https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/04/26/isabelle-filliozat-le-bon-filon-de-l-education-positive_6171012_4500055.html

 

 

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Publié hier 27.04.2023
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Elle aurait préféré un jardin mais le temps tourne à la pluie. La proposition de prendre un café au Drugstore Publicis l’enchante, même si cette brasserie branchée n’a plus grand-chose à voir avec le lieu qu’elle a connu. Son père travaillait comme psychologue au sein du groupe Publicis, chargé de mener des études de marché. Isabelle Filliozat, 65 ans, a mangé dans ce restaurant son premier burger – « le premier de Paris ». Cet après-midi d’avril, c’est inhabituel, elle a un peu de temps libre. Le lendemain, elle participe à une table ronde sur l’école organisée par la Mairie de Paris. Le surlendemain, c’est à la mairie de Marseille qu’elle est attendue. Et les demandes d’interview pleuvent. « Toute ma vie, j’ai été débordée, sourit-elle. Mais là, c’est un peu difficile. »

Cette sexagénaire au visage rayonnant encadré par de longs cheveux gris, papesse de l’éducation positive en France, autrice de best-sellers et conférencière demandée, est depuis des mois férocement attaquée par des psychiatres et des psychanalystes opposés à cette « pseudoscience » qui culpabiliserait les parents et fabriquerait des gamins agités et intolérants à la frustration.

La psychologue et psychanalyste Caroline Goldman, devenue la cheffe de file des « anti », ne manque jamais de rappeler dans ses nombreuses interviews combien le travail d’Isabelle Filliozat est – elle l’a posté en commentaire sur Instagram – « confus, grossier, péremptoire et opportuniste ». Pétitions, interpellation du Conseil de l’Europe, « une » de journaux, matinales de radio… Au fil des semaines, le débat a pris de l’ampleur et s’est transformé en un affrontement caricatural entre deux camps, celui des parents autoritaires côté Caroline Goldman et celui des permissifs, incarnés par Isabelle Filliozat.

« Des ressources plutôt que des limites »

« Je ne comprends pas cette violence », rétorque l’intéressée dépassée par l’ampleur de la polémique et qui relève que « même les journalistes sont devenus agressifs ». Alors, elle réexplique. La parentalité positive élaborée par différents psychologues anglo-saxons, qu’elle popularise depuis une dizaine d’années comme la méthode d’éducation idéale, consiste à fournir aux enfants « des ressources plutôt que des limites ».

En prenant appui sur les neurosciences, la psychothérapeute propose une méthode supposée ­épanouir les enfants et apaiser les parents. « Le moindre échange de sourire avec un enfant construit littéralement son cerveau », dit-elle, assumant de mettre à la poubelle la bonne vieille psychanalyse.

Elle attrape l’ordinateur glissé dans son sac à dos et l’allume. « J’ai fait un tableau : d’un côté, vous avez la psychanalyse, de l’autre la théorie de l’attachement [développée par le psychanalyste britannique John Bowlby à la fin des années 1950]. En psychanalyse, un enfant vient au monde avec des pulsions. La théorie de l’attachement est venue contrer ça et dire qu’un enfant ne vient pas au monde avec des pulsions mais avec des besoins. »

Isabelle Filliozat parle tout doucement, comme si elle s’adressait à un enfant, la voix légèrement cassée et chuintante. Elle a la diction bourgeoise et surannée, quelque chose de l’institutrice d’autrefois. « Très souvent, on se trompe lorsqu’on parle de crises de colère chez un petit enfant, poursuit-elle. Il s’agit en réalité d’une réaction de stress intense. »

En gros, selon elle, si l’enfant désobéit ou fait des crises, c’est parce qu’il n’a pas le choix : vous avez provoqué une décharge de stress en fronçant les sourcils ou en éteignant l’écran. Et nombre de troubles seraient liés à ces erreurs du parent, qui reproduit lui-même ce qu’il a vécu (des punitions et des cris) au lieu de chercher à identifier et à satisfaire le besoin de son enfant. En apprenant, en développant ses « compétences » à partir des découvertes récentes en neurosciences, le parent pourrait rectifier le tir.

L’une des voix les plus écoutées de France

Comment résister à cette promesse ? Les parents ont massivement succombé. Depuis Au cœur des émotions de l’enfant (JC Lattès, 1999), devenu un classique traduit en dix langues, vendu à 500 000 exemplaires en version poche (son plus gros best-seller), et l’énorme succès de J’ai tout essayé ! (JC Lattès, 2013), avec 390 000 exemplaires, les livres d’Isabelle Filliozat ne quittent pas les meilleures ventes. A l’automne 2022, cinq de ses essais étaient encore en tête des classements d’ouvrages sur la parentalité.

