TÉMOIGNAGES - Davantage que l’école, l’apport du milieu familial reste décisif pour l’avenir des plus petits.

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Un enfant né d’un père cadre supérieur a 4,5 fois plus de chances qu’un enfant d’ouvrier d’appartenir aux 20 % les plus riches du pays. Monkey Business Images/Monkey Business - stock.adobe.com

«Les stratégies de ces parents qui font réussir leurs enfants» fait partie des articles préférés des abonnés du Figaro. Nous vous proposons de le découvrir ou de le relire.


Bien plus que de l’école, la réussite des enfants dépend de leur famille. Pierre Bourdieu l’avait démontré, en son temps, en se penchant sur le destin des étudiants. Plus de 50 ans après Les Héritiers, le constat reste d’actualité, comme le relève aujourd’hui France Stratégie: un enfant né d’un père cadre supérieur a «4,5 fois plus de chances» qu’un enfant d’ouvrier d’appartenir aux 20 % les plus riches du pays. D’abord parce que les plus aisés anticipent les règles de l’école à la maison et surtout parce qu’ils déploient, dès le berceau, des trésors d’ingéniosité pour que leur enfant réussisse.

C’est ce que démontre le professeur de sociologie à l’École normale supérieure, Bernard Lahire, dans un livre de 1200 pages, Enfances de classe, fruit d’une enquête de quatre ans menée par 16 chercheurs. Ils se sont intéressés aux moindres détails de la vie de 35 enfants de maternelle, âgés de 5 ans. Des enfants qui vivent dans la rue, à la campagne, qui sont fils d’agriculteurs, de chômeurs, d’entrepreneurs, d’avocats, de professeurs. Elle confirme l’impact décisif du niveau de vie ou de la taille du logement sur la réussite. Et analyse avec subtilité les stratégies des familles.

On s’amuse avec celle de Valérie qui pratique le tennis au très chic Racing parce que, selon sa mère, «socialement, il y a quand même un sport à Paris, si on veut jouer avec des amis, c’est le tennis». On dévore ces raisonnements familiaux parfois très élaborés sur l’alimentation, la santé, la télévision, les lectures de tout jeunes enfants. On suit Lucie, captivée par les fables de La Fontaine lues par sa grand-mère, qui écrit des histoires «sur les loups». On s’intéresse à Maxence, doué en calcul mental, une facilité que son père, ingénieur, ne cesse d’alimenter.

Mathis, fils d’un restaurateur opulent, a été inscrit dans une école Montessori. Ses parents d’origine modeste misent sur son éducation, mais ont conservé des habitudes populaires, pas en phase avec l’école. Eux le jugent brillant alors que l’école le perçoit comme un élève moyen. Quand certains entendent respecter «le monde merveilleux de l’enfance» et emmènent leur enfant à Disneyland, d’autres leur font visiter des musées. Et leur apprennent à développer un esprit critique en remettant en question les messages publicitaires, journalistiques, religieux et politiques.

Ces enfants vivent au même moment dans la même société mais pas dans le même monde, rappelle le livre, présenté comme l’événement de la rentrée sociologique, à qui l’on peut reprocher une forme de pessimisme inhérent à ce type de travail. Cette œuvre quasi photographique ne s’intéresse pas à ceux qui réussissent à sortir du déterminisme. Et enfonce parfois des portes ouvertes. Enfin, elle ne présente qu’une solution utopiste: un accroissement massif de la redistribution des richesses en direction des plus pauvres.

● Valentine, entre bourgeoisie parisienne et élite internationale

« C’est tout un ensemble de dispositions de l’élite internationale qui s’intériorise »

La fillette est scolarisée à l’école publique dans le VIIe arrondissement de Paris, un quartier tellement favorisé que l’enseignement public offre le maintien de «l’entre-soi de la bonne société de la bourgeoisie parisienne». Ses parents, momentanément au chômage, étaient auparavant directeur financier d’une PME et responsable ressources humaines. Les jeunes filles au pair qui gardent Valentine sont uniquement des anglophones d’Amérique du Nord: «On trouvait ça bien d’avoir quelqu’un d’un peu lointain, plutôt que l’Angleterre», raconte la mère. Chaque été, ils partent à l’étranger plusieurs semaines, à New York, à Chicago, en Suède. Et visitent souvent des amis à l’étranger. L’idée est de connaître d’autres cultures et «de pratiquer l’anglais», atout professionnel indispensable. De fait, la petite fille commence à faire des phrases en anglais. «C’est tout un ensemble de dispositions de l’élite internationale qui s’intériorise, où le capital de la famille conduit à avoir des relations un peu partout dans le monde (…).»

