...Le projet de loi d’Emmanuel Macron contre les « fake news » est liberticide.   >>>>>>>>
  1. Le noyau théorique de l’Anthropologie philosophique
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HELMUTH PLESSNER ..Les degrés de l'organique et de l'Homme ...

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 "beauté de l'amour

du couple en

RAPPORT CHASMIATIQUE 

 
 ....Vers la fin de la guerre en Syrie ...? (1) 2019-01-20  
.... Et alors ? ..du droit des ENtre-coques organiques..... >>>>>>>>>>
 

l' INTELLIGENCE ORGANIQUE .... Metaxu organiques ... des cultures ....de la vie .......

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 l'homocoques en venir-de-venir .....  >>>>>>>>>>>
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ARTICLES

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Le noyau théorique propre à l’Anthropologie philosophique (Scheler, Plessner, Gehlen)

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À côté de l’anthropologie philosophique comme discipline, il existe donc également une Anthropologie philosophique dotée d’un programme théorique propre et spécifique au sein de l’histoire des théories philosophiques du XXe siècle. On peut en restituer le noyau théorique présent dans chacun des textes de Scheler, Plessner et Gehlen qui en relèvent. La différence entre les auteurs peut être montrée comme étant une différenciation systématique du noyau théorique, lequel constitue un critère clair de démarcation de l’Anthropologie philosophique par rapport aux autres approches. Ainsi est-il toujours possible de faire droit à la spécificité et à la singularité des penseurs en question.

53Cet exposé n’a cependant pas considéré la mise en pratique de cette approche, démontré sa force descriptive et diagnostique, pas plus qu’il ne l’a soumise à la critique. Nous avons seulement montré que l’Anthropologie philosophique constitue un programme théorique, un paradigme parmi d’autres paradigmes du XXe siècle. Et c’est déjà un résultat considérable, car les penseurs liés par ce programme théorique – Scheler, Plessner et Gehlen – sont déjà par eux-mêmes des figures de l’histoire de la philosophie allemande du XXe siècle.

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  • Le noyau théorique de l’Anthropologie philosophique

Noyau théorique commun malgré la différence entre les auteurs

L’emploi par les trois auteurs de l’appellation « Anthropologie philosophique » est le premier indice théorique d’une similitude au-delà de leurs différences. Le terme « anthropologie » indique en premier lieu que leurs catégories visent à appréhender, observer, ordonner et décrire la sphère de l’homme, les rapports vivants, culturels, sociaux et à soi des hommes. Mais ces auteurs ont également en commun d’admettre dans leur approche le fait que l’anthropologie, depuis le XIXe siècle, est indiscutablement aussi une discipline biologique. Aussi le lien théorique interne avec la biologie devient-il chez ces trois auteurs un trait fondamental de l’Anthropologie philosophique. Chez chacun d’entre eux une bio-philosophie se dégage du programme théorique, à partir de laquelle l’Anthropologie philosophique déploie une théorie des rapports à soi, au monde et des rapports sociaux14. En l’occurrence, ces auteurs font tous de la comparaison plante/animal/homme, ou au moins animal/homme, un organon de leur approche. Mais l’Anthropologie philosophique a ceci de « philosophique » que, tout en étant ouverte aux sciences particulières, elle ne vise et n’admet pas le type d’explication qu’elles proposent, que ce soit celui des sciences de la nature, des sciences de la culture, ou des sciences sociales.

  • 15 Sur ce point cf. Marquard [1973] ; Fischer [2000b], p. 266-270.

11Nous tâcherons de répondre à la question relative à un possible noyau théorique propre partagé par les auteurs au-delà de leurs différences en nous limitant à un point précis. Dans cet exposé, nous ne questionnerons pas le lieu historico-philosophique de cette approche – le « pourquoi » de la position du problème à partir duquel les auteurs élaborent leur catégories15 –, mais nous nous demanderons si une convergence caractéristique apparaît dans le « comment » de l’élaboration des catégories.