La psychothérapeute qui n’a jamais reçu de patients est ainsi devenue l’une des voix les plus écoutées sur la question de l’enfance, y compris au sein des institutions. En 2019, elle est nommée vice-présidente des 1 000 Premiers Jours, une commission de dix-huit experts mandatée par le gouvernement pour formuler une série de propositions sur la question de la petite enfance.

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En novembre 2022, lors de la conférence mondiale sur l’éducation et la protection de la petite enfance organisée par l’Unesco à Tachkent, en Ouzbékistan, elle s’est exprimée sur les effets du traumatisme dont sont victimes « deux tiers des personnes » adultes et enfants. Elle s’apprête à participer au lancement dans plusieurs grandes villes, dont Marseille, du programme international Trauma-Informed City, qui vise à développer la sensibilisation sur le trauma et ses conséquences. Consécration : le 9 mai, Claire Hédon, la Défenseure des droits, la fera chevalière de la Légion d’honneur.

Jamais elle ne s’arrête. « Je travaillais la nuit surtout, mais aujourd’hui je m’arrête à 18 heures, je suis fatiguée. » Elle planche sur quatre livres : l’un sur les 1 000 Premiers Jours, l’autre sur les réflexes archaïques de l’enfant (avec une ostéopathe), un autre sur l’inclusion des enfants neuroatypiques et enfin un texte destiné aux parents d’adolescents qui ont subi une violence sexuelle. Elle a signé 41 ouvrages, en a préfacé des dizaines, donné 1 600 conférences, formé 160 élèves, dirigé deux écoles et animé une collection de livres de développement personnel, « Isabelle Filliozat présente », chez JC Lattès.

Un nom devenu une marque

En 2015, elle crée son entreprise de formation, Filliozat & co, dont quatre programmes sont toujours plébiscités : les Ateliers Filliozat, destinés aux parents et aux professionnels de la petite enfance ; la Méthode Filliozat, une formation en trois ans pour devenir coach parental ; la Grammaire des émotions, un stage de trois jours pour « découvrir ce que cachent nos réactions », et, enfin, un programme d’accompagnement à la parentalité positive « 100 % en ligne sur huit mois ».

« Mon nom n’est plus mon nom, il est le symbole d’un mouvement », dit-elle. Il est aussi une marque. La Grammaire des émotions a été déposée à l’INPI dès janvier 2008. Les Ateliers Filliozat ont été déposés en juin 2015, la Méthode Filliozat fin 2016 et le logo de la Méthode Filliozat en juillet 2020. Elle affirme n’avoir jamais déposé de marque. On insiste. « J’ai déposé Grammaire des émotions, concède-t-elle seulement. Je ne voulais pas que les gens racontent n’importe quoi. »

Mal à l’aise lorsqu’il s’agit de parler d’argent, la psychothérapeute avance qu’elle ne « sait pas » combien elle gagne et que le chiffre d’affaires « n’est pas une information qui est donnée en France ». « Personne ne demande à Christophe André combien il gagne, note-t-elle. Parce qu’il est un homme ? Un médecin ? On accepte de payer une séance à 80 euros mais pas un coaching ? »

Elle assure ignorer le coût de ses stages. « Je ne m’en occupe pas », dit-elle. Sans être hors de prix, ses stages à destination des parents coûtent tout de même de 90 euros l’atelier de deux heures à 497 euros l’accompagnement en ligne de huit mois. Pour les professionnels, ils vont de 500 euros (la formation d’animateur en six fois trois jours) à 13 000 euros pour être certifié coach Filliozat en trois ans. Une fois formés, les coachs doivent s’acquitter d’un abonnement mensuel de 10 euros pour apparaître sur son site.

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Elle n’anime plus elle-même les stages depuis la mort de son mari, en 2018. Elle a confié cette activité aux coachs formés dans ses écoles : « La seule chose que ma société touche, c’est le montant de la licence dont s’acquittent ces deux écoles, soit 2 500 euros HT chacune par an, quel que soit le nombre d’inscrits. »

Blessée par la question sur ses revenus, elle poursuit : « Je ne suis pas là pour faire de l’argent. J’ai toujours fait des trucs bénévoles, des trucs mal payés, des trucs bien payés… J’ai une passion pour la vie et pour mon travail. » « Très solitaire », elle n’emploie qu’une salariée à plein temps : Laurence, son assistante. Une graphiste, employée à mi-temps, s’occupe des dessins et des schémas que l’on retrouve dans toutes ses publications. « C’était l’une des passions de mon père : utiliser des dessins pour expliquer. »

