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  • 2) .... "Luther était terrifié par l'idée du Jugement dernier" .....Luther était terrifié par l'idée de la mort et du Jugement dernier. Il a raconté qu'il était entré au couvent à la suite d'une nuit d'orage où, terrifié par la peur d'être foudroyé, il avait fait le vœu de se consacrer à Dieu pour assurer son salut. En cela, il est un homme de son temps : à la fin du Moyen Âge, la damnation est une obsession. ....
  • 1) .... LUTHER : il a osé lancer la réforme .... il pensait seulement critiquer une déviance des prêtres ; obsédé par la peur de l'enfer, il voulait assurer son salut et celui des croyants. Il va provoquer un séisme....... Il est celui qui va oser s'opposer frontalement au pape et brûler sur la place publique la bulle qui l'excommunie. C'est lui, le redoutable commentateur des textes, qui impose une conception nouvelle de la grâce divine et du salut après la mort, lui qui donne au peuple un accès direct au texte de la Bible et, partant, lui ouvre les portes du savoir et de la liberté individuelle. Avec Luther, le croyant est en rapport direct avec le Christ. Plus besoin des clercs. Mais la Réforme, c'est aussi le refus du dogme, c'est le droit de discuter, de réfléchir, de s'insurger. ( ...d'aimer ...??...) .... Le « moine noir » (du nom de son habit d'augustin) a ouvert la boîte de Pandore. Chacun veut faire entendre sa petite musique.  ..... Luther, lui, veut l'ordre.

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Qu'est-ce que le protestantisme ?

À Genève, l'oratoire de Jean Calvin, par Fred de Noyelle/Godong/Leemage

Libérer l'homme, le replacer au centre de la foi et de la communication avec Dieu, tel est le projet de cet enfant de la Réforme aux déclinaisons multiples.

Par André Gounelle*

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Modifié le 18/05/2017 à 15:27 - Publié le 18/05/2017 à 11:29 | Le Point

Pourquoi parle-t-on de « protestantisme » pour désigner l'une des branches du christianisme ? L'origine de cette appellation se situe en 1529. Quelques princes et notables allemands, favorables aux revendications du moine Martin Luther se réunissent à Spire et protestent solennellement contre un décret de l'empereur Charles Quint qui veut leur imposer de se soumettre. On les nomme « protestants » et cette désignation s'étend à tous ceux qui se rattachent aux réformes mises en route au XVIesiècle par Martin Luther, Ulrich Zwingli et quelques autres.

Les protestants se reconnaissent dans cette appellation ; ils l'acceptent et l'adoptent. Ils se définissent en effet volontiers par une double protestation : protestation pour Dieu, contre ce qui le défigure et en donne une fausse image ; protestation pour l'être humain, contre ce qui l'écrase et l'asservit. Dans les deux cas, un « pour » précède le « contre ». Le protestantisme se veut plus positif que négatif ; il présente sa protestation comme l'envers d'une attestation ; il fonde ses refus sur des affirmations ; il estime dire « non », parce que l'habite un « oui » fondamental.

On a souvent souligné sa grande pluralité. Il comprend en effet une multitude d'Églises, de mouvements et de courants, ce qu'il ne considère pas forcément comme un défaut ou une faiblesse. Significativement, quand un catholique parle d'œcuménisme, il pense à l'unité de l'Église, alors qu'un protestant y voit plutôt une union d'Églises qui, tout en conservant leur identité propre, vivent en réseau, se respectent mutuellement et tiennent compte les unes des autres.

Le prestige des pères fondateurs

Comment s'orienter dans ce foisonnement ? On peut énumérer quelques grandes familles confessionnelles (luthériens, réformés, baptistes, méthodistes, pentecôtistes, etc.), elles-mêmes traversées par des tendances (fondamentalisme, libéralisme, piétisme, etc.), mais on s'empêtrera vite dans l'enchevêtrement de courants. On peut aussi distinguer des « périodes » successives qui ont chacune leur visage. Celle des « pères fondateurs », d'abord. Leur prestige est grand, mais leur autorité n'est nullement indiscutable. Si certains protestants (les « orthodoxes ») estiment que la Réforme a été faite une fois pour toutes au XVIe siècle et qu'il faut s'y tenir, d'autres pensent qu'il s'agit seulement du début d'un processus qui doit se poursuivre et aller beaucoup plus loin. Pour les premiers, le protestantisme se définit par les positions qu'ont formulées les pères fondateurs ; pour les seconds, par le mouvement qu'ils ont initié et qui se poursuit. Mais les uns comme les autres se réfèrent aux écrits de ces réformateurs.