12Un noyau commun pourrait résider dans la figure suivante : dans les textes qui nous intéressent, la certitude de soi de l’« esprit » constitue certes un point de départ indiscutable, pourtant le mouvement de la réflexion ne part pas des prestations de la subjectivité mais d’un « ailleurs », de manière « indirecte » : du fait du vivant. Pour le dire autrement : l’esprit est présupposé dans sa capacité d’auto-légitimation interne ou dans la constitution d’une certitude par le langage, mais celles-ci ne suffisent pas ; le regard doit être dirigé vers l’extérieur, vers le vivant. Le regard théorique se porte sur la vie et non sur la matière (ou la nature) en général ; s’il se dirige vers la matière, c’est seulement pour caractériser l’écart de l’organique vis-à-vis de la matière inorganique. Le regard (le mouvement théorique) n’est pas non plus « intuitivement » dirigé vers un « flux de la vie » (élan vital) entendu comme principe spéculatif de tout être, mais sur le vivant empiriquement concret. Cependant, ce vivant concret, dont on peut faire l’expérience, n’est justement pas atteint par considération de son caractère charnel [Leiblichkeit] propre (celui du sujet pensant et se sentant lui-même par l’intermédiaire de sa chair), mais par un regard distancié sur la « vie » comme objet (dont relève également la chair [Leib] propre dans la mesure où elle est corps [Körper]). Le point de départ n’est pas le caractère charnel, mais – ce qui est ici décisif – le regard distant, celui du biologiste, dirigé vers l’organisme, vers le corps vivant [lebendigen Körper] au sein de son milieu [Mediums] ou de son monde environnant [Umwelt]. Chez les auteurs en question, le mouvement de la pensée commence par un regard porté de l’extérieur sur le corps vivant dans son monde environnant, afin d’accéder à l’esprit, à travers une catégorisation des types du vivant (plantes, animaux) – cela sans postuler une téléologie de la vie vers l’esprit (comme dans l’idéalisme allemand) et sans que les phénomènes de l’esprit ne soient réduits à la continuité évolutionnaire de la vie (comme dans le paradigme de la biologie évolutionniste depuis Darwin).

13Nous avons là un premier accomplissement du mouvement de pensée typique dans les textes-clés des trois auteurs. À partir de là, d’autres voies, d’autres options, sont possibles mais ne seront pas considérées ici ; elles mènent à d’autres programmes théoriques. Je précise à présent les six traits que l’on doit tenir pour caractéristiques de la manière de constituer les catégories propre à l’Anthropologie philosophique. Tels sont, à mon sens, les six traits typiques de la manière d’élaborer les catégories propre à l’Anthropologie philosophique :

141. Les catégories de l’Anthropologie philosophique sont constituées de telle façon qu’elles tiennent pour possible un regard décalé, de côté, sur la relation sujet-objet. Le point de vue qui rend possible de l’intérieur – intentionnellement – la relation sujet-objet, est déporté afin de permettre un nouveau point de vue, extérieur, un regard latéral, sur la relation épistémique. Autrement dit, cette manière de former des catégories postule par principe la possibilité d’observer latéralement, de l’extérieur, la relation sujet-objet interne à l’esprit. Ceci est décisif pour ce qui suit, car considérée de côté la relation sujet-objet apparaît également comme une relation ontologique, la relation épistémique comme une relation dans l’être, une relation immergée ou émergeant de l’être.

152. Ainsi établie, la réflexion se poursuit au sein de la relation sujet-objet, mais pas du côté du pôle-sujet, celui de l’observateur. Elle ne débute donc pas pour ainsi dire dans la sphère subjective de l’observateur et de la pensée, mais se concentre sur un « quelque chose » qui fait face, sur l’objet. Ce « quelque chose » qui fait face – une chose, un être vivant dans son monde environnant – s’offre ainsi au regard de quelqu’un que chacun pourrait être. Mis à distance, l’objet s’ouvre pour ainsi dire à un espace commun de perception, au regard public du sens commun (qui n’est pas à confondre avec le langage commun, avec une médiation langagière précédant la perception ; le langage est au contraire ici mis à l’épreuve de ce que chacun peut voir).

