Pour lutter contre les «inégalités de destin», il souhaite accompagner les parents et leurs bébés.
Mille jours pour tenter de réduire les inégalités de naissance. Le président Emmanuel Macron et le secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance, Adrien Taquet, présenteront ce jeudi à l’Élysée une commission scientifique, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, chargée d’élaborer un plan consacré aux 1000 premiers jours des enfants. «Afin de lutter contre les inégalités de destin, nous voulons surinvestir cette période où beaucoup se joue», avait annoncé la semaine dernière Adrien Taquet. Cette «offre 1000 jours» sera destinée à accompagner les parents et leur bébé, depuis le 4e mois de grossesse jusqu’à l’âge d’environ 2 ans et demi.
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Ce sujet est l’un des chevaux de bataille d’Emmanuel Macron, qui s’est intéressé en particulier à la lutte contre le déficit de vocabulaire, qui se manifeste dès le plus jeune âge chez les enfants de milieux défavorisés. «Le président a l’intention de répondre à un double appel, explique-t-on à l’Élysée. Celui de parents, qu’il continue à rencontrer, qui lui racontent le tourbillon de questions auxquelles ils n’ont pas toujours de réponses, et celui de la science, qui nous dit l’importance des mille premiers jours d’un enfant. Pendant longtemps, on a cru que c’était une période qui devait rester dans la sphère privée. Nous, on considère que cela doit faire l’objet d’une politique publique; sinon, on laisse prospérer des inégalités de destin.»
Réexaminer les modes de gardes disponibles
Quatre grandes priorités seront données aux 17 membres de la commission scientifique: élaborer un corpus de règles et aider les parents à les appliquer, organiser un nouveau «parcours parents» durant ces 1000 premiers jours, réfléchir aux congés de naissance et, enfin, se pencher sur les modes de garde. «Le secrétaire d’État va entreprendre dès vendredi une série de déplacements à la rencontre des parents et des acteurs de terrain, indique-t-on dans son entourage. D’ores et déjà, les questions qui nous sont remontées concernent l’allaitement, l’exposition des enfants aux écrans, la place du père, la nutrition, la prévention contre les perturbateurs endocriniens, la naissance d’un bébé prématuré ou en situation de handicap…»
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Alors que «plus de la moitié des parents vont chercher des informations sur Internet, souligne une source ministérielle,l’État doit transmettre des messages scientifiques validés. L’idée est de forger des repères, pas d’être dans la coercition.» Il pourrait être proposé aux parents un ensemble de services qui recenseraient, via une application, des initiatives éducatives ou dans le domaine de la santé, au niveau local mais aussi national.
Pour les moins de 3 ans, le secrétaire d’État souhaite en outre réexaminer les modes de gardes disponibles ou encore revoir le fonctionnement des centres de protection maternelle et infantile (PMI), en difficulté dans certains départements. Adrien Taquet souhaite associer à cette démarche les acteurs publics et privés et s’inspirer d’expériences étrangères. Il cite notamment l’exemple de la Finlande, qui organise pour les nouveaux parents une quinzaine de rendez-vous, y compris des visites à domicile, afin de détecter les problèmes familiaux.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 19/09/2019. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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Boris Cyrulnik: «Un bébé est très facile à réparer» ..(sic)....
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INTERVIEW - Le neuropsychiatre, nommé à la tête d’une mission sur la petite enfance par le président de la République, explique les enjeux de son travail.
Après avoir présidé, en 2018, les Assises de l’école maternelle, Boris Cyrulnik vient de se voir confier par Emmanuel Macron la mission de «penser» l’accompagnement des 1 000 premiers jours de l’enfant, une période fondatrice dans le développement des tout-petits. La commission d’experts qu’il préside rendra ses travaux en janvier. «Un bébé est très facile à blesser, mais il est aussi très facile à réparer», explique le neuropsychiatre, qui a vulgarisé le concept de «résilience». Pour lui, «la protection des enfants commence avant la conception». Et l’État a une responsabilité et un rôle à jouer…
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LE FIGARO. - Le gouvernement veut lancer une «offre 1 000 jours» pour accompagner les parents et leur bébé le plus tôt possible. Pourquoi ce travail précoce est-il nécessaire?
Boris CYRULNIK. - On sait que le bébé communique dans l’utérus. Il réagit aux basses fréquences de la voix de sa mère. Il déglutit quatre ou cinq litres de liquide amniotique par jour. Si sa mère fume, il fume. Si elle mange de l’aïoli, il s’habitue au goût de l’ail. Cette communication sensorielle façonne le développement cérébral et, plus tard, affectif et comportemental de l’enfant. Si la mère vit dans des conditions de précarité affective (abandon, isolation, violences conjugales ou familiales) ou sociale, elle sécrète des substances du stress qui, au-dessus d’un certain seuil, passent la barrière placentaire et abîment les cellules cérébrales du bébé. Il faut donc dépister très tôt. La protection des enfants commence avant la conception. Quand une femme est alcoolique, quand un homme est violent, quand les parents sont en situation de précarité sociale, il faut savoir qu’ils vont mettre au monde des enfants qui auront du mal à se développer.