La fillette, qui pratique déjà la natation, le tennis et la danse, est soumise à un apprentissage parfait de l’autocontrôle. Les dessins animés, rares, sont toujours choisis par les parents, les écrans interdits, les bonbons fortement limités. Pas de récompenses pour la fillette car son bon comportement est «normal». Pas de punitions non plus, dans cette famille où l’autorité s’exerce en douceur.

Le soir, sa mère lui lit un livre sur la mythologie grecque, insistant sur la guerre de Troie… Valentine, qui manie déjà l’usage du passé simple, est bien sûr une bonne élève.

● Mathilde et la discipline sans faille de la classe moyenne

Inspecteurs de la concurrence et de la répression des fraudes, les parents de Mathilde ont des revenus qui les rapprochent de la classe moyenne. Soucieux de la manière de parler de leurs trois enfants, auxquels ils font assez systématiquement remarquer les mots mal prononcés, ils utilisent de façon quasi ritualisée un dictionnaire dès qu’un mot n’est pas compris par les enfants. Isabelle, la mère, a commencé à apprendre à lire à Mathilde dès la moyenne section. «Ma mère étant instit’, j’ai deux, trois bases sur la façon dont on enseigne, comment on fait chanter les lettres ensemble, etc.»

À la bibliothèque municipale, elle refuse que ses enfants empruntent des «livres trop tartignolles ou fifilles» et préfère leur faire lire des livres destinés aux enfants plus grands. Pour le moment, les trois enfants sont inscrits dans le public d’un quartier mixte de Nantes mais les parents ambitionnent, à terme, de les inscrire dans le privé, qui représente pour eux une certaine garantie de tri social. Règles strictes d’heures du coucher, règles de tenue à table, règles des multiples jeux de société pratiqués en famille, tout tourne autour de la discipline et d’une forme de rigorisme. Au point que les querelles vont bon train dans la famille, les grands-parents jugeant ces règles excessives quand la mère de Mathilde juge à l’inverse que «les cousins» de ses enfants ont de mauvaises manières. Sans surprise, l’enfant est perçue à l’école comme une très bonne élève qui respecte toujours les règles et les consignes, à la fois très scolaire et très compétitive. Elle cherche à faire bien, mieux et plus vite que les autres…

● Aleksei ou le bonheur à l’école, sans compétition

Seul garçon d’une fratrie de quatre enfants, il vit dans un quartier mixte de Toulouse, élevé par sa mère, institutrice, et son père, qui vient de lancer une activité entrepreneuriale. Leurs loisirs ont une orientation souvent spirituelle - la mère étant catholique et le père orthodoxe - et privilégient l’épanouissement et le bien-être de tous.

L’école maternelle n’est pas le lieu où se déploie la concurrence la plus vive

Dans leurs choix éducatifs, tout en choisissant, par exemple, ses lectures avec soin, les parents d’Aleksei montrent le refus de toute compétition, aucune volonté affirmée de «réussir». Réussir leur vie est plus important que «réussir dans la vie». Sa mère imagine très bien qu’Aleksei puisse devenir jardinier comme son propre père, là où d’autres parents feraient tout pour éviter à leurs enfants «l’indignité sociale» des métiers manuels. Elle n’a pas souhaité laisser son fils à la gymnastique parce que «ça bascule beaucoup dans la compétition. Je ne veux pas rentrer là-dedans».

Aleksei est né en janvier, ses parents auraient pu le scolariser dans la classe du dessus mais ils ne l’ont pas fait, volontairement. L’enfant n’aime d’ailleurs pas le principe de la compétition, comme le fait de devoir finir «avant les autres», et explique à son institutrice que le principal, «c’est de bien faire». Heureux, très adapté à l’école, il ne franchit jamais les limites. Reste, comme l’observent les sociologues, que l’école maternelle n’est pas le lieu où se déploie la concurrence la plus vive. En dotant leurs enfants d’un esprit de compétition, d’autres familles «leur fournissent un ressort indispensable pour accéder aux places scolaires et professionnelles les plus hautes».

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