Ensuite, plus ou moins en lien avec les Lumières, se produisent des révisions. L'historien Ernst Troeltsch (1865-1923) jugeait qu'elles inauguraient un « néoprotestantisme » plus éloigné, selon lui, de la Réforme inaugurale que cette Réforme ne l'est elle-même du catholicisme de son temps. Avec la naissance de la critique historique en effet s'instaure une lecture différente de la Bible et se noue une autre relation avec son texte.

Dans la ligne du kantisme, on met l'accent moins sur l'objet de la foi que sur le sujet croyant. La doctrine ne définit pas ce qu'est Dieu et ce qu'il faut croire, elle n'est pas une vérité immuable et éternelle. Elle dit comment, dans un contexte donné, on perçoit Dieu et on formule sa foi ; elle en est une expression temporaire et changeante. Enfin, on entend rompre les liens de la religion avec l'État pour la situer dans le « cœur ». Elle n'est pas appartenance communautaire, mais sentiment intime. Ces tournants se heurtent à de fortes résistances « orthodoxes », qui attisent des polémiques et suscitent des divisions.

Reformuler la foi évangélique

Avec la Première Guerre mondiale, on entre dans les tourmentes du XXesiècle : montée de l'athéisme, apparition des idéologies nazies et marxistes, transformation par la science de notre vision du monde, sécularisation grandissante, changements culturels et sociaux. En Europe comme en Amérique du Nord, des penseurs et acteurs tentent de repenser et de reformuler la foi évangélique. Aujourd'hui pourtant, le protestantisme recule dans ses terres traditionnelles, et se développe en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique. On peut prévoir que, dans un avenir proche, il prendra un visage beaucoup moins occidental. En France même, dans les Églises protestantes, on constate des mutations : le nombre de ceux qui appartiennent aux lignées remontant aux siècles derniers diminue et celui des fidèles de fraîche date augmente.

Les trois fondamentaux

Mais derrière sa diversité, on peut déceler un « esprit » du protestantisme. Je le caractériserais par trois affirmations. La première, c'est que « Dieu seul est Dieu ». Que Dieu seul soit Dieu signifie qu'il a le monopole du sacré ; rien, en dehors de lui, n'est divin ni ne participe à la divinité. D'où le rejet d'une religiosité, jugée idolâtre, pour laquelle du divin sort de Dieu pour émigrer dans le monde, imprégner des lieux (sanctuaires ou pèlerinages), des personnages (les saints, Marie, un clergé), des institutions (Église, épiscopat, papauté) et des cérémonies (sacrements). Le refus de la transsubstantiation, perçue comme une divinisation de l'hostie, s'inscrit dans cette ligne. Ce qui témoigne de Dieu est certes respectable, mais n'est pas lui-même divin. Cette désacralisation a des consonances évidentes avec le principe de laïcité.

« Je suis devant Dieu » : c'est la deuxième affirmation fondamentale. En elle, il faut souligner le « je » qui exprime la conviction que la foi est personnelle et non collective (même si elle a pour conséquence la formation d'une communauté). Elle n'est pas un système de croyances et de rites auquel on adhérerait. Elle se nourrit d'une relation directe, nouée dans une sorte de tête-à-tête, avec Dieu. Tua res agitur, disait-on au XVIesiècle : la foi est ton affaire, pas celle de ta famille, de ton Église, encore moins de ton peuple. Même si on est accompagné et aidé, il appartient à chacun de se prononcer pour son propre compte. D'où l'attachement du protestantisme à la liberté de conscience et son insistance sur la responsabilité individuelle.

