https://madame.lefigaro.fr/societe/actu/au-moment-du-coucher-mon-conjoint-rentre-chez-lui-de-l-autre-cote-du-couloir-en-couple-ils-ont-invente-une-autre-maniere-de-vivre-ensemble-20230314

 

 

 

ÉMOIGNAGES - S'affranchir des normes et créer une vie de couple moins conventionnelle. Certains couples ont choisi de vivre sur le même palier, à distance ou de séparer leur maison en deux. Ils racontent leur vie à deux atypique.

«On vit depuis douze ans sur le même palier». Chacun d'un côté du couloir. L'arrivée d'un enfant n'a pas modifié le quotidien établi entre Caroline, 40 ans, et son partenaire. «On n'a jamais évoqué l'idée d'un changement, même lorsque j'étais enceinte, se souvient-elle. Aujourd'hui toute la vie familiale se passe dans mon appartement, et au moment du coucher, mon conjoint rentre chez lui, de l'autre côté du couloir.» Les couples qui, comme Caroline et son compagnon, ne partagent pas le même logement font encore figure d'exception mais émergent depuis quelques années parmi les unions vivant sous le même toit. Selon une étude menée par des chercheurs de l'Ined et publiée en 2018 dans l'ouvrage La famille à distance, Mobilités, territoires et liens familiaux, quelque 3,8 millions de Français ont fait le choix de ne pas vivre avec leur partenaire. En parallèle, la part des couples habitant sous le même toit est en légère diminution depuis les années 1980. Selon une étude de l'Insee publiée en février 2023, 66 % des Français âgés de 18 ans et plus vivaient en couple dans le même logement que leur partenaire, entre 1962 et 1982. Désormais, ils sont 59 %.

 

En vidéo, les secrets des couples qui durent

 

Je trouve ça plus pratique, confie Ana, bientôt 40 ans et en couple depuis quatre ans. On habite à côté et même si on se voit presque tous les jours, on choisit les moments que l'on passe ensemble, il n'y a jamais aucune obligation, ni de rendez-vous systématique». De leur côté, Paul et sa femme ont décidé de ne pas pâtir de leurs modes de vie différents. En manque d'espace, ils ont quitté leur petit appartement parisien, acheté une maison dans le sud de la France et séparé l'espace en deux, en conservant une seule et même cuisine. Les quadra, parents d'une petite fille, vivent parfois ensemble mais quand le besoin s'en fait ressentir, l'un peut s'enfermer dans son espace à lui. «Chacun son lit, chacun son rythme, précise Paul. Soline et moi, on ne mange pas à la même heure, on ne se couche pas à la même heure, on n'est pas synchro du tout, alors on ne se force pas à l'être.»

«Ces couples aux schémas atypiques ont souvent une intimité plus forte que celle des couples cohabitants, commente Christophe Giraud (2), sociologue et auteur de L'amour réaliste. Ils sont motivés par l'envie de se voir, de se retrouver l'un pour l'autre. Ce sont souvent des histoires de grande qualité, des relations avec une grande intimité car on ne vit que le meilleur.»

Éviter la charge mentale liée au toit commun

Cette qualité dans la relation, Claire, 52 ans, en fait le constat. Notamment, dit-elle, parce que la vie séparée lui permet de ne pas souffrir de la charge mentale qui découle du toit commun. Après neuf ans de vie commune, elle se sépare de son compagnon durant quelques mois. S'ils se remettent ensemble, ils gardent en revanche chacun leur appartement, situé à 10 minutes à pied l'un de l'autre. «Nous n'avons pas évoqué l'idée de cohabiter à nouveau, on a créé ce quotidien de façon inconsciente, raconte la quinquagénaire. Et finalement, ça évite toute tergiversation sur l'intendance de la maison - le ménage, le rangement - et les conflits qui peuvent en découler. Chacun prend en charge son logis. Cela fait deux ans que ça dure et on gagne sur plein d'aspects.» Pour Caroline, ne pas habiter avec le père de son bébé lui a permis de ne pas tomber dans les reproches et le décompte des points. À l'arrivée de leur fille il y a 8 ans, elle a assumé les nuits seule dans son appartement avec le bébé. «C'était un choix de ma part. Je ne voulais pas de tensions liées autour du lever en pleine nuit, des biberons… Il me relayait à d'autres moments et ça a permis d'éviter un certain nombre de disputes.»

