EnquêteDepuis les années 1970, l’héritage redevient un facteur déterminant du patrimoine. Si la fiscalité des successions suscite des débats, ils sont loin d’être aussi intenses qu’au XIXe siècle, où le principe même de la transmission était contesté par différents courants intellectuels.
Dans les manuels scolaires comme dans les ouvrages savants, la tirade est passée à la postérité sous le nom de la « leçon de Vautrin ». Dans Le Père Goriot de Balzac (1835), ce beau parleur sans scrupule explique au provincial ambitieux qu’est Rastignac comment faire promptement fortune. Il ne sert à rien de travailler, glisse-t-il d’emblée au jeune étudiant en droit : au terme d’un combat épuisant et acharné, les concurrents finissent toujours par se « manger les uns les autres comme des araignées dans un pot ». Puisque l’honnêteté ne mène à rien, conclut-il, mieux vaut, pour « parvenir à tout prix », « jouer un grand coup » en épousant une riche héritière.
La scène fait volontiers sourire les lecteurs du XXIe siècle : l’univers cynique de la société de rentiers dépeinte par Balzac paraît aujourd’hui bien éloigné des idéaux égalitaires et méritocratiques de la France contemporaine. « Qui conseillerait aujourd’hui à un jeune étudiant en droit d’abandonner ses études pour suivre la stratégie d’ascension sociale suggérée par Vautrin ? », se demande Thomas Piketty dans Le Capital au XXIe siècle (Seuil, 2013). Personne, sans doute – ce qui n’est pas forcément un signe de lucidité. « En France, poursuit l’économiste, l’héritage n’est pas loin de retrouver, en ce début de XXIe siècle, l’importance qu’il avait à l’époque du Père Goriot. »
Les chiffres sont sans appel : dans une étude publiée en décembre 2021, le Conseil d’analyse économique montre que la part de la fortune héritée dans le patrimoine total est passée, depuis les années 1970, de 35 % à 60 %. « Après un reflux des inégalités de patrimoine et une forte mobilité économique et sociale durant la seconde moitié du XXe siècle, l’héritage est redevenu un facteur déterminant dans la constitution du patrimoine, constatent Clément Dherbécourt, Gabrielle Fack, Camille Landais et Stefanie Stantcheva. Ce retour de l’héritage nourrit une dynamique de renforcement des inégalités patrimoniales fondées sur la naissance. »
La France n’est pas encore revenue à la société d’héritiers du XIXe siècle ou de la Belle Epoque, mais, depuis une cinquantaine d’années, le patrimoine dépend de plus en plus souvent, non du talent, des efforts ou du travail, mais des hasards de la naissance. Dans une société qui promeut l’égalité des chances, cette nouvelle donne devrait nourrir d’âpres controverses intellectuelles. Ce n’est pourtant pas le cas : si la fiscalité successorale fait parfois l’objet de débats, notre « imaginaire philosophique sur l’héritage s’est appauvri », constate Mélanie Plouviez, maîtresse de conférences à l’Université Côte d’Azur.
Longtemps un problème philosophique
Cette atonie n’a pas toujours été la règle. « De la Révolution française au début du XXe siècle, l’héritage a été un problème philosophique omniprésent, poursuit-elle. Il était alors inconcevable d’aborder la question sociale sans s’interroger, au préalable, sur la légitimité de la transmission héréditaire. Les positions étaient très diverses – et très radicales : abolition de l’héritage chez les saint-simoniens, Bakounine ou Durkheim ; défense d’une liberté totale de tester chez certains libéraux ; plafonnement des héritages chez John Stuart Mill ; différenciation des legs de première et de seconde génération chez Eugenio Rignano. »
Comment expliquer que ces débats sur le bien-fondé de la transmission aient aujourd’hui disparu ? Pourquoi l’héritage a-t-il cessé, au XXe siècle, de susciter de ferventes controverses philosophiques ? « Sans doute parce que les grandes questions liées à la transmission ont été tranchées pendant la Révolution et au XIXe siècle, répond Patrick Savidan, professeur en science politique à l’université Paris-Panthéon-Assas. Cette période est le laboratoire de nos institutions démocratiques : en matière d’héritage comme en matière de protection sociale, elle s’est efforcée d’inventer des institutions inspirées par le paradigme égalitaire de la Révolution française. »
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Lors de la tourmente de 1789, les révolutionnaires remettent en effet en question les privilèges transmis de génération en génération. « Ils incarnent une modernité politique fondée sur la prééminence du mérite sur la naissance, poursuit le philosophe. Cette idée qui apparaît au XVIIIe siècle est au cœur de l’altercation, en 1726, entre Voltaire et le chevalier de Rohan : au noble qui lui demande s’il a un nom, Voltaire, qui a bâti le sien sur son mérite et non sur l’héritage d’une lignée, lui répond : “Je commence le mien, vous finissez le vôtre”. La même idée inspire, en 1778, Beaumarchais, qui fait dire à Figaro que le comte s’est contenté de se “donner la peine de naître”. »
Si les révolutionnaires abolissent à la fin du XVIIIe siècle de nombreux privilèges liés à la naissance, au premier rang desquels figure la transmission héréditaire du pouvoir politique, ils se gardent cependant de supprimer purement et simplement l’héritage. En matière de succession, ils instaurent un régime de « liberté surveillée », selon le mot de la sociologue Anne Gotman. L’héritage est maintenu, il est imposé, mais la répartition des biens est désormais soumise à une règle égalitaire « draconienne » : les cadets reçoivent autant que les aînés, les sœurs autant que les frères.
Ces principes rompent avec les pratiques d’unigéniture de l’Ancien Régime : « Au nom de la perpétuation de la lignée, de la préservation du patrimoine et de la lutte contre l’émiettement des terres, le père disposait, notamment dans les régions de droit romain situées dans le sud de la France, de la faculté de tester, c’est-à-dire de la possibilité de privilégier l’un de ses enfants – le plus souvent l’aîné des garçons, poursuit Anne Gotman, autrice d’Hériter (PUF, 1988). En 1789, les révolutionnaires, dont le maître mot est l’égalité, mettent fin à la liberté testamentaire. Le père a désormais les mains liées. »
Cette atteinte à l’autorité paternelle suscite, en 1791, de vifs débats à l’Assemblée nationale. Le père doit rester « le premier magistrat de la famille », affirme le député Joseph Prugnon. Si la loi « ôte à la soumission filiale » l’un de ses appuis et refuse au père le droit de « récompenser la bonne conduite » de ses enfants, de graves désordres ne manqueront pas de surgir, met en garde le député Riffard de Saint-Martin. N’y a-t-il pas, ajoute-t-il, « une sorte de barbarie à interdire aux pères des libéralités commandées par la justice et l’humanité, à leur lier tellement les mains qu’ils ne puissent venir au secours » de certains de leurs enfants ?
Contestation du droit d’aînesse
Décédé à la veille du débat, Mirabeau, dans un discours lu par Talleyrand, leur rétorque que l’égalité, qui constitue « l’un des principes de notre excellente Constitution », doit s’imposer dans la famille comme dans la nation. « Il n’y a plus d’aînés, plus de privilégiés, dans la grande famille nationale, proclame-t-il. Il n’en faut plus dans les petites familles qui la composent. » Robespierre, lui aussi, pourfend avec conviction le droit d’aînesse : l’égalisation des partages permettra, selon lui, d’en finir avec l’autoritarisme paternel, cet héritage romain qu’il compare à la domination des maîtres sur les esclaves.
Après deux textes avortés – un premier en 1793, un deuxième en 1794 –, la loi du 4 germinal an VIII met fin, en 1800, à la liberté testamentaire du chef de famille. Quatre ans plus tard, le principe de l’égalité entre frères et sœurs est inscrit dans le code civil Napoléon : tous les enfants, « sans distinction de sexe, ni de primogéniture », deviennent des héritiers. « Ce texte soumet l’héritage à un droit unique et égalitaire inspiré par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, souligne la sociologue Anne Gotman. Il fixe les grands traits de la législation pour les deux siècles qui suivent. »
Si les régimes politiques qui se succèdent à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle imposent un partage égalitaire entre les enfants, ils confortent dans le même temps la légitimité de la transmission héréditaire. « En avalisant le principe de l’héritage, en consacrant le caractère absolu de la propriété, la loi de 1800, puis le code civil de 1804 entérinent, voire consolident, l’institution successorale », poursuit Anne Gotman. Au point que l’héritage occupe, dans la France du XIXe siècle, une place « structurante », selon le mot de Thomas Piketty – comme en témoigne la place des querelles de succession dans les écrits de Maupassant, de Zola et surtout de Balzac.
Le Père Goriot est sans doute, selon Thomas Piketty, « l’expression littéraire la plus aboutie » du rôle central joué, au XIXe siècle, par la transmission, mais bien d’autres romans de La Comédie humaine sont consacrés à des captations d’héritage. Dans Ursule Mirouet (1841), des héritiers volent les titres de rente qu’un médecin destinait à sa pupille et, dans Le Cousin Pons (1847), des parents avides tentent de s’approprier la collection de tableaux d’un vieux musicien. En fin observateur de son temps, Balzac explore avec minutie les conséquences de la hiérarchie des patrimoines sur les espoirs et les malheurs de ses contemporains.
Omniprésent dans la littérature, l’héritage, au XIXe siècle, est aussi au centre d’intenses controverses philosophiques. « Tout au long du siècle, la question de la liberté testamentaire revient comme un leitmotiv chez les défenseurs de l’autorité paternelle : ils souhaitent assouplir, voire abolir, l’obligation de partage imposée par le code civil de 1804, analyse Anne Gotman. Les partisans de l’égalité se mobilisent eux aussi, mais leur réflexion se déplace par rapport à la période révolutionnaire : ils ne s’interrogent plus sur l’égalité entre les enfants issus d’une même famille, mais sur l’égalité entre tous les citoyens. »
Malgré l’inscription solennelle de l’égalité des enfants dans le code civil Napoléon, les partisans de l’autorité paternelle plaident en effet sans relâche, tout au long du XIXe siècle, pour le rétablissement de la liberté testamentaire. Dans un monde où le capital économique transite pour l’essentiel à l’intérieur des familles, ils mettent en avant le principe du droit de propriété, qui doit permettre au père de jouir pleinement du libre usage de ses biens, y compris après sa mort, et la défense de la famille, qui ne peut, selon eux, trouver meilleur interprète que la figure toute-puissante du père.
Le pourfendeur le plus actif du « partage forcé » entre les enfants imposé par le code civil est sans doute Frédéric Le Play (1806-1882). En 1864, dans La Réforme sociale en France, cet ingénieur, anthropologue, économiste et conseiller d’Etat affirme que les désordres sociaux dont souffre la France sont le fruit de quatre maux : l’athéisme, la théorie de la bonté originelle de Rousseau, la perte du respect de la femme et… le partage égalitaire de l’héritage. Parce que la famille est le pivot de l’ordre social, conclut-il, « tout son gouvernement réside dans l’autorité paternelle, toute sa durée dépend du mode de transmission des biens ».
Inspirés par cette tradition familialiste, plusieurs projets de rétablissement de la liberté testamentaire voient le jour au XIXe siècle. Ces efforts se heurtent cependant, constate en 1973 l’historien Philippe Ariès, à une « invincible répugnance de l’opinion ». Si l’unigéniture et le droit d’aînesse appartiennent désormais au passé, c’est parce qu’ils renvoient à la famille « aristocratique » de l’Ancien Régime, où le père est, selon Tocqueville, l’« organe de la tradition, l’interprète de la coutume et l’arbitre des mœurs ». La famille « démocratique » fondée sur les liens affectifs du XIXe siècle est étrangère, analyse Philippe Ariès, à ce « souci d’honneur du lignage, d’intégrité du patrimoine et de permanence du nom ».
Si, au XIXe siècle, le partage égalitaire entre les enfants fait peu à peu consensus, le bien-fondé de l’héritage, lui, est âprement débattu. De Karl Marx à Mikhaïl Bakounine, des héritiers de Saint-Simon à John Stuart Mill, les penseurs de l’époque critiquent cette institution qui est parvenue à survivre à 1789. « La Révolution a aboli la transmission héréditaire du pouvoir politique, pas celle du pouvoir économique, souligne Mélanie Plouviez. Les résurgences insurrectionnelles de 1830 et 1848 peuvent d’ailleurs être interprétées comme autant de sursauts face au maintien des inégalités de patrimoine. »
Pour ces philosophes du XIXe siècle, la transformation de l’héritage n’est pas un détail technique ou une question accessoire, mais un « puissant levier de transformation sociale, poursuit Mélanie Plouviez. La réforme, voire l’abolition, de l’institution successorale doit permettre, à leurs yeux, de remettre en cause non seulement la répartition des richesses entre les familles, mais aussi, plus profondément, les structures mêmes de la société. Le théoricien social Eugenio Rignano y voit ainsi un moyen d’inventer des formes hybrides de propriété qui ne soient ni privées ni collectives, et le sociologue Emile Durkheim une manière d’octroyer de nouveaux droits économiques et sociaux à l’ensemble des travailleurs ».
« Brevet d’oisiveté »
Dans ce climat d’effervescence intellectuelle, nombre de penseurs plaident en faveur de l’abolition de l’héritage. Les héritiers de Saint-Simon souhaitent ainsi abroger purement et simplement ce « brevet d’oisiveté ». « Il suffirait de déterminer par la loi que l’usage d’un atelier ou d’un instrument d’industrie passerait toujours, après la mort ou la retraite de celui qui l’employait, dans les mains de l’homme le plus capable de remplacer le défunt, écrivent Prosper Enfantin et Saint-Amand Bazard en 1829-1830. Ce qui serait tout aussi rationnel pour les sociétés civilisées que la succession par droits de naissance l’a paru aux sociétés barbares. »
Une même aspiration abolitionniste habite Mikhaïl Bakounine (1814-1876), qui s’oppose à Marx, en 1869, au congrès de la Ire Internationale. « Pour Bakounine, le droit à l’héritage constitue la cause première de l’inégalité sociale, de la perpétuation des inégalités et des différences de classes, analyse l’économiste André Masson dans la revue de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), en 2018. Aussi recommandait-il l’abolition de l’héritage “à l’exception de biens personnels de faible valeur”. Pour Marx, le droit à l’héritage n’était qu’un simple effet de la propriété privée, un symptôme de son inégale répartition, que résoudrait la collectivisation des moyens de production. »
Quelques décennies plus tard, Emile Durkheim (1858-1917) imagine, lui aussi, une abolition de cet « archaïsme » successoral. « Nous n’admettons plus aujourd’hui que l’on puisse léguer par testament les titres, les dignités que l’on a conquis ou les fonctions que l’on a occupées pendant la vie, écrit-il. Pourquoi la propriété serait-elle plutôt transmissible ? » Le fondateur de la sociologie moderne propose qu’à la mort d’un individu ses biens soient transmis à son « groupement professionnel » d’appartenance – une corporation réunissant ceux qui exercent le même métier, qu’ils soient employeurs ou salariés.
