«Est-ce le temps réel qui compte? Ou le temps vécu?»
- .... *****ATTENTE DE DIEU de Simone Weil ...
- .... Chemins d'exil : Simone Weil à Londres, entre mystique et résistance
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Reflexions du bon usage des études scolaires
en vue de l'Amour de Dieu
page 95 à 106
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Chemins d'exil : Simone Weil à Londres, entre mystique et résistance
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RÉCIT - La philosophe a tiré de ses seize mois d'exil la substance de son livre majeur, L'Enracinement. Oubliée de tous, en pleine guerre, elle s'éteint d'inanition à Ashford dans le Kent.
Envoyée spéciale à Londres
Le charmant cimetière Bybrook d'Ashford, ville du Kent située à 90 km au sud-est de Londres, se trouve niché entre un quartier pavillonnaire et un centre commercial. Ici, point de caveaux monumentaux qui figent les prestiges dans la mort, mais de sobres tombes joliment fleuries à même la terre, réparties librement comme les arbres dans un jardin à l'anglaise. Si on cherche bien, on trouve dans l'espace réservé aux catholiques une sépulture encore plus modeste que les autres. Un simple carré de granit posé sur le sol indique: «Simone Weil, 3 février 1909- 24 août 1943.»
En dessous, une petite plaque gravée dont il faut gratter la mousse et la poussière pour pouvoir lire ces mots: «En 1942, Simone Weil a rejoint le gouvernement provisoire français à Londres, mais développa la tuberculose et mourut au sanatorium Grosvenor d'Ashford. Ses écrits l'ont établie comme l'une des plus grandes philosophes modernes.» Une photo délavée par la pluie orne la pierre tombale qui recouvre les restes de celle qui n'aimait pas son corps.
Non loin de là, entre la ville d'Ashford et le cimetière, une autoroute balafre la verte campagne, longée par une «avenue Simone-Weil». Un panneau défraîchi indique que la rue a été renommée ainsi le 8 juillet 1983 en présence de l'attaché culturel de l'ambassadeur de France. Lorsqu'on les interroge, les jeunes collégiens anglais qui la traversent ne savent pas qui elle est.
Sept personnes présentes à son enterrement
Le 24 août 1943, à 10 heures et demie, la plus grande philosophe française du XXe siècle s'est éteinte dans l'anonymat de la campagne anglaise, en plein milieu d'une guerre dont elle ne verra pas l'issue. «Nous n'étions que sept à suivre son enterrement», racontera son ami et compagnon d'exil le chrétien-démocrate Maurice Schumann. «Je le sais parce que je l'ai lu. En effet, le seul souvenir que je garde de cette matinée est celui d'une Anglaise pauvrement endimanchée qui se pencha sur la fosse à moitié bouchée par la dalle, jeta sur le cercueil un bouquet tricolore et partit très vite sans lever les yeux.» C'était sa logeuse à Londres, Mrs Francis, qui avait posé un congé sans soldes pour venir aux obsèques.
Le sanatorium Grosvenor où elle s'est éteinte accueillait des malades atteints de tuberculose. Après la guerre, il s'est transformé en clinique privée, puis en centre d'entraînement pour la police locale. Aujourd'hui, il est devenu un centre de loisirs pour jeunes de 7 à 17 ans. Sous les fenêtres où s'est éteinte l'auteur de L'Enracinement, des gamins jouent au football sur une vaste pelouse qui donne sur les prairies verdoyantes du Kent qu'on n'appelle pas pour rien «le jardin de l'Angleterre». «Quel bel endroit pour mourir!» se serait exclamée la philosophe en entrant dans sa chambre, d'où elle entendait les oiseaux. Elle faillit ne pas y être admise.
Dans son dossier à Ashford, on trouve une lettre envoyée au médecin qui s'occupait d'elle à l'hôpital du Middlesex et avait fait une demande pour son transfert au sanatorium: «En réponse à votre lettre du 30 juillet, je regrette de ne pouvoir accepter Mlle Weil parmi nous. Comme notre clientèle est exclusivement ouvrière, nous croyons que la malade se sentira mal à l'aise.» Quelle ironie, quand on sait que toute sa vie, Simone Weil n'aura eu de cesse de chercher la compagnie des plus humbles, allant jusqu'à partager la condition ouvrière dans les usines d'Alsthom et de Renault.