Reste une troisième proposition : « Dieu me parle par la Bible. » Le croyant doit réfléchir et agir en un constant échange avec elle. Il y a, certes, désaccord sur la nature de son autorité entre ceux qui la prennent à la lettre, et les tenants d'une lecture critique. Ceux-là distinguent le message venant de Dieu de sa formulation, qui est humaine. Néanmoins, pour les uns comme pour les autres, la lecture personnelle de la Bible met en relation le fidèle avec le Christ, parole vivante de Dieu.

Certes, dans le christianisme, le protestantisme n'a nullement le monopole de ces trois affirmations ; mais il estime que sa vocation est de les incarner rigoureusement, sans compromis, et de les rappeler avec force, en particulier quand elles sont atténuées, oubliées ou contredites. Que souvent le protestantisme ne soit pas à la hauteur de son idéal est une évidence. Il n'est fidèle que s'il sait protester aussi contre lui-même.

 

* Théologien, professeur émérite de la faculté libre de théologie protestante de Montpellier, spécialiste du protestantisme libéral. Il est l'auteur, entre autres, de Paul Tillich, une foi réfléchie (Olivétan, 2013).

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 "Luther était terrifié par l'idée du Jugement dernier"

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Qui était Luther ? Un rebelle, un illuminé, un fondamentaliste ? Réponses de l'historien Matthieu Arnold, son biographe et éditeur dans la Pleiade. Interview

Par Catherine Golliau et Thomas Malher, Interview de .....* Matthieu Arnold est professeur d'histoire du christianisme moderne et contemporain à la Faculté de théologie protestante de l'Université de Strasbourg. Il est l'éditeur (avec Marc Lienhard) de Luther dans la Bibliothèque de Pléiade chez Gallimard (T.1, 1999; T.2, 2017) et l'auteur, entre autres, d'une biographie de Luther (Fayard, 2017). Il a participé à la BD « Luther » (Collection « Ils ont fait l'histoire », Glénat-Fayard, 2017)

Publié le 18/05/2017 à 11:18 | Le Point.fr

Vous publiez une nouvelle biographie de Luther. Une de plus ? Qu'apportez-vous de plus ?

C'est vrai que Luther a fait l'objet de nombreuses biographies, dont certaines remarquables. Mais la vie de Luther mérite d'être étudiée complètement. Or la plupart de ses biographes ont négligé jusqu'ici sa vie après 1525. Luther avait condamné les rebelles paysans et soutenu les princes qui les avaient massacrés. Beaucoup d'historiens considèrent qu'il s'est alors marginalisé et que son influence sur le mouvement réformateur est devenue moindre. Mais ces années-là sont particulièrement fécondes tant sur le plan personnel que religieux et littéraire. Luther se marie, devient père de famille. Prédicateur hors pair, musicien, compositeur, il ne cesse d'écrire. J'ai donc voulu montrer l'homme Luther sous tous ses aspects. Et j'ai pu m'appuyer pour cela sur des documents jusqu'ici peu exploités, comme sa correspondance qui a été publiée de manière scientifique en 1996, mais aussi ses propos de table rapportés par ses compagnons.

Le psychanalyste américain Erik H. Erickson a affirmé en 1968 qu'il souffrait d'un problème d'identité, du fait de sa rupture avec son père, et que son déficit affectif n'aurait pas été comblé par son entrée au couvent...

C'est une interprétation. Son père voulait en faire un juriste et l'avait poussé à entrer à l'université. Mais Luther était terrifié par l'idée de la mort et du Jugement dernier. Il a raconté qu'il était entré au couvent à la suite d'une nuit d'orage où, terrifié par la peur d'être foudroyé, il avait fait le vœu de se consacrer à Dieu pour assurer son salut. En cela, il est un homme de son temps : à la fin du Moyen Âge, la damnation est une obsession.

Cette obsession du Jugement dernier explique le trafic des « indulgences » organisé par l'Église pour permettre aux fidèles de s'exonérer de leurs péchés...

Oui, et c'était un marché florissant. L'Église organisait des campagnes de vente à grande échelle à travers l'Europe depuis la fin du XVe siècle. D'après des études menées par des spécialistes du Vatican, les indulgences représentaient à l'époque de Luther un tiers des rentrées dites « spirituelles » de l'Église, qui comprenaient, entre autres choses, l'expertise des reliques et les dispenses de jeûne.

Fut-il le premier à s'y opposer ?