Plus modestement, John Stuart Mill (1806-1873) propose, au nom des principes méritocratiques, de limiter la valeur des transmissions qu’un citoyen peut recevoir tout au long de sa vie. « Chacun doit avoir le droit de disposer de la totalité de ses biens mais non de les prodiguer et d’enrichir l’individu au-delà du maximum nécessaire à une confortable indépendance », écrit-il en 1848 dans Principles of Political Economy. Ce plafonnement permettrait, selon le philosophe anglais, de lutter contre la pauvreté et d’éviter le développement des rentes ainsi que la perpétuation des grosses fortunes.
Le tournant de l’impôt progressif
Ces fiévreuses controverses intellectuelles connaissent une soudaine éclipse au début du XXe siècle. Faut-il l’attribuer à la création, en 1901, d’un impôt progressif, et non plus seulement proportionnel, sur les successions ? « Cette nouvelle loi joue effectivement un rôle important, répond l’économiste Nicolas Frémeaux, auteur des Nouveaux Héritiers (Seuil, 2018). Au tournant du siècle, les partisans d’une forte taxation de l’héritage, qui avaient fait entendre leur voix au XIXe siècle sans obtenir gain de cause, finissent par l’emporter. Cette réforme fiscale change la donne : pendant tout le XXe, le débat sur les successions passe au second, voire au troisième plan. »
La question paraît d’autant moins pertinente qu’au XXe siècle, sous le coup des guerres mondiales et de l’inflation, le montant et le flux des héritages se réduisent considérablement. « Les grands penseurs se désintéressent alors du débat sur la transmission, poursuit Nicolas Frémeaux. Ils continuent, bien sûr, à avoir des discussions techniques sur la fiscalité successorale, mais les grandes controverses de principe disparaissent. John Meynard Keynes consacre ainsi ses travaux à la croissance et à l’emploi, moins aux inégalités et à l’héritage. Et jusqu’à la fin des années 1980, on compte une publication académique sur les inégalités de patrimoine pour… vingt publications sur les inégalités de revenus ! »
Dans la seconde moitié du XXe siècle, la sociologie, elle aussi, délaisse le débat sur les successions. « Elle se concentre, dans le sillage de Pierre Bourdieu, sur le rôle de l’héritage culturel dans les mécanismes de transmission du statut social, constate Mélanie Plouviez. Elle met en lumière le rôle de la famille ou de l’école dans la reproduction des inégalités, mais en détournant le regard des transmissions économiques. » Au point, affirme la philosophe, que le XXe siècle finit par « essentialiser », voire « naturaliser », l’héritage – comme s’il constituait une donnée inaltérable et incontournable de toutes les sociétés humaines, « une évidence que l’on ne questionne plus ».
Un débat ravivé
Il faut attendre le début du XXIe siècle pour que les choses commencent à changer. « La question du patrimoine s’invite dans le débat public lors de la publication, en 2013, du livre de Thomas Piketty, puis des travaux académiques qui apparaissent dans son sillage », constate Nicolas Frémeaux. En démontrant que le flux des successions, après avoir atteint des sommets au XIXe, a décru au cours du XXe siècle avant de remonter dans les années 1970, Thomas Piketty prouve aux sceptiques que l’héritage est bel et bien de retour – ce qui n’est évidemment pas une bonne nouvelle dans une démocratie fondée sur les principes méritocratiques.
Après une éclipse de plus d’un siècle, le débat sur le bien-fondé de la transmission héréditaire renaît donc peu à peu de ses cendres. La ferveur et la radicalité des controverses du XIXe siècle ne sont plus à l’ordre du jour – nul ne propose plus l’abolition pure et simple de ce privilège de naissance –, mais l’héritage est à nouveau questionné, notamment par les économistes. Certains proposent d’instituer un « héritage pour tous » – une dotation de plusieurs dizaines de milliers d’euros versée à tous les jeunes adultes –, d’autres de renforcer fortement la taxation, d’autres, enfin, de plafonner le nombre d’héritages reçus au cours de la vie.
Si le débat contemporain sur l’héritage revêt le plus souvent des allures techniques, il renvoie aussi, comme au XIXe siècle, à des convictions philosophiques. « Les défenseurs de l’héritage puisent à plusieurs sources morales pour étayer leur position, souligne le philosophe Patrick Savidan. Pour eux, la transmission est une conduite vertueuse parce qu’elle construit une continuité entre les générations et qu’elle entend sécuriser le destin des proches. La taxation leur paraît en outre une atteinte à la liberté de choix du donateur : en rendant la transmission plus coûteuse que la consommation, elle contrevient, pour les libéraux les plus radicaux comme Milton Friedman, à un idéal moral. »
Leurs adversaires, eux aussi, inscrivent, leur réflexion dans une perspective philosophique. « Parce que les revenus issus des transmissions successorales sont, dans une société fondée depuis la fin du XVIIIe siècle sur le mérite, moins légitimes que les revenus issus du travail, ils doivent, à leurs yeux, être plus fortement taxés, poursuit Patrick Savidan. L’héritage pour tous relève également d’une conviction morale : en socialisant les droits de succession, ce mécanisme indexerait la transmission non plus sur des solidarités familiales (mes enfants), mais sur des solidarités impersonnelles et universelles (mes concitoyens). »
Pour Mélanie Plouviez, le débat contemporain manque cependant d’imagination. « Notre époque est marquée par un retour de l’héritage dans l’ordre économique, mais pas d’un retour de la pensée de l’héritage dans l’ordre intellectuel, affirme-t-elle. A l’exception de quelques libertariens de droite ou de gauche, cette institution est aujourd’hui très peu questionnée en philosophie, même au sein des théories de la justice, cette partie de la philosophie sociale et politique qui, dans le sillage de John Rawls, se saisit de la ligne de partage entre inégalités sociales justes et injustes. » Pour contribuer à combler ce manque, Mélanie Plouviez a lancé un projet de recherche interdisciplinaire qui se propose d’explorer les écrits du XIXe siècle, dans l’espoir, dit-elle, de « fertiliser notre imaginaire ».
Vendredi 27 novembre. Le confinement n’a pas encore été allégé. Cependant Jean-Jacques Sempé, 88 ans, fidèle à l’image que ses dessins véhiculent - l’humain avant la technique, s’il faut les opposer -, tient à ce que l’entretien ait lieu chez lui, masques bleus et distance barrière, dans le quartier Montparnasse, à Paris. L’occasion est la sortie de Garder le cap, son nouvel album.
Depuis des décennies (Rien n’est simple est paru chez Denoël en 1962), son travail suscite sourire, rire - et sympathie. Il est toujours du côté des petits, son humour repose sur quelque chose de touchant. Même les grands de ce monde, il les montre dans leurs petits (mais pas forcément mesquins) côtés - «on risque tous d’être happés par cette fameuse solennité qu’on pourrait appeler ridicule».
L'art et la religion sont très présents dans Garder le cap, comme si les aspirations humaines ne pouvaient échapper à ce couple solennité-ridicule. C'est une dame bien habillée, dans une église monumentale, adressant un reproche vers l'autel : «Que vous n'existiez pas, soit. Mais à ce point, c'est indécent.» Ce sont des marquis et des duchesses en costume d'époque voyant arriver des sauveurs, en l'occurrence des marins en uniforme, auxquels le marquis le plus proche dit : «Mais non ! Mais non ! Nous donnions une représentation théâtrale quand le paquebot a sombré !» Comme il a dessiné jadis un homme voulant «être normal et avoir du génie», on trouve ici deux jeunes femmes discutant en terrasse d'un café sur la place bondée d'un lieu qui pourrait être Saint-Tropez à qui Sempé a consacré un album (Denoël, 1968), l'une disant à l'autre : «J'aurais voulu rencontrer un homme riche que j'aurais aimé pour d'autres raisons que son argent.» L'humour de Sempé transcende les époques dans les grandes largeurs. Dans un paysage où apparaissent des animaux préhistoriques, un homme vêtu de peau de bête s'adresse sévèrement aux enfants rentrant d'une improbable école : «Quoi ? Zéro en histoire alors qu'elle ne fait que commencer !»
Comme Jean-Jacques Sempé répond souvent brièvement, l'interview prend parfois l'apparence d'une conversation, d'autant qu'il ponctue ses paroles de «mon cher» et donne libre cours à sa fantaisie.
«Garder le cap», est-ce une devise ?
Beaucoup de gens dans la rue gardent le cap quoi qu’il advienne, ils sont bien obligés. Comme tout le monde, j’essaie de surnager en gardant le cap, si tant est qu’on puisse surnager en gardant un cap. Dans mon travail, bien sûr, j’essaie, mais le charcutier aussi. Le cap est une chose que l’on découvre quand on ne l’a plus. On l’avait gardé jusque-là et puis plof, on a laissé échapper le cap et on est perdus. C’est précieux, un cap.
Comment trouvez-vous les titres de vos albums ?
Aucune grandeur dans ma réponse : en réfléchissant, plus ou moins bien mais en réfléchissant. J’entends des conversations, la radio et la télévision et avec tous ces mélanges je me rends compte qu’il est malaisé de garder un cap - sa direction si on en a une mais il faut bien qu’on en ait une.
Comment définiriez-vous ce que tout le monde appelle le «ton à la Sempé» ?
Fort aimable, «tout le monde appelle». C’est un peu exagéré, mon cher.
Vous voyez bien de quoi il est question.
Il me semble. La taille humaine. Mais c’est mon boulot, on a tous un petit boulot et c’est le mien.
C’est comme si vous étiez un expert de la vie quotidienne dans vos dessins.
Je ne suis pas dans le coup, dans la vraie vie quotidienne. Je marche à tâtons, si j’ose dire.
Comment vous viennent vos dessins ?
Si je savais, ma vie serait plus simple. En travaillant, en essayant, en m’obstinant. J’ai une idée qui me taraude depuis un certain temps. Un jour, il faut que je me débrouille pour en faire quelque chose. Ça marche ou ça ne marche pas. Souvent, ça marche. Heureusement, mon cher.
(Arrive sa chère galeriste.) - Bonjour, madame Martine Gossieaux. - Bonjour, monsieur Jean-Jacques Sempé. Tu vas bien ? Ne fais pas de bêtise (ajoute-t-elle pour son chien qui se précipite sur des coussins de canapé). - C'est beaucoup lui demander, à ce clébard. (Martine Gossieaux à l'intervieweur :) - Vous ne trouvez pas que le masque met en valeur ses yeux, c'est à peu près la même couleur ?
Vous dessinez pour Paris Match depuis 1957, le New Yorker depuis 1978. D’où vous vient cette fidélité ?
Je suis bien content qu’ils m’acceptent.
Mais vous avez dit aussi que vous aviez été bien content que Jean-Jacques Servan-Schreiber vous ait fait partir de l’Express.
Il était insupportable, ce type. Un peu bête. Même si je ne me suis pas permis de le dire à Françoise Giroud, souvent je le trouvais un peu con.
On dit Sempé et pas Jean-Jacques Sempé. Pourquoi avez-vous sacrifié votre prénom ?
Toutes proportions gardées, on dit Picasso et pas Pablo Picasso. En revanche on dit Raoul Dufy. Alors… Revenez dans deux mois et je vous dirai ce que j’en pense si tant est que j’y ai pensé, mon cher.
Peut-on dire que le titre Un léger Décalage (Denoël, 1977) s’applique à toute votre œuvre ?
Oui, comme dirait Pierre Dac : on peut le dire. L'actualité, je n'aime pas ça du tout. Je ne suis pas fait pour ça. Tout le monde ne peut pas être commentateur, autant pour les matchs de foot que pour les exploits d'un grand humoriste américain comme Donald Trump, un des plus grands que l'Amérique ait produits. Je ne commente pas l'actualité mais l'ambiance, comme on dit de façon pompeuse en anglais the mood, dans laquelle on est baigné, plus ou moins bien d'ailleurs.
Comment caractériseriez-vous votre style ?
Ce qui vous caractérise, vous, c’est de poser des questions simples. Laborieux, mon style est laborieux.
Que représente pour vous la sortie d’un album ?
C’est mon métier. J’aime faire ça, j’adore les livres et je suis toujours content quand je réussis à en terminer un. Que l’éditeur ou les éditeurs soient d’accord pour le publier, ça me fait plaisir.
Martine Gossieaux est très importante dans mon travail. Un jour, il faisait très beau, j’habitais un endroit merveilleux place Saint-Sulpice. Je décide que je veux absolument dessiner un chat qui prend le soleil dans un restaurant. J’y travaille toute la matinée en me disant que je fais le plus beau métier du monde. Je vais à la galerie. Quand je montre mon dessin : «C’est une horreur. Tu ne vas pas le garder, il faut le déchirer.» Je croyais être félicité pour mon excellent travail et je suis rentré chez moi moins persuadé de pratiquer le plus beau métier du monde. Il a fallu que je me résolve à faire autre chose. J’adore les chats mais celui-là devait être un chat sauvage - il m’échappait, c’était impossible de l’attraper.
[Il y a une chatte dans l'appartement, nommée Nefertiti, ndlr.] Nefertiti était la femme d'Akhenaton et réunissait en une seule personne toutes les beautés du monde. C'est une chatte qui me méprise complètement, à un point incroyable, un mépris affiché qui est une preuve de caractère peu commun. Je ne peux pas l'attraper, la caresser, la toucher. Elle n'est jamais contente de me voir. Je l'aime beaucoup et elle ne me le rend pas du tout. Elle doit encore parler égyptien et je connais peu de gens capables de traduire ce qu'elle me dit et qui doit être : «Fous-moi la paix une fois pour toutes.»
Qu’est-ce qui vous fait rire dans vos dessins, ou vous plaît, vous excite ?
Ça arrive bien rarement. Parfois une expression me plaît. Parfois, un type qui court, je trouve qu’il court pas mal. Parfois un type fait du vélo d’une façon telle que j’ai envie de reprendre le mien et d’aller faire un tour. Parfois je prie le ciel, je demande au Très Haut de me mettre un peu d’humour dans ce que je fais. Ils sont très occupés là-haut, et avec tous ces ordinateurs ils ne savent pas trop s’adapter à la vie moderne. Saint Pierre est toujours le premier que je convoque, il arrive au triple galop parce que c’est un type rusé, mais incapable de vous rendre service. Il a un joli costard acheté à crédit et d’autres beaux vêtements dont il est fier. Mais m’aider dans mon travail, il ne va pas jusque-là. Il est toujours content de rentrer chez lui, sûrement un peu effrayé de ce qu’il se passe en bas.
Vous sentez-vous spectateur, observateur, rebelle, à côté ?
Je suis quelqu’un qui cherche à s’accrocher, à tenir bon. Il faut de l’audace pour s’accrocher, maintenant. Quand vous vous levez le matin, que vous écoutez la radio, regardez la télévision, le charmant Donald Trump, il va falloir trouver un truc pour que la journée soit acceptable.
Le Covid-19 pourrait vous inspirer ?
Le dessiner ? Non, ça me fout une trouille terrible. Au temps de la peste, j’aurais fini dans des maisons où des gens affolés cherchent le salut auprès d’un Seigneur qui se cache. C’est terrifiant, cette histoire. Et qu’est-ce qui ne fait pas peur dans la rue ? Essayez de traverser un boulevard sans respecter les feux rouges. On ne se promène pas impunément l’écharpe au vent en sifflotant.
