1916
Charles de Foucauld, « un saint pour aujourd’hui »
Converti au catholicisme de son enfance à l’âge de 28 ans, Frère Charles de Foucauld (1858-1916) développe au cours de sa vie un grand amour pour les plus pauvres et pour le Dieu de Jésus-Christ, « modèle unique ». Aujourd’hui, son charisme inspire une large famille spirituelle qui rassemble 13 000 personnes.
Une curiosité précoce. Charles de Foucauld est né le 15 septembre 1858 à Strasbourg. Dès son plus jeune âge, il subit des deuils successifs : perte de ses parents avant six ans, perte de sa grand-mère paternelle devant ses yeux d’enfant, perte de son grand-père maternel alors qu’il a 20 ans. Vicomte appartenant à une ancienne famille aristocratique française, il manifeste très tôt la volonté d’aller connaître les « autres » : les pauvres, les petits, les besogneux, les mal-aimés, ceux que la vie ne favorise pas. Durant son temps de garnison, lorsqu’il est militaire de carrière, il s’adonne notamment à d’étranges escapades dans la campagne environnante, déguisé en mendiant et demandant l’aumône. En 1883-84, Charles se lance dans un voyage d’exploration du Maroc, se faisant passer pour un rabbin. Une aventure pleine de périls qui lui vaut la notoriété et lui fait vivre l’ivresse de la rencontre.
Une conversion prodigieuse. Frère Charles fait partie des « recommençants », selon l’expression employée de nos jours. Éduqué dans un milieu catholique, il abandonne à 15 ans toute pratique religieuse et vit une jeunesse pleine de mondanités et de plaisirs. « Je suis allé loin de vous, loin de votre maison, dans le pays de l’incrédulité, de l’indifférence », dira-t-il. Tenté un moment par l’Islam (problématique bien actuelle !), admirant la simplicité du dogme et la ferveur des croyants, c’est grâce à sa cousine Marie de Bondy qu’il revient à la foi chrétienne. Dans l’intimité des églises, il répète cette étrange prière : « Mon Dieu si vous existez, faites que je vous connaisse. » Et peu à peu, le Seigneur le saisit jusqu’à sa conversion en l’église Saint-Augustin à Paris fin octobre 1886. Il vit alors avec intensité cette rencontre avec un Dieu riche en miséricorde qui l’accueille tel qu’il est dans le confessionnal du Père Henri Huvelin (1830-1910), son futur directeur spirituel. Un changement radical se produit en lui, une prise de conscience que la compassion divine est plus forte que le péché. Dès lors, Dieu devient le socle de sa vie. « Ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi. » Il n’y a plus de demi-mesure, il va jusqu’au bout de l’amour et du don. Le jour même de sa mort, il écrira à son ami Louis Massignon : « Comme chrétiens, nous devons donner l’exemple du sacrifice », puis fera cette autre déclaration, véritable testament spirituel : « On n’aimera jamais assez. » « Dieu nous aime bien plus qu’une mère ne peut aimer son enfant », écrit-il, toujours le jour de sa mort, à sa cousine Marie. Se savoir aimé, c’est commencer une nouvelle vie. Il se remémore alors sa vie avant sa conversion : « Vous me faisiez sentir une tristesse profonde, un vide douloureux… pendant ce qu’on appelle les fêtes » ; et porte sur lui-même ce jugement impitoyable : « J’étais moins un homme qu’un porc. » À 28 ans, Charles peut « revêtir la tunique d’innocence » du Fils Prodigue, et commencer une nouvelle vie.
Ses débuts en tant que moine. En janvier 1890, à 32 ans, Charles devient moine trappiste en Ardèche, à Notre-Dame des Neiges ; puis dans un monastère plus pauvre en Syrie, à Akbès. Rapidement, il demande à poursuivre sa quête spirituelle ailleurs, loin de la sécurité qu’offre une maison religieuse. Il sort de la Trappe pour marcher sur les pas de Jésus en Terre Sainte et devient domestique dans un couvent de clarisses à Nazareth. Il tente de discerner la volonté de Dieu jour après jour, dans une vie qui semble instable, car hors des sentiers habituels. Mais, malgré les apparences, Charles se laisse modeler par l’Esprit qui le conduit sur des chemins inédits. Un peu marginal dans ses choix, il a le souci d’obéir à l’Église, en respectant scrupuleusement les lois et les règlements en vigueur.