Non, d'autres théologiens l'avaient fait avant lui, mais ils avaient été mis au pas par l'Église. Car en s'attaquant aux indulgences, on s'attaquait au pape. Luther ne pensait d'ailleurs pas lui faire offense. Il entendait seulement rappeler la vérité des Écritures. Il n'est pas certain qu'il ait affiché ses 95 thèses sur les portes de la cathédrale de Wittenberg, comme le veut la légende, mais ce qui est sûr, c'est qu'en quelques mois, ses thèses vont mettre les esprits en ébullition en Allemagne, et même au-delà. Il en fut le premier surpris car il ne pensait pas qu'elles étaient révolutionnaires.

Comment a-t-il pu s'imposer ?

Grâce au développement de l'imprimerie et au soutien indéfectible des Électeurs de Saxe, à commencer par Frédéric le Sage, l'un des princes les plus puissants de l'Empire. Ceci étant, le commerce des indulgences n'est pour Luther qu'une partie du problème. C'est la théologie de son temps qui ne le satisfait pas. Elle maintient selon lui l'être humain dans un état d'incertitude, entre le désespoir à l'idée d'être damné et une fausse assurance du salut. Pour lui, si l'être humain doit collaborer à son salut, le dernier mot revient à Dieu qui octroie la grâce. C'est parce que l'homme est certain d'être sauvé grâce à sa foi qu'il peut se consacrer à son prochain. Les œuvres ne sont pas supprimées mais deviennent des conséquences naturelles du fait d'avoir la foi en Dieu.

Donc, pour Luther, l'homme n'est pas libre ?

L'homme se libère par la foi dans la parole de Dieu. Mais pas par les œuvres. Pour lui, on ne mérite pas son salut, de même qu'un enfant ne « mérite » pas l'amour de ses parents. C'est le fait de se savoir aimé qui libère des forces nouvelles pour agir ici-bas.

Que se passe-t-il pour ceux que Dieu n'a pas élus ou qui s'éloignent de lui ?

Pour Luther, qui radicalise ainsi la pensée de Saint Augustin, l'homme est mauvais dès lors qu'il est séparé de Dieu, donc il ne peut pas collaborer à son salut. Luther ne croit pas fondamentalement dans l'homme. C'est ce qui l'oppose notamment aux humanistes, comme Érasme, pour qui l'homme est capable de choix et qui estiment donc anormal qu'il ne puisse collaborer à son salut.

Comment expliquer l'hostilité de Luther aux guerres paysannes qui déchirent l'Allemagne et le centre de l'Europe à partir de 1525 ? Les paysans réclamaient pourtant plus de justice sociale...

Pour lui, le bien le plus précieux sur terre, c'est la paix, et celle-ci est assurée par l'autorité temporelle et politique, soit, en Allemagne, l'Empereur et les princes qui l'élisent. Il vaut donc mieux choisir un pouvoir autoritaire que la révolution qui mène au chaos. Ce qui ne l'empêchera pas en 1525 de se montrer virulent envers les princes. Jusqu'au bout, même dans son traité contre les bandes pillardes de paysans, il appelle à la négociation. Pour cela, il n'hésite pas à aller sur le terrain, quitte à être molesté. Mais il est fondamentalement un homme d'ordre.

Était-il un bon théologien ?

Oui, et ses cours à l'université étaient très appréciés. C'est sur une lecture attentive des Écritures qu'il a fondé son opposition à Rome. Mais très vite se sont opposées deux approches théologiques, une lecture stricte des textes et une autre, celle de l'Église officielle, qui défendait la tradition. Ainsi, contrairement aux vœux de Luther qui avait, dans ce but, accepté d'aller rencontrer les émissaires du pape à Worms, il n'y a jamais eu de débat de fond sur les indulgences. Il a été accusé de remettre en cause l'autorité du pape et, en 1522, il a été excommunié.

Son approche des Écritures n'est-elle pas fondamentaliste ?

Non, car il va appliquer aux textes des critères d'interprétation et prendre en compte le contexte historique dans lesquels ils ont été établis. Ainsi, contre ceux qui au sein de la Réforme disaient qu'il fallait détruire les images, il a affirmé : « Dieu donne des paroles dans un contexte donné. » Il a ainsi initié la lecture critique en s'interrogeant sur ce qui poussait le Christ à agir.