163. Le mouvement de pensée typique de l’Anthropologie philosophique suit ainsi toujours une réflexion s’appuyant et s’approfondissant du côté du pôle-objet. Le point décisif est que cette réflexion s’appuyant sur le pôle-objet choisit sciemment de ne pas partir de l’homme – même pas du corps de l’homme – mais de remonter vers celui-ci en partant d’en bas, au moins du niveau des corps vivants sub-humains (les animaux) observables dans leur relation au monde environnant. La manière propre à l’Anthropologie philosophique de constituer ses catégories implique ainsi toujours un certain échelonnement ou une stratification du bas vers le haut. Elle ne part pas de la hauteur de l’homme mais de plus bas, sans toutefois s’enfoncer jusque dans la matière puisqu’elle reste dans le domaine intermédiaire du vivant – entre la matière inorganique et l’homme. Ce n’est pas la comparaison avec la matière inorganique – comparaison minéral/humain – qui est constitutive de cette approche, mais le regard comparatif au sein du vivant – plante/animal/homme ou, au minimum, animal/homme.

  • 16 Concernant le théorème du « cercle fonctionnel », du « cercle d’action » et du « cercle de la forme (...)

174. Ce que cette approche par le bas permet de saisir, au niveau du vivant, qu’il s’agisse d’une plante ou d’un animal, est le « cercle fonctionnel » ou « cercle vital » par lequel un organisme est en corrélation à son monde environnant16. Entre les rapports matériels de causalité et l’intentionnalité de l’esprit, le regard théorique observe un rapport de correspondance entre l’organisme et le monde environnant. Un point de vue se différencie ici à même le pôle-objet, dans la différenciation constitutive entre organisme et monde environnant, lequel point de vue permet de considérer la relation de côté. Le regard de côté oriente désormais la constitution des catégories en arpentant pour ainsi dire dans les deux sens le cercle fonctionnel (des plantes avec leur environnement et des animaux avec leur monde environnant). Dans les corrélations entre la forme de vie et la sphère de vie apparaît en effet déjà, chez les plantes et les animaux, un contact élémentaire, une sorte de couplage entre moments subjectifs et objectifs, une intentionnalité des corps vivants dirigée vers leur monde environnant.

185. Le mouvement caractéristique de l’Anthropologie philosophique consiste à remonter, au moyen de cet échelonnement du bas vers le haut et de la comparaison par contraste des niveaux d’organisation de l’organique, jusqu’au point où elle constate, au stade de l’être humain, de sa forme de vie et de sa sphère vitale, une rupture dans le « cercle vital » du vivant. En ce qui concerne les instincts, les pulsions, la sensation et les mouvements (bref, tout ce que l’organique implique), cette rupture ne signifie pas une cessation, mais une percée. Au niveau du corps humain vivant et de ses sphères vitales s’ouvre une béance en laquelle ce que l’on qualifie d’esprit (à partir de lui-même, dans son auto-manifestation) trouve son lieu en la comblant. L’esprit est nécessaire pour répondre à la détresse causée par cette rupture mais il reste en cela nécessairement dépendant des configurations de l’organique. Des expressions comme « spiritualisation du sensible », « sensibilisation du spirituel » (Plessner) ou « spiritualisation de la vie », « devenir vivant de l’esprit » (Scheler) signalent ce double mouvement de rotation que l’anthropologie philosophique propose ou poursuit au moyen de ses catégories. Ce mouvement de rotation dirigé par la progression comparative-contrastante du bas vers le haut, qui dégage ou introduit l’esprit (en ce qu’il sait de lui-même) dans le vivant, est d’emblée un double mouvement de rotation : l’élaboration des catégories, dans le mouvement même par où elle fait émerger l’esprit de l’organique l’immerge dans le vivant. La sphère de l’homme se reconnaît à ce qu’en elle le cycle vital est à certains égards rompu et à nouveau médiatisé, de manière indirecte – quoique demeurant toujours porté par la vie. Ainsi peut-on affirmer que les concepts décisifs de l’Anthropologie philosophique sont tous des concepts rompant le cercle vital pour le médiatiser à nouveau.