(Quelques minutes auparavant, Martine Gossieaux est venue allumer la lumière, l’obscurité gagnant. «Oui, on est radins avec l’électricité, ici», a plaisanté Jean-Jacques Sempé qui ne quitte pas de tout l’entretien le siège sur lequel il était déjà installé avant l’arrivée de l’intervieweur. Avant que l’entretien se termine, il a envie de parler d’autre chose.)
Il y a des amis que j'ai eus et que j'ai adorés et que j'adore et ça continue. Je voudrais qu'un spécialiste m'explique comment je peux penser à tant d'amis qui ont disparu ou qui sont toujours là et tous les jours - pas une journée où je ne pense pas à mes amis. Ils sont tous des gens formidables. Duke Ellington que j'adore est un type auquel je pense tout le temps. J'ai demandé à un professeur de jazz de me montrer certaines choses de lui pour que je m'entraîne et m'en rapproche. Sinon, quand j'arriverai là-haut et qu'il y aura Claude Debussy, Maurice Ravel et Duke Ellington, s'ils voient que je n'ai pas fait de progrès, ils vont tous me laisser tomber. Le pire est Jean-Sébastien Bach, sûrement un brave homme mais qui a dit une chose effroyable : «Quiconque travaillera autant que moi fera aussi bien.» Chaque fois que je loupe quelque chose, je l'engueule. Je lui dis : «Pourquoi avoir dit ça ?»
Vous avez réalisé l’album Catherine Certitude (Gallimard, 1988) avec Patrick Modiano. N’y a-t-il pas, comme on le dit pour lui, une «petite musique» de Sempé ?
Ça me flatte énormément. Je souhaiterais qu’il y eût une petite musique de Sempé et que j’en touche les droits d’auteur. Et qu’ils soient conséquents.
Culture is an essential component and a key factor for the effective delivery of the core mission of the Council of Europe to promote human rights, the practice of democracy and the rule of law.
Promoting culture as the "soul of democracy" means advocating strong cultural policies and governance - aimed at transparency; access; participation and creativity; respect for identity and diversity; intercultural dialogue and cultural rights – as the basis for respectful and tolerant living together in an ever-more complex world.
Emmanuel Todd: «Face à une baisse massive du niveau de vie, la priorité est la réconciliation entre hommes et femmes»
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L’historien démographe déplore le positionnement antagoniste des mouvements féministes, préjudiciable aux classes sociales les plus fragiles, selon lui. Une provocation parmi d’autres de son dernier essai.
Il aime les «blagues de chercheur», et ce n’est pas parce qu’il aborde, pour la première fois de sa vie à 70 ans, l’histoire des femmes, qu’il se censurerait. Avec Où en sont-elles ? (Seuil, 2022), le démographe et historien Emmanuel Todd pose quelques affirmations théoriques sur l’émancipation féminine qui vont en faire bondir plus d’une et un. Pour lui, le féminisme de ces dernières décennies a mal tourné, surtout depuis #MeToo.
En choisissant l’opposition systématique entre les sexes, les militantes féministes de la classe moyenne seraient incapables de penser des relations apaisées avec les hommes… alors que l’accès aux études, qui leur est assuré depuis bien longtemps, leur donne une place prépondérante dans la société. Pire : ces féministes «antagonistes» déstabiliseraient, selon lui, les classes les plus défavorisées de la société.
Comment le chercheur arrive-t-il à de telles conclusions ? Avec une méthode de recherche bien à lui, élaborée tout au long de sa carrière, à partir de l’étude des modèles familiaux. Cette méthode peut donner le meilleur. Il avait prédit la chute de l’URSS au milieu des années 70. Elle peut aussi donner du contestable. Son livre sur la mobilisation Charlie après les attentats de janvier 2015 avait choqué, renvoyant les manifestants à une forme d’automatisme de classe bourgeoise, voire d’islamophobie. Cette fois-ci, celui qui aime jouer les Cassandre – «je n’ai que des combats perdus», dit-il entre amusement et regret – veut mettre le monde en garde : la focalisation sur l’identité ne nous sauvera pas de la crise sociale et économique à venir.
La quatrième vague féministe marquée par le mouvement #MeToo est, selon vous, un «féminisme antagoniste», une violence entre les hommes et les femmes qui vous laisse perplexe…
Sans doute parce que je suis vieux et nostalgique ! J’ai 70 ans, et dans ma génération, les hommes et les femmes des classes moyennes étaient copains. Dans les années 70, j’étais aux premières loges de la deuxième vague, la révolution sexuelle : mon père dirigeait la rubrique «Notre époque» au Nouvel Observateur, qui a publié le Manifeste des 343 pour la liberté de l’avortement. Ma grand-mère maternelle, Henriette Nizan, l’avait signé. Mon arrière-grand-mère paternelle, qui a dirigé Vogue en Angleterre dans les années 20, était une homosexuelle sans complexe.
C’est donc impossible pour un type de ma génération et de mon milieu de ne pas voir comme un truc bizarre l’émergence de ce que j’appelle le «féminisme antagoniste». Le malentendu serait de croire que je suis contre l’émancipation des femmes. L’horrible vérité est que le débat idéologique sur le féminisme ne m’intéresse pas tellement au fond. On se marrait entre hommes et femmes dans les années 70 ! Je suis un enfant culturel du dessinateur Reiser.
On ne se marre plus aujourd’hui ?
Je suis désolé, quand vous voyez les murs de Paris couverts de messages dénonçant les féminicides, de descriptions d’hommes assassins…
Mais n’est-ce pas un acte militant ? Les activistes du MLF de votre époque n’étaient pas tendres non plus…
Le MLF, c’était rien, car le cœur de l’action était dans un monde anglo-américain dressé contre le patricentrisme protestant. En France, les rapports entre hommes et femmes sont, du point de vue de l’anthropologie historique, plutôt harmonieux, le modèle du couple y est assez égalitaire au cours de l’histoire. L’un des paradoxes de l’idéologie féministe antagoniste et des théories du genre qui y sont associées, c’est qu’elles ne s’inscrivent pas dans la réalité : on observe aujourd’hui une solidification du couple dans les classes moyennes bien éduquées, avec deux salaires.
Ces couples se remettent en position de solidarité, comme l’ont fait longtemps avant eux les chasseurs-cueilleurs pour assurer leur survie. Ils sont souvent «hypogames», c’est-à-dire que la femme est plus éduquée que le compagnon ou le mari (1). C’est dans ce milieu que sont devenues dominantes l’idéologie du genre et les valeurs féministes antagonistes.
Des valeurs féministes qui, selon vous, iraient à l’encontre des plus fragiles socialement. C’est une provocation, non ?
Au bas de l’échelle sociale, le grand nombre de familles monoparentales correspond à une instabilité concrète dans les rapports hommes-femmes. Le féminisme de ressentiment porté par les classes moyennes fait beaucoup de mal dans les milieux populaires. Il contribue à désorganiser la vie des familles, qui deviennent monoparentales, ces femmes qu’on a pu voir dans les rangs des gilets jaunes et qui ont le plus de difficultés matérielles. Quand on est en situation de survie, on a besoin de la solidarité du couple humain. Quand on travaille sur les chasseurs-cueilleurs, on comprend que le problème fondamental de l’humanité, ce n’est pas la domination masculine mais la survie.
C’est face aux choses vraiment difficiles – l’éducation des enfants, des problèmes de fric massifs, des problèmes de santé – que ce qu’il y a de plus beau, de plus humain dans les relations hommes-femmes peut sortir. Puisque la société s’avance vers une baisse du niveau de vie massive, la priorité, c’est la réconciliation entre hommes et femmes.
Ce féminisme antagoniste se trompe donc de lutte ? A vous entendre, l’émancipation serait déjà là ?
C’est de l’éducation que découle l’essentiel de l’émancipation des femmes car elle permet l’accès au marché du travail, au secteur tertiaire, etc. Or, le dépassement éducatif des hommes par les femmes est un phénomène déjà ancien qui remonte à la fin des années 60 en France. Cette explosion positive s’est déroulée facilement dans tout l’Occident car en dépit d’inégalités importantes sur le plan politique, les familles occidentales étaient assez égalitaires. C’est différent au cœur de l’Eurasie et en Afrique de l’Ouest, autour de ce que j’appelle «l’axe Pékin-Bagdad-Ouagadougou», où 6 000 ans d’histoire ont abaissé le statut des femmes.
S’il a été très facile de se débarrasser du patriarcat en Occident, c’est parce qu’il n’y a jamais vraiment existé ! La première partie du livre le démontre, en proposant une utilisation cartographique nouvelle de l’Atlas ethnographique de l’anthropologue George Peter Murdock. Nous avons mis en ligne les données anthropologiques et les cartes sur un site dont l’adresse est indiquée dans le livre. Le lecteur y trouvera s’il veut un instrument de recherche lui permettant de croiser les variables fondamentales sur les rôles masculins et féminins sur la planète. Sortir de l’idéologie est le but du livre. J’ai un chapitre qui s’appelle, je le reconnais avec une certaine malice de tradition marxiste, «Le genre : une idéologie petite-bourgeoise».
Donc les revendications des féministes actuelles ne seraient que des chouineries de petites-bourgeoises ?
Je ne pourrai jamais dire des choses comme ça. Je pense que ça fait partie du drame général que vivent nos sociétés. Le niveau de vie général y reste plus élevé qu’il n’a jamais été dans l’histoire. Mais avec l’effondrement industriel, la baisse du niveau de vie qui commence, on a des classes moyennes menacées. La représentation pessimiste des rapports hommes-femmes fait partie du pessimisme général des classes moyennes.
Si on essayait de négocier, à l’ancienne, dans mon monde où les hommes et les femmes étaient copains, on trouverait un accord ! On retrouverait une capacité d’action collective de la société qui aurait prise sur le système économique. Le véritable drame des services sociaux en France, c’est qu’ils sont en cours de destruction et de réduction par des énarques néolibéraux qui gèrent l’Etat mais qui n’ont plus de représentation de ce qu’est l’action collective.
Mais au fait, de quel sexe sont-ils généralement ces énarques néolibéraux ?
Si vous cherchez des choses désagréables dans mon livre sur un sexe quelconque, ça sera sur ces hommes-là, que je décris comme des «potiches masculines». Ceux qui occupent ces positions de pouvoir sont des parodies de porteurs du sentiment collectif. De plus, quand je parle de «matridominance» ou de «patridominance», je peux tout à fait penser à des hommes porteurs de valeurs «matridominantes», et inversement.
J’ai décidé de ne pas écrire son nom dans le bouquin (dont j’espère qu’il lui survivra) mais Macron serait le représentant idéal du couple hypogamique, par l’écart d’âge entre lui et son épouse. Autrefois, un candidat à la présidence de la République qu’on soupçonnait de ne pas avoir de maîtresse ne pouvait pas être élu en France. Mais ensuite, à partir de Sarkozy qui se fait jeter par sa femme, on a des présidents qui sont typiques d’une période anthropologique différente.
Justement qui pourrait être le prochain président ?
Qu’est-ce que j’en sais ! On n’est qu’à trois mois des élections, mais il va se passer des choses. On ne peut pas savoir comment va tourner la vague omicron, ou l’inflation, ni comment va tourner Macron qui s’agite vainement alors qu’il y aura peut-être bientôt une guerre entre la Russie et certains Occidentaux.
Après les gilets jaunes qui ont mis en évidence la baisse du niveau de vie de la population française ; après le Covid-19 qui a révélé que nous ne produisions pas les masques nécessaires et fait prendre conscience de l’état des hôpitaux, tout le monde devrait être en train de parler de réindustrialisation. Mais puisqu’on ne peut pas le faire sans sortir des contraintes européennes, on nous parle identité, sécurité, islamo-gauchisme. C’est une fuite hors de la réalité.
La crise sanitaire a-t-elle encore plus déstructuré une vie politique déjà en perte de repères ?
En France, nous avons subi l’épidémie juste après l’élection de Macron, qui a mis la France en folie avec les gilets jaunes. Nous avons vécu une période d’implosion de tout ce qui restait de structuration politique. Tout le monde est usé, y compris le gouvernement. Moi, je suis pour les vaccins et j’ai mes trois doses. Mais ce qui est vraiment frappant dans la situation actuelle, c’est qu’Emmanuel Macron n’a pas pris la seule décision qui s’imposait et qui a été prise par l’Italie : la vaccination obligatoire des plus de 50 ans. L’âge médian du corps électoral est supérieur à 50 ans : en ce moment, il s’agit pour lui de gagner les élections et non de résoudre les problèmes sanitaires de la France.
Vous croyez encore à une candidature de gauche qui pourrait rassembler (un peu) ?
Tout le monde est de droite maintenant ! C’est une rupture majeure. Auparavant, la politique française se structurait par l’affrontement entre élitisme et populisme. Tout le monde est populiste aujourd’hui : de droite, d’extrême droite ou de droite extrême. En défendant le concept de créolisation, Mélenchon a voulu jouer contre des concepts identitaires. Mais ce faisant, il s’est soumis aux catégories de l’identité. Je ne peux plus le considérer comme un homme de gauche. Hidalgo mène à Paris une politique anti-banlieusards. Taubira, je ne sais pas ce qu’elle représente. La fixation sur l’identité, la sécurité, les musulmans et tout à coup de nouveau le sanitaire… En fait, le pays est ivre. C’est maintenant que nous aurions besoin d’un président normal.
(1) Un couple hypogame, c’est quand une personne en couple est «plus» que son conjoint·e, soit par l’âge, soit par la richesse, soit par l’éducation.
Bonjour vieillesse (1/4) Nous vivons dans une société vieillissante. Ça veut dire quoi «être vieux» ? Pourquoi un tel tabou autour d’un phénomène inévitable et universel ? Pour que la vieillesse ne soit pas seulement abordée par le prisme du déclin, et de la tristesse, Libé donne carte blanche à Laure Adler, Boris Cyrulnik, Rose-Marie Lagrave et Erri De Luca pour qu’ils racontent ce que vieillir fait plus que ce qu’il défait.
Le couple de pies installé dans l’arbre à côté de ma chambre m’a réveillée dès potron-minet. Heureuse, je suis heureuse de me lever dans la blancheur du matin, moi qui ai passé une bonne partie de mon existence à me lever tard et à critiquer celles et ceux qui ne connaissaient pas les délices de la grasse matinée. Le temps me serait-il compté ? Ou est-ce cela vieillir ? Oui, vieillir, c’est accueillir ce qui vous arrive dans l’intensité d’un présent qui, autrefois, vous était dérobé par le vacarme du monde, le tourbillon des projets, le songe des désirs inavoués. Le temps se calme. Pas d’avis de tempête à l’horizon. Une sorte d’acceptation des choses, de l’inattendu, une disposition à être là, juste là.
Faire corps avec le présent n’est pas chose aisée – en tout cas pour moi – et les injonctions de la société vous travaillent sans cesse à bas bruit pour que vous deveniez ceci, que vous espériez être cela, et que votre énergie soit tendue vers quelque chose que vous n’avez pas encore atteint. Cet appel à un futur, souvent non réalisable, vous coince dans une forme d’angoisse et vous renvoie à vos incapacités. En vieillissant l’étau se desserre. La vie n’est plus faite de ce que vous n’avez pas encore à faire, mais de ce qui vous est encore permis de faire.
