https://madame.lefigaro.fr/bien-etre/psycho/je-me-suis-vue-devenir-cette-femme-agressive-aigrie-dependante-quand-l-insecurite-affective-finit-par-ruiner-la-relation-amoureuse-20230309

 

 

 
 

«Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour», affirmait le poète Pierre Reverdy. Mais pour nombre d'entre nous, il n'y a jamais assez de preuves. Exploration d'une quête potentiellement ravageuse.

«Je sais très précisément ce qu'il faut faire pour ravager une relation et faire fuir la personne qu'on aime, affirme Inès, 42 ans. Je le sais, parce que je l'ai fait jusque dans les moindres détails.» Antoine et elle, ça aurait pu être l'histoire d'une vie, et non une relation de trois ans ; mais sa peur de le perdre a été la plus forte. Son insécurité, à la hauteur de ce qu'elle ressentait pour lui. Dans les faits, il s'est installé chez elle au bout de trois mois de passion fusionnelle. Six mois plus tard, elle était une autre, tendue, angoissée, sur le qui-vive.

 

Inès a commencé à analyser en permanence tous ses gestes, sa manière de l'embrasser, de la toucher, ses regards, ses temps de silence… Tout était prétexte à évaluation : son désir et son intérêt pour elle faiblissaient-ils ou pas ? Au début, Antoine trouvait ça «mignon». Il était flatté, touché, et puis ça l'a franchement agacé. Et plus Inès percevait son exaspération, plus elle se sentait menacée, rejetée, plus elle était agressive. «Ce qui était terrible, c'est que j'étais très lucide, je me voyais devenir cette femme agressive, aigrie, dépendante, je me trouvais pathétique, se souvient-elle. J'essayais de me rattraper, de me racheter, mais évidemment, j'en faisais trop, et lui pour se protéger, restait en retrait, ce que je ne supportais pas.» Un jour, il lui a dit qu'il n'en pouvait plus et il l'a quittée. «Ça a été très violent, affreux, j'ai cru devenir folle, mais bizarrement, en même temps, je me suis sentie soulagée de ne plus avoir cette tension permanente.»

En vidéo, les 10 secrets des couples qui durent

 
 
 

Lorsqu'elle est permanente et excessive, l'insécurité affective envahit totalement la relation et la remodèle, car «elle entraîne la perte des limites personnelles, autorisant ainsi tous les excès comportementaux et langagiers, explique Florentine d'Aulnois Wang (1), thérapeute du lien. Celui qui veut être rassuré devient de plus en plus méfiant et agressif, et l'autre, pour se protéger, se replie sur lui-même, ou devient à son tour agressif. Dans tous les cas, la connexion relationnelle est perdue.»

Un frein à l'engagement

«Nombre d'hommes et de femmes sont convaincus que le véritable amour doit venir combler les manques et éteindre toutes les peurs, constate Anne-Marie Benoît, psychanalyste et psychothérapeute. Mais tout investissement affectif comporte une part d'inconnu : l'autre ne va peut-être pas m'aimer autant que je l'aime, ni m'aimer comme je le voudrais, ni m'aimer “pour toujours”, et réciproquement. C'est la capacité ou l'incapacité à supporter cette part d'inconnu qui révèle en partie le niveau d'insécurité affective de chacun.»

Au cours d'un coaching professionnel, Marion, 33 ans, a réalisé que sa peur d'être «lésée, d'aimer plus que l'autre et donc de s'investir», «avait fait foirer» ses relations amoureuses. Elle a également compris que l'autre n'était que le miroir de ses manques. «Si l'on est suffisamment assuré affectivement, on va poser ses besoins, ses limites, procéder aux ajustements nécessaires afin que chacun y trouve son compte et son épanouissement, indique Anne-Marie Benoît. En revanche, plus l'insécurité affective est importante, plus on va chercher à combler son manque et moins on va s'investir dans la relation. Cela peut paraître paradoxal, mais plus on est insécure, moins on est engagé dans la relation amoureuse. Car on “roule pour soi”, et non pour la relation.»

