guerrier : non plus le guerrier de la lumière comme l'étaient les anciens guerriers, mais le guerrier de feu, gardien du feu de la Tradition, enveloppé de l'Esprit Saint qui est feu, pour transmettre comme un archer les fléchettes ardentes de la Tradition qui reconstruisent le Kosmos. Et à ce moment-là, une épée lui sera délivrée d'en haut, signe - visible et intérieur - de sa nouvelle âme.
"Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée. Car je suis venu séparer le fils du père, la fille de la mère, la belle-fille de la belle-mère, et les ennemis de l'homme seront ceux de sa maison". (Évangile de Matthieu 10:34-36)
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