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Le lendemain de l'enterrement, le quotidien local d'Ashford titre en première page: «Un professeur francais se laisse mourir de faim», reprenant l'enquête diligentée par le sous-coroner du comté qui établit dans le certificat de décès qu'elle est morte d'une «défaillance cardiaque due à un affaiblissement du myocarde des muscles du cœur, lui-même causé par les privations et la tuberculose pulmonaire», précisant: «La défunte s'est condamnée et tuée en refusant de manger, dans une période de trouble de l'esprit.» Comme la grande mystique médiévale Catherine de Sienne est morte d'intenses privations infligées à 33 ans, Simone Weil s'est laissée mourir d'inanition à 34 ans, estimant qu'elle ne pouvait manger «quand elle pensait aux Français mourant de faim en France».
«Je suis prête à tuer les Allemands»
Pendant tout son exil, elle ne cessera de regretter d'avoir quitté la France en mai 1942 (les lois raciales de Vichy la touchent directement avec sa famille), elle qui aurait tant aimé mourir en martyre ou en combattante, d'une balle dans le front comme Péguy. Lorsqu'elle rejoint Londres depuis New York, en novembre 1942, c'est pour «prendre part à n'importe quels travaux utiles ou dangereux». Espionnage, sabotage, service de liaison: elle se dit prête à tout. Elle aimerait être parachutée en France dans une unité d'infirmières de première ligne. Un projet très abouti, dont elle avait transmis une note à Roosevelt, puis à de Gaulle, qui le jugea inepte: «De la folie!», se serait exclamé le Général, qui n'a jamais croisé la route de Simone Weil pendant son exil. Elle rencontrera le commissaire à l'Intérieur de la France libre, André Philip, qui, ébloui par son intelligence, avoua à Maurice Schumann qu'il ne savait comment l'utiliser.
Sa maladresse, sa distraction et sa myopie en font un boulet plutôt qu'une aide précieuse en temps de crise. En 1936, elle avait déjà joué les résistantes au milieu des antifascistes en Espagne: elle avait été rapatriée au bout de quelques semaines après avoir marché dans une bassine d'huile bouillante. À Marseille, en 1942, elle avait essayé d'aider un réseau de résistants proches de Témoignage chrétien, qui lui avait confié une valise de documents à transporter: trébuchant en pleine rue, elle laissa tomber la mallette qui répandit au sol les documents. À Harlem, elle avait pris des cours de secourisme, mais échoué aux examens. Ce pur esprit n'est pas plus fait pour le combat physique qu'on imagine Jean-Paul Sartre faire la cuisine. Ce qui ne l'empêche pas de noter gravement dans ses carnets: «Je suis prête à tuer les Allemands en cas de nécessité stratégique.»
On lui trouve tout de même une tâche, celle d'analyser et de passer au crible tous les documents à caractère politique qui arrivaient en France. Reléguée dans les bureaux d'un des immeubles de la France libre au 19, Hill Street, non loin de Hyde Park où on l'imagine bien faire de longues balades pensives, Simone Weil se morfond de ne pas pouvoir donner son sang. Elle loue une chambre chez une veuve, au 31 Portland Street, dans le quartier aujourd'hui très à la mode de Notting Hill.
L'immeuble en briques où elle avait sa chambre est toujours là, les fenêtres donnant sur une rue tranquille où se garent des voitures cossues. Les traces de l'administration du mouvement de résistance sont très minces à Londres: de Gaulle et Churchill s'étant brouillés après la guerre, la mémoire n'a jamais été entretenue. On trouve simplement une plaque à Carlton Garden: «Ici, le général de Gaulle établit son quartier général. Les Français libres, ses compagnons refusant d'accepter la défaite y ont poursuivi la luttejusqu'à la victoire.» Tous les jours Simone Weil se rend à la messe dans une charmante église néogothique de Farm Street, située à deux pas des bureaux.
