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Benoît Vermander, jésuite érudit présent dans le monde chinois depuis une trentaine d’années, brave les vents contraires pour maintenir un dialogue intellectuel entre Pékin et les Occidentaux.

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Publié le 31 mai 2022

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LETTRE DE PÉKIN

Dans la Chine de Xi Jinping, un jésuite qui enseigne la philosophie dans une université chinoise a intérêt à faire profil bas. Mais, au 58e jour de confinement dans son appartement de Shanghaï, Benoît Vermander ne mâche plus ses mots. « C’est une nouvelle étape dans une stratégie d’ensemble de l’Etat-parti : établir un management scientifique qui permette d’exercer un contrôle continu et évolutif sur la population, calibré selon la nature des urgences. Il faut éliminer tout ce qui est “impur” : les virus aussi bien que les mèmes censés polluer l’atmosphère sociale. C’est une forme extrême d’hygiénisme social », explique-t-il, par Skype, d’une voix aussi douce que déterminée.

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Présent dans le monde chinois depuis une trentaine d’années, ce sexagénaire trapu à la barbe blonde fait volontiers penser aux marins du Grand Nord, mais c’est en fait à d’autres espèces en voie de disparition qu’il appartient. A celle des jésuites encore présents en Chine – ils ne sont plus qu’une poignée – et surtout à celle des grands érudits, religieux ou non, qui, depuis des siècles, bravent les vents contraires pour maintenir le dialogue intellectuel entre la Chine et l’Occident.

Encyclopédique, son érudition évoque un temps où le lettré pouvait encore espérer embrasser tout le savoir du monde. La variété des titres de ses derniers ouvrages en témoigne : Versailles, la République et la Nation (Les Belles Lettres, 2018), L’Homme et le grain. Une histoire céréalière des civilisations (Les Belles Lettres, 2021) et, enfin, Comment lire les classiques chinois ? (Les Belles Lettres, 336 pages, 27 euros, à paraître le 10 juin 2022). Sans compter le livre que ce diplômé de science politique (Paris et Yale) et de théologie (Centre Sèvres à Paris et université de Taïwan) vient de publier en chinois : Sur un triangle herméneutique. Formation et interaction de la sinologie, des classiques comparés et de la théologie interculturelle (Fudan University Press, non traduit). Les quatre derniers essais d’une œuvre qui en compte déjà une trentaine. Comme si cela ne suffisait pas, Benoît Vermander est également un calligraphe et un peintre reconnu dont les travaux sont régulièrement exposés tant en Chine qu’en France.

« Les sociétés ne se maintiennent jamais naturellement »

Le fil rouge de ses réflexions ? « Je suis convaincu que les sociétés ne se maintiennent jamais naturellement. Ce qui m’intéresse, ce sont les ressources qui permettent ce maintien malgré toutes les forces contraires. Les rituels en font partie, le mémoriel aussi, et enfin le textuel. Un canon, un texte reconnu comme sacré est fondateur du vivre-ensemble », explique le professeur d’herméneutique.

Mais que nous apportent aujourd’hui les classiques chinois ? « Ils appartiennent au vivre-ensemble de l’humanité. Sans les perspectives ouvertes par ce qu’on apprenait de la Chine, il n’y aurait pas eu les Lumières au XVIIIe siècle. Aujourd’hui, les débats sur le genre, sur la crise environnementale ou sur la “justice” comme la “justesse” dans l’usage du langage sont très proches des réflexions de Confucius sur la frontière entre le naturel et l’artificiel. »

L’anthropologie, notamment, peut bénéficier de cet apport : « L’importance des rites mis en valeur par l’anthropologie occidentale vers le milieu du XXe siècle était déjà très présente chez les classiques chinois. La question du rite chez les philosophes chinois est aussi centrale pour eux que celle de l’Etre pour les philosophes grecs. L’Occident croit qu’il n’a plus rien à apprendre de la Chine. C’est une erreur. »

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Alors que les Occidentaux ne cessent de déplorer la fermeture de la Chine depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir, Benoît Vermander apporte une explication inattendue : « De 1980 à 2010, les traductions en chinois de textes occidentaux ont été innombrables. Foucault, Heidegger… Tout a été traduit. Au point que les intellectuels chinois se sont sentis menacés. Surtout qu’il n’y a pas eu de mouvement inverse. Qu’aurait-on dit si 70 % des livres vendus en Europe provenaient de Chine ou d’Inde ? Un certain retour en arrière est compréhensible », analyse-t-il, tout en déplorant « le nationalisme intellectuel » de part et d’autre.

« Eclaircies soudaines »

Signe de la surveillance à laquelle sont soumis les intellectuels en Chine, Benoît Vermander a dû attendre plus de deux ans pour que son essai sur le triangle herméneutique soit publié en chinois. « Pendant trois ans, les livres et revues universitaires qui parlaient de religion ont été bloqués. Les choses aujourd’hui semblent s’améliorer. On assiste certes à un resserrement des contrôles depuis une douzaine d’années mais cela n’empêche pas certaines avancées, des éclaircies soudaines », analyse celui qui, vu sa position, est sans doute l’un des meilleurs observateurs de l’attitude du pouvoir à l’égard du phénomène religieux et de la sinisation des religions.

L’autoritarisme de Xi Jinping est-il ancré dans la tradition chinoise ? Si sa façon de gouverner tient à la fois du confucianisme – le gouvernement doit juger selon la situation – et du légisme – la loi doit être dure car les gens sont inéducables –, le président chinois va aussi à contre-courant. Comme le dit joliment Benoît Vermander, « en Chine, l’eau doit trouver son propre cours. On ne manage pas les eaux par les digues mais par les canaux ». Exactement l’inverse de la philosophie politique de Xi. Reste une inconnue de taille : la solidité des digues. Il semble bien qu’à Shanghaï, durant le confinement, certaines aient commencé à se fissurer.

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