Ne pas cohabiter pour éviter une charge mentale, ce sont des arguments qu'entend souvent dans son cabinet la psychologue Cécilia Commo (3), auteure du livre Le couple parfait n'existe pas. «Souvent les femmes ont eu l'impression d'avoir été au service de leur partenaire lorsqu'ils vivaient ensemble, précise-t-elle. Il y a une crainte absolue de devenir la maman de l'autre, de devoir le gérer lui, et le foyer. C'est aussi plus simple de vivre séparément pour établir des limites. Quand on a déjà eu une expérience de toit commun, on sait que cela peut être difficile d'imposer des limites à l'autre.» «Je ne me voyais pas du tout repartager un quotidien et refaire les mêmes erreurs, confirme Caroline. Après ma séparation et avant de rencontrer mon conjoint actuel, j'avais bien compris que j'avais un grand besoin d'intimité, d'avoir du temps pour moi. Quand l'appartement en face du mien s'est libéré et que j'ai soumis l'idée de ce quotidien sur le même palier à mon compagnon, il a tout de suite adhéré à l'idée.»

Ne pas cohabiter pour éviter une charge mentale, ce sont des arguments qu'entend souvent dans son cabinet la psychologue Cécilia Commo (3), auteure du livre Le couple parfait n'existe pas. «Souvent les femmes ont eu l'impression d'avoir été au service de leur partenaire lorsqu'ils vivaient ensemble, précise-t-elle. Il y a une crainte absolue de devenir la maman de l'autre, de devoir le gérer lui, et le foyer. C'est aussi plus simple de vivre séparément pour établir des limites. Quand on a déjà eu une expérience de toit commun, on sait que cela peut être difficile d'imposer des limites à l'autre.» «Je ne me voyais pas du tout repartager un quotidien et refaire les mêmes erreurs, confirme Caroline. Après ma séparation et avant de rencontrer mon conjoint actuel, j'avais bien compris que j'avais un grand besoin d'intimité, d'avoir du temps pour moi. Quand l'appartement en face du mien s'est libéré et que j'ai soumis l'idée de ce quotidien sur le même palier à mon compagnon, il a tout de suite adhéré à l'idée.»

Ces modes de vie peuvent néanmoins exiger une certaine logistique qui, à la longue, peut fatiguer. Isabelle, 50 ans, vit à Paris et son compagnon Philippe en banlieue parisienne. Depuis 7 ans, ils changent de domicile au gré des gardes des enfants qu'ils ont chacun eus d'une première union. La semaine où ils n'ont pas leur progéniture, ils vivent ensemble principalement chez Isabelle et celle où ils sont en garde alternée, c'est chacun chez soi. «Quand on rentre de vacances, on doit toujours se demander chez qui on dort, où déposer les affaires, où faire les lessives pour que les affaires soient au bon endroit, glisse-t-elle. En réalité, on vit parfois ce que vivent les enfants en garde alternée vivent.»

S'affranchir d'une norme sociale

Bien sûr, le couple non-cohabitant tranche avec la conjugalité classique. «Chez les jeunes, la vie commune reste un horizon partagé malgré tout, le scénario prégnant veut que l'on vive ensemble, puis que l'on fasse un enfant et que l'on achète une maison commente le sociologue Christophe Giraud. Ceux qui y dérogent vraiment, sont souvent des personnes passées par un divorce, une séparation difficile ou un veuvage.»

Ana, qui au sein de son couple cumule un non-désir d'enfant, une différence d'âge de 15 ans avec son partenaire et la non-cohabitation, confie devoir souvent justifier ses choix auprès de son entourage. «Je dois argumenter face aux amis et à la famille qui pensent souvent que je vais finir par changer d'avis sur la vie commune ou les enfants, précise la jeune femme. Finalement, quand on vit différemment, ce sont les autres que ça dérange».