Un prêtre atypique. Ordonné prêtre à Viviers (Ardèche) en 1901 (non pour le prestige social attaché à la fonction mais pour offrir « le banquet divin » aux plus pauvres), Frère Charles décide de s'installer dans le Sahara algérien à Béni-Abbès. Il exerce un ministère plutôt classique d’aumônier militaire, dispensant sacrements et catéchèse avec un zèle exemplaire. Quand il devient le seul chrétien en terre d’Islam, il se prive pendant des mois de la présence du Saint-Sacrement afin de respecter les normes ecclésiastiques en vigueur, qui n’acceptaient pas qu’un prêtre seul puisse dire la messe. Atypique, ermite-missionnaire comme il lui arrive de se présenter, brûlant du désir d’annoncer la Bonne Nouvelle d’un Dieu d’amour, il est arrêté dans ses élans quand il réalise que la manière d’évangéliser doit être différente. Lui aspire à vivre avant l’heure ce que préconisera le chapitre 1 de la constitution Gaudium et Spes du 7 décembre 1965 : « Les chrétiens doivent partager les joies et les peines, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent et qui sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » Pour Charles, il faudrait davantage respecter la liberté de conscience, construire d’abord une relation d’amitié avec les Touaregs, valoriser la religion naturelle et partager leur mode de vie. Or nous « les ignorons à un degré effrayant », s’indigne Frère Charles parlant de la relation des Européens avec les indigènes. Ce dernier pense qu’il faudrait se lancer dans une pré-mission pour apprendre à connaître le milieu à évangéliser, idée nouvelle à une époque où la plupart des missionnaires n’ont guère ces préoccupations. Il faut souligner ici l’immense travail linguistique de Frère Charles pour connaître la langue et la culture touarègue (il rédige des dictionnaires, une grammaire, un recueil de poèmes et de chansons, etc.).
Une vie au milieu des pauvres. Sa vie fut aussi atypique dans sa conception de la vie religieuse. Il refuse les grandes structures où les religieux sont coupés du monde et se protègent de lui. Il rêve de mettre en place « de petits foyers d’amour », de petites structures insérées au milieu du peuple pauvre s’exposant au coude à coude avec lui. Il accepte par avance d’être vulnérable, avec une seule règle de conduite : donner à l’amour la première place pour se réserver la dernière. Sur son réveil, il a fait marquer cette devise significative « Jésus Caritas. Il est l’heure d’aimer Dieu ». Tout un programme ! Fasciné par le mystère de l’incarnation, il veut avant tout imiter le Dieu de Jésus-Christ, le « modèle unique ». Un Dieu agenouillé devant sa créature indigne (Philippiens II, 6), un Dieu humble ouvrier pendant 30 ans à Nazareth. Il veut « descendre » comme son maître et s’approcher en priorité de ceux « qui souffrent, des pauvres, des malades ». C’est donner mais aussi savoir recevoir d’eux, car comme on le dit beaucoup de nos jours : « Les pauvres nous évangélisent. » « Le jour on ne cesse de frapper à ma porte, écrit-il, et la nuit qui serait le temps propice pour la prière, je m’endors misérablement » (confidence éplorée au Père Huvelin le 15 décembre 1902). Difficile équilibre à trouver entre deux exigences : une vie de relation à Dieu, son « Bien-Aimé Frère et Seigneur Jésus », et sa vie de relation aux frères. Au cours de sa vie, Frère Charles a envoyé des milliers de lettres (plus de 4 400 répertoriées) à des parents et amis, dans le souci d’aider, de réconforter, de conseiller et d’accompagner. Il veut aimer chacun dans le cœur de Dieu. « Habituer tous les habitants chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres à me regarder comme leur frère. » Sa vie religieuse n’est pas un écran mais un creuset pour aimer davantage. Il veut aimer comme Dieu aime. Devenir « compagnon des pauvres comme Jésus » et « aller aux hommes en frère malgré leur indignité, leurs défauts, leurs vices et leurs crimes ». « Vouloir aimer, c’est aimer », écrit-il. « Plus nous aimons Dieu, plus nous aimons les hommes. ». Ces deux amours ne sont pas en concurrence mais se confortent mutuellement. Le Père Huvelin disait de son protégé qu’il avait fait « de la religion un amour ». Cela ne l’a pas empêché, pour défendre la population pauvre contre d’éventuels assaillants (le désert étant en proie aux bandes armées sur fond de Première Guerre mondiale), de conserver dans le fortin de Tamanrasset où il habite, vivres et munitions (ce qui suscitera finalement des convoitises, et provoquera indirectement sa mort).
