L’Allemagne est devenue un satellite économique de la nouvelle Guerre froide américaine contre la Russie, la Chine et le reste de l’Eurasie. L’Allemagne et d’autres pays de l’OTAN ont reçu l’ordre de s’imposer des sanctions commerciales et économiques dont les conséquences s’étendront bien au-delà de la guerre par procuration menée aujourd’hui en Ukraine.

Le président américain Biden et ses porte-paroles du département d’État ont expliqué que l’Ukraine n’est que l’arène initiale d’une dynamique beaucoup plus large qui divisera le monde en deux ensembles opposés d’alliances économiques. Cette fracture mondiale promet d’être une lutte de dix ou vingt ans pour déterminer si l’économie mondiale sera une économie dollarisée unipolaire centrée sur les États-Unis ou un monde multipolaire et multi-devises centré sur le cœur (heartland) de l’Eurasie avec des économies mixtes publiques/privées.

Le président Biden a caractérisé cette scission comme étant entre les démocraties et les autocraties. La terminologie est typique du double langage orwellien. Par « démocraties », il entend les États-Unis et les oligarchies financières occidentales alliées. Leur objectif est de déplacer la planification économique des mains des gouvernements élus vers Wall Street et d’autres centres financiers sous contrôle américain. Les diplomates américains utilisent le Fonds monétaire international et la Banque mondiale pour exiger la privatisation de l’infrastructure mondiale et la dépendance vis-à-vis de la technologie, du pétrole et des exportations alimentaires des États-Unis.

Par « autocratie », Biden entend les pays qui résistent à cette prise de pouvoir par la financiarisation et la privatisation. Dans la pratique, la rhétorique américaine accuse la Chine d’être autocratique dans la régulation de son économie pour promouvoir sa propre croissance économique et son niveau de vie, surtout en gardant la finance et la banque comme des services publics pour promouvoir l’économie tangible de production et de consommation. L’enjeu fondamental est de savoir si les économies seront planifiées par les centres bancaires pour créer de la richesse financière – en privatisant les infrastructures de base, les services publics et les services sociaux tels que les soins de santé en monopoles – ou viseront à augmenter le niveau de vie et la prospérité des peuples en maintenant la banque et la création monétaire, la santé publique, l’éducation, les transports et les communications entre les mains des États.

Le pays qui subit le plus de « dommages collatéraux » dans cette fracture mondiale est l’Allemagne. Son industrie, la plus avancée d’Europe, est la plus dépendante des importations de gaz, de pétrole et de métaux (de l’aluminium au titane et au palladium) de la Russie pour sa métallurgie, ses produits chimiques, ses machines, son industrie automobile et d’autres biens de consommation. Pourtant, malgré deux gazoducs Nord Stream construits pour fournir à l’Allemagne une énergie à bas prix, l’Allemagne a reçu l’ordre de se couper du gaz russe et de se désindustrialiser. Cela signifie la fin de sa prééminence économique. La clé de la croissance du PIB en Allemagne, comme dans d’autres pays, est la consommation d’énergie par travailleur.

Ces sanctions anti-russes rendent la nouvelle Guerre froide d’aujourd’hui intrinsèquement anti-allemande. Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a déclaré que l’Allemagne devrait remplacer le gazoduc russe à bas prix par du gaz naturel liquéfié (GNL) américain à prix élevé. Pour importer ce gaz, l’Allemagne devra rapidement dépenser plus de 5 milliards de dollars pour renforcer sa capacité portuaire afin d’accueillir les méthaniers. L’effet sera de rendre l’industrie allemande non compétitive. Les faillites se répandront, l’emploi déclinera et les dirigeants allemands pro-OTAN imposeront une dépression chronique et une baisse du niveau de vie.

La plupart des théories politiques se fondent sur le présupposé que les nations agiront dans leur propre intérêt. Sinon, ce sont des pays satellites, qui ne contrôlent pas leur propre destin. L’Allemagne subordonne son industrie et son niveau de vie aux diktats de la diplomatie américaine et aux intérêts personnels du secteur pétrolier et gazier américain. Il le fait volontairement, non sous la menace militaire mais par conviction idéologique que l’économie mondiale doit être dirigée par les planificateurs américains de la nouvelle Guerre froide.

