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C’est fait, l’homme le plus riche de la planète a racheté le réseau social à l’oiseau bleu. Voici quatre points pour saisir les ambitions du milliardaire, dont la forfanterie risque très vite de se heurter à la réalité. Même si certaines de ses idées sont louables
Il l’a désiré, s’en est lassé avant même de l’obtenir, puis l’a acheté, sous contrainte. Il a payé son caprice sans doute 10 à 15 milliards de dollars de trop. Et désormais, le jouet est à lui. Ce jouet, c’est Twitter, passé dans les mains d’Elon Musk dans la nuit de jeudi à vendredi pour 44 milliards de dollars. Le feuilleton, commencé en janvier par ses premières prises de participation au capital du réseau social, a ainsi connu un épisode majeur. Sans doute pas le dernier, au vu des frasques incessantes de l’entrepreneur. Reste que le moment est historique: l’homme le plus riche de la planète – 220 milliards de dollars de fortune – s’empare de l’un des plus importants réseaux sociaux, comptant 238 millions d’utilisateurs.
Il y a bien sûr les clowneries d’Elon Musk. Il se nomme «chief twit», «twit» voulant dire «crétin». Il entre au siège de Twitter un lavabo dans les mains, écrivant «let that sink in», signifiant «je vous laisse absorber l’information», «sink» étant «lavabo» en français. Et vendredi, il publie sur Twitter le message «the bird is free» – «l’oiseau est libéré». Libéré de quoi, et surtout pour devenir quoi? Le point en quatre questions.
1. Elon Musk a-t-il les pleins pouvoirs?
Oui. Via un montage financier, il détient 100% des actions. Il vient de licencier le directeur du réseau social, Parag Agrawal (avec un dédommagement de 60 millions de dollars), et une bonne partie de la direction. Selon Bloomberg, Elon Musk pourrait même s’autoproclamer patron de Twitter, en plus de sa supervision de Tesla et SpaceX. Et dans la nuit de jeudi à vendredi, Elon Musk le milliardaire a imposé le gel de tout développement logiciel chez Twitter depuis jeudi midi et toute modification du code. Ce sont même des ingénieurs de Tesla qui ont pris le pouvoir et qui analysent en ce moment même le code du réseau social…
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Twitter n’étant plus coté en bourse depuis vendredi, Elon Musk n’a plus de résultats trimestriels à publier, que ce soient des éléments financiers ou le nombre d’utilisateurs. L’entrepreneur devra en réalité surtout rendre des comptes aux banques qui lui ont prêté 12,5 milliards de dollars pour ce rachat.
2. En quoi se transformera le réseau social?
Le fantasme ultime d’Elon Musk, c’est de muer Twitter en super-application, l’application X comme il la nommait le 5 octobre dernier. Une app à tout faire, en résumé: «Je pense à WeChat en Chine, qui est une super super-application, il n’y a pas de WeChat en dehors de la Chine. Et je pense qu’il y a une réelle opportunité de créer cela», affirmait-il. L’application chinoise, qui compte un milliard d’utilisateurs, permet de communiquer, de réserver un taxi, d’envoyer de l’argent à ses amis, d’effectuer ses paiements ou encore de s’identifier – et bien sûr WeChat est aussi un réseau social.
A titre de comparaison, Twitter, c’est bien sûr un réseau social, mais guère plus: une messagerie, une porte d’entrée pour lire des nouvelles, et c’est tout. Elon Musk, qui vise un milliard d’utilisateurs d’ici à dix ans, aura fort à faire pour quadrupler le nombre d’usagers. Il risque de se heurter à Google et Apple, qui ne le laisseront pas facilement créer une super app qui entrera forcément en concurrence avec plusieurs de leurs propres services.
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3. Qu’en sera-t-il de la liberté d’expression?
S’il y a une constance dans le discours d’Elon Musk, c’est sa volonté d’accroître la liberté d’expression sur Twitter. Les regards se tournent bien sûr vers Donald Trump, banni à vie par le réseau social après l’assaut du Capitole début 2021, et que le patron de Tesla veut voir revenir sur Twitter. Mais aussi vers la star du showbiz Kanye West («mon ami», disait Elon Musk), banni pour des propos antisémites. Mais même un assouplissement des règles actuelles ne les fera pas revenir facilement. L’ancien président, même s’il peut concourir à nouveau en 2024, a pour l’heure affirmé qu’il ne souhaitait pas revenir sur Twitter, préférant persévérer sur son propre réseau, Truth Social. Quant à Kanye West, son retour serait très certainement boycotté par les gros annonceurs.
L’enjeu de la publicité – qui représente 90% des revenus de Twitter – est important. Jeudi, Elon Musk s’est adressé aux annonceurs, soufflant le chaud et le froid: «Il est important pour l’avenir de la civilisation d’avoir une place publique en ligne où une grande variété d’opinions peuvent être débattues de façon saine, sans recourir à la violence», a-t-il écrit, tout en convenant que «Twitter ne peut évidemment pas être un endroit infernal ouvert à tous, où tout peut être dit sans conséquence».
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Il y a aussi l’enjeu de la régulation. Twitter doit faire face à des règles de modération, voire de censure, différentes selon chaque pays, rendant quasiment impossible une politique globale. Vendredi, Thierry Breton, commissaire européen à l’origine d’une nouvelle réglementation sur les grandes plateformes, a notamment prévenu Elon Musk qu’il devra se plier à cette loi. Nul doute que ces prochains jours déjà, notamment aux Etats-Unis, de nombreux politiciens de la droite dure testeront les nouvelles règles de modération des contenus sous l’ère Musk. Il faudra aussi observer si le nouveau patron tiendra parole et laissera auditer les algorithmes de modération de Twitter.
4. Twitter sera-t-il plus solide?
Mégaphone mondial, plateforme de communication privilégiée notamment par les politiciens, Twitter est pourtant un réseau social fragile. Ces dix dernières années, il n’a gagné de l’argent que lors de huit exercices, et la contraction actuelle du marché publicitaire doit le heurter de plein fouet. La plateforme est en train de lancer un abonnement, «Blue», à 4,99 dollars par mois, permettant notamment d’éditer ses tweets a posteriori – mais rien n’indique que ce sera une source de revenus importante.
Elon Musk, à qui les rumeurs prêtaient l’intention de licencier les trois quarts des 7500 employés de Twitter, effectuera sans doute une restructuration de masse. Mais il semble certain que le réseau social ne lui rapportera presque rien. Si ce n’est beaucoup de travail supplémentaire.
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