Il faut alors parvenir à s'affranchir de ce regard, et cela demande une bonne dose d'estime de soi selon la psychologue Cécilia Commo. «Gérer le jugement d'autrui est lié à notre personnalité : certains n'ont pas envie de déplaire, d'autres tiennent à distance le jugement…» Ce jugement serait d'ailleurs plus sévère envers les femmes, selon le sociologue Christophe Giraud. «Il y a pour elles un risque d'être mal jugées par les proches. Il peut y avoir comme une forme de soupçon sur la nature de la relation surtout au début mais qui s'efface au fil du temps lorsqu'une forme de normalisation s'installe.»

 

Muriel et Adrien, dix ans d'écart et sans désir d'enfant à l'horizon, ont réussi à se libérer du regard des autres. Leur mode de vie questionne mais elle le martèle : «On ne conçoit pas de tout faire ensemble, on vit dans la même maison, chacun l'un à côté de l'autre, mais nous dormons séparément la semaine, et ensemble le week-end.» Le sujet du sommeil et de la chambre à part revient souvent dans la bouche de ces couples aux profils moins classiques. Caroline, qui vit sur le même palier que son compagnon, ne partage jamais son lit par exemple. Un luxe pour cette cheffe d'entreprise, dont elle aurait désormais du mal à se passer. «Le sommeil est un sport qui se pratique seul. Quand on part en vacances, je rentre crevée car on a dormi ensemble tous les soirs», commente-t-elle. «Dormir une fois de temps en temps avec quelqu'un c'est cool mais qui veut faire ça tous les soirs et se battre pour la couverture ?», plaisante (à moitié) Paul, qui vit avec sa femme dans une maison séparée en deux espaces et peut ainsi grimper d'un étage pour avoir son lit seul.

Nourrir le désir

Pour certains de ces couples, la non-cohabitation permet aussi d'alimenter le manque de l'autre et de déjouer les pièges de la routine. «Mon désir est le même depuis le début, je n'ai aucune lassitude car aucune habitude, assure Ana, 40 ans, en couple depuis quatre ans. On continue à se séduire, à se donner des rendez-vous. Je trouve cela terriblement excitant. S'il était dans mon lit tous les soirs, ce ne serait clairement pas la même chose.» Grâce à cette vie entre deux appartements, Claire de son côté a même retrouvé le désir qui s'était étiolé au fil du temps. «On a repris du plaisir à se voir et donc à se retrouver», se réjouit-elle.

Si ces confessions ne surprennent pas Cécilia Commo, elle invite cependant à ne pas y voir l'ultime clé pour faire durer le désir. «Ce dernier n'est pas protégé par les limites géographiques mais psychiques, nuance la psychologue. Si on reste indépendant et autonome avec son univers, on reste un objet à conquérir pour l'autre, et si on se voit à des moments spontanés, le désir peut être présent. En revanche, à trop planifier les rendez-vous, le désir peut devenir prévisible et le sexe routinier.»

Un mode de vie parfois coûteux

Si la liberté dont ces couples semblent jouir peut attirer, il faut rappeler que ce mode de vie n'est pas accessible à tous. Dans certaines grandes villes, on doit faire face à une réalité économique, des loyers élevés. Claire, 52 ans et son compagnon, vivent dans deux appartements séparés à Paris. Elle fait le calcul : «Si nous vivions ensemble, nous pourrions économiser presque 1000 euros par mois». «Il faut avoir les moyens de mettre son plan à exécution», poursuit la psychologue Cécilia Commo. Ou trouver un autre moyen d'être chacun épanoui. Elle conclut : «Tous les couples cherchent des solutions pour ne pas se quitter et continuer à s'aimer. C'est toute la complexité du couple, il faut sans cesse se réinventer».

(1) La famille à distance, Mobilités, territoires et liens familiaux (Ed de l'Ined, sous la direction de Christophe Imbert, Eva Lelièvre et David Dessau), 372 p, 25€
(2) Christophe Giraud est auteur de L'amour réaliste (Ed Armand Colin), 318 p, 22,90 euros
(3) Cécilia Commo est auteure de Le couple parfait n'existe pas (Ed Flammarion), 240 p, 18 euros.

En vidéo, les six piliers des couples sexuellement satisfaits