Temps illimité en apparence seulement, en fait temps précieux car la roue tourne. Les horloges dévorent le présent, un présent âpre au goût déjà presque disparu. Mais foin de la nostalgie. Foin des litanies sur les «c’était mieux avant», «ah si vous aviez connu» : oh tous ces vieux de mon enfance qui, au nom de leur âge, me donnaient des leçons sur ce que devait être ma vie en raison de leur âge canonique. Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on a des leçons à donner. C’est sans doute le contraire. On a encore beaucoup à apprendre. A apprendre à désapprendre justement. Donc pas d’enfouissement paresseux dans son propre passé qui a des airs de contentement de soi-même, signes de pré-gâtisme – mais une élasticité assez conquérante, guerrière et jouisseuse de ce temps qui s’offre à nous et que nous ne partageons pas tous de la même façon.
La lente observation de la respiration du monde
Jeune, je n’ai jamais pensé que je deviendrais vieille. Vieille, je ne passe pas mon temps à récapituler ce que j’ai vécu. La vie n’est pas une sédimentation de nos expériences qui s’agrègent entre elles et qui formeraient une cuirasse censée vous protéger du malheur. Il n’y a aucun mérite à être vieux. Il n’y a pas de grades. Il n’y a pas d’étoiles. C’est juste une chance. Il faut l’attraper comme cette peluche que les petits enfants espèrent décrocher au manège. Vieillir est pourtant synonyme de perte, perte de mémoire, perte de repères, perte de moyens, perte de vue. Vieillir pourtant ce n’est pas courir à sa perte. Ce n’est pas parce qu’on est vieux qu’on est bon à jeter à la benne aux ordures. Vieillir, c’est savoir qu’on est de l’autre côté du monde, pas dans la folle vibration de l’électricité des secondes mais dans la lente observation de la respiration du monde.
Je suis vieille et je vous emmerde. Je les vois qui, dans les entreprises, convoquent les pré-seniors à l’âge de 45 ans en leur expliquant qu’ils ne sont plus assez performants, je les connais ces filles de 30 ans qui rêvent de vite se faire lifter car on leur explique qu’à la commissure de leurs lèvres des petites rides sont déjà apparues. Effacer les signes du temps. Chercher dans le cosmos l’immortalité de nos corps. Envoyer les vieux dans des Ehpad où plus c’est cher moins il y a à bouffer. Invisibilisez-nous. Envoyez-nous loin, le plus loin possible. Oui mais nous, le peuple des vieux, nous commençons à résister. Nous savons aussi dire non. Ce n’est pas parce qu’on a obéi pendant si longtemps silencieusement à vos injonctions funèbres que cela va continuer.
Vieillir, c’est être sauvage, en colère, passionné. Vieillir, ce n’est pas renoncer. Vieillir, ce n’est pas devenir raisonnable. Vieillir, c’est se désencombrer de ce soi qui vous a tant harcelé. Vieillir, c’est ne plus attendre quoi que ce soit de ce que vous n’aimez pas et que vous avez tout de même fait parce que vous vous y sentiez obligé. Gratitude. Oui, gratitude d’être encore là. De sentir le commencement d’une journée et d’y être invitée. Alors je m’élance dans le bleu tendre du petit matin casque sur les oreilles avec Prohibition de et par Brigitte Fontaine : «J’exhibai ma carte Senior/ Sous les yeux goguenards des porcs/ Qui partirent d’un rire obscène/ Vers ma silhouette de sirène/ Je suis vieille et je vous encule/ Avec mon look de libellule/ Je suis vieille et je vais crever/ Un petit détail oublié.»
Tout le monde dort dans le village à l’exception du chat de la voisine, vieux lui aussi, qui me regarde courir lentement. Oui, je cours lentement mais je cours et personne pour se moquer de moi. A l’ombre portée des arbres fruitiers, sur le chemin, je sais quelle heure il est. Je ralentis près de la cabane à outils et cherche l’ombre. Je cours maladroitement mais je cours. Pas question de m’arrêter ni de ralentir. Pas question d’aller plus loin. L’important est de revenir sans avoir le souffle coupé. Conquête de et sur soi-même. Je ressemble à une tortue échouée au milieu de nulle part mais j’ai réussi. J’ai réussi quoi ? A faire la même chose que la veille. Vieillir, c’est un perpétuel devenir. Ce n’est pas l’art d’accommoder ce qui nous reste mais faire circuler autrement ce que nous possédons encore, au-delà même de ce que nous imaginons.
Ce qui importe, c’est la liberté de vivre le présent
Nous, les vieux, nous en avons marre d’être soumis en permanence à l’injonction de pouvoir encore faire, de savoir encore faire. Nous, les vieux, on a le sentiment, voire même la certitude, qu’on décide à notre place de ce que et comment nous devons vivre. Ceux qui ne se prétendent pas vieux ont décidé qu’il n’y avait plus de place. Nous, le peuple invisible, nous avons accepté – jusqu’à aujourd’hui mais les choses sont en train de changer – cette invisibilisation, ce consentement volontaire à ne plus être des sujets à part entière de la société. On nous met loin du cœur des cités pour ne pas déranger, on nous exporte loin du cœur battant parce qu’on pourrait gêner.
Loin, on nous met loin du centre dans tous les sens du terme, loin du centre des décisions, nous ne sommes plus des centres d’intérêt. Allons-nous longtemps nous contenter du monde en solde que les autres, certains autres, veulent nous léguer pour mieux nous reléguer ? Nous prétendons être aussi au centre du monde, au centre de notre monde où nous passons beaucoup de temps à être ce qu’on nomme des aidants. Oui, on ne s’occupe pas que de nous-mêmes, on s’occupe beaucoup des autres puisque nous sommes à la retraite mais pas en retrait du monde et, sans en parler le plus souvent, on vient en aide comme on peut à celles et ceux qui ne sont pas dans la marche triomphante et accélérée du monde tel qu’il va. L’impitoyable aujourd’hui qui nous tolère au mieux, nous stigmatise au pire.
J.-M. Coetzee dans son admirable livre l’Homme ralenti met en scène un homme d’une soixantaine d’années victime d’un accident de vélo qui prend alors conscience de son âge. Avant il n’y pensait jamais. Cette insouciance lui est brutalement enlevée. Son amie Elizabeth Costello, du même âge que lui, mais plus lucide (c’est souvent le cas), lui parle de sa décision intérieure de lâcher prise et de profiter de chaque instant. Elle lui fait comprendre que ce n’est pas le nombre d’années qui importe mais la liberté de vivre le présent. L’âge, en effet, n’est pas seulement une donnée biologique, c’est aussi un sentiment. Il dépend de la classe sociale et du contexte historique. Ainsi, au XIXe siècle, si on était une fille d’un milieu «modeste» et pas mariée à 20 ans, on devenait aux yeux du monde et pour toujours une «vieille fille».
Nous qui avons atteint un âge certain, nous terminons notre existence sans en connaître la fin et n’avons plus tant besoin de donner des preuves. Nous n’avons plus grand-chose à perdre donc nous sommes de bons joueurs, de bons marcheurs des chemins de traverse. L’âge mûr n’est pas une période vouée au déclin que l’on devrait subir le mieux possible mais comme un cycle de liberté et de plaisir où je peux accomplir ce à quoi je n’avais jamais pensé. Il ne faut pas que les non-vieux confondent l’image que la société donne de nous avec ce que nous sommes en notre for intérieur. «Partout c’est la prohibition/ Parole écrit fornication/ Foutre interdit à 60 ans/ Ou scandale et ricanements/ Les malades sont prohibés/ On les jette dans les fossés/ A moins qu’ils n’apportent du blé/ De la tune aux plus fortunés.»
En moi ça craque, les articulations et quelquefois le moral quand je vois que je ne peux faire ce qui me plaît. Par exemple dans cette beauté de la lumière d’été partir en randonnée à vélo. Heureusement mes petits-enfants, aussi prévenants que compatissants, m’ont offert un vélo électrique. Alors je crâne au milieu des vignes. J’ai l’impression – peut-être factice – que le monde s’élargit au lieu de s’amenuiser. Je suis heureuse d’être comme tant de personnes de mon âge ou ayant dépassé mon âge, vieille et en bonne santé. Je ne sais de combien de temps sera le bonus.
J’ai hâte d’encore vieillir. Tant de choses à faire. Et, notamment continuer le combat de notre nouvelle association la Cnav, «Conseil national autoproclamé de la vieillesse», une bande de copines et de copains excédés par la manière dont on nous prend pour des moins que rien, nous qui, à l’aube de notre jeunesse, avons fait 68 contre une société qui donnait toutes les responsabilités aux vieux… Nous préparons des AG, des manifestations, des états généraux. La révolte des vieux ne fait que commencer. «J’ai d’autres projets vous voyez/ Je vais baiser, boire et fumer/ Je vais m’inventer d’autres cieux/ Toujours plus vastes et précieux.»
Julia de Funès - Développement (im)personnel : le succès d'une imposture
Très bon entretien. Julia de Funès franche, claire et précise comme à l'accoutumée. On pense à la citation de Pascal "Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C'est de là qu'il nous faut relever et non de l'espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser: voilà le principe de la morale." >>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>>
Le désir est ce qui manifeste à l’homme son incarnation : certes, il est un sujet qui pense de façon rationnelle, mais il est aussi un être qui éprouve, qui est animé par des forces qui parfois le dépassent, le débordent. Si maîtriser ses désirs permet de ne plus les subir et d’atteindre une certaine sagesse, le désir est aussi ce qui nous met à l’épreuve et qui nous interroge sur notre capacité à pouvoir assumer nos désirs. Faire l’épreuve du désir, c’est aussi prendre le risque de se découvrir soi-même. Il est donc une force qui nous révèle à nous-mêmes, que l’on résiste à cette force, que l’on y cède ou qu’on l’affirme.
La culture sert de terme médian, de lien entre la vérité et la cité. D'une part, elle permet aux hommes de vivre ensemble et elle cimente ce même « vivre ensemble ». En effet, il n'y a pas de communauté humaine sans culture, ni de culture sans communauté humaine - donc sans cité. La cité est une réalité naturelle et il lui appartient de secréter des cultures. Celles-ci ne méritent, pourtant, d'être appelées ainsi que lorsqu'elles acceptent d'être inspirées et fondées sur le respect de l'homme.
..... Une culture ne peut se dire noble qu'en fonction de son aptitude à saisir l'homme en sa vérité et à lui reconnaître les droits liés à la vérité de son être. ...... Négliger le questionnement sur l'être de l'homme conduit inévitablement à refuser de rechercher la vérité objective sur l'être dans son intégralité et, de ce fait, à ne plus être capable de reconnaître le fondement sur lequel repose la dignité de l'homme, de tout homme »
...... une culture vit toujours en interaction avec d'autres cultures, et que « la » culture est un événement plus qu'un fait établi et acquis.
..... l'homme est maître et sujet de la culture .
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Il n'est pas indifférent que l'on ait ou non une Weltanschauung ( une grille de lecture de sa relation au monde...de ses croyances ), ni de quelle sorte elle est ; car non seulement nous créons ainsi une image du monde mais, par un choc en retour, cette image du monde nous transforme à son tour. .... et par la même trans-formons notre monde ..... et ainsi de suite ....
C.G.Jung
La vie dans le sens véritable, on ne l'a pas en soi, de soi tout seul et pas même seulement par soi: elle est une relation. Et la vie dans sa totalité est relation avec Celui qui est la source de la vie. Si nous sommes en relation avec Celui qui ne meurt pas, qui est Lui-même la Vie et l'Amour, alors nous sommes dans la vie. Alors nous vivons ».
L'important est d'être conscient de mes ... de nos ...ENtre-relations …. au visible, à l’invisible ….à moi, aux personnes, aux idées, aux choses, à la vie, au monde, à la création ... De ne pas être dupe de mon Moi Je de mon « être » …. Derrière, seulement, commence la réalité ...la vérité …la vraie vie ...
« L'ordre de l’UNIvers incarné EN la pensée- coeur-corps de la femme et de l’homme.
Avant, sexualité et procréation allaient de pair. Avec la contraception, sexualité et procréation ont été séparées. Maintenant, on a la procréation sans la sexualité. En parallèle, les structures familiales se sont fragilisées et diversifiées depuis une trentaine d'années.
La société conforte leur diversité. Cela prépare le chemin à une conception avec des gamètes fabriqués à partir de cellules-souches et avec un utérus artificiel, aujourd'hui testé sur des agneaux prématurés. C'est une révolution sociétale majeure qui se profile. De quoi mettre à terre des millénaires de transmission entre générations. Je trouve cela extrêmement dommage car on porte atteinte à la filiation, qui n'est pas seulement de la biologie mais aussi l'ancrage et le passage de relais d'une histoire familiale. Nous verrons quel sera le résultat après trente ans de procréation hors du schéma naturel. Il ne faut pas exclure l'hypothèse d'un rebond car l'individualisme n'a jamais été une solution de bonheur.
* Éditions Les Liens qui libèrent. Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 21/12/2017.
…..de sa petite voix... intérieure …..
CORRELATs
«Le phénomène de la petite voix intérieure n’est pas universel»
Tout ce qui est autocritique («J’aurais dû faire ça», «J’ai encore oublié ça…») contribue à s’améliorer. La voix intérieure contribue à l’autorégulation, l’automotivation, l’autoencouragement… Elle a un grand rôle dans ce qu’on appelle l’autonoèse, la connaissance de soi. C’est plus que la conscience d’être soi-même, c’est se construire une identité stable dans le temps. On n’est pas le même aujourd’hui que dans l’enfance ou qu’il y a dix ans, et pourtant on a le sentiment très fort d’être la même personne. Et ce sentiment se nourrit de tout ce qu’on se dit sur soi-même, de souvenirs évoqués, de ce qu’on se projette sur ce qu’on sera plus tard, cette capacité qu’on a de se faire des récits intérieurs.
Le pape Benoît XVI au Palais présidentiel de Prague
Le 26 septembre 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde
….. Aujourd’hui, tout particulièrement chez les jeunes, la question de la nature de la liberté qui a été gagnée refait surface également. Dans quel but cette liberté est-elle exercée ? Quelles sont ses véritables critères d’authenticité ?
Chaque génération a le devoir de s’engager à nouveau dans la difficile tâche d’ordonner de façon juste les affaires humaines, cherchant à comprendre le juste usage de la liberté humaine (cf. Spe Salvi, n.25). Alors que le devoir de renforcer « les structures de liberté » s’avère vital, ce n’est pourtant pas suffisant : les aspirations humaines s’élèvent au-delà du quant-à-soi, au-delà de ce qu’aucune autorité politique ou économique peut offrir, vers une espérance rayonnante (cf. ibid., n.35) qui a son origine au-delà de nous-mêmes même si nous la rencontrons en nous, en tant que vérité, beauté et bonté. La liberté est en quête d’un but : cela requiert une conviction. La vraie liberté présuppose la recherche de la vérité – du vrai bien – et, de là, trouve précisément son accomplissement en connaissant et en faisant ce qui est opportun et juste……. En effet, la haute responsabilité d’éveiller la réceptivité à la vérité et à la bonté incombe à tous les responsables – religieux, politique et culturel, chacun dans son domaine. Conjointement, nous devons nous engager dans la lutte pour la liberté et la recherche de la vérité, qui soit vont ensemble main dans la main, soit périssent ensemble misérablement (cf. Fides et ratio, n. 90).
