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Les secrets des couples qui durent. Getty Images

 

L’amour et ses paradoxes : si les trentenaires rêvent du mariage, ils paniquent à l’idée qu’il ne dure pas ! Témoignages et éclairage.

Céline et Bob roucoulaient. Il y a encore trois mois, le jeune couple de trentenaires savourait son projet intrépide : se marier ! "Mais là, on n'est plus très sûrs", confie Bob en consultation. "J'en ai pleuré toute la nuit", ajoute Céline. Ils se sentent soudain comme deux gosses obligés de faire plaisir à leurs familles. "Le pire, c'est que maintenant elles nous harcèlent", renchérit Céline. Alors, s'engager à deux, vraiment ? "Ce serait une bonne idée de réfléchir ensemble à la manière dont vous voulez, vous, continuer votre histoire", leur a suggéré la thérapeute de couple Caroline Kruse. Cette conseillère conjugale, qui exerce depuis trente ans à Paris, vient de reporter dans un ouvrage savoureux, Le Savoir-Vivre amoureux (Éditions Le Rocher Poche), tout ce qu'elle a rassemblé de scènes de la vie conjugale qui se sont élaborées à l'intérieur de son cabinet. L'objectif ? Interroger dans un horizon très large le couple pour finalement aider chacun à saisir ce qui "nourrit l'amour, en se libérant des idées et des modèles préconçus".

 

Le couple, une notion à contre-temps

Et la première nouveauté réside peut-être dans le fait qu'aujourd'hui, hommes et femmes entrent dans son cabinet de plus en plus jeunes, entre 20 et 30 ans, souvent peu avant la date programmée du mariage, comme saisis d'une panique : est-ce qu'on va savoir durer ? Ou, dit autrement : est-ce la peine que l'on s'embarque dans ce mariage, à une époque où si souvent… ça ne dure pas ?

Pour cette génération d'aspirants à la conjugalité, qui en franchissent sagement les étapes (le premier canapé, le premier appartement, le premier enfant), il s'agit désormais de naviguer en plein paradoxe. "Beaucoup de jeunes trentenaires habitués à une société où tout s'accélère - on change plus vite de boulot, de partenaire, on communique plus vite... - répondent à cette prise de vitesse vertigineuse par un fantasme de durée", réagit la philosophe Marie Robert. "Ces jeunes ne veulent pas reproduire les divorces de leurs parents, leurs disputes ou leurs excuses - "On est restés ensemble pour les enfants", par exemple -, explique Caroline Kruse. Ces trentenaires tiennent à ce que leur union reste vivante. Ils ne sont pas forcément en crise, mais ils veulent être rassurés avant de se lancer."

Un couple qui dure relève de ce temps qualitatif

Marie Robert

Chemin faisant, est-ce finalement devenu extravagant de croire au bonheur durable à deux ? En France, l'Insee opère chaque année le décompte. Ainsi, l'Institut rappelle qu'en 2016-2017 on enregistrait 228.000 mariages pour 128.000 divorces prononcés, la moitié des mariages se soldant donc par un divorce. Cette tendance s'est, note Caroline Kruse, vraisemblablement accentuée avec le fait que le divorce par consentement mutuel s'est allégé en 2017, le passage devant un juge ne devenant plus nécessaire. La liberté de choix acquise, la pluralité des modèles et des alliances possibles, "voilà ce qui, paradoxalement, a contribué à rendre le couple aussi fragile que surinvesti", reprend la thérapeute. Et l'image d'Épinal, qui flirte encore avec l'idéalisation du couple qui dure, se déchire sur la vague des statistiques : 20 % des couples explosent après cinq ans, quand, dans les années 1980, 70 % des jeunes s'installant ensemble tenaient au moins quinze ans, selon une étude du même Insee publiée en 2015.

En vidéo, le pair-care est-il le nouveau secret de longévité du couple ?

Une affaire d'algorithmes?

Comment résister à l'ouragan des enfants, aux intermittences du désir et aux algorithmes de Tinder qui titillent la libido ? La longévité en duo a-t-elle encore du sens à l'ère de l'obsolescence programmée ? Cette obsession du couple qui dure toute une vie est telle que, depuis 1986, le très sérieux Love Lab ("le labo de l'amour") du Gottman Institute de l'université de Washington, à Seattle, a soumis plus de 3000 couples à ses observations, comme des rats de laboratoire, pour comprendre le secret de la longévité. "Grâce à des modèles mathématiques révolutionnaires, nous pouvons prédire de manière sûre la trajectoire d'une relation, affirme le Love Lab. Encore plus important, nous pouvons maintenant proposer des suggestions fondées sur du data pour ajuster la trajectoire de la vie du couple." Comme quoi l'amour est aussi une affaire d'algorithmes.

