Loin des stéréotypes, l’adolescence au crible de la science

 

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L’adolescence est une période très intense qui rebat les cartes des relations familiales mais qui est souvent loin du cataclysme que redoutent beaucoup de parents. Poser un cadre dans un climat d’ouverture et de confiance est utile

Image d'illustration. — © Ponomariova_Maria / Getty Images/iStockphoto

«Ça y est, c’est l’adolescence qui commence!» Cette phrase, habituellement ponctuée d’un soupir qui en dit long, est fréquente chez les parents dont les enfants passent le cap des 10-11 ans. Ils égrènent ensuite tout ce qui n’est «plus comme avant»: la relation qui est moins facile, leur progéniture qui émet des avis contraires aux leurs, les câlins qu’on leur demande de ne plus faire en public… Et, dépités, ils se préparent déjà à des années de conflits et à affronter la crise d’adolescence dont ils sont persuadés qu’elle est une montagne incontournable sur le chemin de leur parentalité. Pourtant, de nombreuses recherches menées au cours des dernières décennies apportent des éléments rassurants, loin de ces stéréotypes que la société, les médias et la pop culture cultivent allègrement, nourrissant une crainte souvent infondée et parfois même contre-productive chez les parents.

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«Une étude récente que nous avons menée dans le canton de Vaud sur 146 couples de parents a permis de montrer que ceux qui ont le plus d’a priori sur l’adolescence et craignent le plus cette période sont souvent ceux qui vont rencontrer le plus de difficultés avec leurs adolescents», illustre Grégoire Zimmermann, professeur à l’Institut de psychologie de l’Université de Lausanne.

Les parents, dont les ados étaient âgés de 14 à 15 ans, ont rempli différents questionnaires sur leur comportement vis-à-vis de leurs enfants, mais aussi sur leurs croyances par rapport à l’adolescence. Il en ressort notamment que les croyances négatives au sujet de l’adolescence sont positivement corrélées aux comportements surprotecteurs et au risque de burn-out parental. Un résultat retrouvé tant chez les mères que chez les pères, même si les femmes, qui restent encore «la principale figure éducative», relèvent le Pr Zimmermann, sont plus susceptibles d’être surprotectrices.

La «crise d’ado» serait-elle donc aussi le fait des parents? «Nos travaux n’ont en aucun cas vocation à accabler les parents, qui font déjà face à de nombreuses injonctions éducatives. Il s’agit plutôt de leur donner l’opportunité d’avoir une certaine réflexivité sur la relation qu’ils ont avec leurs ados et de leur rappeler de regarder aussi tout ce qui se passe bien», explique le spécialiste.

Se faire confiance

Certes loin d’être un fleuve tranquille, l’adolescence se passe sans heurts majeurs pour de nombreux jeunes. «Même s’il est vrai que la pandémie a aggravé des situations de vulnérabilité pour certains adolescents, n’oublions que la majorité va bien», insiste Sophie Vust, psychologue cadre, spécialiste FSP à la Division interdisciplinaire de santé des adolescents (DISA) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). «Les parents ont parfois l’impression qu’ils doivent lire mille livres ou suivre des formations pour savoir quoi faire, or ils doivent surtout se faire confiance! Ils sont en capacité de gérer ce moment de transition. Les adolescents n’ont pas besoin de parents super-héros mais qu’on leur donne des repères et un minimum de cadre.»

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Le conseil semble simple, pourtant à l’ère de l’«éducation positive», interdire ne va pas toujours de soi. «Il y aurait beaucoup à dire sur la manière dont le concept d’éducation positive a été diffusé et compris, mais ne nous trompons pas, quand on parle de poser un cadre, nous ne sommes pas dans une quelconque nostalgie de l’éducation «à l’ancienne», précise Grégoire Zimmermann. Tout au long de son développement, l’enfant a besoin d’un cadre qui doit être ajusté au fil du temps. Et la vraie question est de savoir comment poser ce cadre puis le gérer. Les parents sont souvent en quête de trucs pour bien faire avec leur ado. Eh bien je vais les décevoir: il n’y a pas de trucs! Il y a juste des climats dans lesquels les pratiques sont moins conflictuelles.»