196. Ainsi, le mouvement de la pensée que l’on peut tenir pour caractéristique de l'Anthropologie philosophique a transféré la réalité donnée du pôle-objet (le regard distancié sur le corps vivant qui entretient lui-même une relation du type de celle d’un monde environnant à soi) à celle, présupposée au départ, de la sphère intérieure (la relation sujet-objet, telle que le sujet percevant et pensant en fait l’expérience). L’homme se trouve dans un corps (objectif), dans une chose qui vit en tant que chair, et se situe, d’un point de vue intérieur, en tant que sujet vivant dans le monde et face au monde (la relation sujet-objet) sans coïncider avec cette perspective intérieure. Il existe en effet sous ce double aspect : de l’intérieur comme sujet vivant centré, se sentant lui-même et le monde, et toujours en même temps de côté et de l’extérieur, comme corps parmi les corps matériels, marginalisé, décentré, objectivé – telle une « tête de bétail » (Plessner), une chose parmi les choses. Dans ce double aspect, cette non-congruence des perspectives intérieure et extérieure, les penseurs en question ont reconnu le potentiel heuristique inédit de leur approche. La prise en compte systématique de la sphère vitale permet de faire droit à tous les éléments ouvrants au monde et instituant le monde humain : non seulement les capacités, en apparence sans lien avec le corps, de la raison et du langage, monopoles de l’humain, mais aussi les passions, les sentiments, les sens de la vue, de l’ouïe, du toucher, les postures, l’outil et la production d’image, la musique et la danse, le rire et le pleur, l’extase orgiaque et les rites d’inhumation, tous les types de mouvement et d’expression.

20On ne peut parler d’approche théorique que si deux ou plusieurs auteurs et leurs textes sont susceptibles d’en relever, et non pour désigner la manière de penser d’un seul auteur. Notre thèse est précisément que les trois auteurs en question partageaient ce mouvement de pensée et ce mode d’élaboration des catégories que nous avons reconstruits – quelles que soient par ailleurs les différences revendiquées ou factuelles dans la formation de leurs idées. Il s’agit à présent de le montrer en ce qui concerne leurs concepts-clés, ce qui nous amène en même temps à une première exposition des argumentations propres à Scheler, Plessner ou Gehlen.

  • 17 Scheler (1951 [1928]).

21Les concepts-clés de Scheler dans La situation de l’homme dans le monde sont : « l’être qui peut dire non », « l’ouverture au monde » et la possibilité qu’il y ait un « être-objet » pour cet être vivant. Scheler se donne l’objectivité, la conscience de soi, la liberté, comme traits structurels et auto-manifestation de l’esprit. Dans son texte de 1928, avant l’atteinte de la sphère de l’humain, le parcours dans le cosmos commence toutefois par le bas, par le vivant caractérisé par sa « poussée » et qui, en cela, se tient déjà dans une relation de contact à un autre, relation qui ne se réduit pas à la causalité17. Par la « poussée affective », le vivant – en l’occurrence la plante – entre en contact avec un autre que lui. Dans la progression comparative du vivant « biopsychique » et de ses différents modes vitaux (l'instinct, la mémoire associative, l'intelligence pratique), Scheler constate qu’en l'animal la poussée pulsionnelle suscite une expérience de résistance du monde environnant. Il y a rupture du cercle vital lorsque cette expérience de la résistance mène à la négation. Ce phénomène du vivant par lequel l’expérience de la résistance devient celle d’une négation est le phénomène propre de l’être humain. L’esprit, en tant que principe de négation, de réplique, de dépassement de sa position, est l’état de tension correspondant à la rupture du cercle vital. C’est ainsi que l’« esprit », selon Scheler, accède à son prédicat : la choséité, c’est-à-dire la capacité à se laisser déterminer par l’être-ainsi des choses.

