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Pour la sociologue Marie Bergström, les sites de rencontres donnent une nouvelle liberté aux femmes. Même si sur Internet, l’amour répond à des logiques inégalitaires.
Le secret de l’amour au XXIe siècle a peut-être moins à voir avec la fragrance des roses qu’avec les données qu’on entre en s’inscrivant sur Meetic. Exploitant ces traces, la sociologue Marie Bergström a étudié nos relations amoureuses. Selon sa thèse, développée dans les Nouvelles Lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique (La Découverte, 2019), les plateformes permettent aux femmes de s’émanciper des pressions qui persistent dans la société.
Pensez-vous, comme Eva Illouz, que l’on entre dans l’âge du «non-amour» ?
Une des thèses structurantes de l’œuvre d’Eva Illouz est qu’il y a une marchandisation de la rencontre et une rationalisation inédite des comportements amoureux et sexuels. Je pense que cette lecture repose en partie sur une vision mythifiée du passé. Assurément, sur les applications de rencontres, l’amour n’est pas aveugle : il y a dans la sélection des partenaires des formes d’inégalité et de concurrence. Cependant, j’essaie de montrer dans mes travaux que cela a toujours été le cas : des logiques sociales et économiques ont toujours traversé les rencontres, l’amour n’a jamais été désintéressé et la rencontre fortuite est un mythe. A mon sens, les plateformes mettent à nu les rouages de la rencontre, les logiques sociales qui la traversent, mais ne les inventent pas. La manière dont on vit une relation ne correspond pas forcément aux imaginaires amoureux. De mon point de vue, les applications bousculent surtout l’idéal de l’amour, et beaucoup moins sa pratique.
Mais les pratiques n’ont-elles pas changé pour devenir plus «instables» ?
L’amour, en tant que pratique, a énormément changé depuis les années 60. D’une part, on se met en couple plus tard, ce qui a ouvert une période de célibat de jeunesse. D’autre part, il y a une augmentation des séparations et des remises en couple. Aujourd’hui, la vie amoureuse se compose en plusieurs «chapitres», avec des enjeux différents. Il y a toutefois un risque à trop se focaliser sur les jeunes, dont les pratiques sont spécifiques. La jeunesse est un âge d’expérimentation, permise par l’allongement des études. On vit des expériences sans chercher forcément à être en couple. Mais cette période est souvent vécue comme une liberté en sursis : il faut profiter de sa jeunesse, tout en sachant que viendra un moment où il va falloir se ranger. Vers la trentaine ce modèle d’expérimentation cède la place à un modèle conjugal. Les aspirations et les injonctions à vivre à deux sont fortes, et une large majorité de personnes entrent en couple. Contrairement à ce que l’on dit parfois, il n’y a pas moins de gens aujourd’hui que par le passé qui vivent en couple au moins une fois dans leur vie, ni d’augmentation du célibat définitif. Certes, il y a plus de ruptures, mais ceux qui se séparent se remettent souvent rapidement en couple. On ne peut donc pas généraliser le moment particulier qu’est la jeunesse. Il n’y a pas de rejet de l’engagement, celui-ci est surtout reporté et renouvelé. D’ailleurs, il y a une tension autour de la trentaine parce que c’est une période de transition : on passe du modèle de la jeunesse à un modèle adulte associé au couple. Les filles entament cette transition plus tôt car - considérées plus «mûres» que les garçons - elles se mettent en couple à des âges plus jeunes. Cette période crée une tension entre les sexes. De là, on a trop souvent conclu une «guerre entre les sexes» : les femmes chercheraient l’amour et les hommes le sexe. C’est une vision schématique. Les désirs des femmes et des hommes dépendent des âges, et c’est surtout autour de la trentaine que le désaccord est si manifeste.
Vous dites que les applis permettent aux femmes d’expérimenter sans avoir à supporter le regard des autres…
Lorsqu’on cherche à définir la spécificité de ce mode de rencontre, on insiste beaucoup sur son caractère numérique ou marchand. J’ai une toute autre lecture. A mon sens, la véritable nouveauté réside dans une privatisation de la rencontre. Les plateformes permettent de rencontrer des personnes qu’on ne connaît pas par ailleurs, et qu’on ne risque pas de revoir. Cela entraîne une dissociation entre les lieux où l’on rencontre des partenaires amoureux et sexuels, et les lieux de sociabilité. Il s’agit d’une rupture importante. Jusqu’à aujourd’hui, les rencontres étaient associées aux lieux de vie : on se rencontre au travail ou lors des études, des loisirs ou des sorties. Il n’y a jamais eu de lieu dédié spécifiquement à la rencontre. Les rencontres peuvent se dérouler loin du regard de l’entourage, et cette privatisation est fondamentale. Elle permet aux jeunes d’expérimenter sans avoir à en rendre compte. Quant aux personnes âgées, elles peuvent rencontrer de nouveaux partenaires alors qu’il n’y a plus de célibataires dans leur entourage. Cette privatisation permet aussi d’accéder à une sexualité pour soi. C’est important pour ceux dont la sexualité est stigmatisée : ceux qui ont une pratique sexuelle minoritaire, mais aussi les femmes. Aujourd’hui encore, les pratiques sexuelles des femmes sont jugées plus sévèrement que celles des hommes.
Malgré la liberté des réseaux ?
Je ne pense pas qu’Internet ait fait tomber les tabous. De fait, je ne parle pas d’émancipation : si les applications facilitent l’accès des femmes à la sexualité, c’est justement parce qu’elles doivent faire attention. Avec les plateformes, les femmes peuvent répondre à une injonction contradictoire : il faut vivre des histoires et se découvrir, mais les femmes qui ont trop de partenaires sont stigmatisées. Ce contexte très inégalitaire explique en partie le succès des applications. Elles ne font pas disparaître les inégalités de genre ; on pourrait plutôt dire qu’elles en bénéficient.
Marie Bergström Les Nouvelles lois de l’amour La Découverte, 228 pp., 20 €.
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… Annotations du vendredi 24 avril 2020…
l'image de Clint renvoyait, jusqu'à ce jour, à l'article cité en CORRELATs
ce changement est capital concernant l' ENtre-DEUX fem-hom imaginé par l'auteur
… cet ENtre-DEUX ne peut inclure ni le NOUS ...ni l'Â .... l'absolu… le tout
…à compléter ....