Dans son passionnant podcast Philosophy is Sexy, Marie Robert analyse les notions qui nourrissent - ou bien pourrissent - la vie à deux : "l'amour", la plus déraisonnable des obsessions ; "la dispute", à cause d'une erreur de GPS ou d'une machine à laver ; "la rencontre", noyée sous la routine… Et la durée, lui demande-t-on : c'est quoi, un couple qui dure ? "Cela n'a rien à voir avec les années. Bergson nous dit qu'il y a deux temps : le temps des montres, objectif - un an de plus, c'est un an de plus - et la durée, le temps subjectif qui appartient à l'individu, souligne Marie Robert. Si vous passez de très bonnes vacances, vous avez l'impression que cela a duré deux jours, si vous vous ennuyez en réunion, vous trouvez cela interminable. Un couple qui dure relève de ce temps qualitatif. Plutôt que de nous obséder à compter les années, pourquoi ne pas nous interroger sur ce qui nous lie à l'autre : nous intrigue-t-il/elle encore, l'admire-t-on encore ? A-t-on encore envie d'être ensemble ?"

Conseils pratiques

Premier viatique du manuel de Caroline Kruse : le modèle parfait, ça n'existe pas ! "Combien en ai-je reçu qui m'ont dit : "Rien ne va plus entre nous. Aux yeux de nos proches, on est le couple idéal. Si on se sépare, ce sera un cataclysme presque plus pour eux que pour nous !"" On ne renonce pas facilement à l'idéalisation, ajoute la thérapeute : "Même si elle constitue le pire des pièges, puisque, par définition, se fixer un idéal revient à s'épuiser de ne jamais pouvoir l'atteindre." Observant les couples, elle l'assure : "Au début d'une histoire, c'est merveilleux, on trouve tout chez l'autre, qui trouve tout chez nous. Le bénéfice narcissique est mutuel. Mais, un jour, la princesse redevient grenouille et le prince, crapaud. Pour qu'une relation se construise durablement, il faut sortir de l'illusion amoureuse. Dévoiler ses imperfections et supporter celles de l'autre."

En vidéo, les 10 secrets des couples qui durent

En trente années de consultation, la thérapeute a-t-elle finalement identifié quelques-uns des secrets des couples qui durent ? On s'en doutait, son traité du Savoir-Vivre amoureux n'est pas un livre de recettes, mais bien un chemin ouvert sur le respect du partenaire dans son altérité. Croisement de deux histoires singulières, chaque couple est nécessairement différent. Néanmoins, une constante s'invite : "Déjà, il convient d'éviter de se mettre la pression en se répétant : il faut que mon couple dure ! Cela témoigne d'un manque de confiance en l'autre. Second écueil, le considérer comme acquis. Durer, c'est se réajuster ensemble, à l'image du navire Argo, dont toutes les pièces changent au fur et à mesure du voyage. Et aussi ne pas s'ennuyer ensemble : l'amour se travaille, à chacun son rituel. Troisième difficulté, tout se dire ! Une histoire d'un soir, inutile d'en parler. L'infidélité est un poison, ce n'est pas la peine d'intoxiquer le lien. Mais si cela révèle un malaise profond, mieux vaut en discuter", conclut Caroline Kruse.

Il faut saisir le point de bascule qui nous emmènera plus loin

Caroline Kruse

Or, c'est souvent là que le bât blesse. Dans le cabinet de la praticienne, comme chez la plupart de ses confrères, en thérapie, un couple sur deux s'en plaint : "On ne se parle plus !" Comment s'en sortir ? Aux yeux du psychiatre Jean-Paul Mialet, qui y a consacré un livre, L'Amour à l'épreuve du temps (Éditions Albin Michel), on exige aujourd'hui beaucoup trop du couple, en priorité qu'il nous exalte. "Alors que c'est une œuvre commune difficile qui nécessite d'être inventif, attentif à l'autre. S'émerveiller toujours, cela se travaille. L'un de mes patients m'a donné son secret, la règle des 3 C : concessions, concessions, concessions !", partage le médecin. "Il ne faut pas craindre les crises ni courber le dos quand elles arrivent, ni serrer les dents ou les poings, préconise, quant à elle, Caroline Kruse. Mais bien plutôt nager avec la vague. Et saisir le point de bascule qui nous emmènera plus loin."

1. Lâcher prise

Marianne, 46 ans, professeure de français, et Francisco, 42 ans, architecte, mariés depuis 15 ans, installés en Colombie, 1 enfant.