…..
Hommage à Benoît XVI, prophète incompris de notre temps
Dit ainsi, cela semble simple. Ce n’est pas le cas. Il faut de la foi, une pensée claire, l’amour de Dieu et du prochain. Joseph Ratzinger a écrit dans « Théologie de la libération et autres défis » que « l’esprit humain semble plus apte à concevoir de nouveaux moyens de destruction que de nouveaux chemins vers la vie ». Il est plus ingénieux pour introduire des armes de guerre dans tous les coins du monde que pour y apporter du pain. Pourquoi tout cela arrive-t-il ? Parce que nos âmes sont mal nourries, nos cœurs sont aveuglés et endurcis. Le monde est en désordre parce que nos cœurs sont en désordre, parce qu’il lui manque l’amour, donc il est incapable de montrer à la raison les voies de la justice ».
En 1992, Ivana Trump s'affichait en Une de Vanity Fair. Une image chère à son cœur, affichée durant ses funérailles mercredile 20 juillet à New York.
« En grandissant, ma mère ne m'a pas dit qu'une femme pouvait faire tout ce qu'elle voulait : elle me l'a montré », a-t-elle déclaré mercredi, lors des funérailles de sa mère à New York.
Football : l’équipe féminine anglaise « trop blanche » ?
Alors, trop blanche, cette équipe féminine anglaise ? Le débat qui agite le Royaume-Uni ouvrira-t-il la porte à des quotas raciaux dans le monde du sport britannique ? En attendant, si cela peut consoler Eilidh Barbour, les « Lionesses » n’ont pas manqué à leur « devoir » de reconnaissance envers le lobby LGBT. Leur capitaine a, pendant toute la compétition, fièrement porté le drapeau arc en ciel.
Et je reprendrai Guénon sur ces mensonges hypnotiques du monde moderne :
« À cet égard, nous ne croyons pas qu’on ait jamais remarqué suffisamment l’analogie, pourtant frappante, que l’action de l’orateur, notamment, présente avec celle de l’hypnotiseur (et celle du dompteur est également du même ordre) ; nous signalons en passant ce sujet d’études à l’attention des psychologues. Sans doute, le pouvoir des mots s’est-il déjà exercé plus ou moins en d’autres temps que le nôtre ; mais ce dont on n’a pas d’exemple, c’est cette gigantesque hallucination collective par laquelle toute une partie de l’humanité en est arrivée à prendre les plus vaines chimères pour d’incontestables réalités ; et, parmi ces idoles de l’esprit moderne, celles que nous dénonçons présentement sont peut-être les plus pernicieuses de toutes… (Orient et Occident, p. 23). »
Élimination réussie de la concurrence: les États-Unis sont désormais le premier exportateur mondial de GNL
L’Europe est plus qu’un continent. C’est une maison ! Et la liberté trouve son sens le plus profond dans une patrie spirituelle. Avec un respect entier pour la distinction entre le domaine politique et celui de la religion – qui garantit la liberté des citoyens d’exprimer leur croyance religieuse et de vivre conformité avec elle – je souhaite souligner le rôle irremplaçable du Christianisme pour la formation de la conscience de chaque génération et la promotion d’un consensus éthique de base qui est utile à toute personne qui appelle ce continent « ma maison » ! Dans cet esprit, je souhaite reconnaître la voix de ceux qui aujourd’hui, à travers ce pays et ce continent, cherchent à vivre, dans la vie publique, leur foi de façon aussi déterminée que sereine, dans l’attente que les normes sociales soient informées par le désir de vivre dans la vérité qui nous rend libres (cf. Caritas in Veritate, n. 9).
envoyé : 7 mars 2023 à 00:57 de : Homocoques <Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.> à : a JUNG famille Sophie et Thierry <Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.'>;, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. objet : OU-VrOIR 2016 - ... et alors ? ... Qu'est-ce que, robert l'alsacien aux racines chrétiennes à 91 ans et à la grande gueule ... -FAIT-là-ENtre- ... "UN-Passé-plus-ou-moins-FINi - & - UN-Â-venir-INfini-EN-ENtre-constructionS" .....? ..........
Des voix s’élèvent, s’approchent du centre de la scène qu’est ce livre et s’expriment. Ce qui les lie, c’est qu’elles portent toutes des contradictions. On pourrait s’en inquiéter, dans un monde où il faut constamment choisir son camp. Mais ici, l’homme n’est ni bon ni mauvais. Il hésite, souffre, espère et doute, comme nous tous. N’est-ce pas là l’expérience qui est la nôtre aujourd’hui ? Chercher tant bien que mal à accorder nos paroles et nos actes ? Tenter de trouver du sens là où il n’y en a plus ? Voir que les choses sont sans espoir, et pourtant être résolu à vouloir les changer ? Une adresse aux lecteurs qui intensifie la poésie, une façon de se réapproprier le discours sous forme de nouvelles. Antoine Wauters va toujours plus avant dans l’exploration des frontières du roman, et nous le suivons.
Paris, le 17 juin : portrait de la linguiste Hélène Lœvenbruck (Paul Rousteau/Libération)
Rencontre avec la chercheuse en linguistique et neurocognition Hélène Lœvenbruck, autrice d’un livre qui décortique une activité mentale très commune: se parler à soi-même
Nous nous parlons un quart du temps à nous-mêmes. Une activité silencieuse et industrieuse : lister des choses à faire, réciter des vers, fredonner un air, se motiver pour un rendez-vous, rejouer un conflit… C’est la fameuse «petite voix», si intime, qui semble se démultiplier quand on se rappelle une conversation ou quand on a l’impression d’écouter quelqu’un d’autre parler dans notre tête. Hélène Lœvenbruck les apprivoise et les décortique à sa manière dans le laboratoire du CNRS de psychologie et neurocognition à Grenoble qu’elle dirige (1). Dans un essai richement référencé, la linguiste montre combien le phénomène du langage intérieur se situe à la croisée de plusieurs disciplines, neurosciences, philosophie, psychiatrie, psycholinguistique et littérature, et combien il n’a pas encore livré tous ses secrets. Entretien.
Qu’est-ce que le langage intérieur ?
C’est la parole formulée dans sa tête, qui est antérieure à l’émission de la parole à voix haute. On l’appelle endophasie. La strate la plus développée correspond à celle qu’on entend dans sa tête quand on récite un poème par exemple. Mais certaines phases peuvent être moins formulées, parfois juste des mots, parfois seulement un concept. Parfois on décide de parler dans sa tête, consciemment, par exemple en se répétant une liste de courses. A d’autres moments, ce n’est pas conscient.
Comment ça pas conscient ?
C’est le fameux vagabondage mental, que défend Gabriel Bergounioux (1). On pourrait le comparer à une sorte de magma avec des éruptions de temps en temps. Vous regardez la colonne de la Bastille, elle suscite une pensée peut-être pas très intéressante qui va passer sous le seuil de la conscience, puis une autre à laquelle on prête cette fois-ci attention. Mon sentiment, c’est qu’on a une parole intérieure qui est inconsciente et qui émerge parfois à la conscience, avec plus ou moins de sensations auditives associées.
Est-ce lié au monologue intérieur de la littérature ?
Les études et expérimentations littéraires sur le monologue intérieur sont nées au moment où les psychologues et philosophes commencent à s’y intéresser à la fin du XIXe siècle. Aux Etats-Unis, William James parle de «flux de conscience» ; en France, Victor Egger consacre sa thèse de philosophie à la Parole intérieure et même Hippolyte Taine avait commencé à réfléchir sur les phénomènes mentaux, en particulier le langage intérieur. Ces recherches ont nourri l’imaginaire des écrivains de l’époque : Edouard Dujardin avec son roman entier en monologue intérieur Les lauriers sont coupés, James Joyce dont on peut citer le soliloque de Molly Bloom à la fin d’Ulysse et qui se réclamait lui-même de Dujardin, Dorothy Richardson, Valéry Larbaud, Virginia Woolf, chacun d’entre eux l’ont retranscrit à leur manière… Tout un faisceau international d’écrivains s’est intéressé à la manière de rendre le flux de pensées d’un personnage à l’écrit, en étant le plus juste possible. Avec le progrès des outils qui permettent de sortir de l’introspection et de la subjectivité, et de réaliser des mesures, les neurosciences se sont emparées de la question.
Est-ce que ce sont des propos toujours cohérents que nous nous tenons intérieurement ?
Certaines personnes ont tendance à utiliser une parole intérieure développée, avec de belles phrases, alors que pour d’autres il s’agit de bribes, d’abrègement du langage. Cela va de la condensation à la dilatation. Le monologue final de Finnegans Wake de James Joyce est un modèle d’endophasie condensée. Ce continuum d’un extrême à l’autre qui dépend des individus a été décrit par de nombreux auteurs. La situation influe aussi : si on doit préparer une conférence, on aura à l’esprit plutôt des mots et des phrases bien posés. De même, si on fait sa valise, on va énumérer les différents objets à emmener. A d’autres moments où il faut aller très vite, on sera moins précis dans notre formulation interne.
Est-ce qu’on ne s’adresse pas aussi à soi-même dans sa tête et même parfois à autrui ?
C’est la deuxième dimension de la voix intérieure. Dans le monologue, on utilise le «je». Certaines personnes disent que c’est leur propre voix qu’elles entendent, d’autres qu’elle est différente, plus neutre, sans inflexion. Un autre cas de figure, c’est l’imitation mentale de quelqu’un d’autre. Exemple : je peux parler dans ma tête en m’imaginant que je suis Dark Vador avec sa respiration terrifiante. Et puis, il y a la possibilité de simuler des dialogues. On peut revivre une conversation de la veille, souvent quand elle s’est mal passée, et imaginer ce qu’on aurait pu répondre. On peut aussi jouer un dialogue intérieur pour se préparer à une conversation à venir. Simuler des dialogues avec autrui, c’est ce qu’on appelle la dialogalité. On peut aussi explorer dans sa tête plusieurs perspectives ou arguments sur une même idée. Je peux dire : «Ah tiens, je vais voter pour X pour telle raison» et puis en fait : «Ce serait mieux Y pour telle autre raison». Dans une enquête pour le Guardian sur la voix dans la tête, Sirin Kale a interviewé une femme qui lui a raconté que quand elle avait une décision importante à prendre dans sa vie, cela prenait la forme d’un dialogue vif entre deux personnes, un couple d’Italiens alors qu’elle est anglaise. Et elle choisit à la fin celui qui a le meilleur argument.
Quelle est la troisième dimension ?
C’est la différence entre endophasie intentionnelle et non intentionnelle, les fluctuations entre des moments où on sait qu’on parle dans notre tête et des moments de vagabondage mental. On peut décider quand démarre et s’arrête la parole délibérée, intentionnelle. La non intentionnelle survient sans qu’on sache pourquoi. On a des stimuli mentaux qu’on se crée soi-même, mais dont on ne contrôle absolument pas ni l’initiation, ni l’interaction. Cela pose plein de questions sur le contrôle de nous-mêmes, de notre pensée, de notre conscience et même de notre libre arbitre. Parfois cela peut aller jusqu’à ne pas savoir si ce qu’on entend on l’a formulé soi-même.
Est-ce entendre des voix à la Jeanne d’Arc ?
Oui, et beaucoup d’écrivains le disent. Dickens affirmait entendre ses personnages et écrire les dialogues sous la dictée. Les chercheurs en endophasie du projet «Hearing the voice» de l’université de Durham ont mené une enquête en 2014 auprès d’écrivains, nombre d’entre eux disaient ne pas avoir la sensation d’être l’auteur de leurs écrits. Le dysfonctionnement d’un des mécanismes du cerveau peut produire l’impression de ne pas être l’auteur de nos pensées, et que la voix vient de l’extérieur. C’est là où on est Jeanne d’Arc, quelqu’un qui entend des voix. Pour moi, comme pour mes collègues à l’université de Durham, il y a une sorte de continuum entre la parole intérieure inconsciente et peu intentionnelle, qui a l’air d’arriver spontanément, et la vraie hallucination auditive, où l’on perçoit une voix avec l’impression que c’est autrui qui nous parle dans notre tête.
Pouvez-vous l’observer scientifiquement ce dysfonctionnement ?
A l’imagerie cérébrale, les régions de la motricité du langage et les régions auditives sont activées normalement. Mais, alors qu’habituellement elles sont connectées, cette boucle semble interrompue chez la personne qui entend des voix. Donc elle entend quelque chose dans sa tête, mais elle n’a pas la sensation de l’avoir produit elle-même. On ne sait pas expliquer cette déconnexion dans le cerveau. On commence à en avoir des traces objectives par l’imagerie mentale. Lucile Rapin, une doctorante de notre laboratoire qui a travaillé avec un spécialiste des hallucinations mentales chez les patients schizophrènes à l’université de British Columbia à Vancouver, a ainsi pu observer par l’imagerie mentale cette absence de connexions entre ces deux régions, et également une activité des muscles et des lèvres de la personne en train d’avoir une hallucination auditive grâce à de petits capteurs électromyographiques.
A-t-on tous une petite voix intérieure ?
Plein de théories ont été élaborées à partir de l’acception que tout le monde se parle à soi-même. Si on remonte aux travaux d’Hippolyte Taine, de Francis Galton aux Etats-Unis et même Jean-Martin Charcot, ils avaient commencé à percevoir que nous ne sommes pas universels dans notre façon de mentaliser le monde. Charcot avait remarqué que des patients affirmaient ne pas avoir de visuel dans la tête. Mais cela n’avait jamais constitué un vrai objet d’études, jusqu’à ce qu’en 2010, le neurologue anglais Aden Zeman tombe sur le cas d’un patient qui disait ne plus voir dans sa tête depuis une opération d’angioplastie. Par exemple, quand on lui demandait d’imaginer un tigre, il savait bien que c’était un félin à rayures, mais il n’avait pas de sensation visuelle. Après avoir publié son article, Zeman a reçu des centaines de courriers de gens qui disaient être ainsi depuis leur naissance et que cela n’avait rien de spécifique. Avec son équipe, ils ont inventé le terme d’aphantasie, qui peut être visuelle mais aussi auditive. Si on demande à un aphantasique d’imaginer un bruit de klaxon, il ne peut pas. Il sait ce que c’est qu’un klaxon, reconnaît le son, mais il ne peut pas le simuler dans sa tête. De même pour le goût, l’odorat, le contact… On en est venu à parler d’aphantasie multimodale, soit une modalité, soit plusieurs, soit toutes en fonction des individus. Le phénomène de petite voix intérieure n’est donc pas universel, et on estime selon les études, que l’aphantasie concerne entre 2 et 6 % de la population.
Est-ce que cela complique l’existence ?