Soutenir leur autonomie

Pour se positionner de manière constructive sur certains points du vivre-ensemble (horaires, politesse, usage du smartphone…), il ne suffit plus d’imposer. Et des études ont montré que la réaction des adolescents vis-à-vis des règles dépend surtout de la manière dont elles sont communiquées. La confiance est bien entendu un élément clé et l’ado doit pouvoir sentir qu’il est un réel partenaire dans la discussion. Lorsque les parents adoptent un comportement soutenant l’autonomie des adolescents, ces derniers ont tendance à mieux respecter les interdits, suggèrent certaines recherches.

Si les parents restent in fine décisionnaires, il faut veiller à créer un espace de discussion autour des règles et des conséquences en cas de transgression. Les adultes doivent aussi écouter les remarques des ados et essayer de les comprendre. Et même si la décision finale provoque un «tu ne comprends rien», les parents doivent l’accepter.

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Ne pas être d’accord, créer de la frustration, parfois de la colère, fait partie de la vie de famille. «Certains n’osent plus jouer leur rôle de parents de peur que leurs enfants soient mécontents ou les repoussent. L’adolescence est une phase d’autonomisation, ce qui peut être difficile émotionnellement pour les parents aussi», pointe Sophie Vust. Mais il est parfois plus simple de se focaliser sur les sautes d’humeur de son ado que d’observer son propre bouleversement. «Nos adolescents peuvent nous mettre face à des équilibres de vie qui ne fonctionnent plus, remarque la psychologue. Ce n’est pas confortable, mais c’est aussi une belle opportunité de faire bouger des choses en soi et dans sa vie!»

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ill Grünewald: «Les jeunes sont l’élixir de vie de toute société. Les seniors doivent prendre leurs soucis au sérieux»

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Selon une récente enquête, les Suisses de 18 à 25 ans estiment qu’un fossé désunit les jeunes et les plus âgés. Pour le directeur de la Berner Generationenhaus, la collectivité aurait tout à gagner d’un dialogue permanent entre les générations

An African Ethnicity Mother sitting talking to her teenage daughter at the ocean at sunset — © wilpunt / Getty Images/iStockphoto

Sommes-nous satisfaits de notre vie, en Suisse? Après la pandémie, ça va mieux. Sauf chez les jeunes. Certains ouvrent les rideaux de la «vie d’adulte» avec le sentiment qu’un gouffre les sépare de leurs aînés. Plus largement, les voilà qui ont le cœur lourd. Ils se sentent incompris, désavantagés dans le monde du travail et peignent le futur en noir. Alors, que faire?

Le «Baromètre des Générations 2023», dont les résultats ont été dévoilés récemment, a pris pour la troisième fois le pouls de la population du pays pour en questionner les motivations et les fractures sous le prisme de l’âge. Pour ce sondage représentatif commandé par la Berner Generationenhaus et réalisé en collaboration avec l’institut de recherche Sotomo, 2787 personnes majeures, en Suisse alémanique et romande, ont été interrogées en ligne en novembre 2022.

On y lit que l’écart entre les riches et les pauvres est considéré comme la plus grande ligne de faille en Suisse. Mais aussi que celle qui désunit les générations tourmente particulièrement les «Z», soit les 18-25 ans. Si bien que le sentiment de déséquilibre entre jeunes et plus âgés est d’une ampleur sans précédent. Till Grünewald, directeur de la Berner Generationenhaus, désireuse de stimuler le discours public sur ces questions, répond au Temps.

Relire: En Suisse après la pandémie, la satisfaction remonte, sauf chez les plus jeunes

Le Temps: Parmi les nombreux résultats du «Baromètre des générations 2023», lequel vous a le plus surpris?

Till Grünewald: Plus de la moitié des 18-25 ans pensent qu’il existe dans notre pays un fossé entre les générations. Nous avons été particulièrement surpris par la nette différence entre cette tranche d’âge et la suivante, les 26-35 ans, sur cette question. Les deux dernières enquêtes n’avaient pas révélé une telle insatisfaction de la part de la génération Z. Nous avons également été surpris de constater que cette dernière est nettement plus pessimiste quant à l’avenir que les plus de 25 ans – et davantage encore que lors de la dernière enquête. En 2021, 43% des 18-25 ans voyaient l’avenir (plutôt) de manière positive, contre 19% seulement en 2022.

Comment expliquer le fait que la génération Z ressente ce fossé générationnel?

Cela pourrait être lié au fait que les plus jeunes ne se sentent pas suffisamment compris ou considérés. Les personnes âgées sont beaucoup plus satisfaites de leur vie: près de la moitié des plus de 55 ans disent même l’être beaucoup. Les anciennes générations ne semblent pas vraiment conscientes que ce n’est pas le cas chez leurs cadets et qu’ils se sentent à court de perspectives. En somme, les résultats ne montrent pas de grand fossé, mais de nombreuses petites lignes de fracture. Le monde du travail est l’une d’entre elles.