Une vision biaisée de l'amour

L'insécurité affective ne se déclare pas du jour au lendemain, elle prend ses racines dans nos premiers liens. Pour la psychanalyste Anne-Marie Benoît, des parents défaillants, absents, négligents, ou émotionnellement instables, des parents qui donnent le sentiment à l'enfant qu'il n'est «aimable» qu'à certaines conditions, sont quelques-uns des cas de figures qui génèrent de l'insécurité affective. «Dans la vie adulte, certains événements marquants du passé (impression de rejet, sensations d'abandon, traumas…) peuvent être réactivés par des mots ou des comportements du partenaire, constate la thérapeute du lien Florentine d'Aulnois-Wang. Paniquée, la personne insécure va alors tout faire pour ne pas revivre ce passé douloureux, et elle va utiliser tous les moyens : menaces, chantage, crises de jalousie...»

L'auteure des Clés de l'intelligence amoureuse constate aussi l'importance, la prégnance du modèle du couple parental, mais aussi des modèles culturels (cinéma, littérature, publicité), qui influencent la vision de l'amour et du couple. «De nombreux films valorisent des relations toxiques, perverses, basées sur le contrôle ou la domination de l'autre, et les font passer pour de la passion. En l'absence de repères affectifs structurants, ces schémas deviennent des références.» Il en va de même pour nos croyances sur le couple ou l'amour. «Si, au fond de soi, on reste persuadés que l'amour dure trois ans, ou que l'amour véritable est une fiction, rejoint Anne-Marie Benoît, il ne faut pas s'étonner d'entrer en relation avec méfiance, défiance et exigence excessive.»

Les signaux d'alerte

Il n'est pas toujours facile d'évaluer la justesse de son comportement, surtout lorsque des affects importants sont en jeu. Comment savoir si l'on en fait trop, si l'on exagère ? Comment savoir si nos demandes sont légitimes ? Pour la psychologue et thérapeute de couple Leslie Becker-Phelps, l'insécurité affective se caractérise par cinq comportements qui doivent alerter : mal vivre la moindre séparation et garder le lien à tout prix (sms, téléphone, mails), demander à l'autre d'assurer toutes les tâches pratiques (papiers administratifs, banque, etc.), être hypertactile (l'autre est mon doudou), se rendre intéressant tout le temps, exprimer sa colère de manière directe (pousser l'autre à bout et se dire que «s'il revient, c'est qu'il m'aime vraiment»), ou de manière indirecte (agressivité passive, allusions négatives...). On peut aussi se mettre à l'écoute de ses sensations.

«Le corps est un excellent messager, affirme Florentine d'Aulnois -Wang. Si on se sent toujours tendu ou fébrile en présence de l'autre (alors qu'il n'est ni agressif ni replié sur lui-même), c'est que l'on est en position d'attente et de demande excessive.» La thérapeute ajoute qu'il existe deux types d'incertitude amoureuse : l'une positive et l'autre négative. «La première a à avoir avec le désir, elle nous met en mouvement, en vie. La seconde nous vide de notre énergie, elle nous crispe, nous écrase, nous étouffe… Notre corps exprime ce que l'on vit, il faut nous mettre à son écoute.»

Lucidité, calme et sécurité

Pour pallier cette insécurité constante, la thérapeute évoque la nécessité de pratiquer «une hygiène neuro-émotionnelle», démarche qui consiste notamment à chercher des solutions d'auto-apaisement (méditation, respiration profonde et régulière, marche…). «Cela sert à calmer notre système neuronal qui s'emballe lorsqu'on est dans l'émotion ou sous pression, avec comme conséquences la production de raisonnements erronés et d'actes et de mots que l'on peut regretter.»

Pour renforcer la sécurité affective, la thérapeute, préconise aussi un exercice simplissime, dont l'efficacité sur l'insécurité a été prouvée par les neurosciences : «Il s'agit, avec son partenaire, de se regarder longuement dans les yeux, en se parlant d'une voix douce.» Le rituel peut se pratiquer tous les jours sans modération. Enfin, pour Florentine d'Aulnois-Wang, «accepter d'être aimé, de se laisser aimer, est la voie royale pour se sentir en sécurité et donner toutes ses chances à la relation amoureuse.»

(1) Florentine d'Aulnois-Wang est thérapeute du lien, et fondatrice du concept d'Intelligence Amoureuse. Elle est l'auteure des Clés de l'intelligence amoureuse, Larousse, 2018, et des Clés de l'intelligence érotique, Larousse, 2018. Elle a également créé le podcast L'espace du couple.

En vidéo, les six piliers des couples sexuellement satisfaits