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ENTRETIEN - Pour le cardinal Sarah, qui vient de publier un Catéchisme de la vie spirituelle (éd. Fayard), «l’Église est là pour aider les chercheurs de Dieu». Il ajoute même: «C’est son unique utilité.»
Vous publiez un «Catéchisme de la vie spirituelle»: le monde moderne aurait-il oublié le sens de la vie spirituelle?
J’ai écrit ce livre pendant le confinement. J’étais frappé: on prenait soin de la vie des corps, mais on laissait mourir les âmes. La vie spirituelle est pourtant ce qu’il y a de plus intime en nous, ce que nous avons de plus précieux. C’est notre vie intérieure. Le lieu de notre rencontre avec Dieu. Nier la vie spirituelle, c’est nier ce qui fait notre dignité d’homme ou de femme.
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Sans vie intérieure, que reste-t-il de grand dans nos vies? Que reste-t-il qui échappe aux lois du marché et de la matière? La vie spirituelle est l’inviolable sanctuaire de notre liberté, le lieu secret où nous cherchons la vérité et l’amour, où nous sommes seuls face au Tout-Autre, face à Dieu.
Pourquoi utilisez-vous la méthode pédagogique du catéchisme, vous auriez pu écrire un traité de la vie spirituelle…
Le catéchisme est un rappel simple des fondamentaux. Je n’ai pas voulu faire un traité de théologie pour les intellectuels et les spécialistes, mais un livre clair, accessible à tous, croyants et incroyants.
Cette crise a révélé l’incroyable soif spirituelle dont souffrent les cœurs. Les gens aspirent au silence, à la profondeur, à la vie avec Dieu
Cardinal Sarah
Je n’ai pas cherché à tout expliquer et justifier, mais simplement à témoigner de l’expérience spirituelle de l’Église.
Vous proposez au lecteur d’aller au «désert», de s’arrêter pour Dieu. Un peu aride, non, après deux années de restrictions pandémiques…
Au contraire! Cette crise a révélé l’incroyable soif spirituelle dont souffrent les cœurs. Les gens aspirent au silence, à la profondeur, à la vie avec Dieu. Savez-vous que, durant le confinement, le mot «prière» était parmi les plus recherchés sur Google? La pandémie a révélé que la superficialité, le déni de la vie intérieure sont les maladies qui causent souffrance et angoisse chez nos contemporains.
Pour autant vous parlez d’une «éclipse de Dieu»?
C’est un paradoxe de notre époque. Alors que les personnes qui cherchent Dieu sont toujours plus nombreuses, le débat public, la scène politique semblent l’exclure toujours davantage. Il est donc temps que l’Église revienne à ce que l’on attend d’elle: parler de Dieu, de l’âme, de l’au-delà, de la mort et surtout de la vie éternelle.
Mais pourquoi structurer votre approche à partir des sept «sacrements» de l’Église catholique? Ils sont précisément fort discutés dans l’Église elle-même, à commencer par l’eucharistie, la confession, le sacerdoce et le mariage…
Pourtant les sacrements sont au cœur de la vie spirituelle. Ils sont des contacts avec Dieu. On en a malheureusement fait des cérémonies purement extérieures. Ils sont en fait les moyens sensibles par lesquels Dieu nous touche, nous guérit, nous nourrit, nous pardonne et nous console.
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Je crois que, même dans l’Église, beaucoup ignorent la réalité intérieure, spirituelle et mystique des sacrements. On n’y voit que des rites sociaux alors que, dans le signe sacramentel, le mystère se révèle, Dieu lui-même se donne.
Pourquoi insistez-vous à ce point sur la réforme spirituelle de l’Église et sur «la croix» du Christ?
Nous passons trop de temps à parler des structures de l’Église. Cela n’intéresse personne! Ce qui importe, c’est notre vie éternelle, notre vie intérieure d’amitié avec Dieu. L’Église existe pour qu’il y ait des saints. Le reste est secondaire. La vie à la suite du Christ nous ouvre cette vie avec Dieu. Elle passe par la croix. Ce n’est pas du dolorisme. La croix, c’est la plénitude de l’amour manifesté. C’est la victoire de la vie sur la mort et le péché.
Ce message radical est-il recevable pour le plus grand nombre, y compris dans l’Église?
La sainteté n’est pas réservée à une petite élite. Elle est pour tous. Être saint, c’est se laisser aimer par Dieu, suivre le Christ. Chacun peut commencer à sa mesure tous les jours.
Mais les prêtres et les évêques parlent-ils suffisamment de l’enjeu de cette vie spirituelle?
Ils sont parfois tentés de se rendre intéressants aux yeux du monde en parlant de politique ou d’écologie. Mais je crois qu’alors ils n’intéressent personne. On vient voir un prêtre parce qu’on cherche Dieu, pas parce qu’on veut sauver la planète.
Ce positionnement vous classe parmi les «conservateurs» alors que ce retour à la vie intérieure est célébré, admis et bien reçu par le monde occidental pour des traditions comme le bouddhisme, voire l’islam?
Les étiquettes, comme «conservateurs» ou «progressistes» n’ont guère d’intérêt. En revanche, le silence concerne tout homme de bonne volonté. Nous savons bien que sans silence, sans prière, l’homme ne vit pas à l’altitude qui lui convient. Il s’asphyxie dans le matérialisme.
Je ne suis pas inquiet pour l’avenir de l’ÉgliseL’intérêt des Occidentaux pour les religions orientales manifeste à quel point ils sont en manque de spiritualité et de prière. Sans détour, j’ai voulu leur proposer une vie intérieure chrétienne, une mystique évangélique accessible à tous et libératrice.
Mais pourquoi l’Église n’ose plus parler de la mystagogie de ses «mystères» qui sont au cœur de sa vie?
Peut-être a-t-elle eu peur d’apparaître démodée? Est-ce un complexe? Pourtant, regardez l’intérêt que suscite en France saint Charles de Foucauld ou sainte Thérèse de Lisieux. Ils n’ont rien réalisé de grand pour la société. Mais ils ont cherché Dieu. L’Église est là pour aider les chercheurs de Dieu. C’est son unique utilité.
Cette voie spirituelle est-elle compatible avec le christianisme social, d’action humanitaire et écologique, aujourd’hui porté par le pape François?
Je crois que le pape François est un homme de prière. Il rappelle souvent que l’Église n’est pas une ONG. Il l’a dit le lendemain de son élection: si elle cesse de chercher Dieu par la prière, l’Église risque de trahir.
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Le pape a même affirmé que si elle cesse de chercher Dieu, l’Église risque de faire l’œuvre du diable!
Vous avez eu une vie extrêmement remplie, avec de lourdes responsabilités tant en Afrique qu’à Rome: au fond, qu’est-ce qui vous donne aujourd’hui la joie et l’espérance dans ce monde obscur, troublé et angoissé?
Ma joie est de me savoir aimé par Dieu. Ma joie est d’espérer Le voir un jour face à face!
Vous dites pourtant que l’Église est aux prises avec une «tentative diabolique de la démolir». Cela vous inquiète?
Je ne suis pas inquiet pour l’avenir de l’Église. Jésus lui a promis d’être avec elle jusqu’à la fin du monde. Je suis inquiet pour les âmes privées de la vie intérieure et de la vérité qui libère. Ces âmes souffrent et sont en danger. J’ai pour elles de la compassion.
Que peut la prière contre la guerre?
La guerre commence dans les cœurs qui haïssent. La prière donne la paix du cœur.
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