22Or l'esprit n’accède justement pas à cette réalité de l’« être-objet » seulement par lui-même, à partir de lui-même, par sa propre puissance, mais « indirectement », sur le mode d’une rupture du « cercle fonctionnel » du vivant. Car si l'objectivation des relations au monde environnant résulte de l'acte de négation issu de l'expérience vivante de résistance, en tant qu’expérience de l’objet, elle advient seulement par l’expérience d’une poussée vitale et des résistances qu’elle suscite dans le monde matériel (laquelle est caractéristique du vivant et permet seule de faire apparaître l’« être-ainsi » de la chose). Le mouvement de rotation typique de l’Anthropologie philosophique rend compte de la « capacité d’objectivation » – le fameux prédicat de l’esprit – dans son rapport avec la résistance pulsionnelle vitale originaire. Par la négation – en tant que mise entre parenthèse de la pulsion de résistance – ce qui résiste s’offre en tant que « chose » à l’être humain. Cet être peut laisser se manifester les phénomènes dans leur « essence », en tant que choses dotées d’une signification propre, plutôt que de seulement percevoir en eux, en fonction de sa situation et de son comportement, les colorations d’un entrelacs de forces et de contre-forces. La construction schélerienne a ainsi permis un réagencement et une justification anthropologique originales de la posture épistémique de la phénoménologie – l’intuition des essences à partir de l’intentionnalité entre sujet et objet. L’élaboration spécifiquement anthropologique de ses catégories démontre précisément que l’approche de Scheler n’est pas dualiste. L’« ouverture au monde » de l’être humain – en tant que transformation de la « dépendance au monde environnant » de l’animal – n’est ni un prédicat de l’esprit ni un prédicat du vivant, mais résulte de l’intrication effective de la « poussée » (la résistance) et de l’« esprit » (la négation) en l’être humain.

23Ce mouvement typiquement anthropologique de rotation, par lequel les prédicats attachés à l’esprit d’un point de vue intérieur sont retrouvés en partant du bas et en même temps modifiés dans leurs rapports vitaux – sans que ne soit suivie une téléologie – est aussi contenu dans la formule catégorique de Scheler selon laquelle l’homme serait « l’être qui peut dire non ». Le non est le pur principe de l’esprit, l’être-contre. Mais que le « Non » soit « dit » – au sens de l’affirmation, de l’autorité d’une position résolue, de l’imposition –, cet acte de langage, seul le peut un esprit qui emprunte au vivant la puissance de se poser contre ; et cet emprunt, ce prélèvement d’énergie n’est possible que parce que le cercle énergétique vital de la poussée et de la résistance pulsionnelle est en même temps rompu par le pur principe de l’esprit. Dans l’échelle de l’organique, Scheler repère un « retournement » au stade de l’homme.

  • 18 Scheler (1987), p. 129.

« L’homme en tant qu’idée est le point, la phase, le lieu au sein du cosmos, en lequel la “vie” organique (indifféremment psychique ou physique) se déployant à travers toutes les familles, les genres, les espèces, perd sa maîtrise inconditionnelle et sert un principe – l’esprit – pour lequel l’organique a ouvert une brèche rendant possible son activité et sa position de buts et de valeurs18. »

  • 19 Plessner (1975).

24La manière d’élaborer les catégories que l’on peut considérer typiquement anthropologico-philosophique se manifeste également dans le texte de Plessner Die Stufen des Organischen und der Mensch (Les degrés de l’organique et l’homme). Les concepts-clés de Plessner sont la « positionalité excentrique » [exzentrische Positionalität], l’« artificialité naturelle » [natürliche Künstlichkeit], l’« immédiateté médiatisée » [vermittelte Unmittelbarkeit], le « lieu utopique » [utopischer Standort]. La « positionalité excentrique » en laquelle Plessner voit la singularité de l’homme est la catégorie la plus artificielle du programme théorique, bien qu’elle fasse ressortir de manière particulièrement claire ce qu’a de caractéristique ce mouvement de pensée. Elle suit au reste le mode d’élaboration des catégories de Scheler. Pour accéder conceptuellement à la sphère de l’homme, Plessner s’appuie expressément sur la relation sujet-objet, sur l’expérience de la chose faisant face au sujet19. Il entend distinguer, du côté du pôle-objet, la « chose vivante » de la chose non-vivante. La thèse est que la chose vivante se distingue de toutes les autres choses en cela qu’elle n’a pas seulement une limite à partir de laquelle elle commence ou à laquelle elle s’arrête, mais qu’elle possède cette limite comme « frontière ». La chose vivante est caractérisée par les « rapports à sa frontière » qui déterminent sa relation à un monde environnant ; elle est une « chose réalisant sa frontière ». Plessner qualifie cette « chose réalisant sa frontière » de « positionnelle », c’est-à-dire une chose dotée d’une « positionalité », capable d’une affirmation et d’une expression d’elle-même. L’approche théorique porte à présent, pour ainsi dire de côté, sur les étapes de l’organique en tant qu’étapes de la corrélation – constituée par les cercles fonctionnels entre organismes et mondes environnants – entre les formes positionnelles de la vie et leurs sphères vitales. Contrairement aux plantes qui se caractérisent par leur positionalité ouverte, l’animal est une « positionalité fermée ». L’animal le plus développé se caractérise en tant que « positionalité centrée », percevant et se mouvant dans les cercles fonctionnels au moyen de processus neuronaux rétroactifs, intégré à un monde environnant différencié. Cet animal, cette forme de vie vit « à la fois en son centre et en dehors de celui-ci » au sein de son champ positionnel.