Des instincts novateurs. Bien avant Vatican II, Frère Charles a l’intuition qu’il faut donner aux laïcs la place qu’ils méritent dans la Sainte Église et notamment dans la mission d’évangélisation. Selon lui, ils peuvent aller là où n’entre pas le prêtre à la manière de Priscille et Aquila dans les Actes des Apôtres (chapitre XVIII), et témoigner de ce que doit être un véritable disciple de Jésus dans le monde. Il est urgent, dit-il, « d’envoyer dans les colonies d’authentiques commerçants, des cultivateurs, des artisans et non des marchands d’alcool », « des bons chrétiens des deux sexes et les conversions viendront d’elles-mêmes ». D’ailleurs, Jésus n’était-il pas un laïc ? Il met en place, peu avant sa mort, une sorte de confrérie pour évangéliser les colonies : le « Directoire ». Il se rend alors en 1913 en France pour solliciter des autorités ecclésiastiques un appui. Mais il n’y rencontre qu’un accueil mitigé, tant est novatrice son association où les adhérents sont « sans distinction de sexe, d’état, célibataires ou mariés, prêtres ou laïcs ». Une association qui comptera 45 membres affiliés, lui Charles sera le numéro 9 du groupe.
Autre preuve de son esprit pionnier, Charles sait que l’évangélisation ne peut se dissocier d’un travail de pastorale sociale, de promotion humaine car chacun doit être respecté dans sa dignité. Il dénonce à la manière du pape François, les oublis des priorités évangéliques : « Oublier les brebis galeuses pour s’occuper des brebis grasses et dociles »… un disciple du Christ ne peut le tolérer. Écœuré par les injustices, il dénonce aussi l’esclavage qui sévit encore en Afrique du Nord avec la complicité du pouvoir français en place. Il remue ciel et terre auprès des autorités religieuses laxistes et prudentes pour arriver à l’éradication de cette « monstruosité », refusant d’être « un chien muet » par peur ou par lâcheté. Avant l’aggiornamento de Vatican II, il donne une grande importance à la Parole de Dieu qui doit nourrir la foi au risque de la voir s’étioler. Une Parole vivante qui travaille le croyant comme « la goutte d’eau qui tombe et retombe sur une dalle toujours à la même place ».
Un « phare » au XXe siècle. Charles est tragiquement assassiné le 1er décembre 1916 aux portes de son ermitage à Tamanrasset, en Algérie. Bien que sa vie fut courte (à peine 58 ans), elle fut ô combien riche et mouvementée ! Une vie travaillée par l’Esprit souvent imprévisible, atypique par bien des aspects, mais une vie qui peut être qualifiée de résolument moderne dans son parcours spirituel. Très vite, il est considéré comme un martyr aimé de tous. Le voilà Frère universel « post mortem » qui a donné naissance à une famille spirituelle répandue dans le monde entier. Une vingtaine de groupes s’efforcent aujourd’hui de refléter au mieux certains aspects de sa personnalité riche et complexe, mais aucun, à lui seul, n’épuise la totalité de son message. Le Père Yves Congar (religieux dominicain, 1904-1995), artisan du concile Vatican II, l’a présenté, à l’instar de Thérèse de Lisieux, comme « un phare mystique pour le XXe siècle ». Quant au grand théologien Ur Von Balthasar (1905-1988), il a qualifié Charles de Foucauld comme « le signal d’une contemplation gratuite, sans égards pour les résultats immédiats mais d’une fécondité en profondeur pour l’Église ». Son procès en béatification commence dès 1927. Interrompu durant la guerre d'Algérie, il reprend ultérieurement et Charles de Foucauld est déclaré vénérable le 24 avril 2001 par Jean-Paul II. Le 13 novembre 2005 à Rome, le pape Benoit XVI le déclare bienheureux, offrant à l’Église Universelle une nouvelle icône de sainteté dans un monde en mal de repères.