Un langage simple

Elle en parle beaucoup de ce père adoré, Rémy Filliozat, mort du Covid en 2020. Il est l’un des cofondateurs de l’Institut français d’analyse transactionnelle (le diplôme, non reconnu par l’Etat, ne permet pas de se revendiquer psychologue). Cette approche thérapeutique, développée par le canadien Eric Berne dans les années 1950, considère les individus comme intrinsèquement positifs et utilise un langage simple que chaque patient doit pouvoir maîtriser (d’où les petits dessins et schémas). Elle-même s’y est formée : « C’est pourquoi je peux écrire des livres que tout le monde peut comprendre. J’ai cette habitude de pouvoir être claire et accessible. »

Après son bac, elle s’inscrit à la fac de médecine et se rêve chercheuse en biologie, mais, lorsqu’un enseignant explique qu’il bosse depuis dix ans sur un sujet aussi réduit et pointu que la crête de mitochondrie, elle renonce. Elle rêve d’une autre vie, ne sait pas bien laquelle. C’est en consultant un psy, sur les conseils de sa mère, Anne-Marie, elle-même psychanalyste, qu’elle trouve sa voie, tant saisir ce qui se passait en elle et comprendre qu’« il existe des raisons à nos comportements » l’a fascinée. Elle s’inscrit en psycho à l’université Paris-Descartes et à l’Institut français d’analyse transactionnelle.

Isabelle Filliozat soupire : « On dit que je n’y connais rien en psychanalyse… Et que j’ai raté mes études. Mais, non, j’ai bien une maîtrise en psychologie clinique obtenue à Paris-Descartes. Et j’ai eu une très bonne note à l’unité de valeur de psychanalyse ! » Elle a parfois utilisé le titre de psychologue clinicienne, qu’elle n’a pas. Désormais, son site affiche « psychothérapeute, écrivaine et conférencière ».

Elle a une explication pour cela. Lorsque la loi a changé, en 1990, sa maîtrise de psychologie clinique ne suffisait plus pour s’installer comme psychologue (il faut une année d’étude en plus) : « Il y avait un dossier à remplir pour obtenir le titre quand on exerçait déjà depuis un certain temps, ce qui était mon cas. J’ai rempli et envoyé ce dossier, mais je n’ai jamais reçu de réponse. Je ne m’en suis pas préoccupée. C’est ainsi que j’ai perdu le titre de psychologue. » En 2012, nouveau changement de loi : après un passage en commission devant l’autorité régionale de la santé, elle est enfin reconnue comme psychothérapeute. « Ce titre me suffit, les diplômes ne donnent pas la compétence. »

Une famille victime de violences

Enfant, elle rêvait de devenir astrophysicienne parce qu’elle aimait regarder le ciel. Un goût qu’elle partageait avec son père qu’elle appelait « le cosmonaute » les jours où il enfilait son costume futuriste Courrèges bleu ciel et ses bottines blanches. « Mon père était un grand traumatisé. Il n’a sombré ni dans l’alcool ni dans la drogue, mais dans la compulsion d’achats, raconte-t-elle. Au grand dam de ma mère, qui devait travailler double pour tenter de colmater les trous dans le budget. »

Dans leur grande maison parisienne du 14e arrondissement, où ils recevaient leurs patients, Rémy et Anne-Marie Filliozat élevaient leurs quatre enfants dans une grande liberté. C’était une enfance joyeuse où chacun était encouragé à s’exprimer. « Mes parents se sont mis ensemble avec l’objectif d’élever des enfants sans violence. »

De Jean Filliozat, son grand-père, spécialiste reconnu de l’Inde, elle garde le souvenir d’un homme distant et fascinant. « Mais je savais ce qu’il avait fait. » Jean Filliozat a battu son fils, Rémy, toute son enfance. « Il le frappait, avec des cravaches qu’il lui demandait de choisir. Il l’humiliait. Il lui a interdit de signer un livre de son nom. Mon père n’a jamais pu écrire. »

Enfants, ses grands-parents avaient subi les mêmes violences. C’est ce cycle que son père s’est promis de rompre. C’est aussi la mission que s’est donnée Isabelle Filliozat. « Nos difficultés d’adultes sont liées à l’enfance et à nos expériences dans la famille et à l’école, explique-t-elle. Mais il ne s’agit pas seulement de réparer. Il faut arrêter de blesser. Et, pour cela, il faut changer l’école. »

Un projet avorté d’école alternative

Et, puisqu’ils jugent que rien n’a changé depuis l’école de leur enfance et qu’ils n’ont guère envie d’infliger cela à leurs deux enfants, elle et son mari, Jean-Bernard Fried, décident d’ouvrir la leur au début des années 2000. C’est à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), où ils sont installés, qu’ils inaugurent l’Ecole européenne alternative : deux classes et dix-sept enfants. Jean-Bernard, qui est à la tête d’une petite société qui vend des filtres à eau et des sièges ergonomiques, s’occupe du côté business, Isabelle de la pédagogie.