Parfois, il est plus facile de comprendre la dynamique actuelle en prenant du recul et chercher dans l’histoire des exemples du type de diplomatie politique que l’on voit aujourd’hui diviser le monde. Le parallèle le plus proche que je puisse trouver est le combat de l’Europe médiévale par la papauté romaine contre les rois allemands – les empereurs romains germaniques – au XIIIème siècle. Ce conflit a divisé l’Europe selon des lignes très semblables à celles d’aujourd’hui. Une série de papes excommunia Frédéric II et d’autres rois allemands et mobilisa ses alliés pour lutter contre l’Allemagne et son contrôle du sud de l’Italie et de la Sicile.

L’antagonisme occidental contre l’Orient a été incité par les croisades (1095-1291), tout comme la Guerre froide d’aujourd’hui est une croisade contre les économies menaçant la domination américaine sur le monde. La guerre médiévale contre l’Allemagne devait décider qui devrait contrôler l’Europe chrétienne, de la papauté ou des rois. Dans le premier cas, le pape devenait un empereur disposant de toute la puissance politique et militaire, capable de légitimer ou délégitimer les rois.

Ce qui, dans l’Europe médiévale, est analogue à la nouvelle Guerre froide américaine contre la Chine et la Russie est le Grand Schisme de 1054. Exigeant un contrôle unipolaire sur toute la chrétienté, Léon IX excommunia l’Église orthodoxe centrée à Constantinople et toute la population chrétienne dont elle dépendait. Un seul évêché, Rome, se coupa unilatéralement de tout le monde chrétien de l’époque, y compris les anciens patriarcats d’Alexandrie, d’Antioche, de Constantinople et de Jérusalem.

Cette scission a créé un problème politique pour la diplomatie romaine : comment tenir tous les royaumes d’Europe occidentale sous son contrôle et revendiquer le droit à une subvention financière de leur part. Cet objectif exigeait de subordonner les rois séculiers à l’autorité religieuse papale. En 1074, Grégoire VII, Hildebrand, annonça 27 décrets pontificaux décrivant la stratégie administrative de Rome pour verrouiller son pouvoir sur l’Europe.

Ces exigences papales sont étonnamment parallèles à la diplomatie américaine d’aujourd’hui. Dans les deux cas, les intérêts militaires et mondains sont sublimés sous la forme d’un esprit de croisade idéologique pour cimenter le sens de la solidarité que requiert tout système de domination impériale. La logique est intemporelle et universelle.

Les « Dictats pontificaux » étaient radicaux de deux manières principales. Tout d’abord, ils ont élevé l’évêque de Rome au-dessus de tous les autres évêchés, créant la papauté moderne. L’article 3 statuait que seul le pape avait le pouvoir d’investiture pour nommer, déposer ou réintégrer les évêques. L’article 12 donnait au pape le droit de déposer les empereurs, à la suite de l’article 9 décrétant que tous les princes doivent baiser les pieds du pape pour être considérés comme des dirigeants légitimes.

De même aujourd’hui, les diplomates américains revendiquent le droit de nommer qui devrait être reconnu comme chef d’État d’une nation. En 1953, les États-Unis ont renversé le dirigeant élu de l’Iran et l’ont remplacé par la dictature militaire du Shah. Ce principe donne aux diplomates américains le droit de parrainer des « révolutions de couleur » pour un changement de régime, comme leur parrainage de dictatures militaires latino-américaines créant des oligarchies clientes pour servir les intérêts commerciaux et financiers américains. Le coup d’État de 2014 en Ukraine n’est que le dernier exercice de ce droit américain de nommer et de destituer des dirigeants.

