« Mourir est un long travail parfois, il fait peur mais il est aussi comme tout travail porteur de grandes richesses »
La médecin Isabelle Marin constate, dans une tribune au « Monde », qu’aujourd’hui l’euthanasie devient un remède à l’incertitude, mais en donnant plus de droits aux malades, on accroît aussi les responsabilités qui pèsent sur le corps médical.
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ne journée de l’Ecole normale supérieure (ENS), préparée depuis trois ans, a été consacrée le vendredi 9 septembre à l’incertitude. Plus notre monde prévoit, connaît, mesure, plus il s’angoisse de l’incertitude propre à toute vie. « Certitude de la mort, incertitude de l’heure » cette phrase ou son équivalent appartient à toutes les cultures humaines.
Mais le psychologue John Dewey (1859-1952) l’a déjà bien repéré : la peur de l’incertitude est bien celle de souffrances insoupçonnées, reprenant les pensées de Montaigne – on ne craint tant en la mort que la douleur et on redoute la douleur comme avant coureuse de la mort. L’euthanasie permet alors de se prémunir contre cette incertitude. La peur de la mort nous la fait avancer.
Pendant trente ans, j’ai travaillé dans un hôpital accueillant une population précaire et multiculturelle en Seine-Saint-Denis et j’ai accompagné beaucoup de malades et de familles qui ne m’ont jamais demandé d’abréger le peu qu’il leur restait à vivre.
Pour un projet d’humanité
Or, la question que je découvre, venant de ce monde qui a l’habitude de l’incertitude, en arrivant dans un milieu rural bourguignon est non pas : « Quand va-t-il mourir ? » mais : « Quand faut-il l’endormir ? » Le médecin ne sait pas répondre à la première question, mais peut trancher sur la seconde. Alors l’euthanasie parait la solution la plus efficace pour faire fondre le doute, baisser l’angoisse et finalement édulcorer la mort.
Le sempiternel débat va s’ouvrir sur la dignité d’abord, comme si elle était l’objet d’un diagnostic et non un projet d’humanité, puis sur la douleur et la souffrance, comme si la vie pouvait s’en passer. On oublie alors que des soins appropriés peuvent permettre de diminuer les douleurs et d’accompagner les souffrances. Il serait utile d’éclairer le débat par cette peur de l’incertitude, du hasard.
Nos vies se construisent en effet sur des rencontres, des hasards improbables, des coups de dés et nos plus beaux moments sont souvent les plus inattendus. Le début de la vie connaît lui aussi cette problématique et le déclenchement des accouchements pour le confort des familles et surtout celui des soignants a bien tenté de devenir la norme.
Un nouveau pouvoir médical
Un mouvement s’est amorcé pour refuser cette médicalisation excessive qui déciderait de l’heure et du moment de naître. Comment se fait-il qu’un tel mouvement ne voit pas le jour pour lutter contre la médicalisation de l’heure et du moment de la mort ? Car sous couvert d’augmenter les droits des malades et leur autonomie, c’est au corps soignant que l’on demande de prononcer l’inéluctabilité d’abord puis de soulager et abréger la vie du patient.
C’est donc en fait un nouveau pouvoir médical qui peut voir le jour. Et les médecins ne sont pas indemnes de l’angoisse de mort, ils participent à cette culture de la certitude et préféreront toujours maîtriser la vie, quitte à l’interrompre, plutôt que de la voir échapper à leurs soins et à leurs techniques.
Je suis d’ailleurs toujours aussi stupéfaite que notre monde s’imagine pouvoir faire peser la souffrance et la mort sur une toute petite partie des soignants. Récemment, une amie en toute fin de vie me demandait ce qu’il fallait faire pour qu’elle meure, n’imaginant pas que la mort venait au bout de son chemin de maladie sans qu’on ne fasse rien. Sa famille s’offusquait du changement de son apparence alors même qu’elle gardait toute sa lucidité et communiquait avec tout son entourage.
Mourir est un long travail parfois, il fait peur mais il est aussi, comme tout travail, porteur de grandes richesses et, pour une athée qui ne croit pas aux lendemains, le temps passé vivant est toujours du temps pris sur la camarde. Ça ne sert à rien, me dit-on, quand c’est fini, c’est fini, mais justement, c’est seulement quand la mort vient que c’est fini et tant qu’elle n’est pas là qui sait ce qu’il peut arriver : « Le soleil m’a dit qu’il reviendrait peut être », comme l’a écrit la poètesse Sabine Sicaud (1913-1928).