Et la femme ? Il recommande aux moines de se marier et lui-même épouse une nonne qui s'est enfuie d'un couvent... ?

Pour lui, la femme devait être le soutien de son mari pasteur. Il a longtemps refusé de se marier, puis a fini par épouser Catherine de Bora qui s'était réfugiée chez lui, à Wittenberg. Il sera un bon époux et un bon père. Avec Marc Lienhard, nous publions dans la Pleiade plusieurs de ses lettres à son épouse. On y découvre une relation exceptionnelle, marquée par beaucoup d'humour et de tendresse. Cet homme qui fut moine pendant plus de vingt ans et qui a été marqué par une forte tradition de misogynie reconnaît les compétences intellectuelles de sa femme et la traite à égalité. Il écrit d'ailleurs en 1524 un traité où il recommande de créer des écoles pour former les filles. On ne voit pas cela chez Érasme et les humanistes...

Résultat de recherche d'images pour Catherine, la femme de Luther ©  Raffael/Leemage

Portrait de Katharina von Bora, (Catherine de Bore, 1499-1552). Detail du double portrait de Martin Luther avec sa femme. Peinture de Lucas Cranach dit Le Vieux (1472-1553), 1529. Huile sur toile. Dim : 37 x 23 cm. Musee des Offices de Florence. Raffael/Leemage © Raffael/Leemage

 

Luther révolutionne la théologie, mais aussi la langue allemande...

La Réforme est, c'est vrai, la fille de la langue vernaculaire. Luther utilise le latin quand il s'adresse à des érudits, puis il reprend ses propos en allemand quand il veut les vulgariser, comme dans ses traités pédagogiques, qu'il rédige de 1518 à 1520 sur le mariage, le prêt à intérêt ou la préparation à la mort, dans ses nombreux cantiques, etc. La langue allemande n'est alors pas fixée et il va l'enrichir de mots nouveaux comme Sündenbock, le bouc chargé des péchés (« le bouc émissaire ») ou gottgefällig (« agréable à Dieu »). Il introduit dans le vocabulaire religieux des mots profanes, en utilise d'autres avec un sens nouveau comme Gnade (« grâce ») ou Glaube (« foi »). Dans sa traduction de la Bible en allemand, qui va devenir un best-seller, il traduit les mots dans le sens de sa théologie. L'appel à la repentance de Jean Baptiste, par exemple, devient bessert euch « améliorez-vous », l'homme étant justifié dans les œuvres de la Loi par la foi.

Mais n'est-ce pas une personnalité fondamentalement orgueilleuse ?

Il a certes le sentiment d'être unique, et autour de lui, cette opinion est partagée. Martin Bucer, qui fut l'une des grandes figures de la Réforme et dont j'ai exploité la correspondance, disait aux Zurichois : « Luther est au monde ce que Zwingli a été la Suisse. » Il est celui qui a affirmé le salut par la foi, par la grâce, par l'écriture seule. Il a posé les bases du protestantisme. On peut dire aussi qu'il a été la première star médiatique. Ses sermons de 1518 à 1520 ont été vendus à des centaines de milliers d'exemplaires. Quand il se rend à Worms pour confronter ses vues à celles des émissaires du pape, c'est un voyage triomphal, un phénomène d'une ampleur inconnue avant lui. Mais Luther peut se montrer aussi orgueilleux qu'extrêmement humble. Je me garderai de le caractériser sur le plan psychologique. Très vite, autour de lui, des gens se radicalisent et, à partir de 1522, il est pris entre deux fronts, Rome et ses opposants. S'il quitte cette année-là le château de la Warburg où l'avait installé Frédéric le Sage pour le protéger et s'il rentre à Wittenberg, c'est justement pour reprendre la main. Ses écrits les plus féroces seront d'ailleurs contre les adversaires de son camp : Zwingli, Müntzer...

Justement, il se montre dans ses attaques d'une violence et d'une grossièreté inouïes. Notamment contre les juifs. Est-il à l'origine de l'antisémitisme nazi comme certains l'en accusent aujourd'hui ?