Leur premier anniversaire de mariage devait être un week-end romantique à Deauville, ce fut une catastrophe : "On s'est disputés non-stop", confie Marianne. Sur la plage, c'était sûr : "On va divorcer !" Quatorze ans plus tard, son mari est l'homme qu'elle aime "le plus au monde". Francisco et Marianne viennent de "deux planètes différentes" : il est colombien, elle, parisienne. Cette altérité qui les a aimantés dès leur rencontre leur a aussi valu bien des disputes. Dans les dîners où ça débat, ils ne sont d'accord sur rien. Dans leur vie, elle se braque, lui ne comprend pas. Une thérapie chez un psy "formidable" les a aidés à fortifier leur complicité : "J'ai compris que Francisco n'était pas contre moi et que je n'allais pas le changer." Leur secret ? Lâcher prise. Une fois par semaine, le couple s'ouvre une bonne bouteille, discute, s'amuse. Francisco, réputé plutôt "ours", la surprend encore d'un "tu es très jolie" au moment où elle s'y attend le moins, décoiffée, en pyjama. Leur relation très physique au début s'est tempérée : "On se dit que c'est normal et qu'il n'y a pas péril en la demeure."

2. Trouver son "partenaire de jeu"

Louise, 47 ans, et Gabriel, 48 ans, scénaristes, en couple depuis 22 ans, installés à Paris, 2 enfants.

L'appartement, le bébé, le chien… Louise et Gabriel (1) n'ont jamais fantasmé sur un parcours tout tracé. "Sinon, on s'ennuierait vite, relève Louise. Mon secret, c'est que j'ai trouvé mon partenaire de jeu." La routine des devoirs et des courses a trouvé un puissant antidote pour maintenir la flamme : la fiction. Le duo, qui s'est rencontré durant ses études, collabore sur des scénarios, s'invente des univers. "On essaie de se faire rire et, si on s'ennuie, de le reconnaître", poursuit Louise, qui reçoit au même moment ce SMS de Gabriel : "J'ai pensé à une scène, il faut que je te raconte !" Cette "communion" n'en fait pas pour autant un couple fusionnel. Chacun tient à son indépendance, mène ses propres projets. Quand Gabriel part en montage, Louise assure la logistique familiale. Elle y est habituée, car elle vit avec un phobique du lave-vaisselle. "Comme j'aime assez être dans le contrôle, cette répartition des rôles me convient. Le couple, c'est comme les médicaments, vous mesurez le rapport bénéfices/risques. Parfois, il nous arrive de nous disputer très fort, mais l'humour nous aide à désamorcer cela. Gabriel trouve une blague et nous passons à autre chose."

(1) Les prénoms ont été modifiés

3. "Il ne faut pas tout partager"

Élise, professeure de yoga, et Christian, ingénieur à la retraite, 74 ans, mariés depuis 53 ans, installés dans l'Hérault, 2 enfants.

Leur "coup de foudre" a eu lieu à la maternité : Élise et Christian sont nés à six jours d'intervalle dans le même service de l'Hôtel-Dieu à Lyon. "Mon mari m'a toujours dit qu'il m'avait repérée dès le berceau !", s'amuse Élise. Leur vraie rencontre s'est déroulée à l'âge de 16 ans dans un club de jeunes. Marié à 21 ans, le couple a toujours cherché à sortir du cadre. Ils ont eu leur période punk, ont voyagé au Togo ou en Amérique du Sud en laissant leurs filles. Elle se décrit mystique et introvertie ; lui, cartésien et hypersocial. Deux personnalités qui se complètent sans se confondre. À la maison, c'est chacun son espace, chacun sa salle de bains. "Il ne faut pas tout partager, souligne-t-elle. Pas non plus tenter de façonner l'autre. Ce qui n'a pas toujours été facile quand Christian traînait en survêtement, alors qu'il partait tiré à quatre épingles au travail !" Pour déjouer les petits travers exaspérants, ces guérilleros de l'amour ont des parades : acheter des fleurs ou cuisiner pour l'autre ses plats préférés, "témoigner sa tendresse par de petits gestes", résume Christian. Ne jamais vivre en vase clos : recevoir les amis, la famille, les petits-enfants. Malgré tout, quand on cohabite si longtemps, le désir s'oxyde. Élise a eu besoin de chercher "ailleurs" si elle plaisait. Il y a eu entorse au contrat. Elle l'a dit à Christian : "Cela passait ou cassait." La peur de perdre l'autre les a ressoudés : "Surmonter cet obstacle a été un nouveau départ. Cette remise en question nous a permis de voir ce à quoi l'on tenait vraiment. À 74 ans, nous nous donnons encore la main dans la rue !"