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Jeune moine zen ordonné au Japon sous le nom de Tozan, Clément Sans nous raconte chaque mois son quotidien. Aujourd’hui, il nous parle de son mariage, qu’il perçoit « comme une porte d’accès vers la sainteté ».

Publié le 22 mai 2022 à 09h00 Mis à jour le 21 septembre 2022 à 10h53 Temps de Lecture 3 min.

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"Des moines au temple Zenkoji de Nagano en 2016."

 

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Le Français Clément Sans est récemment devenu moine zen, ordonné sous le nom de Tozan (« la montagne du pêcher »). Chaque mois, il nous envoie une lettre qui nous fait partager ses réflexions et son quotidien singulier et presque hors du temps. Après deux ans passés au temple Antai-ji, dans les montagnes de l’île Honshu, il continue désormais sa pratique à Kyoto, l’ancienne capitale impériale du Japon.

Lettre de mai 2022. Les montagnes de la grande île de Honshu sont désormais toutes drapées d’une large coiffe verte aux infinies nuances, les arbres semblent épris d’une nouvelle vigueur, les azalées côtoient les premiers hortensias. Tout l’Archipel respire un printemps sortant de la floraison des cerisiers. Dans nos montagnes où l’eau abonde, les grenouilles sont revenues accompagner par leurs chants nos méditations nocturnes, sorte de liturgie naturelle d’une saison déjà bien entamée.

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Les derniers légumes d’hiver ayant été consommés et les premières récoltes de l’année tardant à venir, le printemps est pour nous la saison des sansai, ces herbes comestibles qui couvrent les montagnes du Japon des campagnes. Warabi, tiges de fuki, feuilles de mitsuba… c’est tout un orchestre de plantes sauvages trouvées dans les forêts entourant le temple qui compose désormais le menu quotidien. Préparées le plus souvent en friture ou ajoutées à l’indispensable soupe miso, ces herbes composeront le pilier de notre alimentation durant plusieurs semaines.

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Mais cette belle saison est avant tout celle où le riz, préalablement planté sous serre, est repiqué. Les rizières ont été préparées, fertilisées, recouvertes d’eau, drainées et aplanies. Puis, dans une journée de grand soleil, nous avons annulé nos séances de méditation pour nous consacrer uniquement au riz, mis en terre à la main. Une journée entière, de l’aube au coucher du soleil, fut nécessaire pour venir à bout des deux rizières, qui donneront dans le meilleur des cas environ 600 kilos de riz. Désormais, le soin presque quotidien du riz occupe une grande partie de notre temps et chacun veille sur les jeunes plants comme un parent inquiet veillerait sur un enfant fébrile.

Un mariage officiel

Ce mois-ci, je me suis cependant éclipsé du temple pour rejoindre cette ancienne capitale impériale que j’aime tant, Kyoto, ville où je me suis marié officiellement, en attendant la cérémonie religieuse, plus formelle. Dans le bouddhisme ancien, le célibat était imposé aux moines, qui étaient d’abord définis comme des renonçants, « sortis du foyer » (shukke, en japonais). Bien loin de son origine indienne, le bouddhisme japonais s’est lentement sécularisé et transformé pour se confondre avec la culture ordinaire, adoptant des codes antérieurs à son arrivée sur l’Archipel.

Avec le temps, ce n’est pas uniquement les membres de la famille, mais chaque personne rencontrée qui est considérée comme un enfant du Bouddha

Aujourd’hui, la plupart des courants présents au Japon refusent de se fonder sur une distinction conventionnelle et caduque entre le pratiquant laïque et le moine, rendant l’idée du mariage tout à fait tolérable. L’école bouddhiste la plus importante de l’Archipel, courant dit de la Terre pure, a fait de ce principe un élément central de sa doctrine, en partie basée sur le rêve du moine Shinran, qui, en 1203, a vu en apparition un avatar du Bouddha se confondant avec sa future épouse, faisant de son mariage le lieu même de son éveil spirituel à venir. La situation ayant été régularisée par le gouvernement Meiji (1868-1912), qui a autorisé officiellement les moines à se marier, une très grande majorité des moines japonais sont aujourd’hui engagés dans une vie familiale.

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Car que veut dire « sortir du foyer » ? Quel est donc ce « chez soi » qu’il nous faut quitter, cette appartenance qu’il nous faut briser ? La pratique zen renvoie toujours le moine à la question plus fondamentale de l’ego et des attachements malsains qu’il pourrait entretenir, bien plus qu’à sa situation maritale, qui, en elle-même, n’indique rien. Le zen est d’abord une éthique quotidienne, un regard sincère et direct sur les motivations profondes qui habitent l’esprit.

Un déménagement à venir

Dans notre courant, le mariage est aujourd’hui largement considéré comme l’opportunité d’étendre le domaine du spirituel dans le monde ordinaire. Refusant de stationner dans un monde pur, fermé et préservé des bruits du monde, la compassion bouddhiste implique un contact direct avec les choses ordinaires.

A l’image de Shinran, qui associa la figure de compassion du Bouddha à son épouse, se marier implique de voir sa famille comme un support de la pratique et, plus largement, comme une porte d’accès vers la sainteté. Avec le temps, ce n’est pas uniquement les membres de la famille, mais chaque personne rencontrée qui est considérée comme un enfant du Bouddha, un reflet de l’Eveil.

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S’il existe encore des débats sur la question, nombre de moines revendiquent aujourd’hui la nécessité du mariage pour mieux transmuter la vie quotidienne en un tissu religieux global, faisant de l’union la première étape d’une alchimie spirituelle. Pour moi et comme c’est souvent le cas, le choix du mariage implique un déménagement, clôturant une période de plusieurs années de pratique dans ce petit temple reculé. Dans les prochains mois, j’intégrerai un autre lieu de culte à Kyoto, me permettant de concilier la vie familiale et ma vie religieuse, comme les deux ailes d’une même voie.

 

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