L’aventure dure vingt-quatre heures. Pour une « raison d’urbanisme », la mairie ordonne la fermeture administrative de l’établissement. « Le maire me détestait parce que j’étais sur la liste écolo : Marie-Christine Blandin [ancienne sénatrice Europe Ecologie-Les Verts] m’éblouissait. » Au bout de plusieurs mois de bataille, comprenant que c’est fichu, ils partent pour Aix-en-Provence et inscrivent leurs enfants dans une école Freinet afin qu’ils bénéficient d’une pédagogie alternative.

Leur fille, Margot Fried-Filliozat, sexothérapeute âgée de 30 ans, qui a cosigné quatre livres avec sa mère, se souvient avoir eu des parents très disponibles. « Ils avaient des vies professionnelles très chargées, mais je pouvais toujours toquer à leur porte quand j’avais besoin d’eux. Parfois, ça prenait trois minutes. » Elle dit ne pas avoir le moindre souvenir de conflit avec sa mère. Même quand Margot s’est mise à fumer un peu à l’adolescence : « On a eu de longues conversations avec ma mère, elle m’envoyait des articles sur les conséquences du tabac sur la santé. Elle me disait : “Je ne peux pas te l’interdire parce que tu vas le faire quand même, mais ça n’est pas OK pour moi.” » Margot a rapidement renoncé à la cigarette.

C’est à Aix-en-Provence qu’en 2006 Isabelle Filliozat fonde l’Ecole des intelligences relationnelle et émotionnelle où elle forme des coachs à « vivre [leurs] émotions et accompagner celles d’autrui », avant de se lancer dans la formation de coachs parentaux. « Ces sessions séduisent les parents parce que, face à une situation extrêmement bloquée, le coach vous dit que ce que vous pensez être un conflit entre vous et l’enfant ou une manifestation du caractère méchant de votre enfant, c’est un message qu’il vous envoie. Ça ouvre des possibilités d’action », décrit Nicolas Marquis.

Ce professeur de sociologie et de méthodologie à l’université Saint-Louis, à Bruxelles, a assisté à plusieurs ateliers Filliozat dans le cadre d’une enquête sur la pratique du coaching dans les domaines de la parentalité et de la santé mentale. « Ses conférences, c’est la messe avec un credo marqué : si les parents font mal, ça n’est pas de leur faute, c’est qu’ils ont mal appris et qu’ils reproduisent ce qu’ils ont connu. Il faut donc réapprendre. C’est un discours qui fait la promesse qu’un parent ne sera jamais démuni mais qu’il peut s’équiper de compétences relationnelles, émotionnelles et psychosociales. » Pour le sociologue, une des limites de ce discours est de transformer le parent en machine à scruter son enfant, une activité aussi vaine que chronophage : « Comme n’importe quel événement signifie quelque chose, vous devez passer votre temps à interpréter et à décoder. »

Une « vision scientiste et naïve »

Nicolas Marquis a aussi observé une chose : les coachs, contrairement à ce que racontent les détracteurs de la parentalité positive, posent toujours un cadre. « Evidemment, je ne suis pas laxiste », répète Isabelle Filliozat. « Depuis Françoise Dolto, on sait que trop de frustration peut traumatiser, mais aussi que la frustration est nécessaire et aide à grandir », écrit-elle dans Au cœur des émotions de l’enfant.

Elle se sent mal comprise par ceux qui relèvent qu’en déconseillant de dire « non » à un enfant, elle rend impossible le quotidien des parents : « Je dis simplement que, si vous dites “non” brutalement à un enfant de 2 ans ou à un adolescent, vous risquez de déclencher une crise. Ça n’est pas la peine. Si, à la place, vous dites “stop”, vous avez un gamin qui vous écoute. » Elle avance un autre exemple : ses enfants, Adrien et Margot, ne pouvaient manger des bonbons qu’un seul jour par semaine. « Son approche n’oublie pas le cadre, confirme Philippe Poirson, psychopraticien formé à l’école d’Isabelle Filliozat. S’il n’y en a pas, on met les enfants en insécurité. En revanche, nous pensons que la punition n’a pas sa place. »