Le dimanche, Maurice Schumann l'accompagne parfois au Brompton Oratory. Elle dort trois à quatre heures par nuit, et rentre parfois à pied, à trois heures du matin, après la fermeture de l'undergound, à travers les rues entre les bombardements qui l'indiffèrent. Au total elle passera moins de cinq mois à Londres, avant d'être transférée dans un hôpital du Middlesex pour une granulie pulmonaire. «Je consacrerai le peu d'énergie et de vie ainsi accordé soit à réfléchir et rédiger ce que j'ai dans le ventre soit à une activité genre chair à canon», dit-elle à ses parents. La seconde option lui étant refusée, elle va se concentrer sur la première et offrir au monde un testament spirituel qui l'inscrira dans l'histoire de la philosophie.
Dans un état d'épuisement total, elle a l'urgente conscience d'un legs à communiquer: «Il se trouve en moi un dépôt d'or pur qui est à transmettre», affirme-t-elle dans une de ses dernières lettres. Elle écrit donc frénétiquement, comme en témoigne la large production qui couvre ces quatre mois londoniens: ses carnets, de nombreuses lettres et bien sûr son chef-d'œuvre absolu: L'Enracinement, cette «version contemporaine du Timée de Platon» comme le décrit Robert Chenavier dans la préface qu'il donne aux Écrits de Londres publiés chez Gallimard. Ce texte majeur, qui se veut un projet de Constitution politique pour la France après la Libération, oppose à la civilisation des droits de l'homme une civilisation fondée sur les besoins de l'âme et les obligations qui en découlent. L'Enracinement sera le fruit tourmenté de l'exil.
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Mais au-delà de ce texte très politique, c'est la question spirituelle qui hante ses derniers instants. Ses cahiers de Londres, mélange épars de fragments, sont véritablement l'œuvre d'une mystique. Dans un tourbillon contemplatif et passionné se mêlent les anciens Grecs, saint Thomas d'Aquin, Antigone et les dieux égyptiens, les signes du Zodiaque, les mythes des Gitans, de l'Irlande gaélique et des Esquimaux. Ce qui se dégage de ce syncrétisme est la recherche d'une grâce surnaturelle qui se manifeste différemment selon les cultures. Y a-t-il pour elle une supériorité du christianisme? Oui, sans nul doute, dit celle qui a trouvé la foi en rencontrant notamment le père Joseph-Marie Perrin et le philosophe Gustave Thibon.
Dans un texte remis avant de mourir à son amie la juive convertie Simone Deitz, elle écrit: «Je crois en Dieu, à la Trinité, à l'Incarnation, à la Rédemption, à l'Eucharistie, aux enseignements de l'Évangile.» Cependant: «Je n'ai jamais fait jusqu'ici à un prêtre une demande formelle du baptême. Je ne la fais pas non plus maintenant.» Elle préférera toujours rester sur le seuil, à la «limite», ce mot qu'elle affectionne tant et qu'on retrouve une quarantaine de fois dans ses derniers carnets. À lire ces pages fiévreuses, on est partagé entre le respect que suggère une intransigeance absolue et l'effroi qu'inspire l'étiolement précoce d'un génie aussi prometteur.
Dans la campagne anglaise, Simone Weil dort du juste sommeil des prophètes, loin de la «patrie» qu'elle mit tant d'ardeur à défendre dans ses derniers écrits. L'Eurostar ne passe pas loin. Avec ses godillots usés et son allure de mystique égarée, on l'imagine mal prendre les trains à grande vitesse du XXIe siècle. Elle est mieux oubliée dans son petit cimetière d'Ashford que dans un Panthéon glacé, elle qui écrivait dans son dernier carnet: «Silence de la petite fille dans Grimm qui sauve les 7 cygnes ses frères. Silence du juste d'Isaïe “injurié, maltraité, il n'ouvrait pas la bouche”. Silence du Christ. Une sorte de convention divine, un pacte de Dieu avec lui-même condamne ici bas la vérité au silence.»
* Pour aller plus loin: Simone Weil à New York et à Londres, Jacques Cabaud, Plon.
Bio express
1909 - Naissance de Simone Weil à Paris
14 mai 1942- Départ de Marseille pour New York
14 décembre 1942 - Arrivée à Londres
15 avril 1943 - Transfert dans un hôpital du Middlesex pour granulie pulmonaire
24 août 1943 - Mort au sanatorium d'Ashford
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