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Psychologie
Tout acte mensonger peut en entraîner un autre. Cet effet boule de neige a été démontré dans une étude de neurosciences qui a mis en lumière la structure cérébrale impliquée dans ce phénomène
«Je n’ai pas, je n’ai jamais eu de compte en Suisse. A aucun moment.» Sur les ondes radio, à la télévision, sur les réseaux sociaux et même en face de François Hollande, à qui il a soutenu «les yeux dans les yeux» sa version des faits, le ministre français délégué au Budget Jérôme Cahuzac a menti à de multiples reprises. Les mensonges auront duré près de quatre mois.
Pente glissante
L’Affaire Cahuzac est emblématique de ce que l’on nomme communément la spirale du mensonge. A force de mentir, l’être humain mettrait le doigt dans un engrenage qui le conduit à maintenir ses mensonges, voire à en inventer d’autres.
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Ce phénomène repose-t-il sur une base neuroscientifique? Une équipe de l’University College à Londres s’est penchée sur la question. Il ressort de leurs travaux parus le 24 octobre dans la revue Nature Neuroscience que c’est un dérèglement de l’amygdale, une structure cérébrale régulant nos émotions, qui expliquerait ces emballements mensongers, l’individu perdant en quelque sorte la sensibilité aux mensonges.
Le test du bocal rempli d’argent
L’étude a commencé par analyser le degré d’honnêteté de quatre-vingts adultes de 18 à 65 ans. Pour ce faire, chaque participant a été mis en présence de photos qui illustraient un bocal transparent contenant une certaine somme d’argent indéterminée. La tâche qui leur a été demandée était simple: estimer le montant contenu dans le bocal, puis transmettre le chiffre à un partenaire via un logiciel. Le but: inciter des mensonges délibérés et répétés chez les participants, puis analyser par imagerie si des structures de leur cerveau s’activent ou se mettent en veilleuse dans de telles situations.
Cinq scénarios différents ont été joués, chacun donnant le bénéfice du mensonge (une somme d’argent plus importante) soit au participant au détriment de son partenaire, soit l’inverse, soit aux deux protagonistes.
Résultat, lorsqu’un participant est conscient des avantages personnels que lui procure un acte mensonger, son degré d’honnêteté diminue au fil du temps. En d’autres termes, s’il estime pouvoir en tirer un bénéfice personnel, le participant tend à mentir toujours plus au fil des exercices, que cela avantage son partenaire ou non. Comme attendu, à l’inverse, lorsque le mensonge pénalise le participant, ce dernier devient plus honnête, son score d’honnêteté partant à la hausse.
Poursuivant leur étude avec l’imagerie par résonance magnétique (IRM), les chercheurs ont remarqué que si l’amygdale était particulièrement active lorsque les participants mentaient pour la première fois, son activité se voyait réduite au fur et à mesure que les scénarios se répétaient. De plus, cette baisse de régime de l’amygdale s’accompagnait d’une amplification du nombre de mensonges.
«L’amygdale est le centre des émotions du cerveau humain. Son rôle est d’associer un stimulus externe avec l’anticipation d’une menace. Cette région s’active typiquement lorsque l’être humain est apeuré, pour susciter chez lui un comportement d’évitement, explique Patrick Vuillemier, professeur de neurosciences à la faculté de médecine de l’Université de Genève. Vu les résultats de l’étude, il semble que cette fonction disparaît progressivement lorsque le sujet décide d’avoir une stratégie de mensonge. Au fur et à mesure de l’avancée du test, ce dernier anticipe donc moins les dommages sociaux que peuvent engendrer ses mensonges.»
«Effet d’adaptation»
Désormais chercheur à l’Université de Princeton, l’auteur principal de l’étude Neil Garret explique cette corrélation par un «effet d’adaptation»: «L’amygdale s’habitue en quelque sorte au mensonge, ce qui entraîne une diminution de son activité. Plus celle-ci diminue, plus le sujet sera enclin à mentir et à se comporter selon son intérêt personnel.» Evoquant la spirale du mensonge, les auteurs parlent ainsi de «pente glissante». «D’autres études ont montré que ce genre d’adaptation émotionnelle pouvait survenir en réponse à des stimuli externes, des photos suscitant l’aversion par exemple. Mais ce que notre étude apporte de nouveau, c’est que non seulement cette adaptation peut se produire en réponse à notre propre comportement, mais elle provoque en plus l’amplification de ce même comportement, en l’occurrence le mensonge.»
Ce mécanisme d’adaptation émotionnelle pourrait bien concerner d’autres comportements. Neil Garret évoque ceux ayant trait à la prise de risque (par exemple avec les sports extrêmes) ou encore à la violence. Attention donc à vos prochains mensonges, sous peine d’entraîner votre cerveau sur une pente vraiment glissante.