Dans certains cas, c’est un inconvénient : quand on a besoin de visualiser, de retenir des choses comme un numéro de téléphone. Personnellement, si je ne me le dis pas dans la tête ou si je ne le vois pas écrit, j’ai du mal à m’en souvenir… Les aphantasiques trouvent une autre stratégie. Ils ont une mémoire acérée du factuel, mais qui n’est pas riche en détails sensoriels. Par contre, ils n’ont pas de flash-back et sont moins à la merci d’images intrusives en cas de stress post-traumatique. Un deuxième avantage, sur lesquelles nous effectuons actuellement des mesures à Grenoble, tiendrait dans une plus grande rapidité de traitement.
A quoi sert la voix intérieure ?
Tout ce qui est autocritique («J’aurais dû faire ça», «J’ai encore oublié ça…») contribue à s’améliorer. La voix intérieure contribue à l’autorégulation, l’automotivation, l’autoencouragement… Elle a un grand rôle dans ce qu’on appelle l’autonoèse, la connaissance de soi. C’est plus que la conscience d’être soi-même, c’est se construire une identité stable dans le temps. On n’est pas le même aujourd’hui que dans l’enfance ou qu’il y a dix ans, et pourtant on a le sentiment très fort d’être la même personne. Et ce sentiment se nourrit de tout ce qu’on se dit sur soi-même, de souvenirs évoqués, de ce qu’on se projette sur ce qu’on sera plus tard, cette capacité qu’on a de se faire des récits intérieurs.
(1) D’autres labos en France travaillent sur le langage intérieur, en particulier le programme Monologuer coordonné par Stéphanie Smadja à l’université Paris-Cité et le Laboratoire ligérien de linguistique à l’Université d’Orléans sous la direction de Gabriel Bergounioux.
Hélène Lœvenbruck, le Mystère des voix intérieures, Denoël, 350 pp., 19 € (ebook : 13,99 €).
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8 avril 2014 à 16 h 04
Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09
Vous lisez ce texte et il est plus que probable que vous vous entendiez le lire dans votre tête. Ce phénomène porte un nom: inner speech, traduit en français par parole intérieure. «C’est la petite voix que l’on entend à l’intérieur de notre tête, qui nous ancre dans notre personnalité et qui joue un grand rôle dans notre quotidien, en nous facilitant la vie ou en nous causant des problèmes», affirme Lucile Rapin, chercheuse postdoctorante au Département de linguistique. La jeune femme est l’une des auteures d’un article paru récemment dans la revue Behavioural Brain Research faisant état des avancées de la recherche sur la parole intérieure.
À ce jour, les chercheurs s’entendent pour définir deux types de parole intérieure. La parole intérieure volontaire – lorsque, par exemple, on compte des objets dans notre tête ou qu’on se repasse le récit d’une journée – et la parole vagabonde ou spontanée. «Celle-ci survient surtout en état de repos ou en début de phase de sommeil», explique la chercheuse.
Depuis l’avènement de l’imagerie cérébrale, on sait que les deux types de parole intérieure activent des réseaux neuronaux différents dans le cerveau. «Plusieurs recherches ont été réalisées sur le sujet, mais il reste encore beaucoup de questions sans réponse, car il n’y a aucun corrélat externe pour analyser le phénomène dans toute sa complexité», précise Lucile Rapin.
Un rôle cognitif
Les récentes études attribuent à la parole intérieure un rôle crucial sur le plan cognitif. La petite voix dans notre tête serait un atout précieux à la mémoire de travail, nous aiderait à passer d’une tâche à une autre et à résoudre des problèmes. Elle entrerait aussi en jeu dans la régulation de notre attention et de nos comportements.
Lucile Rapin. Photo: Nathalie St-Pierre
La parole intérieure est toujours présente, souligne Lucile Rapin. «C’est l’état mental de chacun qui détermine si elle est utilisée à bon escient ou non. Parfois c’est un choix conscient, alors que d’autres fois ce sont des conditions psychologiques et/ou psychiques hors de notre contrôle qui nous poussent à ruminer certains événements. C’est le cas notamment des personnes dépressives, qui peuvent avoir de la difficulté à restreindre leurs pensées négatives, ou alors des schizophrènes, qui ont des hallucinations auditives.»
La chercheuse connaît bien les hallucinations auditives verbales des schizophrènes, puisqu’elle y a consacré sa thèse de doctorat à Grenoble. «La schizophrénie est un désordre de la parole intérieure, souligne la chercheuse. Les schizophrènes sont convaincus que les voix qu’ils entendent ne proviennent pas de leur propre tête.»
Notre voix intérieure
Savoir que c’est la nôtre constitue d’ailleurs l’une des caractéristiques les plus fascinantes de cette petite voix intérieure qui nous accompagne au quotidien. «Nous avons conscience que c’est notre voix et non pas celle de quelqu’un d’autre, explique Lucile Rapin. On voit aussi ce phénomène sur le plan moteur quand on tente de se chatouiller soi-même. C’est impossible car le cerveau bloque cette réponse-là. Il sait que c’est nous qui le faisons.»
Chez les schizophrènes, la comparaison voix intérieure/voix extérieure ne fonctionne pas. Ils entendent leur voix intérieure avec la même forme linguistique, la même hauteur et le même ton que si c’était la voix d’autrui. Pire, ils entendent plusieurs voix, sans être capables de reconnaître qu’ils en sont les producteurs.
L’apparition de la petite voix
Comment se développe cette petite voix intérieure? «Certains théoriciens, comme Vygotski [NDLR: un psychologue russe du début du XXe siècle], croient que la parole intérieure est développementale, c’est-à-dire que très jeunes, les enfants expriment tout ce qui leur passe par la tête à voix haute, explique Lucile Rapin. Ils développent ensuite le langage semi-privé, où ils se parlent à eux-mêmes oralement. Ils font des jeux de rôle avec leurs jouets, ils discutent seuls, c’est l’âge des copains imaginaires. Ensuite ce langage privé serait intériorisé.»
Mais d’autres théories n’associent pas nécessairement la parole intérieure au langage. «Des études récentes ont démontré que des bébés distinguent les mots de deux syllabes des mots de trois syllabes alors qu’ils ne parlent pas encore, note la chercheuse. Ce qui supposerait une forme de pensée qui précéderait l’acquisition du langage.»
Il y a encore plusieurs recherches à mener sur la parole intérieure pour comprendre ses formes et ses rôles, poursuit Lucile Rapin, qui participe présentement à une recherche afin de mieux saisir comment notre cerveau peut nous faire entendre la voix de notre mère, par exemple, en parole intérieure. Il s’agirait d’un sous-type de la parole intérieure volontaire qui intrigue les chercheurs.
Postdoctorat
Sous la direction de la professeure Lucie Ménard, Lucile Rapin travaille aussi sur la production et la perception de la prosodie chez des enfants autistes âgés entre 6 et 10 ans, plus spécifiquement sur l’absence d’emphase contrastée. «L’emphase contrastée, c’est quand on accentue une partie d’un message linguistique, comme dans C’est cet arbre! On hyperarticule, on met l’accent sur le mot. Puisque les enfants autistes ont souvent des troubles de communication, on essaie de comprendre si ce trait est déficitaire. Les premières études démontrent qu’ils ont plus de difficulté à reconnaître cet accent et à le produire. Je me penche sur l’aspect articulatoire, pour vérifier si leur contrôle de mâchoire et de
Qui ne s’est pas surpris à s’entendre dire en silence : « Calme-toi », « Allez, du courage ! », « Non, ne fais pas ça »… Cette petite voix intérieure, nous la connaissons tous. Elle intervient souvent dans les moments stratégiques où l’on doit absolument se contrôler pour affronter une situation délicate, et maîtriser ses propres pulsions. Le coureur de fond connaît bien ce phénomène. Quand le corps est épuisé et voudrait s’arrêter, cette voix intérieure nous aide : « Allez, encore un kilomètre, allez jusqu’au virage… » Alexa Tullett, doctorante en psychologie, et le professeur Michael Inzlicht, de l’université de Toronto, ont mis au point des expériences pour mesurer l’effet de la voix intérieure sur le self-control. Dans un de ces expériences, des personnes sont invitées à appuyer sur un bouton quand un symbole particulier apparaît sur un écran. Mais il doivent réfréner leur envie d’appuyer si un autre symbole apparaît. En effet, le test est fait de telle manière que le symbole qui déclenche l’action est beaucoup plus fréquent que les autres, de sorte que le fait d’appuyer sur le bouton devient rapidement une réponse impulsive. Si on invite les personnes à répéter intérieurement un mot pendant l’exercice, ce qui a pour effet de « bloquer » leur voix intérieure, alors leur performance à l’exercice se dégrade. A l’aide d’autre expériences du même genre, les chercheurs en concluent que les gens agissent de façon plus impulsive quand il ne peuvent avoir recours à leur « voix intérieure ». « Si nous ne sommes pas capable de verbaliser des messages intérieurs, alors nous perdons une partie de notre self-control », résume Michael Inzlicht. Alexa M. Tullett, et Michaiel, Inzlichet (2010). The voice of self-control: Blocking the inner voice increases impulsive responding, Acta Psychologica, sous presse » Qui parle ?
Sous le masque d’Ingrid Capuçon (un nouveau pseudonyme), j’ai rédigé la petite brêve ci- dessus pour le Cercle psy. D’où vient cette petite voix bien connue de chacun d’entre nous ? Qui est-elle ? Aucun doute : c’est bien moi qui parle, qui me parle à moi même. Mais pourquoi se parler à soi même ? Y aurait-il a l’intérieur de moi deux personnages : l’un qui parle et un autre qui écoute ? L’écrivain japonais Murakami, qui, quand il n’écrit pas, s’entraîne pour le marathon, raconte comment fonctionne pour lui ce dialogue intérieur entre lui et son corps dans son Portrait de l’auteur en coureur de fond.
La première difficulté est de bien définir ce qu’est cette parole intérieure. Une définition restreinte la limite aux messages que l’on s’envoie à soi-même, pour se stimuler et s’encourager, durant certaines épreuves. Steven Callahan en a fait l’expérience lors de son naufrage en 1982. Le navigateur solitaire a eu recourt à la petite voix pour lutter contre la panique durant le naufrage, au milieu de la nuit; puis pour se tenir compagnie, pendant les 76 longues journées de solitude et de désespoir, lorsqu’il dérivait seul sur son bateau. (Voir Comment survivre seul en mer).
En tant qu’elle est un recourt durant les épreuves exigeant volonté et contrôle de soi, la « petite voix » intéresse justement les psychologues du sport et les spécialistes du développement personnel. Elle apparaît ainsi chez les anglo-saxons sous le nom de « self talk », « inner voice », « inner speech » ou encore « internal monologue ».
De ce point de vue, elle peut être rattachée l’auto-suggestion et même à la « méthode Coué », pas si stupide que cela et que l’on réhabilite aujourd’hui (voir ici)
Dans un sens plus large, la « petite voix » désigne tout monologue intérieur : pas simplement la voie qui nous encourager dans les épreuves, mais aussi cette parole silencieuse que l’on se surprend à entendre quand on réfléchi, où quand on poursuit en solitaire une discussion commencée plus tôt avec un ami ou un collègue. Cela vous est déjà arrivé, non ? Je suis dans la cuisine en train de préparer le repas du soir, je pense avec intensité à ma conférence que je dois faire demain, ou à une dispute avec machin, etc. et je me surprends en train de « parler tout bas », à remuer les lèvres et même à murmurant.
La « petite voix intérieure » a été étudiée aussi par les philosophes. Elle y a même, semble-t-il une longue tradition dans la philosophie antique et médiévale. Les philosophes antiques avaient bien perçu l’existence de ce « langage interne », repris et décrit par les penseurs médiévaux à travers la distinction en trois discours (orationes) : écrit, oral et « mental ». (voir C. Panaccio, Le Discours intérieur. De Platon à Guillaume d’Ockham, Seuil, 1999)
Mais le débat philosophique sur sa nature de la parole intérieure, les a embarqué dans des spéculations sans fin. Faut-il entendre par « parole intérieure », les « pensées intérieures » s’exprimant sous forme de langage à l’intérieur de soi. Cela signifierait alors que toute pensée est langage. Penser, ce n’est rien d’autre que de « parler intérieurement ». Et que ce que l’on croit être des idées personnelles ne serait que le produit d’une intériorisation des idées qui circulent dans le monde. Faut-il considérer au contraire la « parole intérieure » comme une pensée qui précède le langage. Une pensée faite d’images et de mots que l’on médite en soi et donc la parole n’est que la manifestation extérieure ? Dans un cas, la parole intérieur n’est que l’écho du monde qui raisonne dans ma tête. Dans l’autre, les mots que l’on prononce quand on parle, ne sont que le sommet d’une iceberg dont la parole intérieur est la partie immergée : la plus importante.
L. Wittgenstein a cru mettre un terme à toute ses spéculations en répudiant et assassinant la « petite voix ». Pour le philosophie anglais, toujours cassant et ombrageux, l’intérriorité, la subjectivité, les pensées intérieures, tout cela n’est que foutaise ! En terme technique, on dit que pour le philosophe anglais, le « langage privé » n’est qu’une illusion. Marleau-Ponty dit la même chose dans Phénoménologie de la perception. Je crois qu’ils ont tort.
Pour écouter la voix intérieur des autres: ce qui est normalement impossible, il faut se tourner vers les écrivains. Mieux que les psychologues ils ont su révéler l’importance de la « voix intérieure ». De James Joyce à David Lodge, la petite voix traduit toutes nos pensées intimes, ces petites cogitations personnelles qu’on rumine en silence, du matin au soir. Ces pensées secrêtes, non dites, parce que peut avouable, ou trop furtives, trop banales, trop vagues. (Si vous voulez un échantillon alors voir : Bienvenu dans mon cerveau, les romans de la vie intérieure).
Un psychologue et philosophe français complètement oublié : un certain Victor Egger (1848-1909) a publié en 1881 La parole intérieure : essai de psychologie descriptive, où il entreprend de montrer l’existence et décrire l’existence de la petit voix invisible qui cause parfois en nous. Je vais vous en reparler.
En attendant j’aimerais avoir votre avis. Est ce que vous aussi vous entendez régulièrement la petite voix intérieure ? Dans des circonstances particulières ?