« Ce débat n’a aucun sens. Les neurosciences ne vous disent pas s’il faut punir ou non un enfant », met en garde Edouard Gentaz. Professeur de psychologie du développement à l’université de Genève et directeur de recherche à l’Institut des sciences biologiques du CNRS, il a lui-même signé une tribune s’élevant contre les méthodes éducatives s’appuyant sur des stratégies répressives et contestant notamment le time-out, cette pratique consistant à isoler un enfant dans sa chambre en cas de crise ou de conflit, défendue par Caroline Goldman. Pour autant, il met en garde contre la vision scientiste et naïve véhiculée par l’éducation positive : « Les neurosciences vont vous permettre de comprendre les corrélats neuronaux de l’enfant, mais pas son comportement. Les neurosciences ne vous expliquent pas ce qui peut vous accompagner dans l’éducation de l’enfant. »

 

Un goût pour les pratiques ésotériques

La méfiance nouvelle suscitée par Isabelle Filliozat provient aussi de ce qu’elle semble versée dans les médecines alternatives tendance new age. « Très amie » avec Olivier Soulier, médecin homéopathe actif dans le mouvement antivax Réinfo Covid, elle décrit, dans un livre étonnant, Partenaires (JC Lattès, 2021), consacré à l’expérience terrible et éprouvante qu’a été la maladie de son mari, son goût pour les pratiques ésotériques.

Elle raconte ses consultations auprès de médiums, chamanes et même d’une psychopompe (praticien qui conduit les âmes des morts) et ne cache rien des hésitations du couple à accepter la chimiothérapie prescrite à Jean-Bernard Fried pour soigner sa tumeur au cerveau, préférant les soins d’un guérisseur brésilien. S’ils finissent par se laisser convaincre par les médecins, ils ne renoncent pas à leur voyage au Brésil. Mais le miracle n’a pas eu lieu. L’homme qu’elle aimait follement est mort le 23 septembre 2018.

Après dix ans de pratique du bouddhisme, elle est désormais agnostique. « Je médite tous les matins. C’est une méditation laïque. » Elle dit n’appartenir à aucune communauté et n’épouser aucun dogme, et « certainement pas celui de la psychanalyse ». Plus jeune, elle s’est tout de même allongée sur le divan. Une année de psychanalyse qui la convainc que ça n’est pas pour elle. Elle n’aime guère ces praticiens des « hautes sphères » ni leur vocabulaire compliqué. « J’ai vu ma mère ne pas guérir avec la psychanalyse, dit-elle. Elle n’a quitté la peur de son père que grâce au travail émotionnel et corporel [au cours d’une thérapie alternative]. »

Pour elle, les attaques répétées de Caroline Goldman ne sont que le « dernier sursaut » d’une pratique – la psychanalyse – en voie de disparition : « Ils se savent en perte de vitesse. Ça doit être vraiment dur de réaliser qu’on s’est trompé, qu’on a été trompé, qu’on a trompé des gens, qu’on a peut-être fait du mal à des gens, à des enfants… », nous écrit-elle par e-mail quelques jours après notre rencontre. Elle ajoute : « Certains chercheurs assimilent l’adhésion à la psychanalyse au phénomène religieux, avec le même fanatisme. »

Un vocabulaire anxiogène

A l’inconscient, elle préfère l’imagerie cérébrale dont elle parle beaucoup, mais sans s’embarrasser de détails scientifiques. Son style, mi-lapidaire mi-péremptoire, assène plus qu’il n’accompagne. Exemple avec l’un de ses tubes : « Regarder la télévision met le cerveau en ondes alpha, l’enfant se sent détendu. Bien sans rien faire, il n’a pas envie que ça s’arrête. Il éprouve du plaisir à regarder. Son cerveau sécrète des opioïdes. Lorsque vous éteignez le poste de télévision, le taux de peptides opioïdes chute brutalement et active les centres de la douleur. D’où la crise. » (Extrait de J’ai tout essayé, Marabout, 2013.)

Le vocabulaire utilisé, peu accessible aux non-spécialistes, est anxiogène. La méthode Filliozat, c’est un peu cela : prôner la bienveillance à coups d’arguments d’autorité, et tant pis si les informations sont approximatives. « A ma connaissance, la recherche ne dit rien des effets de ces ondes sur les enfants qui regardent des écrans », relève Edouard Gentaz, lui-même auteur d’un ouvrage sur les émotions des enfants (Comment les émotions viennent aux enfants, Nathan, 2023).

 

 

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