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La présence du président ukrainien, venu plaider sa cause devant des pays plus ou moins neutres face à la guerre, a gommé en partie le choc du retour du dictateur syrien Bachar al-Assad au sein de la Ligue arabe et a permis à Mohammed ben Salmane de se poser un peu plus en leader régional.

par Hala Kodmani

publié le 19 mai 2023 à 19h33
 

L’image était aussi surprenante qu’insolite. Débarquant dans sa tenue kaki habituelle au milieu des keffieh rouge et blanc de ses hôtes saoudiens, Volodymyr Zelensky a été accueilli à l’aéroport de Djedda, descendant d’un avion de la République française, en invité surprise. A ceux qui se seraient interrogés sur l’intérêt d’une telle incursion dans un sommet des pays arabes pour plaider la cause de son pays, le président ukrainien a répondu par plus d’un argument. «Malheureusement, certains pays dans le monde et ici, parmi vous, ferment les yeux sur ces annexions illégales», a-t-il déclaré dans son discours devant les chefs d’Etats arabes, appelant les dirigeants de la région à «jeter un regard honnête» sur une guerre qui a été «imposée» à l’Ukraine qui ne l’a pas choisie. «Toutes vos nations comprendront l’appel principal… Un appel noble à chacun d’entre vous à nous aider à protéger notre peuple», a-t-il dit.

Visant plusieurs points sensibles chez des pays qui affichent une certaine neutralité entre l’Ukraine et la Russie, avec laquelle plusieurs entretiennent des liens privilégiés, il a évoqué le sort des Tatars musulmans de la Crimée occupée. Il était d’ailleurs accompagné à Djedda d’un cheikh représentant ces communautés, comme il l’a indiqué à l’auditoire. Zelensky a salué les efforts de l’Arabie Saoudite qui avait mené une médiation l’année dernière entre Moscou et Kyiv pour l’échange de prisonniers de guerre. Il a rappelé les liens entre les pays arabes et l’Ukraine, notamment avec la présence de milliers d’étudiants arabes de différents pays dans les universités ukrainiennes ou les échanges commerciaux fournis et tout particulièrement la fourniture de blé ukrainien à plusieurs pays du Moyen-Orient et du Maghreb.

 

Réticences

Dans son entretien bilatéral avec le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane (MBS), hôte du sommet, Zelensky «l’a remercié pour son soutien à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Ukraine», a indiqué la présidence ukrainienne dans un communiqué. Il a également invité MBS, dont le pays a récemment coordonné sa politique pétrolière avec Moscou, à se rendre en Ukraine. «Pour MBS qui veut s’affirmer comme le poids lourd du monde arabe, incontournable dans la région, et une force d’équilibre entre l’Occident et la Russie, l’invitation de Zelensky est une belle opportunité», indique Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève, présent à Djedda. «Il ne s’agit pas d’une visite tout à fait improvisée, selon le spécialiste. L’idée d’inviter le président ukrainien au sommet arabe aurait été proposée à MBS par les Américains. Après l’initiative lancée par l’Afrique du Sud dans le cadre de l’Union africaine pour une médiation entre la Russie et l’Ukraine, MBS s’est probablement dit : pourquoi pas moi ? Il a sauté sur l’occasion pour se positionner à son tour sur la scène internationale.»

La presse algérienne évoquait la venue du président ukrainien depuis trois jours. Un journal algérien avait même titré : «MBS privatise le sommet arabe». En effet, les Algériens n’ont pas caché leur réticence à cette intrusion de Zelensky parmi les chefs d’Etats de la Ligue arabe. Ouvrant la réunion de Djedda en tant que président du dernier sommet, le Premier ministre algérien n’a fait aucune mention dans son discours de ce visiteur inattendu. Autre indication sur une présence qui ne fait pas consensus parmi les participants, une source de l’organisation régionale a tenu à indiquer que le président ukrainien avait été invité par l’Arabie Saoudite et non par la Ligue.

Dans le même temps, la surprise Zelensky a fait passer au deuxième plan, voire a éclipsé, le retour de Bachar al-Assad à la Ligue arabe alors qu’on ne parlait que de cela depuis quelques jours. «Or MBS n’aime pas qu’on lui vole la vedette et ne voulait pas que Bachar soit la star du premier sommet qu’il préside dans son pays. Il tient à apparaître comme le grand manitou», souligne Hasni Abidi. Le chef de l’Etat syrien a sans doute encore moins apprécié qu’on lui vole la vedette, surtout de la part de l’Ukraine. La Syrie est en effet l’un des rares pays du monde à s’être aligné totalement sur son allié russe depuis le début de la guerre en Ukraine, notamment en votant contre les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies demandant à la Russie de cesser les hostilités en Ukraine et surtout en reconnaissant les Républiques séparatistes pro-russes du Donbass, illégalement annexées par Moscou.

«Effort commun de convergence»

A Paris, l’Elysée n’a pas souhaité commenter «pour le moment», le rôle que la France a pu jouer dans l’organisation de cette rencontre, au-delà de fournir un avion de la République française pour le transport. Néanmoins, le sujet de la visite au G7 mais aussi à la Ligue arabe aurait été évoqué lors du dîner organisé le 15 mai à l’Elysée entre les présidents Macron et Zelensky, indique-t-on de sources concordantes. Toujours dans un «effort commun de convergence de stratégie d’outreach [de sensibilisation, ndlr]», avec à l’esprit l’idée de parler à tout le monde, ou presque, pour essayer de rassembler le plus de soutien.

En juillet, Emmanuel Macron était devenu le premier chef d’Etat occidental à accueillir, avec les honneurs, MBS à l’Elysée, après l’assassinat du journaliste et opposant saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat d’Arabie Saoudite en 2018 à Istanbul. Un crime dont MBS a été formellement accusé d’être le commanditaire direct par les services de renseignement américains. Avec la présence polémique de Bachar al-Assad puis l’arrivée surprise de Volodymyr Zelensky, qui devait poursuivre son périple diplomatique par le sommet du G7 ce week-end à Hiroshima au Japon, MBS aura en tout cas réussi à faire du sommet de Djedda un événement mondial sans précédent, alors qu’il n’attire habituellement qu’un intérêt médiatique très limité.

 
 
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