25Ainsi préparé, le regard théorique repère, au niveau de l’organisme humain, une rupture du cycle fonctionnel, du cycle de la vie à la fois sensoriel, moteur et pulsionnel. Plessner nomme « positionalité excentrique » cette rupture du cycle fonctionnel au stade du vivant humain. Le centre est extériorisé sans que la positionalité – la situation de stabilité vitale – ne soit abandonnée. La positionalité excentrique représente une percée vers l’extérieur de la positionalité, une positionalité non « auto-centrée », sans mouvement de retour sur soi du vivant ou de l’élan vital. Cette percée vers l’extérieur du vivant n’est pas non plus une percée de l’esprit, lequel pourrait désormais opérer essentiellement par ou pour lui-même. La positionalité excentrique vise à caractériser la situation vitale du vivant au sein de laquelle s’ouvre un pur écart, par un point excentrique qui ne peut exister sans l’énergie d’un corps positionné de façon centrique, mais qui reste pourtant soustrait aux capacités de ce dernier. Dans son développement systématique du concept de « positionalité », Plessner dégage les catégories philosophico-anthropologiques de l’« artificialité naturelle », de la « médiation médiatisée » et du « lieu utopique » : les êtres vivants caractérisés comme humains sont les êtres vivants positionnés en vue de leur fixation et de leur affirmation, des stabilisations dans l’histoire naturelle visant une fixation et une affirmation. Ils sont par « nature » « artificiels » ou construits – tout en demeurant au sein de la nature. Ce à quoi ils parviennent et ce qu’ils réalisent, ils n’y parviennent que de façon « médiatisée », par les médiations qui rendent possible et déplacent et reconfigurent à la fois leur réalisation. Par la « positionalité excentrique », ils vivent en un « lieu utopique », ils peuvent, au moyen de l’organe virtuel de leur « imagination vitale » (Palagyi), de leur capacité de représentation, arpenter tout lieu (u-topiquement), mais, prisonniers de leur lieu, demeurent dans le matériau concret de leurs perceptions. Tout ce que l’esprit reconnaît en lui-même de possibilités – la technique, la moralité et le droit, le langage, l’histoire, l’art, la religion – est ainsi restitué par l’élaboration philosophico-anthropologique de ces catégories et déterminé de telle manière par celle-ci que le moment vital en est conservé et rendu visible.

