«Fitzgerald y a distillé la plus belle musique du monde: le ­pessimisme de la frivolité», estime Frédéric Beigbeder. François BOUCHON

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La semaine dernière, nous rêvions avec Colette dans les brumes d’une fumerie d’opium parisienne en 1932 (Le Pur et l’Impur). Deux ans après ce «voguant souvenir de nuits», Scribner publiait aux États-Unis un autre roman noctambule, Tender Is the Night. Chef-d’œuvre de mélancolie, cette histoire d’un couple détruit par l’alcool et la dépression fut logiquement un bide commercial à sa publication en 1934. L’auteur, un fêtard new-yorkais de 38 ans ayant passé les années 1920 à picoler avec son épouse à Paris et à l’hôtel Belles Rives du Cap-d’Antibes, tente d’y transformer sa vie en fiction. Mais entre-temps le krach de 1929 a démodé les noceurs. Dans les années 1930 aussi, on distinguait le monde d’avant et le monde d’après.

Dick Diver est un psychiatre américain marié à une folle prénommée Nicole. Sur la Côte d’Azur, une comédienne tombe amoureuse de lui: Rosemary Hoyt, 18 ans. Nicole, de son côté, couche avec Tom Barban, un militaire. Ils finissent tous au bout du rouleau. En fait ce livre est somptueusement sinistre ; dans ce remake de Madame Bovary ou d’Anna Karenine, tous les personnages souffrent dans des robes légères, sur fond de crépuscule mauve, au bord de la Méditerranée.

L’amour n’existe pas dans le présent. Seuls comptent le désir (l’amour futur) et la nostalgie (l’amour passé)

Tendre est la nuit est habilement construit autour d’un flash-back qui donne toute son ironie au titre de Keats. Rien n’est tendre dans cette tragédie: cette décomposition d’un mariage semble irrémédiable, comme une malédiction. Le psychiatre ne parviendra jamais à guérir sa femme de sa schizophrénie - Fitzgerald non plus. C’est une sorte de Drieu La Rochelle américain, avec la même fascination pour les femmes riches. Mais les limousines ne font pas le bonheur, et la solution au désespoir ne peut pas être uniquement de boire du gin dans des palaces.

Il y a deux sortes de fanatiques de Fitzgerald: les gatsbistes et les diveristes. Ceux qui préfèrent Gatsby privilégient la côte Est américaine. Ceux qui choisissent les époux Diver élisent la Rivieria française. Mais les deux romans racontent la même chose: l’amour n’existe pas dans le présent. Seuls comptent le désir (l’amour futur) et la nostalgie (l’amour passé). Le destin tragique de Fitzgerald - mort à 44 ans - et de Zelda - morte à 47 ans - fut scellé par ce conte noir pour enfants tristes, prétendument inspiré par la vie de Gerald et Sara Murphy (dédicataires du roman) mais en réalité complètement autobiographique. Fitzgerald y a distillé la plus belle musique du monde: le pessimisme de la frivolité. Cette grâce déchue fait de Tendre est la nuit le roman le plus romantique du XXe siècle.

 
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Tendre est la nuit, de Francis Scott Fitzgerald (1934). Plusieurs traductions existent: la nostalgie nous fait préférer celle de Jacques Tournier, même si celle de Philippe Jaworski, en Pléiade, est d’une précision inattaquable. Celle de Flammarion/FG (443 p., 7,90 €), traduite par Julie Wolkenstein, est la moins coûteuse.

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