Plus récemment, des diplomates américains ont nommé Juan Guaidó à la tête de l’État du Venezuela au lieu de son président élu, et lui ont remis les réserves d’or de ce pays. Le président Biden insiste aujourd’hui sur le fait que la Russie devait destituer Poutine et mettre à sa place un dirigeant plus pro-américain. Ce « droit » de choisir les chefs d’État a été une constante dans la politique américaine au cours de sa longue histoire d’ingérence dans les affaires politiques européennes depuis la Seconde Guerre mondiale.

La deuxième caractéristique radicale des Dictats pontificaux était leur exclusion de toute idéologie et politique qui divergeait de l’autorité papale. L’article 2 stipulait que « seul le pontife romain est en droit d’être appelé universel ». Tout désaccord était, par définition, hérétique. L’article 17 stipulait qu’aucun chapitre ou livre ne pouvait être considéré comme canonique sans l’autorité papale.

Cela est comparable à l’idéologie actuellement parrainée par les États-Unis en faveur des « marchés libres » financiarisés et privatisés, c’est-à-dire contre les souverainetés nationales, contre le pouvoir des gouvernements de façonner les économies dans des intérêts autres que ceux des élites financières et commerciales centrées sur les États-Unis.

La prétention à l’universalité est aujourd’hui affublée du langage de la « démocratie ». Mais dans la nouvelle Guerre froide, « démocratie » signifie simplement « pro-américain », et spécifiquement la privatisation néolibérale en tant que nouvelle religion économique parrainée par les États-Unis. Cette éthique est qualifiée de « science », comme par exemple dans le Memorial Prize in the Economic Sciences. C’est l’euphémisme moderne pour l’économie de pacotille néolibérale de l’École de Chicago, les programmes d’austérité du FMI et le favoritisme fiscal pour les riches. Les Dictats pontificaux ont défini une stratégie pour verrouiller le contrôle unipolaire sur les domaines laïques. Ils ont affirmé la préséance papale sur les rois du monde, surtout sur les empereurs romains germaniques. L’article 26 donnait aux papes le pouvoir d’excommunier quiconque n’était « pas en paix avec l’Église romaine ». Ce principe impliquait l’article final 27, permettant au pape « d’absoudre les sujets de leur fidélité aux hommes méchants ». Cela encourageait la version médiévale des « révolutions de couleur » visant à provoquer un changement de régime. Ce qui unissait les pays dans cette soumission à Rome était un antagonisme envers les sociétés non soumises au contrôle papal centralisé – les infidèles musulmans qui tenaient Jérusalem, ainsi que les cathares français et toute autre personne considérée comme hérétique. L’hostilité était surtout dirigée contre les régions assez fortes pour résister aux exigences papales de tribut financier.

La contrepartie actuelle d’un tel pouvoir idéologique pour excommunier les hérétiques qui résistent aux demandes d’obéissance et d’hommage serait l’Organisation mondiale du commerce, la Banque mondiale et le FMI dictant les pratiques économiques et fixant des « conditionnalités » à suivre par tous les gouvernements membres, sous peine de sanctions américaines – la version moderne d’excommunication des pays n’acceptant pas la suzeraineté américaine. L’article 19 des Dictats pontificaux statuait que le pape ne pouvait être jugé par personne – tout comme aujourd’hui, les États-Unis refusent de soumettre leurs actions aux décisions de la Cour internationale. De même, les diktats américains via l’OTAN et d’autres armes (telles que le FMI et la Banque mondiale) devraient être suivis par les satellites américains sans aucune question. Comme l’a dit Margaret Thatcher à propos de sa privatisation néolibérale qui a détruit le secteur public britannique, There Is No Alternative (TINA).

J’essaie ici de souligner l’analogie avec les sanctions américaines d’aujourd’hui contre tous les pays qui ne s’alignent pas sur leurs exigences diplomatiques. Les sanctions commerciales sont une forme d’excommunication. Elles renversent le principe du traité de Westphalie de 1648 qui rendait chaque pays et ses dirigeants indépendants de toute ingérence étrangère. Le président Biden justifie l’ingérence américaine par l’antithèse entre « démocratie » et « autocratie ». Par démocratie, il entend une oligarchie clientéliste sous contrôle américain, créant de la richesse financière en réduisant le niveau de vie des travailleurs, par opposition aux économies mixtes public/privé visant à promouvoir le niveau de vie et la solidarité sociale.

