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Sexualité, femmes, péché originel : qu’en dit vraiment saint Augustin ?

 

 

Entretien

Saint Augustin (354-430), évêque, père et docteur de l’Église, est réputé pour sa vision méprisante du corps, de la sexualité et des femmes dans sa lecture du péché originel. Selon Jean-Marie Salamito, historien, spécialiste du christianisme antique, il a au contraire revalorisé le corps et combattu certaines injustices faites aux femmes.

  • Recueilli par Clémence Houdaille,

 

Série

Carême 2023 : corps et âme

Épisode 2/12
 
 

La Croix : On présente souvent Augustin comme l’inventeur de la notion de péché originel, avec une vision très pessimiste du corps. Qu’en est-il réellement ?

Jean-Marie Salamito : Augustin n’accuse pas le corps. Il dit avec une très belle formule que « ce n’est pas la chair corruptible qui a rendu l’âme pécheresse. C’est l’âme pécheresse qui a rendu la chair corruptible » (La Cité de Dieu, livre 14, chapitre 3). Augustin, qui a été manichéen avant de devenir chrétien, réhabilite en chrétien la chair que le manichéisme condamnait. Pour lui, mépriser le corps, c’est faire insulte au Créateur, car ce que celui-ci crée est toujours bon. Ainsi, même la nature du diable est bonne, puisqu’il a été créé par Dieu. Ce qui est en cause, c’est sa volonté, pas sa nature. « Il ne faut pas qu’à propos de nos péchés et de nos vices nous fassions injure au Créateur en accusant la nature de la chair », écrit-il également dans La Cité de Dieu (livre 14, chapitre 5).

Au XVIIIe siècle, le jansénisme, radicalement pessimiste, a noirci l’image de saint Augustin. Ce qui est vrai, c’est qu’Augustin a été amené à développer sa pensée en opposition à des adversaires, ce qui a pu le conduire à durcir ses positions à certains moments. Et les jansénistes ont abusivement privilégié certains ouvrages, en les coupant de l’ensemble de sa pensée. Mais c’est là une erreur de perspective, et même une trahison.

Quel regard porte-t-il sur les femmes ?

J.-M. S. : Dans l’Antiquité, les chrétiens ont découvert que les femmes étaient au moins aussi courageuses que les hommes quand il s’agissait de subir le martyre. D’un autre côté, il y a la figure de Marie, dont la grandeur rejaillit sur toutes les femmes. Augustin s’écrie : « Femmes, ne vous méprisez pas vous-mêmes : le Fils de Dieu est né d’une femme ! » (Le Combat chrétien, chapitre 9). La virginité corporelle de Marie est importante comme signe de la virginité du cœur.

On trouve d’ailleurs chez Augustin une réflexion sur le viol, qui l’amène à distinguer virginité physique et virginité de l’esprit. Il développe notamment cela dans le premier livre de La Cité de Dieu. Il a été confronté au sac de Rome par les Wisigoths, du 24 au 26 août 410. Ce fut un très grand traumatisme, une violence au cœur même de l’Empire romain. Il y a eu des viols, notamment de chrétiennes, vierges consacrées. Des païens, se souvenant du suicide de Lucrèce, après qu’elle a été violée par son neveu, se demandent pourquoi ces chrétiennes ne se sont pas donné la mort. Augustin dit qu’il n’y a aucune raison qu’elles le fassent car ce qu’elles ont subi, elles ne l’ont pas approuvé. L’idée d’Augustin est qu’on peut avoir perdu sa virginité physique et gardé sa chasteté. Il sort ainsi d’un point de vue masculin qui tend à une extrême injustice vis-à-vis des femmes.