Il s’agirait de l’une des facettes possibles que peut revêtir l’interface entre le « moi inconscient » (partie de notre esprit dont on a pas conscience)et le « moi conscient » (partie de notre esprit dont on a conscience). Le subconscient, trop souvent représenté malheureusement par la partie personnelle de l’inconscient (l’inconscient freudien et le fameux « ça » négatif) communique via le filtre du surmoi ( le plus souvent judéo-chrétien et moraliste « bien-mal »). Le surmoi juge du bien fondé moral de la « petite voix » et de la possibilité de porter à la connaissance du « moi conscient » des pensées profondes, des croyances issues du « moi inconscient ». Dans ce cas, la petite voix peut être culpabilisante, castratrice parfois et pleine de jugements. Mais l’inconscient renferme aussi un autre « ça » bien plus positif, lui, un pulsionnel aux vertus thérapeutiques, pour certains. Dans ce cas, la « petite voix » est porteuse de « bons conseils », elle peut devenir un guide voire permettre ce que l’on pourrait nommer l’intuition, le bon ressenti, etc. Quoiqu’il en soit, mon « moi inconscient » se permet un petit dialogue avec son alter égo « conscient » … un dialogue intérieur qui peut être exploité par la pratique de la méditation dite de pleine conscience ou mindfullness pour peu que ce dialogue soit accueilli sans jugement et avec distanciation. Une pensée, une croyance ne vaut que par ce que nous nous auto persuadons qu’elle est … elle ne vit que le temps qu’on lui donne vie MAIS à condition de savoir qu’elle nous habite voire nous anime inconsciemment. Il faut donc favoriser ce dialogue intérieur, dans la mesure où il n’est pas pathologique et perturbant outre mesure. Il s’agirait donc bien de la voix off du film de sa vie (pour les « freudiens » et les « lacaniens » mais plus encore pour les « transpersonnels » et les amateurs de la psychologie positive) ..
Publié le 01 juillet 2022"Thomas Dutronc, enfant, dans les bras de son père, Jacques."
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« C’est ma mère qui a pris cette image de mon père et moi, tout petit. Elle faisait toujours des photos de nous, avec un téléobjectif, serrés de près, et remplissait de très beaux albums, qu’elle a encore aujourd’hui. Ce cliché a sûrement été pris dans le jardin de la maison, à Paris, que mes parents avaient autrefois. Mon père me tient tendrement dans ses bras. Ça me touche de le voir tout doux. Même s’il était très aimant et très affectueux, ce n’était pas son genre d’être comme ça. Il était plutôt du style à tout faire pour me faire rire.
Ma mère et ma grand-mère maternelle, qui était très présente, étaient plus strictes, me donnaient un cadre, lui était plus léger. Je me souviens d’un jour, quand j’avais 5 ou 6 ans, où, comme ça, il m’avait donné un « Pascal », un billet de 500 francs. Je m’étais empressé d’aller avec lui au magasin de jouets acheter un bateau pirate. De retour à la maison, il s’était fait sacrément engueuler. Il m’impressionnait, parce que je sentais qu’il n’était pas comme les autres pères. Il adorait déjà les gadgets. Dans sa voiture, une sorte d’énorme 4 × 4, il avait un distributeur de boissons. C’était dingue.
Petit minet de père en fils
Il y a quelque temps, quand on a commencé à chanter ensemble, je me suis retrouvé dans sa voiture, un grand van. Et puis, un soir, il s’est mis à actionner une télécommande pour baisser le rideau entre les sièges avant et arrière. Il était tout content, et moi aussi, comme quand il me montrait le café qui tombait dans les gobelets de sa voiture. J’étais à nouveau un gosse. Ce petit gars qui, sur la photo, porte un blouson de cuir, comme son papa.
J’ai un vague souvenir de cette veste, d’ailleurs très jolie. Plus tard, on m’a affublé d’habits pas possible, des anoraks fluo… Il a fallu attendre l’adolescence pour que je retrouve des habits dignes. Et j’allais piquer dans son armoire. Je me souviens lui avoir chourré un portefeuille de bikeur avec une tête de mort sur lequel était écrit : « Live to ride, ride to live ». Je me baladais avec un peigne, des chaussures en cuir, un blouson Harrington. Un vrai petit minet… Sur ce point-là, comme sur tant d’autres, il a été un vrai modèle. »
Dutronc & Dutronc, cet été à Montreux, Aix-les-Bains, Nîmes, Carcassonne, La Rochelle, Patrimonio… Puis à la rentrée dans toute la France et le 21 décembre à l’AccorHotels Arena.
Clément Ghys
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Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Jacques Dutronc, né en 1943, a mis du poil à gratter dans les années 1960 avec ses chansons aux mélodies accrocheuses sur des textes insolents de Jacques Lanzmann. Thomas Dutronc, né en 1973, est tombé amoureux de la guitare en écoutant Django et a fait la pompe pour ses amis gitans avant de se risquer dans la chanson. Pour la première fois, ils montent ensemble sur scène, et c’est à Montreux que la fabuleuse jonction a eu lieu en première suisse.
Père et fils attaquent avec Et moi, et moi, et moi, un protest song de 1966 dont ils se partagent les couplets. Evidemment, les paroles sont un tantinet obsolètes. Les 500 millions de Chinois ont triplé depuis 1966 et le nom de Catherine Langeais ne dit plus grand-chose aux jeunes générations. Peu importe: la dénonciation de l’indifférence à autrui reste d’actualité: «J’y pense et puis j’oublie C’est la vie, c’est la vie…» Ils enchaînent sur La Fille du Père Noël, rugueux comme le rock du bayou, et On nous cache tout, on nous dit rien, excellente prémonition des fake news contemporaines.
Swing manouche
A la section rythmique (batterie, basse, claviers) s’ajoutent deux guitares, tenues par Rocky Gresset, tsigane fiévreux, et Basile Leroux, bluesman déchirant – sans oublier Thomas qui n’est pas manchot. Ils attaquent à trois guitares J’aime plus Paris, une chanson de Dutronc le jeune, vraie fête du swing manouche. A la fin, le gamin demande à son daron: «Tu n’avais pas aussi une chanson sur Paris?». «Un peu facile comme enchaînement», le gourmande le paternel qui entonne toutefois le merveilleux Il est cinq heures, Paris s’éveille. Ils règlent à deux voix leurs comptes avec l’autorité (Fais pas ci, fais pas ça), puis partent en goguette avec J’aime les filles. «De chez Renault», bien sûr, mais aussi «du canton de Vaud» et «de toute la Suisse». Ambiance, bonne humeur…
Avec les Dutronc, la nostalgie s’avère souriante, légère, émue. Les deux polissons nous ramènent aux folles années 1960, ils nous réconcilient avec le temps envolé. La ressemblance physique entre Jacques et Thomas est troublante, elle paraît relever davantage du clonage que de l’hérédité. Leurs voix se ressemblent. Celle du père est étonnamment conservée malgré les abus; celle du fils, plus claire, sonne comme celle du père un demi-siècle plus tôt – mais le blanc-bec ne trouve pas la modulation indispensable au «encore» qui relance Les Playboys.
Crac boum hue!
D’une qualité indéniable, les chansons du benjamin ont un impact moindre que les tubes cinquantenaires de l’ancien, car elles ne sont pas chargées de souvenirs. Tout fringant, Jacques n’en est pas moins fatigué. Il prend des pauses au bar du fond de scène, mais tourne ses 79 balais en dérision. Il remercie l’organisateur d’avoir mis à sa disposition un tabouret et non un déambulateur. Il esquisse quelques pas de twist arthritique et troque ses santiags contre des charentaises…
Deux chansons tendres, Gentleman cambrioleur et Le Petit jardin, précèdent la séquence émotion, une adresse à Françoise Hardy, atteinte dans sa santé. Son image apparaît au fond du bar pendant une version instrumentale du Temps de l’amour, son grand succès. Puis les deux godelureaux chantent à l’unisson Les Playboys et leur «joujou extra qui fait crac boum hue». Les spectateurs assurent à gorge déployée les «choup choup bi dou-ouah» structurant les couplets. Merde in France balance impeccablement lorsque survient une… coupure de courant! Flottement, Jacques se retire, les musiciens improvisent un blues poignant, Rocky interprète en virtuose What A Wonderful World. L’électricité revient, Jacques aussi et, cacapoum, cacapoum, ça redémarre à plein pot. Il reste à finir en beauté avec Les Cactus, immarcescible dénonciation des cruautés de l’existence. «Le monde entier est un cactus, il est impossible de s’asseoir». Aïe aïe aïe! Ouille! Et merci pour tout.
Inceste: le «syndrome d’aliénation parentale», travail de sape de la parole des mères
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Ne reposant sur aucune base scientifique, le syndrome est souvent invoqué pour discréditer les mères, accusées d’instrumentaliser leurs enfants qu’elles tentent de protéger de leur père violent. La commission sur l’inceste, la Ciivise, s’en alarme.
par Marion Dubreuil
publié le 5 juillet 2022 à 19h32
(mis à jour il y a 39 min)
«Quand je l’ai quitté en juillet 2018, il a commencé à me suivre au travail, à m’inonder d’appels et de SMS, raconte Karine (1), originaire de la région Centre-Val de Loire. J’ai mis ça sur le compte de la séparation.» Karine passe l’éponge, elle veut «arrondir les angles pour les enfants», les deux filles âgées de 3 ans et 18 mois dont elle et son ex-conjoint partagent la garde. Un soir d’octobre 2018, Fanny (1), l’aînée, se recroqueville sous la douche et dit à sa mère : «Papa me donne des tapes sur le “zouzou”» en mimant le geste de taper son sexe. Dès le lendemain, Karine dépose plainte pour atteinte sexuelle. Lors de son audition face à trois gendarmes, la petite fille pleure et hurle «non» dès qu’on lui pose une question, puis se réfugie sous la table et murmure «peur». Le père, convoqué en audition libre, admet qu’il donne des fessées à sa fille quand elle fait «une grosse crise». Fanny a dû confondre les fesses et le sexe, avance-t-il. L’homme «soupçonne son ex-conjointe d’avoir monté cette histoire pour obtenir seule la garde des enfants». Sept mois plus tard, l’enquête est classée sans suite faute de preuves, comme 70% des plaintes pour violences sexuelles sur mineurs.
En septembre 2019, le juge aux affaires familiales tranche pour la première fois sur la garde des enfants : il concède un droit de visite en journée au père pour Fanny et une garde partagée pour sa petite sœur Sarah (1). Jusqu’au mois de janvier 2020, où Sarah se plaint de fortes douleurs à la vulve. Un médecin urgentiste constate un œdème et des rougeurs sur le sexe de la petite fille de 2 ans et demi. Karine dépose une deuxième plainte pour atteinte sexuelle. Lors de son audition, le père accuse son ex-conjointe : «Elle manipule mes filles.» Il mentionne un article sur l’aliénation parentale consulté sur Internet : «C’est exactement ce que je vis.»
«Le procès d’Outreau, un terreau favorable»
Le syndrome d’aliénation parentale (SAP) a été théorisé par le psychiatre américain Richard Gardner en 1985 comme «un trouble de l’enfance qui survient dans le contexte de conflits relatifs à la résidence des enfants. Sa première manifestation est la campagne de dénigrement injustifiée menée par l’enfant contre un parent» après un «lavage de cerveau». D’après lui, 90% des mères sont aliénantes dans les divorces conflictuels, et lorsqu’il y a des allégations d’inceste, elles seraient alors fausses.
«Le procès d’Outreau et la remise en question de la parole des enfants a été un terreau favorable pour l’émergence du SAP en France dans les années 2000», déplore Marie Grimaud, avocate spécialisée dans la protection de l’enfance. Le psychiatre Paul Bensussan, expert judiciaire cité par la défense au procès d’Outreau de 2004, assure depuis vingt ans la promotion de l’aliénation parentale. C’est lui qui a expertisé Virginie (1) en décembre 2013. Cette mère qui réside en région parisienne avait déposé plainte pour viols et agressions sexuelles incestueux sur sa fille Camille (1), 3 ans, dont le comportement avait brusquement changé : «Dans le bain, elle positionnait la tête d’un jouet dans l’entrejambe de l’autre. Elle disait avoir la bouche sale et évoquait un secret avec son papa.» Une enquête pénale est ouverte. Dans son rapport d’expertise, que Libération a consulté, Paul Bensussan conclut, sans avoir rencontré la petite fille : «Camille a une représentation anxiogène de la figure paternelle : ce qui est bien sûr compatible avec l’hypothèse d’un abus sexuel mais tout aussi compatible avec celle d’un abus fantasmé, dont sa mère n’est évidemment pas en mesure de la protéger, puisqu’elle est elle-même très envahie par une conviction proche d’une certitude inébranlable.»
Le SAP, «controversé et non reconnu»
«Les accusations d’aliénation parentale sont un moyen d’isoler, contrôler et contraindre le parent protecteur et l’enfant», estime Andreea Gruev-Vintila, docteure en psychologie sociale, spécialiste du contrôle coercitif. En 2018, le ministère de la Justice émet une note interne pour informer du caractère «controversé et non reconnu» du SAP. Ce syndrome n’a pas de fondement scientifique, il n’a d’ailleurs jamais été inscrit dans le registre américain des troubles mentaux qui fait référence. Paul Bensussan est aujourd’hui visé par une plainte collective au civil et devant le conseil de l’ordre portée par quatre structures spécialisées dans la lutte contre les violences sexuelles et la protection de l’enfance. Révélée par Mediapartet également consultée par Libération, cette plainte demande des sanctions disciplinaires à son égard et son retrait de la liste des experts près la cour d’appel de Versailles dans des dossiers de violences sur mineurs.Contacté par Libération, Paul Bensussan n’a pas souhaité s’exprimer, «préférant réserver ses réponses aux juridictions compétentes». Le 23 juin, l’audience de conciliation devant le conseil de l’ordre des médecins des Yvelines a échoué, et la plainte transmise à la chambre disciplinaire de l’ordre d’Ile-de-France. «Paul Bensussan se range du côté des pères, regrette Laurent Layet, président de la Compagnie nationale des experts psychiatres près les cours d’appel. Ce n’est pas la place d’un expert dont le rôle est d’éclairer une procédure.»
Paul Bensussan n’est pas le seul professionnel convaincu par l’aliénation parentale. Le SAP a imprégné durablement les pratiques de la chaîne judiciaire. «C’était un outil commode», admet Jean-Michel Permingeat, membre du comité directeur de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille. A la retraite depuis deux ans, il a exercé pendant trois décennies comme juge des enfants et juge aux affaires familiales : «Le SAP permettait de catégoriser les comportements d’un parent cherchant à faire obstacle entre les relations d’un enfant et l’autre parent.»
«Quand il est associé à une plainte du père pour non-représentation d’enfant et à un classement sans suite pour violences, le syndrome d’aliénation parentale contribue à acter le transfert de garde vers l’agresseur», analysele docteur en sociologie Pierre-Guillaume Prigent, qui a mené avec la chercheuse Gwénola Sueur des entretiens auprès de vingt femmes accusées d’aliénation parentale. C’est ce qui est arrivé à Virginie. Le 25 février 2014, elle perd la garde de sa fille au profit du père, moins d’un an après sa plainte. Entre-temps, l’enquête pour viols est classée sans suite et Virginie condamnée deux fois pour non-représentation d’enfant. Sur les 702 condamnations prononcées à ce sujet en 2018, 80% concernaient des femmes. La juge aux affaires familiales a reproché à Virginie d’avoir une «attitude intransigeante» et de «refuser même l’hypothèse d’une mauvaise interprétation de sa part». Camille a été remise à son père dans un commissariat, et Virginie a dû se contenter de visites sous la surveillance d’un psychologue.
