https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/12/11/la-france-buissonniere-un-paysan-millionnaire-au-secours-d-une-eglise-qui-s-effondre_6153908_4497916.html

A la rencontre de la France ordinaire. Raymond a travaillé toute sa vie, vécu chichement, presque en autarcie. A 89 ans, l’ancien agriculteur a cassé sa tirelire bien remplie pour financer les travaux de réfection de « son » église, dans un village du Loiret.

Publié le 11 décembre 2022

 

L’église Saint-Loup-et-Saint-Roch, à La Chapelle-sur-Aveyron (Loiret).

 

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aymond avait « un paquet de pognon » sur son compte en banque, et il ne savait pas quoi en faire. Quand Christian Chevallier, le maire de La Chapelle-sur-Aveyron (Loiret), est venu le voir à la maison de retraite pour lui parler de la dégradation avancée de l’église du village, le vieil homme n’a pas mis longtemps à se décider : « Je te donne 1 million », a-t-il lancé à son visiteur. Un million d’euros, comptant et non imposable.

Sur le coup, Christian Chevallier a eu du mal à y croire. Il ne fut pas le seul. En recevant leur convocation pour évoquer le sujet, les membres du conseil municipal ont demandé au maire s’il « [ne s’était] pas trompé d’un ou deux zéros ». Même stupéfaction à l’antenne locale du Trésor public, qui s’empressa de téléphoner à la secrétaire de mairie, courant novembre, pour vérifier qu’il n’y avait pas eu « erreur » en voyant arriver le pactole sur le compte de la petite commune (650 habitants).

Agé de 89 ans, Raymond n’est ni un vainqueur du Loto ni l’un de ces riches hobereaux ayant acheté forêts et château dans ce coin du Gâtinais. Ancien agriculteur, le retraité n’a rien, non plus, d’un catholique illuminé. Construite à la fin du XIe siècle, l’église Saint-Loup-et-Saint-Roch est juste « son » clocher. C’est sous son toit qu’il a été baptisé et qu’il a fait sa première communion ; sous son toit, également, qu’ont été célébrées les obsèques de ses parents et celles de son frère aîné, Roger, mort en 2020.

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Le « toit » en question est mal en point depuis longtemps. Les tenons et les mortaises s’affaissent, la charpente couine. Il y a quatre ans, un filet a dû être tendu au-dessus de la nef centrale afin de protéger les paroissiens des plaques de plâtre qui se détachent de la voûte. « Tout va s’écrouler un jour, redoute monsieur le maire. Je n’ai pas envie que cela se fasse sous mon mandat. » Il a fait faire un devis pour des travaux. Son montant (1,2 million d’euros) est bien trop élevé pour le budget annuel d’investissement de la commune (138 000 euros). « Raymond est mon sauveur », s’incline l’élu.

Une vie « quasiment en autarcie »

Un million d’euros d’économie, c’est beaucoup au regard d’une vie de paysan. Raymond a hérité à deux reprises : la première fois de ses parents, la deuxième fois de Roger. Célibataires sans enfants, les deux frères ont tenu la ferme familiale jusqu’à leur retraite, il y a vingt-cinq ans, avant de louer leurs terres (63 hectares) en fermage. Ils ont eu des animaux (vaches, moutons) et ont cultivé des céréales et des betteraves.

Surtout, ils ont vécu chichement : « Quasiment en autarcie, comme leurs parents les avaient habitués à vivre », raconte Christian Chevallier. « On ne dépensait que ce que nous étions obligés de dépenser : un peu de nourriture et du matériel, c’est tout », se souvient Raymond en évoquant le seul « gros achat » consenti durant leur activité professionnelle : « Une moissonneuse-batteuse. Une petite. »

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Située à quatre kilomètres du bourg, la ferme du lieu-dit Le Chesnoy fonctionnait alors en vase clos. « L’argent entrait chez eux et ne ressortait jamais, poursuit Christian Chevallier. Leur seul superflu était une télévision qu’ils allumaient à 20 heures pour regarder les informations et qu’ils éteignaient une demi-heure après. »

L’autosuffisance pour devise et le bas de laine comme étendard, Raymond et Roger se chauffaient avec leur bois et ne possédaient pas de congélateur, se satisfaisant des ressources de leur potager et de leur basse-cour. Le pain était acheté tous les trois jours. « Le grand régal de Raymond a toujours été le pied de cochon. »

Il y a deux ans, juste après le décès de Roger, la maladie de Parkinson s’est amplifiée chez Raymond. Christian Chevallier lui a alors « trouvé une place » à l’Ehpad d’une commune voisine, Châtillon-Coligny. Chaque mercredi, depuis, il vient lui apporter ses chemises repassées et de la mousse à raser : « Je suis son seul visiteur. » L’aïeul dit s’y sentir bien, mais n’a qu’une hâte : « Voir les travaux à l’église commencer le plus tôt possible. » Ce ne sera pas avant dix mois. Christian Chevallier lui a promis de l’emmener sur le chantier régulièrement.

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