Est-ce là le rôle de l’État?
Les mères insécurisées sont bien souvent des femmes seules, abandonnées par la culture et par leur famille. On a constaté que, dès que ces femmes sont sécurisées, en un ou deux jours, la reconstruction cérébrale du bébé se met en place. Le cerveau reste plastique toute notre vie, mais dans les petites années, il l’est beaucoup plus. Un bébé est très facile à blesser, mais il est aussi très facile à réparer. Le gouvernement a indéniablement un rôle à jouer pour sécuriser la mère, qui sécurise elle-même son enfant.
Comment les pouvoirs publics peuvent-ils anticiper cet accompagnement?
Par des visites à domicile routinières de psychologues, d’infirmiers, de sages-femmes formés aux théories de l’attachement auprès de personnes déjà repérées par l’aide sociale. Il y a 300.000 enfants à l’aide sociale à l’enfance. Cela coûte 12 à 14 milliards d’euros par an. S’occuper d’un bébé, c’est une bonne affaire au point de vue financier. Nous allons également travailler sur le congé parental, qui est un élément très concret.
Ce pacte s’adressera-t-il aux familles défavorisées?
Principalement. Cet accompagnement est comparable à l’école obligatoire à 3 ans. On objecte souvent que 97 % des enfants y vont déjà. Mais ceux qui ne sont pas scolarisés sont ces enfants dont les parents sont en difficulté culturelle, sociale, affective. En n’allant pas à l’école, ils aggravent donc leur retard. À travers cette mesure, Emmanuel Macron insiste sur la lutte contre les inégalités sociales. Je l’approuve à 100 %. Lorsque j’étais gamin, quand un enfant était mauvais à l’école, on disait: «Ça rentre pas», comme s’il avait un cerveau de mauvaise qualité. En réalité, si son cerveau fonctionne mal, c’est parce que son entourage est en difficulté. Le QI est le reflet d’une aptitude à la scolarité, pas de l’intelligence. D’ailleurs, si un malheur arrive chez un enfant, son QI diminue. Son cerveau est le même, mais il est moins vif. On sait maintenant comment agir, car le cerveau est sculpté par l’existence et par le milieu. On peut agir sur le couple, la famille.
L’environnement fait donc tout?
Opposer l’inné et l’acquis est un non-sens. Une donnée génétique ne s’exprime pas de la même façon selon que l’on appartient à un milieu ou à un autre.
À 3 ans, un tiers des enfants qui entrent à l’école maternelle sont «insécurisés». Quelles conséquences sur leur cerveau et sur leur apprentissage?
La plupart de ces enfants «insécurisés» ont peur de l’inconnu quand ils arrivent à la maternelle. Peur de la maîtresse, des petits copains, d’un espace inconnu… Cela peut provoquer des problèmes comme l’énurésie, des régressions, des troubles alimentaires, de l’insomnie, de l’agressivité. Si on ne s’occupe pas de ces enfants - en disant, par exemple, que «c’est la faute de leur quartier» -, on les laisse partir à la dérive. Mohamed Merah est l’exemple type de l’enfant que l’on a complètement laissé partir à la dérive. Il est devenu une proie pour les gourous. Par contre, si on entoure ces enfants sur le plan affectif, éducatif et culturel, ils peuvent rattraper leur retard plus facilement qu’on ne le croyait. Les enseignants sont demandeurs de formation pour aider ces enfants.
L’école peut-elle aussi être néfaste pour les enfants?
Oui. En Chine et au Japon, c’est un phénomène de société. L’école devient une nouvelle forme de maltraitance car les enfants sont surstimulés. Une minorité d’entre eux affiche des performances scolaires stupéfiantes, mais à un prix humain exorbitant pour les autres: déscolarisation, décrochage, surtout chez les garçons, et suicide. Les filles tiennent mieux le coup car elles ont une avance développementale sur les garçons. Vous allez voir ce que cela va donner dans deux générations!
Et en France?
Nous sommes sur le chemin du Japon et de la Chine. Certains inspecteurs appliquent les lois avec rigidité: siestes obligatoires, notation dès la maternelle… Ce n’est pas du tout ce que les Assises de la maternelle ont préconisé.
La loi anti-fessée a été adoptée cette année. Est-ce le signe que notre société porte un regard différent sur l’enfance?
Tout à fait. L’enfant est un phénomène social. Avant, il y avait des martinets accrochés au plafond des marchands de couleur. Fouetter un enfant faisait partie du système éducatif. Mais cela n’apprend que la violence et la terreur. Frapper un enfant ou crier sur lui, c’est sidérer son cerveau, l’éteindre, comme nous l’ont appris les travaux de neuro-imagerie du cerveau et de psychologie. Il faut militer contre la fessée car elle implique des rapports de domination, de violence. Mais cette interdiction dans la loi pose un problème. En Suède, un des premiers pays à l’avoir interdite, certains expliquent que cette loi a beaucoup dévalorisé le pouvoir interdicteur des parents. Il faut faire disparaître la fessée, mais pas forcément l’interdire avec une loi.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 02/10/2019. Accédez à sa version PDF en cliquant ici
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