La foi de nos jours n’est pas comme un acquis scellé, mais une recherche à poursuivre inlassablement. « Mon Dieu, donnez-moi la foi ! Mon Dieu, je crois, mais augmentez ma foi » (méditations à Nazareth). Cette recherche rend Frère Charles proche des catholiques, des non-croyants, et aussi des croyants des autres religions. Il a témoigné d’une ouverture d’esprit œcuménique avant l’heure. Se trouve en lui un charisme à découvrir, une lumière, comme celle d’un « phare » qui souhaite nous aider à secouer nos torpeurs et vivre mieux d’espérance, de charité et de foi.
Une conversion prodigieuse. Frère Charles fait partie des « recommençants », selon l’expression employée de nos jours. Éduqué dans un milieu catholique, il abandonne à 15 ans toute pratique religieuse et vit une jeunesse pleine de mondanités et de plaisirs. « Je suis allé loin de vous, loin de votre maison, dans le pays de l’incrédulité, de l’indifférence », dira-t-il. Tenté un moment par l’Islam (problématique bien actuelle !), admirant la simplicité du dogme et la ferveur des croyants, c’est grâce à sa cousine Marie de Bondy qu’il revient à la foi chrétienne. Dans l’intimité des églises, il répète cette étrange prière : « Mon Dieu si vous existez, faites que je vous connaisse. » Et peu à peu, le Seigneur le saisit jusqu’à sa conversion en l’église Saint-Augustin à Paris fin octobre 1886. Il vit alors avec intensité cette rencontre avec un Dieu riche en miséricorde qui l’accueille tel qu’il est dans le confessionnal du Père Henri Huvelin (1830-1910), son futur directeur spirituel. Un changement radical se produit en lui, une prise de conscience que la compassion divine est plus forte que le péché. Dès lors, Dieu devient le socle de sa vie. « Ma vocation religieuse date de la même heure que ma foi. » Il n’y a plus de demi-mesure, il va jusqu’au bout de l’amour et du don. Le jour même de sa mort, il écrira à son ami Louis Massignon : « Comme chrétiens, nous devons donner l’exemple du sacrifice », puis fera cette autre déclaration, véritable testament spirituel : « On n’aimera jamais assez. » « Dieu nous aime bien plus qu’une mère ne peut aimer son enfant », écrit-il, toujours le jour de sa mort, à sa cousine Marie. Se savoir aimé, c’est commencer une nouvelle vie. Il se remémore alors sa vie avant sa conversion : « Vous me faisiez sentir une tristesse profonde, un vide douloureux… pendant ce qu’on appelle les fêtes » ; et porte sur lui-même ce jugement impitoyable : « J’étais moins un homme qu’un porc. » À 28 ans, Charles peut « revêtir la tunique d’innocence » du Fils Prodigue, et commencer une nouvelle vie.
Ses débuts en tant que moine. En janvier 1890, à 32 ans, Charles devient moine trappiste en Ardèche, à Notre-Dame des Neiges ; puis dans un monastère plus pauvre en Syrie, à Akbès. Rapidement, il demande à poursuivre sa quête spirituelle ailleurs, loin de la sécurité qu’offre une maison religieuse. Il sort de la Trappe pour marcher sur les pas de Jésus en Terre Sainte et devient domestique dans un couvent de clarisses à Nazareth. Il tente de discerner la volonté de Dieu jour après jour, dans une vie qui semble instable, car hors des sentiers habituels. Mais, malgré les apparences, Charles se laisse modeler par l’Esprit qui le conduit sur des chemins inédits. Un peu marginal dans ses choix, il a le souci d’obéir à l’Église, en respectant scrupuleusement les lois et les règlements en vigueur.
