hcq 13.12.22
Le Point 31.10.22
Le fossé se creuse entre Orient et Occident notamment en raison d'une divergence démographique : l’Occident ne compte que 1,3 milliard de citoyens contre 3,6 milliards pour l’Orient (ici, la gare de Churchgate, à Bombay, en 1989, par Mitch Epstein). © Mitch Epstein, avec l’aimable autorisation de Black River Productions, Ltd./Galerie Thomas Zander
L'Occident a dominé le monde de la fin du XVe au début du XXIe siècle, exportant sa puissance, ses institutions, ses modes de production et ses idées sur tous les continents à travers trois mouvements de mondialisation : les grandes découvertes du XVIe siècle ; la colonisation au XIXe siècle ; l'effondrement de l'empire soviétique et l'universalisation du capitalisme à la fin du XXe siècle. Cette troisième mondialisation semblait consacrer son triomphe. Mais l'Occident a cédé à la démesure, perdant le contrôle de l'ordre mondial, du capitalisme, de sa sécurité et de ses valeurs, minées par les populismes. Le XXIe siècle est ainsi placé sous le signe de l'histoire universelle mais aussi de la désoccidentalisation du monde.
La guerre d'Ukraine a acté la fragmentation du système international, ouvrant une nouvelle ère marquée par la divergence entre l'Orient et l'Occident. Vladimir Poutine a échoué dans son double objectif d'annihiler l'Ukraine et de faire la démonstration de la décadence de l'Occident. Il a soudé la nation ukrainienne, réarmé l'Allemagne, réveillé l'Union européenne, réengagé les États-Unis en Europe, ressuscité l'Otan. Mais il a aussi créé un fossé entre l'Orient et l'Occident qui rend très difficile toute coopération dans la gestion des risques planétaires, à commencer par la lutte contre le dérèglement climatique.
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La divergence est d'abord démographique : si le vieillissement est partagé, l'Occident ne compte que 1,3 milliard de citoyens contre 3,6 milliards pour l'Orient. Sur le plan économique, la mondialisation reposait sur l'imbrication entre, d'une part, les États-Unis – réassureur ultime de la consommation mondiale – et la Chine – devenue l'atelier du monde au prix de la dévastation de l'environnement – et, d'autre part, l'Allemagne – superpuissance industrielle exportant vers le groupe Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud (Brics) – et la Russie, son fournisseur attitré de matières premières et d'énergie bon marché.
Découplage total
Tout cela a disparu et le découplage est total. Lors du XXe Congrès, Xi Jinping a développé sa vision d'une Chine transformée en forteresse face au reste du monde, entendant garantir son autosuffisance dans les secteurs stratégiques de la technologie, de la finance, de l'alimentation et de l'énergie, ce qui est incompatible avec la poursuite des exportations sur lesquelles repose sa croissance. L'économie russe se trouve isolée et engagée dans un grand bond en arrière à la suite des sanctions. L'Allemagne sombre dans le désarroi avec l'effondrement de son modèle mercantiliste. Les États-Unis voient leur économie renforcée par la guerre d'Ukraine, en raison de leur autonomie énergétique et de la puissance de leur technologie, de leur armement et de leur agriculture, mais ne parviennent pas à enrayer la situation de quasi-guerre civile qui mine leur démocratie. La priorité des nations et des entreprises ne va plus à l'intégration mais à la souveraineté, qui implique un désaccouplement logistique, commercial – avec les sanctions croisées –, technologique, monétaire et financier – avec la dédollarisation.
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La rupture ne concerne pas seulement les intérêts mais les visions, les institutions et les valeurs. Développement intensif à l'ouest fondé sur la productivité des facteurs de production, la collecte de l'épargne mondiale, les services ; croissance extensive à l'est privilégiant la production de masse, la consommation des ressources naturelles et humaines, l'industrie et les infrastructures. Démocraties et individualisme radical à l'ouest ; empires autoritaires, primat de la société sur les personnes, contrôle par l'État des entreprises et des citoyens, normalisation culturelle à l'est. Volonté à l'ouest de construire un ordre mondial fondé sur des règles ; mobilisation à l'est autour de la destruction d'un système international jugé inféodé à l'Occident pour lui substituer, au nom de la multipolarité, des sphères d'influence fondées sur les purs rapports de force ainsi que le revendique le manifeste sino-russe du 4 février 2022.
Détacher les pays du Sud de l'Orient
Dans ce choc des civilisations, l'Orient bénéficie du renfort du Sud et de ses puissances émergentes – Inde, Brésil, Turquie, Iran, Arabie saoudite, Nigeria, Afrique du Sud –, qui partagent la haine de l'Occident et l'aversion pour l'ordre mondial créé en 1945. Le basculement vers un système éclaté, conflictuel et volatil ne leur paraît pas négatif dès lors qu'il leur permet de faire progresser leurs intérêts de manière opportuniste, à l'exemple de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. La Chine est devenue leur premier partenaire commercial et financier, à travers les nouvelles routes de la soie. La Russie bénéficie d'un préjugé favorable hérité des luttes de libération nationale. Longtemps enfoui, le ressentiment contre l'Occident, enraciné dans le passif colonial, joue désormais un rôle central dans le débat politique intérieur des émergents comme dans leur diplomatie. Et ce de manière paradoxale, au moment où la domination de l'Occident disparaît et où ses valeurs – la liberté, la raison, l'État de droit – sont contestées en son sein même.
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La grande divergence entre l'Occident et l'Orient porte des risques de conflits majeurs, comme le prouve l'invasion de l'Ukraine, sous laquelle pointent la guerre hybride totale que la Russie a engagée contre l'Europe comme les menaces de la Chine sur Taïwan. La partition du système mondial interdit par ailleurs tout traitement concerté des risques systémiques, qu'ils soient financiers, sanitaires ou climatiques. La transition climatique heurte notamment de plein fouet le modèle oriental de développement extensif. Ainsi, au moment où le Giec prévoit entre 2030 et 2052 une hausse des températures de 1,5 °C par rapport à niveau préindustriel, au moment où les catastrophes se multiplient – des sécheresses aux inondations en passant par les incendies et les cyclones –, la Chine a annulé toute discussion climatique après la visite de Nancy Pelosi à Taïwan. La guerre d'Ukraine provoque un retour massif vers les énergies fossiles en Europe, où l'Allemagne produira en 2023 le tiers de son électricité à partir du charbon. Dès lors, la COP27, qui va s'ouvrir à Charm el-Cheikh, paraît mort-née, sans que les projets de « clubs climat » au sein des blocs, à l'exemple du G7, présentent une alternative crédible à l'approche multilatérale.
L'Occident doit rétablir une dissuasion militaire et technologique fiable pour endiguer l'expansion des empires autoritaires. Mais il lui faut simultanément entreprendre une stratégie de reglobalisation vis-à-vis des pays du Sud pour les détacher de l'Orient. Avec pour priorité la lutte contre le réchauffement climatique, dont ils sont les premières victimes.
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