Comme je l’ai mentionné, en excommuniant l’Église orthodoxe centrée à Constantinople et sa population chrétienne, le Grand Schisme a créé la ligne de démarcation religieuse fatidique qui a séparé l’Occident de l’Orient au cours du dernier millénaire. Cette scission est si importante que Vladimir Poutine l’a citée dans son discours du 30 septembre 2022 décrivant la rupture nécessaire avec les économies occidentales centrées sur les États-Unis et l’OTAN.

Les XIIème et XIIème siècles ont vu les conquérants normands d’Angleterre, de France et d’autres pays, ainsi que les rois allemands, protester à plusieurs reprises, être excommuniés à chaque fois, et finalement succomber aux exigences papales. Il a fallu attendre le XVIème siècle pour que Martin Luther, Zwingli et Henri VIII créent enfin une alternative protestante à Rome, rendant le christianisme occidental multipolaire.

Pourquoi a-t-il fallu si longtemps ? La réponse est que les croisades ont fourni un puissant champ gravitationnel idéologique organisateur. Là se trouve le coeur de l’analogie entre le projet pontifical de la Réforme grégorienne et la Guerre froide d’aujourd’hui entre l’Est et l’Ouest. Les croisades ont justifié moralement et mobilisé la haine contre « l’autre ». C’était l’analogie médiévale avec les doctrines néolibérales actuelles du « marché libre » de l’oligarchie financière américaine et son hostilité envers la Chine, la Russie et les autres nations qui ne suivent pas cette idéologie. Dans la nouvelle guerre froide d’aujourd’hui, l’idéologie néolibérale de l’Occident mobilise la peur et la haine de « l’autre », diabolisant les nations qui suivent une voie indépendante en tant que « régimes autocratiques ». Le racisme pur et simple est encouragé envers des peuples entiers, comme en témoigne la russophobie et la Cancel Culture qui déferle sur l’Occident.

Tout comme la transition multipolaire du christianisme occidental nécessitait l’alternative protestante du XVIème siècle, la rupture du cœur eurasien d’avec l’Occident de l’OTAN, centré sur les banques, doit être consolidée par une idéologie alternative concernant la manière d’organiser les économies mixtes publiques/privées et leur infrastructure financière.

Les paroisses médiévales de l’Occident ont été vidées de leurs aumônes et de leurs dotations pour alimenter les deniers de saint Pierre et d’autres subventions à la papauté pour les guerres qu’elle menait contre les dirigeants qui résistaient aux demandes papales. L’Angleterre a joué le rôle principal de vache à lait que l’Allemagne joue aujourd’hui. D’énormes impôts anglais prélevés ostensiblement pour financer les croisades ont été détournés pour combattre Frederick II, Conrad et Manfred en Sicile. Ce détournement a été orchestré par des banquiers pontificaux du nord de l’Italie (Lombards et Cahorsins), et s’est transformé en dettes royales traversant toute l’économie. Les barons d’Angleterre ont mené une guerre civile contre Henri II dans les années 1260, mettant fin à sa complicité et au sacrifice de l’économie nationale aux exigences papales.

Ce qui a mis fin au pouvoir de la papauté sur les autres pays, c’est la fin de sa guerre contre l’Orient. Lorsque les croisés ont perdu Acre en 1291, la papauté a perdu son contrôle sur la chrétienté orientale. [Mais la guerre de Rome contre Constantinople, mortellement blessée par la Quatrième croisade, se poursuivra jusqu’à sa prise sous les Ottomans, NdT]. Le premier coup porté à l’hégémonie papale l’a été par le roi de France Philippe IV (« le Bel »), qui en 1307 s’empare de la richesse du grand ordre bancaire militaire des Templiers à Paris. D’autres dirigeants ont également nationalisé chez eux la puissance financière des Templiers et les systèmes monétaires ont été retirés des mains de l’Église. Sans ennemi commun défini et mobilisé par Rome, la papauté a perdu son pouvoir idéologique unipolaire sur l’Europe occidentale.