Son rapport aux juifs est très surprenant. D'abord, dans un texte de 1523, il se montre très bienveillant à leur égard. Mais en 1543, il publie un texte terrible où il appelle les États à les bannir et à les dépouiller. Il veut que les biens ainsi récoltés soient redistribués aux juifs qui se sont convertis. Il prône une véritable politique de ségrégation, même s'il recommande aux pasteurs d'éviter que le peuple ne leur fasse du mal.

Mais pourquoi perçoit-il cette communauté comme une menace ? Il a eu personnellement à en souffrir ?

Non, il a été assez peu confronté au juif réel. C'est le juif fantasmé qu'il attaque. Il voit les juifs à travers la critique que fait le Nouveau Testament des pharisiens. Là encore, la clé est peut-être dans sa peur du Jugement dernier. Il en est convaincu, la fin du monde approche et il a l'impression que les juifs constituent une menace pour le salut des chrétiens. Mais si des proches comme Mélanchton le soutiennent, ses propos ont été critiqués jusque dans son camp, et le rabin Josel de Rosheim, le représentant des Juifs de l'Empire, a obtenu que ses textes soient condamnés à Strasbourg. Au XVIIIe et au XIXe siècles, les piétistes allemands vont également condamner les écrits de Luther contre les juifs. Quant au nazisme, son antisémitisme est à base raciale. Il n'a pas eu besoin de Luther pour exister.

Pour quelle raison n'avez-vous pas inclus dans l'édition de la Pleiade ses textes contre les juifs ?

Pour des raisons purement éditoriales. De tels textes sont comme Mein Kampf d'Hitler, il faut les annoter et les expliquer, ce qui demande beaucoup de place. Or nous risquions de déséquilibrer l'ensemble de l'ouvrage. Comme ces textes ont été traduits et publiés en 2015 par la maison d'édition Champion, nous avons décidé de ne présenter que la lettre de Luther à Josel de Rosheim. Nous avons préféré publier la quasi-intégralité des cantiques, les préfaces aux recueils de cantiques et les catéchismes, des textes qui ont façonné la vie des gens, jusque dans la deuxième moitié du XXe siècle. Ma mère qui est née en Alsace en 1940 a encore appris en allemand le petit catéchisme de Luther.

Finalement, quel homme était-il ?

Celui qui apporte le message rassurant du Christ sauveur de la manière la plus douce, et qui, dans le même temps, se montre très violent, voire ordurier et injuste quand ce message est menacé. Ce qui explique qu'on l'a adoré et détesté.

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Luther : il a osé lancer la Réforme !

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En 1517, il y a 500 ans, un moine de Wittenberg lance une bombe qui va disloquer l'Église. "Le Point" consacre un dossier spécial à ce lanceur d'alerte.

Par Publié le | Le Point.f

Ce matin d'octobre 1517, à Wittenberg, ville universitaire de l'Électorat de Saxe, les habitants découvrent avec stupéfaction affichées sur la porte de l'église du château une série de 95 affirmations critiquant vertement la manière dont le pape commercialise l'absolution des péchés. L'auteur de ces lignes ? Un éminent professeur de l'université de la ville, un moine augustin, érudit brillant et travailleur acharné. Il s'appelle Martin Luther. Il a 34 ans et ne sait pas encore qu'il vient de faire basculer le christianisme dans la Réforme. Il mettra du temps à s'en rendre compte : il pensait seulement critiquer une déviance des prêtres ; obsédé par la peur de l'enfer, il voulait assurer son salut et celui des croyants. Il va provoquer un séisme.

C'était il y déjà 500 ans. Un chiffre rond qui invite à la commémoration : 2017 est donc l'année Luther. En France, on doit au professeur de la faculté protestante de Strasbourg Matthieu Arnold l'édition de ses psaumes, de ses catéchismes et autres écrits d'apostolat dans la prestigieuse collection de la Pléiade (Gallimard), mais aussi une remarquable biographie chez Fayard (et une BD, chez Glénat). Mais l'édition s'est mise en peine, d'autres biographies ont été traduites de l'allemand, dont le passionnant Luther de Heinz Schilling (éditions Salvator). Des livres, donc, et des interrogations.