Un prêtre atypique. Ordonné prêtre à Viviers (Ardèche) en 1901 (non pour le prestige social attaché à la fonction mais pour offrir « le banquet divin » aux plus pauvres), Frère Charles décide de s'installer dans le Sahara algérien à Béni-Abbès. Il exerce un ministère plutôt classique d’aumônier militaire, dispensant sacrements et catéchèse avec un zèle exemplaire. Quand il devient le seul chrétien en terre d’Islam, il se prive pendant des mois de la présence du Saint-Sacrement afin de respecter les normes ecclésiastiques en vigueur, qui n’acceptaient pas qu’un prêtre seul puisse dire la messe. Atypique, ermite-missionnaire comme il lui arrive de se présenter, brûlant du désir d’annoncer la Bonne Nouvelle d’un Dieu d’amour, il est arrêté dans ses élans quand il réalise que la manière d’évangéliser doit être différente. Lui aspire à vivre avant l’heure ce que préconisera le chapitre 1 de la constitution Gaudium et Spes du 7 décembre 1965 : « Les chrétiens doivent partager les joies et les peines, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent et qui sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » Pour Charles, il faudrait davantage respecter la liberté de conscience, construire d’abord une relation d’amitié avec les Touaregs, valoriser la religion naturelle et partager leur mode de vie. Or nous « les ignorons à un degré effrayant », s’indigne Frère Charles parlant de la relation des Européens avec les indigènes. Ce dernier pense qu’il faudrait se lancer dans une pré-mission pour apprendre à connaître le milieu à évangéliser, idée nouvelle à une époque où la plupart des missionnaires n’ont guère ces préoccupations. Il faut souligner ici l’immense travail linguistique de Frère Charles pour connaître la langue et la culture touarègue (il rédige des dictionnaires, une grammaire, un recueil de poèmes et de chansons, etc.).
Une vie au milieu des pauvres. Sa vie fut aussi atypique dans sa conception de la vie religieuse. Il refuse les grandes structures où les religieux sont coupés du monde et se protègent de lui. Il rêve de mettre en place « de petits foyers d’amour », de petites structures insérées au milieu du peuple pauvre s’exposant au coude à coude avec lui. Il accepte par avance d’être vulnérable, avec une seule règle de conduite : donner à l’amour la première place pour se réserver la dernière. Sur son réveil, il a fait marquer cette devise significative « Jésus Caritas. Il est l’heure d’aimer Dieu ». Tout un programme ! Fasciné par le mystère de l’incarnation, il veut avant tout imiter le Dieu de Jésus-Christ, le « modèle unique ». Un Dieu agenouillé devant sa créature indigne (Philippiens II, 6), un Dieu humble ouvrier pendant 30 ans à Nazareth. Il veut « descendre » comme son maître et s’approcher en priorité de ceux « qui souffrent, des pauvres, des malades ». C’est donner mais aussi savoir recevoir d’eux, car comme on le dit beaucoup de nos jours : « Les pauvres nous évangélisent. » « Le jour on ne cesse de frapper à ma porte, écrit-il, et la nuit qui serait le temps propice pour la prière, je m’endors misérablement » (confidence éplorée au Père Huvelin le 15 décembre 1902). Difficile équilibre à trouver entre deux exigences : une vie de relation à Dieu, son « Bien-Aimé Frère et Seigneur Jésus », et sa vie de relation aux frères. Au cours de sa vie, Frère Charles a envoyé des milliers de lettres (plus de 4 400 répertoriées) à des parents et amis, dans le souci d’aider, de réconforter, de conseiller et d’accompagner. Il veut aimer chacun dans le cœur de Dieu. « Habituer tous les habitants chrétiens, musulmans, juifs et idolâtres à me regarder comme leur frère. » Sa vie religieuse n’est pas un écran mais un creuset pour aimer davantage. Il veut aimer comme Dieu aime. Devenir « compagnon des pauvres comme Jésus » et « aller aux hommes en frère malgré leur indignité, leurs défauts, leurs vices et leurs crimes ». « Vouloir aimer, c’est aimer », écrit-il. « Plus nous aimons Dieu, plus nous aimons les hommes. ». Ces deux amours ne sont pas en concurrence mais se confortent mutuellement. Le Père Huvelin disait de son protégé qu’il avait fait « de la religion un amour ». Cela ne l’a pas empêché, pour défendre la population pauvre contre d’éventuels assaillants (le désert étant en proie aux bandes armées sur fond de Première Guerre mondiale), de conserver dans le fortin de Tamanrasset où il habite, vivres et munitions (ce qui suscitera finalement des convoitises, et provoquera indirectement sa mort).
