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DÉCRYPTAGE - Le télescope spatial Webb a découvert six objets lointains qui intriguent les astrophysiciens : de potentielles galaxies bien plus anciennes et massives qu’attendu. Aucun modèle théorique ne prévoit leur existence.

Si la Nasa a investi plus de 10 milliards de dollars dans le JWST (James Webb Space Telescope), c’était avant tout pour cela : trouver et caractériser les premières galaxies de l’univers, c’est-à-dire les plus lointaines. Celles dont la lumière a mis si longtemps à nous parvenir, plus de 13 milliards d’années, que nous les voyons telles qu’elles étaient dans la prime jeunesse de l’Univers, ce qui correspond à cinq premières années à l’échelle d’une vie humaine. Quand bien même il s’agissait de la mission première de ce titanesque télescope spatial (6,5 mètres de diamètre), la communauté astrophysique ne peut que s’enthousiasmer aujourd’hui devant les premiers résultats scientifiques produits sur la question.

 

Dans un article paru la semaine dernière dans Nature , une équipe est en effet allée à la pêche dans les premières données « lointaines » glanées par le télescope, un programme d’observation appelé « Cosmic Evolution Early Release Science », ou Ceers. Celui-ci visait une zone de ciel déjà observée par le télescope Hubble et dans laquelle ce dernier… ne voyait pas grand-chose. Soit parce que les objets qui s’y trouvaient étaient trop peu brillants, car trop lointains, soit parce que leur lumière était trop décalée vers le rouge (plus un objet est lointain, plus sa lumière est étirée par l’expansion de l’univers, au point de sortir du spectre visible).

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Avec sa sensibilité record et sa capacité à voir dans l’infrarouge, le JWST a très exactement été pensé pour débusquer ces « invisibles ». Et là, surprise : parmi la multitude, les astronomes mettent au jour six objets dont l’éclat et la couleur laissent penser qu’il s’agit de galaxies très anciennes, mais bien plus massives que prévu par les modèles cosmologiques. Dans un article paru dans The Conversation, le premier auteur de la publication dans Nature, l’astrophysicien Ivo Labbe, de la Swinburne University of Technology de Melbourne, raconte : « (Lorsque) j’ai lancé le logiciel d’analyse sur cette petite tête d’épingle, il m’a craché deux nombres : 13,1 milliards d’années et 100 milliards de masses solaires ; j’ai failli en recracher mon café. Nous venions de découvrir l’impossible. Des galaxies impossibles, trop précoces, trop massives. »

« Ce sont des travaux vraiment intéressants », analyse François Hammer, astronome à l’Observatoire de Paris, spécialiste de l’évolution des galaxies et récent auteur du livre Voyage de la Terre aux confins de l’Univers (Éditions Odile Jacob, 2023). « Mais soulignons bien, comme les auteurs le font eux-mêmes dans leur papier, qu’il ne s’agit que de galaxies candidates pour le moment, il faut donc rester prudent. » Leur distance, et donc leur très jeune âge, n’a pas été formellement confirmée.

Aucun mécanisme ne permettrait aujourd’hui d’expliquer la formation de galaxies aussi massives, aussi tôt dans l’histoire de l’univers. Nous les voyons telles qu’elles étaient 600 à 750 millions d’années après le big bang. Leurs masses sont comprises entre quelques dizaines et une centaine de milliards de masses solaires. Soit quelque part entre les nuages de Magellan et notre galaxie, la Voie lactée, qui sont beaucoup plus âgés. « Pour produire de telles galaxies aussi rapidement (dans l’histoire de l’Univers), il faut presque que tout le gaz disponible à cette époque soit transformé en étoiles, avec une efficacité proche de 100 % », écrit Ivo Labbe.

Ces galaxies semblent en outre contenir des étoiles relativement « vieilles ». « Plus une galaxie est jeune, plus elle émet dans le bleu », explique François Hammer. « Or la lumière de ces galaxies est plus rouge que ce à quoi on s’attendait. Ce serait une autre surprise. À moins qu’elles ne contiennent des étoiles jeunes entourées de poussières, qui absorbent le bleu. »

Un bébé quasar

Dans tous les cas, seule la spectroscopie permettra d’en savoir plus. Les scientifiques vont analyser très précisément la lumière émise par chaque galaxie pour dresser sa « carte d’identité » lumineuse, son spectre. Cela permettra de déterminer très précisément leur décalage vers le rouge, c’est-à-dire leur distance, et donc leur âge. Cela permettra également de déterminer leur composition. « Si plusieurs de ces galaxies candidates voient leur taille et leur distance confirmées, ce serait une révolution pour la cosmologie », estime François Hammer. « Il faudrait probablement abandonner notre modèle actuel. Mais c’est bien parce que les conséquences seraient aussi profondes qu’il faut des preuves supplémentaires. »

Le mois dernier, le JWST a déjà pu réaliser un premier spectre de l’un de ces candidats. « Il s’agissait en fait d’un bébé quasar », a reconnu Ivo Labbe. Soit la lumière émise par de la matière s’effondrant sur un trou noir supermassif. Un objet intéressant en soi, mais pas la galaxie lointaine et massive espérée. Restent encore cinq candidats pour bouleverser notre vision du cosmos.


 

 

 

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