Lire aussi: Au travail, la génération Z veut surtout «être heureuse»

Comment la fracture s’observe-t-elle dans les sphères professionnelles?

Les jeunes s’y sentent désavantagés, ce qui peut surprendre à première vue, car on considère plus volontiers les plus de 50 ans dans cette situation. Pour les jeunes, cela est lié à l’évolution importante et rapide du monde du travail. D’une part, il y a une grande pénurie de main-d’œuvre qualifiée et les jeunes travailleurs sentent qu’ils devraient être demandés sur le marché du travail. Or il est toutefois probable que dans la réalité les idées des collaborateurs plus âgés sont vues comme plus attrayantes. A l’inverse, l’impression de manque d’expérience et de compétences des jeunes reste tenace. Dans ce cas, les programmes de mentorat inversé, par exemple, peuvent favoriser la compréhension et l’échange d’expériences.

De plus, le monde du travail est soumis à une forte évolution des valeurs: la recherche de sens et la contribution personnelle immédiate sont de plus en plus mises en avant par les jeunes. Pour répondre à ces attentes, un changement de mentalité est nécessaire chez de nombreux employeurs.

Dans votre sondage, on apprend que la satisfaction des jeunes de moins de 36 ans face à leur vie diminue et que les générations plus âgées n’en semblent pas conscientes. Qu’est-ce que l’on gagnerait collectivement à améliorer notre compréhension de ces générations?

Le fait que les générations plus âgées aient parfois peu de compréhension pour les besoins des jeunes est probablement aussi vieux que l’humanité. Selon Klaus Hurrelmann, chercheur allemand spécialiste de la jeunesse, les jeunes ont un regard ouvert sur les défis de la société et tendent un miroir aux aînés. Nous devrions en être conscients: ils sont l’élixir de vie de toute société, c’est d’eux que viennent le courage, la créativité et la volonté de faire les choses différemment. Pour les seniors, cela signifie: faire de la place, écouter, gagner en empathie envers leur situation et prendre au sérieux leurs craintes et leurs soucis. Pour que cela réussisse, il faut un dialogue permanent entre les générations: en politique, dans les médias, dans la rue et à la maison.

Le regard porté sur l’avenir est plutôt sombre dans toutes les tranches d’âge, pour deux tiers des sondés. La proportion est la plus élevée chez les 18-25 ans, qui, à 81%, se disent plutôt, ou carrément, pessimistes. Ce chiffre vous inquiète-t-il?

Oui, ce résultat doit nous inquiéter. Si les jeunes envisagent l’avenir avec pessimisme et découragement et s’ils n’ont plus la volonté de changer, il nous manquera, en tant que société, le renouvellement indispensable à notre survie. Les crises multiples des dernières années, notamment le changement climatique, pèsent lourd dans l’appréciation de leurs futures conditions de vie. La promesse d’un progrès par rapport à la génération précédente ne semble plus être valable chez les moins de 36 ans.

Lire aussi: L’écoanxiété est-elle «un truc de jeunes»?

Toutefois, la génération Z est celle qui voit en elle le plus de marge de manœuvre pour construire l’avenir. Ce sentiment compense-t-il le pessimisme?

Il s’agit effectivement d’une lueur d’espoir de l’enquête. Aussi, près d’un tiers des 18-25 ans pensent avoir eux-mêmes une influence sur l’avenir. Dans l’idéal, l’insatisfaction agirait donc comme un moteur de changement positif. Ainsi, plus de 70% des 18-25 ans accordent par exemple de l’importance à un style de vie respectueux du climat. De cette conscience des problèmes et de cette volonté d’agir, nous pouvons, en tant que société, tirer une forme d’optimisme.

Que conclure sur l’équilibre de notre société?

Le conflit de générations dont on parle tant n’est pas le plus grand fossé de notre société, qui est celui qui sépare les riches et les pauvres. En même temps, la génération Z voit un déséquilibre croissant entre les générations, et ce dans une phase où nous sommes confrontés à de grands défis sociaux. Pour pouvoir y faire face, nous avons besoin de relations intergénérationnelles fonctionnelles et viables. Celles-ci supposent un dialogue constant, je le répète.

 

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