C’est la menace qui pèse aujourd’hui sur Karine. Depuis trois ans, elle refuse de remettre ses filles à leur père, qui a déposé 45 plaintes pour non-représentation d’enfant. Lui a toujours été entendu libre sur les allégations d’inceste le visant ; elle a déjà fait trois gardes à vue. Le 30 mai, Karine a été jugée pour non-représentation d’enfant au tribunal correctionnel du Mans. Rapidement, le juge met en doute les allégations d’inceste, «le discours presque robotique» de ses deux filles. «Des rougeurs sur le sexe, ça arrive fréquemment chez les enfants», affirme le magistrat, qui interroge Karine sur l’inceste qu’elle aurait elle-même subi. Le juge reprend les allégations de son ex-conjoint à ce sujet, que Karine conteste pourtant. Selon lui, elle chercherait à obtenir justice par procuration à travers ses filles. «Le SAP colle véritablement à ce dossier, plaide Me Aouatef Braber, avocate du père. Madame se sert de ses enfants pour faire du mal.» Karine a finalement été condamnée, le 22 juin, à dix mois de prison avec sursis probatoire et injonction de soins pendant deux ans ainsi que 2000 euros de dommages et intérêts. Elle a immédiatement fait appel.
Culture de la protection
La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) a recueilli plus de 300 témoignages de «mères en lutte» s’affirmant en situation de déni de justice et demandant la mise en place d’une culture de la protection. Dans un avis d’octobre, la Ciivise préconise de suspendre l’autorité parentale et les droits de visite du parent poursuivi pour inceste, mais aussi de suspendre les poursuites pénales pour non-représentation d’enfant contre l’autre parent.
Un mois plus tard, le Premier ministre a pris un décret qui demande aux magistrats de vérifier les allégations de violences sur mineur quand un parent est poursuivi pour non-représentation d’enfant et de faire appliquer l’état de nécessité, c’est-à-dire reconnaître qu’un parent était obligé d’enfreindre la loi pour protéger son enfant. Ce décret est en vigueur depuis le 1er février mais il est difficile d’en mesurer l’impact.
En attendant, le SAP est une étiquette qui colle à la peau. Cela fait huit ans que Virginie n’a pas le droit de voir sa fille Camille seule. Il y a deux ans, elle a cessé de jouer le jeu judiciaire des visites en présence d’un tiers. «J’ai dit à ma fille “je refuse de te voir sous surveillance alors que je ne suis pas dangereuse. Ma porte t’est ouverte, elle le sera toujours”. Les décisions que je prends aujourd’hui sont importantes pour sa construction demain.»
« Souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. » (Genèse 3,19).
Le mercredi des cendres, nous avons commencé ainsi notre carême. Le texte hébreu originel fait plus écho à la « terre » qu’à la poussière. Il se réfère à cette terre que Dieu, grâce à son souffle, a modelé en homme et femme, à la différence de tous les autres êtres créés. Donc au début de la création, face au péché originel, la Parole de Dieu n’était pas une menace de vengeance mais plutôt une promesse et une révélation inouïe.
Cette « terre » ne coïncide pas non plus avec la terre promise vers laquelle Moïse et son peuple marchaient. Il ne s’agit pas d’un territoire mais d’une liberté, d’un don.
La terre nouvelle à laquelle, par la grâce de Dieu, nous parviendrons après la victoire sur la mort est celle d’une nouvelle chair encore une fois revivifiée par le souffle de Dieu.
Cette chair est déjà celle de Jésus, le Ressuscité. Une chair capable d’aimer dans la plénitude de ses moyens, pour toujours.
Bonne fête de Pâques !
Pietro Biaggi, directeur adjoint du SNCC, rédacteur en chef.
Soucieux du réel, De Corte se garde de parler de LA Civilisation mais d'UNE Civilisation, précisant d'emblée que «l'appel à l'universalité est pour une civilisation l'appel de la mort». Peu soucieux d'être à la mode, il ne craint pas d'affirmer : «Il existe des civilisations gonflées de sève et des civilisations stagnantes. La loi de la vie et de l'être est l'inégalité concrète.» Cet inlassable observateur, à l'instar du vieux Georges Sorel, socialiste révolutionnaire intégral, ne croit pas aux illusions du progrès : «Nous voyons l'une après l'autre les fonctions de la vie civilisée : les mœurs, l'art, la science, la philosophie, la politique, la société, la religion, atteintes par un implacable processus de décadence.» Et il ajoute : «Ce monde n'est plus qu'une terre abstraite, grise, uniforme?» Les causes de ce déclin sont pour lui évidentes : la rupture de la liaison avec la nature et la tendance à s'universaliser (on dirait aujourd'hui à se mondialiser). En un mot, il s'agit d'un abandon des racines et des traditions. Curieusement, ce disciple de Simone Weil rejoint Nietzsche quand il évoque «la notion ésotérique du cercle», cet éternel retour, car «le cycle n'est pas une chose, il est la vie elle-même».
Son analyse, à qui veut réfléchir, est imparable : Critiquant tout à la fois d'égalitarisme et l'individualisme, la civilisation de masse ou le nihilisme, il énumère les réalités qui seules à ses yeux, pourraient enrayer le processus d'une décadence qui semble irréversible : ce sont la famille, le métier, la commune, la région (qui est pour lui la vraie patrie)… «C'est à la restauration et à l'adaptation aux conditions actuelles de ces communautés concrètes où les hommes, par leurs échanges continus, se sentent responsables les uns des autres et soumis à un même destin, que nous devons, contre vents et marées, nous attacher. En ces cellules sociales relativement réduites (…) où les hommes se situent concrètement les uns par rapport aux autres.» Même si la situation peut apparaître désespérée, il faut pourtant lutter : «Il s'agit donc pour l'homme moderne de tenir coûte que coûte, s'il le faut avec héroïsme, les foyers de vie authentique, au niveau élémentaire qui subsiste encore.» Ce chrétien reste un homme de la terre, de la Création : «Toute vie commence par en bas, par la souche. A tout prendre, l'homme n'est peut-être qu'un végétal raisonnable dont les racines plongent jusqu'aux mystérieuses sources nourricières.» Langage qu'un authentique païen ne pourrait certes récuser.
Une civilisation vivante - et même une civilisation morte, dans la mesure où nous tentons d'en ressusciter l'âme - ne laisse d'ailleurs pas d'être mystérieuse et de diffuser sur nous plus de lumière que nous n'en projetons sur elle. Mais cette structure spécifique de la civilisation nous permet précisé ment d'en dégager l'axe principal. Si la civilisation nous détermine plus que nous ne la déterminons, si elle constitue, selon un mot fameux, un état dont nous recevons davantage que nous ne lui donnerions par le travail personnel de toute existence, c'est parce qu'elle ne dépend que dans une faible mesure de la lucidité humaine et des buts que celle-ci se fixe rationnellement. En fait, homme travaille, souffre et parfois meurt pour édifier une civilisation, mais le résultat de son effort est moins l'oeuvre de son esprit et de sa volonté que d'une exigence d'être et de vivre qui l'habite. Projeté dans le monde par sa naissance, c'est le rapport de son être au monde qui exige en lui ce mode d'expression que nous appelons civilisation. En ce sens, la civilisation est un phénomène tout aussi naturel que la croissance d'un arbre ou le développement d'un animal. L'action de l'être universel sur son être tend invinciblement, comme toute action, à se traduire et à s'exprimer. On pourrait dire à cet égard que la civilisation est la réceptivité créatrice par excellence : elle capte les messages du monde, non pas à la manière d'un mécanisme monté par homme, mais à la façon d'un organisme vivant, et elle leur confère, par le pouvoir créateur de sa vitalité, une signification et un contenu humains : elle charrie vers homme l'essence du monde qu'elle distille. Il n'est donc pas étonnant qu'une civilisation naissante soit très proche des aspects du monde les plus immédiats et les plus sensibles : par la sensation, homme s'enracine directement dans l'univers et la civilisation où il s'exprime à ce stade a quelque chose de l'épaisseur et de l'obscurité amorphe de cette puissance d'accueil que traversent parfois des éclairs, ainsi que nous le montrent les vestiges de l'art préhistorique.
Or expression et impression sont corrélatives. La capacité de don est équivalente à la capacité d'ouverture et plus homme dilate son âme en présence du monde : son prochain, la nature, la beauté, Dieu, les mille et un secrets que murmure l'être, plus il est apte à les exprimer, d'une manière quelconque, tels qu'ils sont.
Celui qui se ferme, au contraire, ne tirera de soi-même qu'une émanation de soi dont l'image se superpose au réel et le masque ou l'étouffe. Le langage vulgaire est ici très significatif. Nous disons d'une parole, d'un tableau, d'un chant, d'un silence ou d'un regard qu'ils sont expressifs, non pas en ce qu'ils révèlent simplement un état d'âme, mais en ce qu'ils découvrent une présence réelle et en ce qu'ils communiquent la relation que l'âme a nouée avec elle. Ces modes d'expression « disent quelque chose » dans la mesure où elles ont perçu « quelque chose », et l'activité qui s'exonère dans l'expression n'est pleinement créatrice que lorsqu'elle est pleine d'une présence effective qu'elle a captée. Ainsi en est-il de l'expression-type que nous appelons civilisation : elle crée parce qu'elle reçoit, elle fleurit et fructifie parce qu'elle plonge dans l'univers des racines qui en ramassent les sucs nourriciers. Ces deux mouvements n'en font qu'un et, loin d'être opposés comme le haut et le bas séparés l'un de l'autre, ils sont complémentaires et participent à la même verticale.
Dans l'univers dont la civilisation traduit le rapport à homme et qu'elle rend humain, se détache homme luimême, uni à son semblable par des relations physiques; par des liens de sang et de parenté qu'il n'a pas créés de toutes pièces et qui s'imposent à lui avec la force irrésistib]e d'une évidence naturelle. Ce n'est pas l'esprit, la raison ou la volonté délibérée qui les engendrent, mais la vie et son vceu inné d'expansion. Le rapport de homme à homme au sein du groupe familial est antérieur au rapport de homme au monde et s'éprouve comme la plus immédiate des données. Il est inclus dans la chair de l'être humain et il constitue homme tout entier. Il n'est pas le produit de l'art, de la technique ou de l'industrie, mais le jet qui jaillit de la source même de la vie, lance homme dans l'existence, corps et âme, avec tous ses caractères concrets, et le place en face de son semblable dans une relation première au-delà de laquelle ne se situe aucune autre, sauf celle qui le relie au principe même de l'être. Toutes les civilisations ont leur origine en ce rapport primitif qu'auréole un nimbe religieux. Partout, les civilisations naissantes sont associées au groupement social pris en son sens organique de communauté parentale (famille, clan, tribu, genos,)
Tout semble converger vers ce point de grandeur où, comme l'écrit Simone Weil, «le génie créateur de beauté, le génie révélateur de vérité, l'héroïsme, la sainteté sont indiscernables». Tout prend sa source dans la notion sacré, en effet, et tout y converge. En développant, en ouverture de son «grand oeuvre», une déclaration, non pas des droits mais des devoirs de l'homme envers l'être humain, Simone Weil pratiquait consciemment rupture avec l'idéologie des droits de l'homme de 1789. C'est la lumière du bien absolu dont l'exigence habite au coeur de l'homme qui va imprégner tous les développements qui suivent, car « la foi est plus réaliste que politique réaliste». Les grandes notions de liberté, de démocratie et de droits de l'homme appartiennent à ce qu'elle appelle la zone des valeurs moyennes. Surplombant ces valeurs moyennes, et destinée à les enrober et à les élever à une notion supérieure, que Simone Weil appelle le « bien pur» et qui était pour Platon le soleil du Bien, doit servir de ciment à une reconstruction de la cité. «Au-dessus des institutions destinées à protéger le droit, les personnes, libertés démocratiques, il faut en inventer d'autres destinées à discerner et à abolir tout ce qui, dans la vie contemporaine, écrase les âmes sous l'injustice, le mensonge et la laideur»
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Aider ses contemporains à sortir de « l'atroce misère au fond de laquelle [ils] gisent», aider la France à retrouver son âme, telle est la mission que Simone Weil s'est donnée, du fond de son isolement et bien qu'elle ne nourrisse plus d'illusion quant à la prise en considération de ses écrits. Ce plaidoyer pour une civilisation nouvelle, dont Michel Alexandre, disciple d'Alain, a pu écrire que cela « rouvre tout (sans utopie! - dominant Marx, reprenant l'Évangile et Kant) », surmonte le désespoir par le recours à cette certitude empruntée aux Anciens que «ce qui fait obéir la force aveugle de la matière n'est pas une autre force, plus forte. C'est l'amour». Ce «grand oeuvre» abandonné fait apparaître dans les dernières pages un ultime face à face de la force et de l'amour: «[l'homme] n'est certes pas le seigneur et maître de la nature..... mais il est le fils du maître, l'enfant de la maison. La science en est la preuve. Un enfant tout jeune dans une riche maison est en bien des choses soumis aux domestiques; mais quand il est sur les genoux de son père et s'identifie à lui par amour, il a part à l'autorité. » Cette intuition d'un rapport filial s'énonce au même moment, en termes plus philosophiques, dans le «carnet de Londres» avec une référence implicite à Platon : « Quelque chose de mystérieux dans cet univers est complice de ceux qui n'aiment que le bien". »
C'est donc sur un message d'espoir que se clôt ce maître livre, cependant que son auteur, une femme de trente-quatre ans, va bientôt mourir, et de désespoir; car elle a oublié qu'elle était, elle aussi, la fille du maître, l'enfant de la maison. >>>>>>>>>>>>>>>>
Il s’agirait de l’une des facettes possibles que peut revêtir l’interface entre le « moi inconscient » (partie de notre esprit dont on a pas conscience)et le « moi conscient » (partie de notre esprit dont on a conscience). Le subconscient, trop souvent représenté malheureusement par la partie personnelle de l’inconscient (l’inconscient freudien et le fameux « ça » négatif) communique via le filtre du surmoi ( le plus souvent judéo-chrétien et moraliste « bien-mal »). Le surmoi juge du bien fondé moral de la « petite voix » et de la possibilité de porter à la connaissance du « moi conscient » des pensées profondes, des croyances issues du « moi inconscient ». Dans ce cas, la petite voix peut être culpabilisante, castratrice parfois et pleine de jugements. Mais l’inconscient renferme aussi un autre « ça » bien plus positif, lui, un pulsionnel aux vertus thérapeutiques, pour certains. Dans ce cas, la « petite voix » est porteuse de « bons conseils », elle peut devenir un guide voire permettre ce que l’on pourrait nommer l’intuition, le bon ressenti, etc. Quoiqu’il en soit, mon « moi inconscient » se permet un petit dialogue avec son alter égo « conscient » … un dialogue intérieur qui peut être exploité par la pratique de la méditation dite de pleine conscience ou mindfullness pour peu que ce dialogue soit accueilli sans jugement et avec distanciation. Une pensée, une croyance ne vaut que par ce que nous nous auto persuadons qu’elle est … elle ne vit que le temps qu’on lui donne vie MAIS à condition de savoir qu’elle nous habite voire nous anime inconsciemment. Il faut donc favoriser ce dialogue intérieur, dans la mesure où il n’est pas pathologique et perturbant outre mesure. Il s’agirait donc bien de la voix off du film de sa vie (pour les « freudiens » et les « lacaniens » mais plus encore pour les « transpersonnels » et les amateurs de la psychologie positive) ..