L’équivalent moderne du rejet des Templiers et de la finance papale serait que les pays se retirent de la nouvelle guerre froide américaine. Ils rejetteraient l’étalon dollar et le système bancaire et financier américain. Cela commence à se produire : de plus en plus de pays voient la Russie et la Chine non pas comme des adversaires mais comme présentant de grandes opportunités d’avantages économiques mutuels.

Le sabotage de la promesse de gain mutuel entre l’Allemagne et la Russie

La dissolution de l’Union soviétique en 1991 promettait la fin de la guerre froide. Le Pacte de Varsovie a été dissous, l’Allemagne a été réunifiée et les diplomates américains ont promis la fin de l’OTAN, car la menace militaire soviétique n’existait plus. Les dirigeants russes se sont laissés aller à l’espoir que, comme l’a exprimé le président Poutine, une nouvelle économie paneuropéenne serait créée de Lisbonne à Vladivostok. L’Allemagne, en particulier, devait prendre l’initiative d’investir en Russie et de restructurer son industrie selon des lignes plus efficaces. La Russie paierait ce transfert de technologie en fournissant du gaz et du pétrole, ainsi que du nickel, de l’aluminium, du titane et du palladium.

Il n’y avait aucune anticipation que l’OTAN serait élargie pour entamer une nouvelle guerre froide, encore moins qu’elle soutiendrait l’Ukraine, reconnue comme la kleptocratie la plus corrompue d’Europe, pour qu’elle soit dirigée par des partis extrémistes s’identifiant par des insignes nazis allemands.

Comment expliquer que le potentiel apparemment logique de gain mutuel entre l’Europe occidentale et les anciennes économies soviétiques s’est transformé en un parrainage des kleptocraties oligarchiques. La destruction du pipeline Nord Stream résume la dynamique. Pendant près d’une décennie, les États-Unis n’ont cessé d’exiger de l’Allemagne qu’elle renonce à sa dépendance à l’égard de l’énergie russe. Ces demandes ont été combattues par Gerhardt Schroeder, Angela Merkel et les chefs d’entreprise allemands. Ils soulignaient la logique économique évidente du commerce de produits manufacturés allemands contre des matières premières russes.

Le problème des États-Unis était de savoir comment empêcher l’Allemagne d’approuver le gazoduc Nord Stream 2. Victoria Nuland, le président Biden et d’autres diplomates américains ont démontré que le moyen d’y parvenir était d’inciter à la haine de la Russie. La nouvelle Guerre froide a été conçue comme une nouvelle croisade. C’est ainsi que George W. Bush avait décrit l’attaque américaine contre l’Irak pour s’emparer de ses puits de pétrole. Le coup d’État de 2014 parrainé par les États-Unis a créé un régime ukrainien fantoche qui a passé huit ans à bombarder les provinces orientales russophones. L’OTAN a ainsi incité une réponse militaire russe. L’incitation a réussi et la réponse russe souhaitée a été dûment qualifiée d’atrocité non provoquée. Sa protection des civils a été décrite dans les médias parrainés par l’OTAN comme étant si offensante qu’elle méritait les sanctions commerciales et d’investissement qui ont été imposées depuis février. C’est ce que signifie une croisade.

