Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. Jacques Dutronc, né en 1943, a mis du poil à gratter dans les années 1960 avec ses chansons aux mélodies accrocheuses sur des textes insolents de Jacques Lanzmann. Thomas Dutronc, né en 1973, est tombé amoureux de la guitare en écoutant Django et a fait la pompe pour ses amis gitans avant de se risquer dans la chanson. Pour la première fois, ils montent ensemble sur scène, et c’est à Montreux que la fabuleuse jonction a eu lieu en première suisse.

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Père et fils attaquent avec Et moi, et moi, et moi, un protest song de 1966 dont ils se partagent les couplets. Evidemment, les paroles sont un tantinet obsolètes. Les 500 millions de Chinois ont triplé depuis 1966 et le nom de Catherine Langeais ne dit plus grand-chose aux jeunes générations. Peu importe: la dénonciation de l’indifférence à autrui reste d’actualité: «J’y pense et puis j’oublie C’est la vie, c’est la vie…» Ils enchaînent sur La Fille du Père Noël, rugueux comme le rock du bayou, et On nous cache tout, on nous dit rien, excellente prémonition des fake news contemporaines.

Swing manouche

A la section rythmique (batterie, basse, claviers) s’ajoutent deux guitares, tenues par Rocky Gresset, tsigane fiévreux, et Basile Leroux, bluesman déchirant – sans oublier Thomas qui n’est pas manchot. Ils attaquent à trois guitares J’aime plus Paris, une chanson de Dutronc le jeune, vraie fête du swing manouche. A la fin, le gamin demande à son daron: «Tu n’avais pas aussi une chanson sur Paris?». «Un peu facile comme enchaînement», le gourmande le paternel qui entonne toutefois le merveilleux Il est cinq heures, Paris s’éveille. Ils règlent à deux voix leurs comptes avec l’autorité (Fais pas ci, fais pas ça), puis partent en goguette avec J’aime les filles. «De chez Renault», bien sûr, mais aussi «du canton de Vaud» et «de toute la Suisse». Ambiance, bonne humeur…

Avec les Dutronc, la nostalgie s’avère souriante, légère, émue. Les deux polissons nous ramènent aux folles années 1960, ils nous réconcilient avec le temps envolé. La ressemblance physique entre Jacques et Thomas est troublante, elle paraît relever davantage du clonage que de l’hérédité. Leurs voix se ressemblent. Celle du père est étonnamment conservée malgré les abus; celle du fils, plus claire, sonne comme celle du père un demi-siècle plus tôt – mais le blanc-bec ne trouve pas la modulation indispensable au «encore» qui relance Les Playboys.

Crac boum hue!

D’une qualité indéniable, les chansons du benjamin ont un impact moindre que les tubes cinquantenaires de l’ancien, car elles ne sont pas chargées de souvenirs. Tout fringant, Jacques n’en est pas moins fatigué. Il prend des pauses au bar du fond de scène, mais tourne ses 79 balais en dérision. Il remercie l’organisateur d’avoir mis à sa disposition un tabouret et non un déambulateur. Il esquisse quelques pas de twist arthritique et troque ses santiags contre des charentaises…

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Deux chansons tendres, Gentleman cambrioleur et Le Petit jardin, précèdent la séquence émotion, une adresse à Françoise Hardy, atteinte dans sa santé. Son image apparaît au fond du bar pendant une version instrumentale du Temps de l’amour, son grand succès. Puis les deux godelureaux chantent à l’unisson Les Playboys et leur «joujou extra qui fait crac boum hue». Les spectateurs assurent à gorge déployée les «choup choup bi dou-ouah» structurant les couplets. Merde in France balance impeccablement lorsque survient une… coupure de courant! Flottement, Jacques se retire, les musiciens improvisent un blues poignant, Rocky interprète en virtuose What A Wonderful World. L’électricité revient, Jacques aussi et, cacapoum, cacapoum, ça redémarre à plein pot. Il reste à finir en beauté avec Les Cactus, immarcescible dénonciation des cruautés de l’existence. «Le monde entier est un cactus, il est impossible de s’asseoir». Aïe aïe aïe! Ouille! Et merci pour tout.