Dr Jekyll and Mr Hyde

Car qui était vraiment Luther ? On le connaît finalement peu en France, où le protestantisme est d'abord « réformé », c'est-à-dire calviniste. La bonne bouille ronde qu'il arbore sur les tableaux de Cranach l'Ancien dit peu du théologien inspiré, passionné, courageux, poète, mais aussi orgueilleux, intransigeant, violent et haineux. Il y a du Dr Jekyll and Mr Hyde chez le moine de 1517, bientôt défroqué (et marié). Et peut-être capte-t-il trop bien la lumière, l'ami du peintre Cranach.

En effet, si la Réforme est Luther, elle n'est pas que Luther. L'homme est bien sûr la personnalité phare de ce mouvement qui va déchirer l'Église et la transformer de l'intérieur. Il est celui qui va oser s'opposer frontalement au pape et brûler sur la place publique la bulle qui l'excommunie. C'est lui, le redoutable commentateur des textes, qui impose une conception nouvelle de la grâce divine et du salut après la mort, lui qui donne au peuple un accès direct au texte de la Bible et, partant, lui ouvre les portes du savoir et de la liberté individuelle. Avec Luther, le croyant est en rapport direct avec le Christ. Plus besoin des clercs. Mais la Réforme, c'est aussi le refus du dogme, c'est le droit de discuter, de réfléchir, de s'insurger.

Le « moine noir » (du nom de son habit d'augustin) a ouvert la boîte de Pandore. Chacun veut faire entendre sa petite musique. Derrière Luther, on se bouscule, on le pousse. Mélanchthon, Bucer, Müntzer, Zwingli, Calvin : autant de « réformateurs » également incontournables, qui ont pu être des amis, des disciples, des concurrents, des ennemis mortels. Luther, c'est la Saxe, Bucer, l'Alsace, Zwingli, la Suisse allemande, Calvin, Genève, etc. La Réforme est une hydre à plusieurs bras qui étend progressivement son emprise sur toute l'Europe du Nord, faisant tourner la tête des bourgeois, des nobles, des clercs, des paysans. La Réforme, ce sont aussi ces princes allemands qui profitent du tumulte et du chaos pour s'imposer face à Charles Quint, empereur du Saint-Empire romain germanique. Ce sont ces paysans qui entrent en rébellion pour plus de justice sociale. Ils veulent que la Réforme soit d'abord sociale, qu'on allège leurs impôts, qu'on les libère du joug des féodaux.

Un personnage bifide

Luther, lui, veut l'ordre. L'insurgé de Wittenberg est prêt à se battre pour ses convictions religieuses, pas à soutenir les forcenés des campagnes. Quand, de 1524 à 1526, des bandes de paysans mettent la campagne à feu et à sang, il va sur le terrain pour tenter de les convaincre de se calmer, il appelle à la trêve. En vain. Alors, il soutient les princes qui passent les révoltés au fil de l'épée. Dans son propre camp, la violence de ses missives vengeresses crée l'incompréhension. De même que ses attaques contre les juifs, qu'il ne connaît que de loin mais qui, à ses yeux, ont le tort de refuser la conversion. Il exige leur expulsion, qu'on leur prenne leurs biens, qu'on brûle leurs synagogues. Là encore, la plupart des réformés le condamnent. Mais ses pamphlets vont servir de justification à l'antisémitisme allemand le plus radical.

Luther est un personnage bifide, nous dit l'historien allemand Thomas Kaufmann dans l'interview exclusive qu'il a donnée au Point. L'homme qui a permis aux Européens de découvrir le chemin de la démocratie est aussi celui qui a donné les brandons pour attiser la haine. Celui qui a révolutionné l'Église a conforté le pouvoir des princes. L'homme qui a fait de la langue allemande une langue littéraire et a écrit les psaumes qui ont inspiré Jean-Sébastien Bach a aussi utilisé les mots comme des masses d'arme pour appeler au meurtre. C'est ce Luther tout en contradiction que Le Point vous invite à découvrir dans ce dossier spécial. Pour le lire dans le texte. Pour découvrir les écrits des autres réformateurs. Pour mieux comprendre ce que fut la Réforme et ce qu'elle va produire, le protestantisme.