26Arnold Gehlen détermine L’homme. Sa nature et sa position dans le monde au moyen des concepts d’« action » [Handlung], de « précarité » [Entsicherung], de « décharge » [Entlastung] et d’« institution » [Institution]. La manière dont Gehlen articule conceptuellement la notion traditionnelle d’« action » avec la « précarité » et la « décharge », pour en faire la spécificité de l’être vivant humain, illustre particulièrement bien le mode de pensée philosophico-anthropologique. Les possibilités que l’esprit humain reconnaît en lui-même et peut manifester à partir de lui-même – la connaissance, le langage – sont présupposées par Gehlen. Son regard théorique, ascendant et latéral, se concentre sur la corrélation entre organisme et monde environnant, principalement à partir de la comparaison animal/homme. L’être vivant animal, équipé morphologiquement et dynamiquement pour satisfaire les exigences du monde environnant, accomplit son existence au sein d’un champ vital au moyen d’un couplage de perceptions et de modèles moteurs assuré par l’instinct. La dynamique pulsionnelle circule rythmiquement à l’intérieur du cercle fonctionnel où s’articulent l’organisme et le monde environnant. Le phénomène de l’être humain constitue une rupture de ce cercle vital, non seulement parce qu’il est morphologiquement non spécialisé – l’homme est considéré comme un « être déficient » [Mängelwesen] –, mais surtout en raison du « hiatus » entre la pulsion et sa satisfaction. Chez l’être vivant humain, le rapport dynamique naturellement harmonieux entre l’intérieur et l’extérieur, la perception et le comportement, est « précarisé » par la « différenciation des instincts ». Son comportement est livré à la complexité incontrôlable des stimuli du monde extérieur et de la vie pulsionnelle du monde intérieur.

27Dans cette béance du vivant, l’esprit agit comme une « action » ordonnatrice, mais cette action ne peut « décharger » de la pression de la situation que grâce à cette béance elle-même, dans la mesure où elle met à sa disposition le matériau vital libéré par cette « précarité » (les pulsions mobiles, la plasticité perceptive, la liberté de mouvement) et, contre la pression exercée par les mondes extérieur et intérieur ainsi émergeant, referme le cercle vital au moyen de la constitution d’un monde artificiel propre, la culture. Sur la base d’une vie perceptive et motrice réassurée au moyen du « cercle de l’action », le langage, en tant que fonction supérieure, peut refermer le cercle fonctionnel auto-ordonné, en déchargeant de la pression de l’ici et du maintenant et en rendant possible de façon ordonnée la référence au monde ainsi ouvert. Le concept d’« institution » qui sert avant tout à caractériser la spécificité des rapports sociaux des êtres humains entre eux, relève chez Gehlen d’une semblable élaboration non naturaliste. Si les perceptions et les modes comportementaux des animaux engagés dans des interactions sont harmonisées instinctivement, un substitut doit être maintenant trouvé à cette articulation instinctive entre cercles fonctionnels, un équivalent de la coordination réciproque au sein du vivant. C’est à cette fin que Gehlen propose la catégorie d’« institution », comme ritualisation réciproque des modes comportementaux, laquelle rend possible, dans un second temps, par sa fonction de stabilisation vitale, la détermination de buts propres à la conduite humaine de la vie.

28Nous l’avons démontré : les trois auteurs se rejoignent bien dans le mode d’élaboration de leurs catégories. En prenant à chaque fois l’esprit humain pour point de départ, mais avec un regard porté sur le corps vivant, la progression comparative au travers des types du vivant – par comparaison contrastante à partir au moins de l’animal – révèle la rupture du vivant au stade de l’organisation du corps humain, en laquelle les phénomènes de l’esprit se cristallisent en médiations nouvelles du cycle vital. Le mode d’élaboration des catégories que l’on peut considérer comme spécifiquement philosophico-anthropologique n’indique pas seulement le point de rupture où l’esprit apparaît dans le corps vivant et s’extrait de celui-ci, mais fait de ce point de rupture une sorte de ligne, qu’il tire pour ainsi dire au travers de tous les phénomènes sociaux et culturels, pour les considérer, sans exception, à partir de ce point de rupture. Le rapport à soi, le rapport au monde et le rapport social, autrement dire, les mondes intérieur, extérieur et commun trouvent leur source dans le Bios (le monde du vivant), constituent un déplacement (ex-centrique) du Bios qui néanmoins demeure en son sein et continue à vivre en lui. C’est pourquoi la tension du vivant est palpable dans toutes les catégories de l’Anthropologie philosophique et suit comme son ombre le moment vital, le moment du corps vivant, jusque dans ses ramifications conceptuelles relevant de la psychologie, des sciences sociales et de la culture.

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