Le résultat est que le monde se divise en deux camps : l’OTAN centrée sur les États-Unis, et la coalition eurasienne émergente. L’un des sous-produits de cette dynamique a été de laisser l’Allemagne incapable de poursuivre la politique économique de relations commerciales et d’investissement mutuellement avantageuses avec la Russie (et peut-être aussi la Chine). Le chancelier allemand Olaf Sholz se rend cette semaine en Chine pour lui demander de démanteler son secteur public et de cesser de subventionner son économie, faute de quoi l’Allemagne et l’Europe imposeront des sanctions sur le commerce avec la Chine. Il est impossible que la Chine puisse répondre à cette demande ridicule, pas plus que les États-Unis ou toute autre économie industrielle ne cesseraient de subventionner leurs propres puces informatiques et d’autres secteurs clés. [1] Le Conseil allemand des relations étrangères est une branche néolibérale « libertaire » de l’OTAN exigeant la désindustrialisation de l’Allemagne et sa dépendance vis-à-vis des États-Unis pour son commerce, à l’exclusion de la Chine, de la Russie et de leurs alliés. Cela promet d’être le dernier clou dans le cercueil économique de l’Allemagne.

Un autre sous-produit de la nouvelle Guerre froide américaine a été de mettre fin à tout plan international visant à endiguer le réchauffement climatique. Une clé de voûte de la diplomatie économique américaine est que ses compagnies pétrolières et celles de ses alliés de l’OTAN contrôlent l’approvisionnement mondial en pétrole et en gaz, c’est-à-dire s’opposent aux tentatives de réduction de la dépendance aux carburants à base de carbone. La guerre de l’OTAN en Irak, en Libye, en Syrie, en Afghanistan et en Ukraine visait à ce que les États-Unis (et leurs alliés français, britanniques et néerlandais) gardent le contrôle du pétrole. Ce n’est pas aussi abstrait que « Démocraties contre autocraties ». Il s’agit de la capacité des États-Unis à nuire à d’autres pays en perturbant leur accès à l’énergie et à d’autres besoins fondamentaux.

Sans le récit « bien contre mal » de la nouvelle guerre froide, les sanctions américaines perdront leur raison d’être dans cette attaque américaine contre la protection de l’environnement et contre le commerce mutuel entre l’Europe occidentale et la Russie et la Chine. Tel est le contexte de la lutte d’aujourd’hui en Ukraine, qui ne doit être que la première étape de la lutte anticipée de 20 ans par les États-Unis pour empêcher le monde de devenir multipolaire. Ce processus enfermera l’Allemagne et l’Europe dans la dépendance vis-à-vis des approvisionnements américains en gaz naturel liquéfié (GNL).

L’astuce consiste à essayer de convaincre l’Allemagne qu’elle dépend des États-Unis pour sa sécurité militaire. Ce dont l’Allemagne a vraiment besoin d’être protégée, c’est de la guerre des États-Unis contre la Chine et la Russie qui marginalise et « ukrainise » l’Europe.

Les gouvernements occidentaux n’ont pas appelé à une fin négociée de cette guerre, car aucune guerre n’a été déclarée en Ukraine. Les États-Unis ne déclarent la guerre nulle part, car cela nécessiterait une déclaration du Congrès en vertu de la Constitution américaine. Alors les armées américaines et de l’OTAN bombardent, organisent des révolutions colorées, interfèrent avec les politiques intérieures (rendant obsolètes les accords de Westphalie de 1648) et imposent les sanctions qui déchirent l’Allemagne et ses voisins européens.

Comment des négociations pourraient-elles « mettre fin » à une guerre qui n’a pas de déclaration de guerre et qui est une stratégie à long terme de domination mondiale unipolaire totale ?

La réponse est qu’aucune fin ne peut venir jusqu’à ce qu’une alternative à l’ensemble actuel d’institutions internationales centrées sur les États-Unis soit mise en place. Cela nécessite la création de nouvelles institutions reflétant une alternative à la vision néolibérale centrée sur les banques selon laquelle les économies devraient être privatisées avec une planification centrale par les centres financiers. Rosa Luxemburg a caractérisé le choix comme étant entre le socialisme et la barbarie. J’ai esquissé la dynamique politique d’une alternative dans mon livre récent, The Destiny of Civilization.

Michael Hudson

Notes

[1] Voir Guntram Wolff, “Sholz should send an explicit message on his visit to Beijing,”, Financial Times , 31 octobre 2022. Wolff est le directeur du Conseil allemand des relations étrangères.

 

 

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