C'est la furieuse histoire d'une jeune aristocrate qui a cassé le moule qu'on lui destinait : Diane de Beauvau-Craon, descendante de l'une des plus anciennes familles de France, fille du septième prince de Beauvau du Saint Empire. Un grand-père connu pour avoir fait fortune dans l'étain, une grand-mère duchesse, cousine d'Alphonse XIII, une jeunesse passée entre l'avenue Foch, le château d'Haroué, qui compte pas moins de 365 fenêtres, une cohorte de valets et de domestiques à gants blancs chargés de la servir, et des pensions suisses pour jeunes filles rangées dont elle prit un malin plaisir à se faire exclure pour insolence et insubordination…
Dans ce récit autobiographique qu'elle portait en elle sans oser le raconter, les souvenirs sans les regrets se ramassent à la pelle. Elle décrit ainsi Zsa Zsa Gabor se baignant dans la piscine décorée d'azulejos de la quinta de grand-papa, le général de Gaulle qui la faisait sauter sur ses genoux quand elle était enfant, et son goût dès 13 ans pour les tenues excentriques inspirées des beatniks, vêtements chatoyants, tuniques longues, pattes d'éph' et bijoux indiens qui détonnent d'emblée dans la photo de famille. C'est l'époque où elle commence aussi à sniffer des solvants, notamment le trichloréthylène, un détachant qu'elle utilise pour nettoyer ses breloques. « Le mal était fait. J'avais goûté à la drogue et j'avais follement aimé… »
Cocaïne et vin blanc
Sa vie chaotique commence à l'adolescence quand elle finit par être internée par sa mère et libérée par sa sœur, un épisode qui la convainc que, décidément, elle n'a pu naître dans cette famille et que son berceau a dû être inversé par mégarde à la clinique. Elle prend le large dès ses 18 ans en fonçant pour New York lors d'un voyage de pré-fiançailles : son amant rentre à Paris, elle préfère laisser l'océan entre elle et les siens. « Quand on débarquait dans cette ville où tout était possible, l'art et la mode en pleine effervescence, en tant que petite-fille d'Antenor Patino, le roi de l'étain, et princesse d'une grande famille aristocratique française, le tapis rouge se déroulait… »
Elle croise la route du couturier Roy Halston, amusé par sa personnalité sans filtre, qui l'embauche comme consultante et l'intègre rapidement au milieu new-yorkais : pendant ces seventies déjantées, elle va fréquenter l'underground qui gravite autour de la Factory d'Andy Warhol et nombre de célébrités comme Liza Minnelli, Mick et Bianca Jagger, Margaux Hemingway, les photographes Robert Mapplethorpe et Peter Beard, ou encore Oliver Stone, qu'elle manque un jour d'épouser… Elle file à cent à l'heure, carbure à la cocaïne et au vin blanc, finit ses nuits au Studio 54, la fameuse boîte de nuit où Bianca Jagger célèbre un jour son anniversaire en débarquant carrément sur un cheval blanc conduit par un éphèbe entièrement nu…
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La vie est une fête et Diane en est la reine éphémère, sans règle ni protocole. Un jour, elle se rend à une soirée simplement habillée d'une veste de peintre en bâtiment qu'Andy Warhol a tenu à « pasteliser » lui-même, avec l'aide de l'artiste Robert Rauschenberg, une face chacun, sans doute l'un des vêtements les plus chers jamais peints au XX
e siècle… Qu'elle finit par oublier un jour, sur un fauteuil du Studio 54. Perdu aussi ce collier de chien en diamants de chez Tiffany qui glissa dans la cuvette des toilettes après une soirée plus qu'arrosée. Le plombier, appelé d'urgence, ne put jamais le récupérer…
Conversion à l'islam
Le princesse de Beauvau traverse la vie entre acide et paillettes, lance avec fracas sa maison de couture, puis la ferme un an plus tard pour rejoindre son nouvel amant à Tanger, qu'elle épouse après s'être convertie à l'islam. La voilà mère d'un petit Yunès et mise au ban de son clan après un conseil de famille houleux... Elle finit par divorcer, met cinq ans à récupérer son garçon qu'elle va éduquer en France, se battant comme une lionne pour l'inscrire dans des écoles – il porte aujourd'hui avec fierté le nom de Beauvau-Craon. C'est l'époque également où elle se lie avec le dandy Jacques de Bascher, l'amant de Karl Lagerfeld, lequel voit d'un très bon œil la naissance d'un ménage à trois… Le mariage de Diane et Jacques n'aura pas lieu, mais elle restera jusqu'au bout à son chevet pendant son long calvaire, rongé par le sida. Une douleur partagée avec Lagerfeld, son ami pour toujours, qui la couvrira de bijoux et d'affection.
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À 37 ans et plusieurs fois divorcée, elle redécouvre la passion dans les bras de Jean-Louis Deniot, alors jeune élève de 18 ans en prépa design. « On s'en foutait, on était heureux, écrit-elle dans ses mémoires. Il m'offrait sa jeunesse, moi les expériences de ma vie. Et il apprenait très vite. » Elle lui met le pied à l'étrier, lui ouvre son carnet d'adresses : Andrée Putman, le décorateur Henri Samuel, le spécialiste Alexandre Pradère... Sept années de vie commune pendant lesquelles Diane le tient éloigné de l'alcool et de la cocaïne, ses démons de toujours, avant qu'elle ne rompe, pour le laisser voler de ses propres ailes.
Ses addictions finissent par la terrasser : coma, hospitalisation d'urgence, elle frôle la mort au début des années 2000. Après une longue convalescence et une psychanalyse, la rescapée parvient à se reconstruire et ne touche plus un verre de vin ni aucun stupéfiant. Une existence aussi riche que chaotique qui a trouvé son épilogue dans la ville de Naples, où Diane contemple désormais le Vésuve depuis un magnifique appartement sur la baie éternelle. En pouvait-il être autrement pour une princesse aussi éruptive ? « Je remercie la société de sa cruauté, écrit Diane la rebelle. Car en me collant sur le dos ce qu'elle croyait être une lourde étiquette, elle me permit de briser toutes les chaînes, les unes après les autres, d'une destinée réglée comme du papier à musique : une vie faite de sens du devoir, du paraître, d'un beau mariage. Bref, une vie ennuyeuse… » En refermant son livre, on se dit qu'un cinéaste n'a qu'à piocher pour faire vibrer l'écran.
«
Sans départir », par Diane de Beauvau-Craon, éd. Grasset, mai 2022, 320 pages, 22 euros