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Le synode ( octobre 2023 ) lancé par le pape François doit permettre à l’Eglise catholique de lancer des réformes aptes à revitaliser la voie chrétienne, estime un collectif de chrétiens qui propose quatre pistes pour concilier foi et modernité.
Tribune. La crise que traverse l’Eglise catholique relève-t-elle seulement de dysfonctionnements dans son organisation ou de retards dans les bonnes décisions ? Le synode lancé par le pape François, qui culminera à Rome à l’automne 2023, tiendra-t-il compte des demandes que les catholiques vont faire remonter à Rome ? Quelles demandes considérera-t-on comme prioritaires ?
Dans l’état actuel des choses, le doute est permis. Il est surtout bienvenu de se demander si les « réformes retenues » seront suffisantes pour revitaliser la voie chrétienne. Seront-elles assez déterminantes pour permettre aux chrétiens du XXIe siècle d’affermir leur foi en Dieu, de marcher sur les pas de Jésus, au sein de cultures marquées par les sciences physiques et humaines, et par la modernité qui gagne tous les peuples de la planète ? Voici quelques pistes.
La structure hiérarchique de l’Eglise catholique est née au deuxième siècle de l’ère chrétienne. Dans son fonctionnement, elle pratique très peu la démocratie élective. Du pape aux évêques, aucun responsable n’est élu. Les prêtres sont formés dès leur jeune âge dans des séminaires fermés, avec essentiellement de la philosophie et de la théologie traditionnelles. La réforme protestante, inaugurée par Luther en 1517, avait mis à terre cette structure pyramidale.
Les retours en arrière après Vatican II
Aujourd’hui, toute personne honnête et informée reconnaît que ce fut une rupture libératrice à l’encontre du pouvoir pontifical et en faveur d’une lecture directe de la Bible par le peuple. Hélas, le concile de Trente (1565), dans sa contre-réforme, refusa de tirer le moindre enseignement de la nouveauté protestante et congela l’Eglise catholique pour des siècles. Au XXe siècle, les choses bougèrent sensiblement, en particulier avec le concile Vatican II (1962-1965).
Mais on en connaît aujourd’hui les limites, ainsi que les résistances et les retours en arrière qui se sont produits par la suite. Il faut admettre que depuis lors, beaucoup de catholiques ont quitté la pratique liturgique et la vie de l’Eglise et continuent de le faire. Et cela en raison de sa doctrine et de ses formulations pré-modernes.
L’énorme exode disciplinaire et doctrinal que ce phénomène représente, et qui a touché prêtres, religieux et laïcs, stupéfie toujours les observateurs, mais ne semble ni inquiéter ni interroger en profondeur l’institution Eglise catholique. Un premier point de doctrine : Jésus est-il de nature divine, comme l’ont proclamé les conciles de Nicée (325) et de Chalcédoine (351) et comme l’affirme le Credo ? Est-il né d’une vierge par le Saint-Esprit ?
A l’encontre de la théorie de l’évolution de Darwin
Aujourd’hui, avec les acquis de l’exégèse historico-critique, il est admis que Jésus était pleinement un humain, qui avait une relation d’intimité avec Dieu, qu’il appelait Père. Jésus n’était pas un prêtre mais un prophète qui a parcouru la Galilée et la Judée pour annoncer que le royaume de Dieu était proche. Pour les catholiques, voilà une formidable interrogation dogmatique à assumer.
La doctrine du péché originel : les humains naîtraient avec une tare spirituelle, impliquant une réparation dont Jésus serait par la croix la victime sacrificielle. Ce point de doctrine est radicalement contesté par la théorie de l’évolution exposée par Darwin. Les humains, mammifères de la branche des hominidés, descendent de l’Homo sapiens, voici trois cent mille ans.
Nous provenons d’une longue évolution et nous continuons d’évoluer par le travail, la culture, les changements sociaux, au fil des générations. Au Ier siècle, le prophète de Galilée a, après bien d’autres – juifs, Grecs, Asiatiques –, indiqué une voie d’excellence, manifestée dans les Evangiles : paraboles, sermon sur la montagne, paroles sur le royaume de Dieu, primat de l’amour et de la miséricorde…
Accepter un autre visage de Dieu
L’Eglise catholique mettra-t-elle aux archives le catéchisme de Jean Paul II (1992), qui symbolise, sur tous ces points, le retard qu’elle a pris dans sa mise à jour du message chrétien ? Un mot sur les recherches actuelles concernant Dieu. De plus en plus d’humains rejettent la conception d’un Dieu théiste, créateur de l’univers et le gouvernant ; ce Dieu qu’il suffirait de prier pour que cesse la guerre, pour qu’un malade soit guéri. Cette représentation de Dieu traverse toujours la liturgie chrétienne, faite de supplications et de demandes de pardon.
Des auteurs comme le théologien protestant américain Paul Tillich (1886-1965), le philosophe Marcel Légaut (1900-1990), le prêtre et théologien Adolphe Gesché (1928-2003), l’évêque anglican américain John Shelby Spong (1931-2021), le théologien et psychothérapeute Eugen Drewermann ont écrit sur la fin du théisme et ont cherché à offrir une autre expression de Dieu, avec des mots comme Transcendance, Fondement de l’être, Source de la vie et de l’amour (voir à ce sujet l’ouvrage de John Shelby Spong Etre honnête avec Dieu. Lettres à ceux qui cherchent (Karthala, 2020).
Un Dieu inconnaissable, forme du vide et du plein, personnel et impersonnel, décelable dans la profondeur de notre conscience. Les théologiens de l’Eglise catholique accepteront-ils de dire un autre visage de Dieu ? L’expérience de Dieu, revue et ressourcée, garde-t-elle de nos jours un intérêt bénéfique pour les humains ?
Comment expliquer et admettre que beaucoup de théologiens, d’informateurs religieux et d’intellectuels ne saisissent pas ou presque les signes actuels de la mutation en cours du christianisme ? Des signes qui, plus qu’à des réformes disciplinaires, appellent à un changement de paradigme, à un véritable retournement, à une refondation.
Les signataires de cette tribune sont Robert Ageneau, fondateur des éditions Karthala ; Serge Couderc, enseignant à la retraite ; Paul Fleuret, professeur de lettres en collège ; Jacques Musset, écrivain et essayiste ; Philippe Perrin, ESCP et avocat ; Marlène Tuininga, écrivaine et journaliste.
Le groupe Pour un christianisme d’avenir est à l’origine de cette tribune, ce collectif rassemble des chrétiens favorables à une compréhension renouvelée du christianisme.