Des instincts novateurs. Bien avant Vatican II, Frère Charles a l’intuition qu’il faut donner aux laïcs la place qu’ils méritent dans la Sainte Église et notamment dans la mission d’évangélisation. Selon lui, ils peuvent aller là où n’entre pas le prêtre à la manière de Priscille et Aquila dans les Actes des Apôtres (chapitre XVIII), et témoigner de ce que doit être un véritable disciple de Jésus dans le monde. Il est urgent, dit-il, « d’envoyer dans les colonies d’authentiques commerçants, des cultivateurs, des artisans et non des marchands d’alcool », « des bons chrétiens des deux sexes et les conversions viendront d’elles-mêmes ». D’ailleurs, Jésus n’était-il pas un laïc ? Il met en place, peu avant sa mort, une sorte de confrérie pour évangéliser les colonies : le « Directoire ». Il se rend alors en 1913 en France pour solliciter des autorités ecclésiastiques un appui. Mais il n’y rencontre qu’un accueil mitigé, tant est novatrice son association où les adhérents sont « sans distinction de sexe, d’état, célibataires ou mariés, prêtres ou laïcs ». Une association qui comptera 45 membres affiliés, lui Charles sera le numéro 9 du groupe.
Autre preuve de son esprit pionnier, Charles sait que l’évangélisation ne peut se dissocier d’un travail de pastorale sociale, de promotion humaine car chacun doit être respecté dans sa dignité. Il dénonce à la manière du pape François, les oublis des priorités évangéliques : « Oublier les brebis galeuses pour s’occuper des brebis grasses et dociles »… un disciple du Christ ne peut le tolérer. Écœuré par les injustices, il dénonce aussi l’esclavage qui sévit encore en Afrique du Nord avec la complicité du pouvoir français en place. Il remue ciel et terre auprès des autorités religieuses laxistes et prudentes pour arriver à l’éradication de cette « monstruosité », refusant d’être « un chien muet » par peur ou par lâcheté. Avant l’aggiornamento de Vatican II, il donne une grande importance à la Parole de Dieu qui doit nourrir la foi au risque de la voir s’étioler. Une Parole vivante qui travaille le croyant comme « la goutte d’eau qui tombe et retombe sur une dalle toujours à la même place ».
Un « phare » au XXe siècle. Charles est tragiquement assassiné le 1er décembre 1916 aux portes de son ermitage à Tamanrasset, en Algérie. Bien que sa vie fut courte (à peine 58 ans), elle fut ô combien riche et mouvementée ! Une vie travaillée par l’Esprit souvent imprévisible, atypique par bien des aspects, mais une vie qui peut être qualifiée de résolument moderne dans son parcours spirituel. Très vite, il est considéré comme un martyr aimé de tous. Le voilà Frère universel « post mortem » qui a donné naissance à une famille spirituelle répandue dans le monde entier. Une vingtaine de groupes s’efforcent aujourd’hui de refléter au mieux certains aspects de sa personnalité riche et complexe, mais aucun, à lui seul, n’épuise la totalité de son message. Le Père Yves Congar (religieux dominicain, 1904-1995), artisan du concile Vatican II, l’a présenté, à l’instar de Thérèse de Lisieux, comme « un phare mystique pour le XXe siècle ». Quant au grand théologien Ur Von Balthasar (1905-1988), il a qualifié Charles de Foucauld comme « le signal d’une contemplation gratuite, sans égards pour les résultats immédiats mais d’une fécondité en profondeur pour l’Église ». Son procès en béatification commence dès 1927. Interrompu durant la guerre d'Algérie, il reprend ultérieurement et Charles de Foucauld est déclaré vénérable le 24 avril 2001 par Jean-Paul II. Le 13 novembre 2005 à Rome, le pape Benoit XVI le déclare bienheureux, offrant à l’Église Universelle une nouvelle icône de sainteté dans un monde en mal de repères.
La foi de nos jours n’est pas comme un acquis scellé, mais une recherche à poursuivre inlassablement. « Mon Dieu, donnez-moi la foi ! Mon Dieu, je crois, mais augmentez ma foi » (méditations à Nazareth). Cette recherche rend Frère Charles proche des catholiques, des non-croyants, et aussi des croyants des autres religions. Il a témoigné d’une ouverture d’esprit œcuménique avant l’heure. Se trouve en lui un charisme à découvrir, une lumière, comme celle d’un « phare » qui souhaite nous aider à secouer nos torpeurs et vivre mieux d’espérance, de charité et de foi.
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